Réflexion sur les conséquences interreligieuses possibles du projet d’annexion de parties de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain par Israël

Message de l’Amitié Internationale Judéo-Chrétienne (ICCJ), Maison Martin-Buber Heppenheim, 18 juin 2020.

Notre monde vit des moments exceptionnellement difficiles. De nombreux pays sont toujours aux prises avec la pandémie de COVID-19, tandis que d’autres se déconfinent lentement pour faire face à ses implications sociales et économiques. En outre, de nombreux pays occidentaux font leur autocritique des répercussions du colonialisme et du racisme dans leurs sociétés. Dans un climat de crises multiples, les relations entre les groupes deviennent tendues et les théories de conspiration incendiaire abondent.

Le conseil exécutif de l’ICCJ est généralement peu enclin à commenter les controverses politiques, sauf lorsqu’elles sont susceptibles d’entraver la compréhension entre juifs et chrétiens ou la liberté de pratique religieuse. Nous avons à plusieurs reprises proposé des recommandations à nos organisations nationales membres et à d’autres organisations vouées à l’amitié interreligieuse au sujet du conflit israélo-palestinien. Notre document de Berlin de 2009, «Le temps du réengagement: Pour construire la nouvelle relation entre juifs et chrétiens», appelait à prier «pour la paix de Jérusalem ... en critiquant les politiques des institutions gouvernementales et sociales israéliennes et palestiniennes lorsque cette critique est moralement justifiée, tout en reconnaissant l’attachement profond des deux communautés à la terre». Souvent guidés par des textes bibliques partagés par les juifs et les chrétiens, notamment le Deutéronome 16,20: «C’est la justice, rien que la justice que tu rechercheras…», nous avons à de nombreuses reprises affirmé à la fois le droit de l’État d’Israël à la sécurité en tant que patrie du peuple juif et le droit des Palestiniens à l’autodétermination dans leur pays (voir, par exemple, «Attention au langage!» [2010] et «Tant que vous croyez en un Dieu vivant, vous devez espérer» [2013]). Le rabbin Yehoudah He-Hasid, au 13e siècle, a suggéré que ce verset biblique répète le mot «justice» parce que pour qu’un conflit soit résolu, il faut qu’il y ait une justice pour toutes les parties.

Les récentes déclarations de certains dirigeants israéliens quant à leur intention d’entamer l’annexion unilatérale de parties de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain soulèvent des questions inquiétantes sur lesquelles nous encourageons la réflexion. Il s’agit notamment de la nécessité de rendre justice à tous ceux qui seraient touchés par une telle action. Elle aurait certainement de «graves conséquences pour le peuple palestinien» et porterait gravement atteinte à la réputation internationale d’Israël, comme l’a récemment déclaré une lettre ouverte de plus de quarante dirigeants juifs du Royaume-Uni à l’ambassadeur d’Israël auprès de la Cour de Saint-James.

En tant qu’organisation internationale qui se consacre depuis plus de soixante-dix ans à la compréhension et à la coopération interreligieuses, nous sommes particulièrement alarmés par l’impact négatif probable d’une telle annexion sur les relations entre juifs, chrétiens et musulmans, tant dans la région que dans le monde entier. Nous pouvons prévoir une grande rancœur parmi les chrétiens ayant des opinions diverses sur le conflit et parmi les juifs ayant des opinions tout aussi diverses en Israël et dans la diaspora (et entre les juifs israéliens et ceux de la diaspora). D’importantes mesures prises récemment pour construire la confiance entre Israël et les États voisins pourraient être remises en cause (voir Jerusalem Post, 12 mai 2020), et le dialogue croissant entre les juifs et les musulmans pourrait être compromis. Quels seraient les avantages d’un tel désaccord ? Comme l’ont déclaré les dirigeants juifs britanniques, ce serait «une victoire à la Pyrrhus qui intensifierait les défis politiques, diplomatiques et économiques d’Israël sans apporter aucun avantage tangible».

De plus, la future annexion, quels que soient ses détails géographiques précis, soulève d’autres questions inquiétantes qui méritent d’être prises en considération. Une telle annexion représenterait-elle la fin de la solution à deux États? Quelles seraient les implications de l’annexion pour l’idée qu’Israël se fait de lui-même en tant qu’État juif démocratique? Comment Israël se défendrait-il de manière convaincante contre l’accusation de conquérir ces terres purement et simplement? Pour beaucoup, affirmer que les Palestiniens n’ont pas été des partenaires coopératifs dans le processus de paix reviendrait trop facilement à «blâmer la victime».

Enfin, dans la tourmente sociale actuelle, il y a un risque très réel d’une recrudescence des flambées antisémites mondiales à la suite d’initiatives d’annexion.

Toutes ces préoccupations rendent très opportune la publication, prévue pour cet automne, du livre parrainé par l’ICCJ, Enabling Dialogue about the Land : A Resource Book for Jews and Christians (Favoriser le dialogue au sujet de la Terre : un livre de référence pour les juifs et les chrétiens). Destiné à être utilisé par les groupes locaux de dialogue entre chrétiens et juifs, il offrira un processus structuré pour une conversation constructive et des articles d’actualité informatifs rédigés à partir de diverses perspectives. De plus amples informations sur ce volume seront disponibles dans les mois à venir. Toutefois, même avec de telles ressources, nous craignons que les dialogues entre chrétiens et juifs et les dialogues entre chrétiens et juifs et musulmans dans le monde entier ne soient plongés dans le chaos et la récrimination si des plans d’annexion devaient se matérialiser.

En résumé, nous pensons que la mise en œuvre d’une politique d’annexion pourrait bien entraîner de nombreuses conséquences destructrices qui ne peuvent être entièrement prévues. Nous appelons donc les responsables politiques à agir selon des principes de justice et seulement après une réflexion prolongée sur tous les effets possibles de leurs décisions. Nous demandons instamment à la communauté interreligieuse mondiale de réfléchir à la manière dont elle intensifiera le travail de dialogue et de mutualité si les divisions que nous prévoyons devaient se produire advenant que les plans d’annexion proposés se concrétisent. Conformément à sa mission, l’ICCJ s’engage à apporter son aide à l’approfondissement du dialogue judéo-chrétien, déjà très dynamique, et du dialogue judéo-chrétien-musulman, appelé à se développer au cours des années à venir.

Remarques de l’éditeur

Source : ICCJ