Menahem MACINA, Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique. Prospective eschatologique

Dans cet ouvrage, Menahem Macina se propose de retracer «les étapes de la longue marche, ponctuée d’ombres et de lumières, vers la reconnaissance du dessein de Dieu sur les juifs et les chrétiens» dans lesquels il voit «un avatar typologique des ‘deux familles choisies par Dieu’ dont parle Jérémie (33,24)»

Menahem MACINA, Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique.

Prospective eschatologique.

Avignon, Éd. du Docteur angélique, 2009. ISBN 978-2-918303-00-8. 23 €

Recension de livre par Jean Duhaime

Dans cet ouvrage, Menahem Macina se propose de retracer «les étapes de la longue marche, ponctuée d’ombres et de lumières, vers la reconnaissance du dessein de Dieu sur les juifs et les chrétiens» dans lesquels il voit «un avatar typologique des ‘deux familles choisies par Dieu’ dont parle Jérémie (33,24)» (p. 14-15). L’auteur a choisi de s’y exprimer «de manière méditative, exhortative, voire spirituelle en recourant à l’Écriture – massivement citée–, mais aussi aux œuvres des Sages juifs, des anciens Pères et de la Tradition de l’Église», pour permettre au lecteur «de se forger un jugement sur base de textes de référence, fiables et vénérables» (p. 15). Macina se présente comme «l’auteur de nombreuses études sur les doctrines eschatologiques juives et chrétiennes traditionnelles» (4e de couverture) et son point de vue est marqué l’urgence eschatologique. Il estime en effet que le peuple d’Israël est sur le point d’être «victime de l’ultime agression prédite par les prophètes» (Joël 4; Psaume 2) et que les chrétiens, en particulier, seront jugés sur l’attitude qu’ils adopteront alors à l’égard de ce peuple (p. 16).

Le livre comporte huit chapitres et se divise en quatre parties. Dans la première partie, intitulée «Une théologie qui se cherche. Respect mutuel mais pas reconnaissance», Macina retrace d’abord les débats du concile Vatican II autour de l’élaboration et de l’adoption de la Déclaration Nostra Aetate, dont le par. 4 constitue une véritable «volte-face théologique» dans l’attitude de l’Église envers les juifs (chap. I). Il fait ensuite état de la difficile réception de ce texte qui se manifeste encore aujourd’hui dans des ouvrages chrétiens qui continuent subtilement à dénigrer les juifs du temps de Jésus ou de proposer une vision de l’Église comme substitut du peuple juif (chap. II). D’un point de vue plus positif, il souligne, d’une part, les avancées du dialogue entre catholiques et juifs à travers le Comité de liaison international entre catholiques et juifs et, d’autre part, le «nouveau regard» sur le christianisme préconisé par des instances juives, notamment dans Dabru Emet. Il prend acte également des documents de repentance des Églises, non sans noter leurs limites. Il signale l’ambivalence actuelle de la théologie catholique où l’on trouve aussi bien un point de vue officiel, selon lequel l’alliance ancienne entre Dieu et le peuple juif n’a jamais été révoquée (Romains 9–11), que des travaux d’experts qui réaffirment qu’elle est périmée (voir Hébreux 7–10) et nient par conséquent que le judaïsme ait une vocation dans le monde actuel (chap. III).

La deuxième partie propose de voir juifs et chrétiens comme «deux élus irréductibles» ou comme «les deux faces d’un même mystère». Macina établit d’abord qu’une théologie chrétienne «qui bute sur la place des juifs dans le dessein de salut de Dieu» est «inadéquate pour rendre compte du mystère (d’Israël)» (chap. IV; cit. p. 133). Il évoque également l’indignation de la communauté juive devant «la nouvelle version de la prière pour les juifs de la liturgie du Vendredi saint» que le pape Benoît XVI a substituée dans le missel romain de 1962 dont l’usage continue d’être autorisé à côté du missel promulgué par Paul VI dans les années 1970: selon la compréhension qu’on en a, cette prière «pour que les juifs reconnaissent Jésus» pourrait bien sonner le glas du dialogue (chap. V). Macina propose ensuite une «typologie prophétique» dans laquelle juifs et chrétiens constituent un même peuple «de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance» selon la formulation, remarquable mais passée un peu inaperçue, du document romain de 1985 Notes pour une présentation correcte des Juifs et du Judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique (Chap. VI).

