Matricule E/96. Le témoignage de Paul-Henri Rips, survivant belge de l’Holocauste

La Fondation Azrieli a procédé en juin dernier, à Montréal et à Toronto (Canada) au lancement de la deuxième série de mémoires de survivants de l’Holocauste. Les auteurs de ces mémoires, comme ceux de la première série (publiée en octobre 2007), sont des rescapés juifs de la Deuxième Guerre mondiale venus s’installer au Canada.

Matricule E/96.

Le témoignage de Paul-Henri Rips, survivant belge de l’Holocauste

Jean Duhaime

La Fondation Azrieli a procédé en juin dernier, à Montréal et à Toronto (Canada) au lancement de la deuxième série de mémoires de survivants de l’Holocauste. Les auteurs de ces mémoires, comme ceux de la première série (publiée en octobre 2007), sont des rescapés juifs de la Deuxième Guerre mondiale venus s’installer au Canada. Parmi eux, Paul-Henri Rips, fils d’un diamantaire d’Anvers, relate son expérience d’enfant juif durant l’occupation de la Belgique et de la France.

Paul-Henri Rips est né à Anvers, en Belgique, en 1929. Il avait dix ans au moment de l’invasion de la Belgique par les troupes nazies en 1940. En 1994, à la demande de ses proches, il a rassemblé ses souvenirs de cette période d’occupation à laquelle la libération de Bruxelles mit fin en septembre 1944.

Les parents de Paul-Henri étaient originaires de Minsk en Russie. Son père Isodore était diamantaire et avait séjourné aux Pays-Bas avant d"émigrer à Anvers dans les années 1920. Peu après l"invasion nazie, il a cherché à fuir le pays avec sa famille pour se rendre en Angleterre en transitant par la France, mais sans succès. De retour à Anvers, la famille dut s"habituer à l"occupation et aux «règlements et arrêtés concernant les Belges d"origine juive, comme l"obligation d"avoir une carte d"identité portant la mention "Juif-Jood-Jude" et l"interdiction pour les enfants juifs de fréquenter les écoles publiques» (p. 12). En avril 1941, lors du «mini-pogrom d"Anvers», Paul-Henri assista, impuissant, à l"incendie de la synagogue du quartier, allumée par des membres de la Vlaamisch National Verbond qui venaient de voir le film antisémite allemand Der Ewige Jude (le Juif éternel).

À l’automne 1941, la famille tenta de passer en zone libre française, mais fut arrêtée et détenue pendant six semaines à Dôle. Malade, Paul-Henri est envoyé à l’infirmerie et soigné, entre autres, par Soeur Pidoue, une «infirmière parfaite, douce, humaine, réconfortante» (p. 25). La famille transita ensuite par la prison de Paris, où elle fut traitée convenablement par un garde allemand pour qui «après tout» ses membres n’étaient «pas vraiment des criminels» (p. 31).

Les Rips ont été amenés dans le Loiret, au camp de détention de Pithiviers, tenu par les Français sous le contrôle de l"armée allemande d"occupation. Les hommes étaient cantonnés dans des baraques durant le jour, mais pouvaient rejoindre, la nuit, leur femme et leur famille logées à l"hôtel voisin; les enfants, dont Paul-Henri, alors âgé de douze ans, fréquentent l"école municipale de Pithiviers, avec les petits français. Paul-Henri a conservé le souvenir de divertissements satiriques, organisés «pour alléger l"atmosphère morbide du camp» et il rapporte le contenu d"une de ces saynètes (p. 40-41).

La famille fut renvoyée en Belgique en avril 1942 et rentra à Anvers, où la situation des juifs se détériora rapidement. De nombreux résidents juifs sans citoyenneté belge furent déportés vers des camps de travail forcé. On imposa aux autres un couvre-feu de douze heures par jour. Hospitalisé à Bruxelles, le père de Paul-Henri y décéda en avril 1943, après avoir donné à son fils un ultime conseil: «Sei a mensch!» («Sois quelqu"un de bien!» p. 54).

La vie devenant de plus en plus précaire pour les Juifs d"Anvers, la famille se réfugia à Bruxelles, d"abord chez des amis, puis dans un petit appartement, et enfin dans la famille Lemlyn, en banlieue. A l"automne 1943, Paul-Henri fut ensuite envoyé dans une école clandestine, au château de Bassines, dans les Avins; mais son passage y fut de courte durée, car les Allemands démantelèrent l"école et transférèrent les élèves juifs à la citadelle de Liège, puis à la caserne Dossin, à Malines. Dans le trajet en train entre Liège et Malines, le 16 novembre 1943, Paul-Henri écrivit une courte note adressée à sa mère et la jeta par le tuyau d"évacuation. La note fut trouvée et remise à sa destinataire; elle est aujourd"hui conservée au musée juif de Belgique.

Détenu à la caserne Dossin, Paul-Henri y reçut le matricule E/96. Il garde en mémoire le souvenir d’une vie comportant «son lot de hurlements et d’appels et l’anxiété de ne jamais savoir quand s’abattrait la prochaine calamité» (p. 89). Il y fut traité à nouveau pour une infection de la peau, cette fois par une «Valkyrie» qui «n’avait certainement pas le doigté angélique de sœur Pidoue» (p. 90).

En janvier 1944, grâce à l’intervention de l’Association des Juifs de Belgique (ABJ), le groupe de Bassines fut libéré du camp pour être amené à un orphelinat à Linkebeek, près de Bruxelles; mais Paul-Henri fut plutôt dirigé vers l’hôpital pour y être examiné et traité. Il y eut l’occasion de revoir discrètement sa mère, qui se cachait toujours. A sa sortie de l’hôpital, son protecteur M. Perelman le ramena dans sa famille où eurent lieu de joyeuses retrouvailles.

Après la libération de Bruxelles (3 septembre 1944) Paul-Henri et sa famille ont pu commencer à mener « une vie exempte d’oppression, de persécutions et de terreur » (p. 107), non sans découvrir les horreurs des camps dans