Les bases scripturaires et théologiques de cette «typologie prophétique» sont approfondies dans la troisième partie qui propose «Un nouveau regard sur le dessein divin à la lumière des Écritures» (chap. VII). Macina y affirme sa conviction que «le peuple juif restera extrinsèque, voire étranger au peuple chrétien tant qu’on ne recourra, pour en sonder le mystère, qu’à une théologie ecclésiocentrée» (p. 201). Il faut plutôt, à son avis, appliquer à ces deux communautés l’expression de Jérémie 33,24 à propos de Juda et Israël, qui lui paraît «seule apte à rendre la composante relationnelle voulue par Dieu entre les deux peuples: ‘les deux familles que Dieu a choisies’» (ibid.). Il estime qu’il faut prendre au sérieux les promesses bibliques qui annoncent l’instauration du «Royaume messianique terrestre». Cela constituera la «réalisation intégrale (en grec apocatastasis) de tout ce que Dieu a dit par la bouche de ses saints prophètes de toujours» (Actes 3,21 cité p. 242). Cette «apocatastase» implique que le Royaume d’Israël soit restauré dans son unité originelle (p. 250), mais également que l’Église et Israël ne fassent plus qu’un, après avoir été distingués provisoirement (p. 267). Son avènement est imminent, même si ni les théologiens catholiques ni un pape aussi bien disposé l’égard des Juifs que Jean-Paul II ne l’ont compris (p. 251).

Le fait que nous sommes à l’époque de la réalisation des événements eschatologiques permet à Macina, dans la quatrième partie, de présenter la résurgence de l’État d’Israël comme «l’étape ultime de l’incarnation du dessein divin» (chap. VIII), de dénoncer l’antisionisme comme une nouvelle forme d’antisémitisme, et de plaider en faveur d’un «philosionisme chrétien» (p. 321). Il prend toutefois ses distances vis-à-vis de deux «dérives sectaires»: le courant «apocalyptique» qui attend fébrilement la grande bataille de l’Armaggedon (p. 329) et le courant «actualisant», pour lequel la fin des temps, qui est déjà amorcée, implique la conversion de tous les juifs (p. 331).

Après une brève synthèse, Macina conclut en rappelant son parcours personnel assez particulier et en réaffirmant ses convictions. Né d’une mère italienne catholique non pratiquante qui l’a tout de même fait baptiser, il découvre vers l’âge de trente-cinq ans «l’origine juive lointaine possible» de son père biologique (p. 355). En 1958, il est bouleversé par le livre de Léon Poliakov, Le bréviaire de la haine, qui décrit en détails la «solution finale» nazie. Il éprouve alors une grande détresse spirituelle et formule une «folle demande de réparation personnelle». Au cours d’une expérience mystique, il comprend que Dieu souhaite l’exaucer. Vers 1970, il monte en Israël et y séjourne durant quelques années pendant lesquelles il entre «dans l’Alliance d’Abraham et à l’université» pour poursuivre sa quête spirituelle et intellectuelle. Il revendique ses «deux identités religieuses, la chrétienne et la juive» comme «radicalement indissociables» et les articule de la manière suivante: «Ma foi chrétienne en la messianité du Christ est totalement indissociable de ma foi juive dans ‘le Royaume qui vient, de notre père David’ (cf. Marc 11,10). Ma foi chrétienne dans l’accomplissement des Écritures et des prophéties dans le Christ est totalement inséparable de ma foi juive dans le rétablissement du peuple juif et de sa royauté messianique» (p. 357). Pour lui, «l’hostilité quasi universelle envers Israël est un des signes avant-coureurs de la confrontation qu’annonce le Psaume 2» (p. 364); un drame messianique va bientôt se jouer, «dont l’enjeu fatal est l’acceptation ou le rejet, par les nations, de la centralité d’Israël dans le dessein de Dieu» (p. 368).

Comme on peut le constater à la lecture de la conclusion, l’ouvrage de Macina constitue avant tout le témoignage d’un individu profondément marqué par sa découverte du drame de la Shoah et qui cherche à concilier dans sa propre personne les identités juive et chrétienne. Cet engagement personnel colore le regard qu’il porte sur l’histoire des relations entre chrétiens et juifs depuis Vatican II et explique en partie l’impatience qui se manifeste dans ses propos, en particulier lorsqu’il parle de la réception équivoque de Nostra Aetate dans les milieux catholiques.

Tel que promis par l’auteur, le texte abonde en citations de toutes sortes et de nombreuses notes renvoient à des sites internet sur lesquels on peut retrouver le texte intégral de plusieurs documents cités (en particulier le site www.rivtsion.org, créé et administré par Macina). Macina adopte parfois un ton polémique qui étonne un peu dans un ouvrage qui souhaite ultimement promouvoir la rencontre entre chrétiens et juifs. Certaines de ses positions, notamment la signification qu’il accorde à la renaissance de l’État d’Israël et la prospective eschatologique qu’il élabore ne feront sans doute pas l’unanimité, mais elles montrent bien que le dialogue entre juifs et chrétiens ne peut faire abstraction du contexte politique actuel du Proche-Orient.

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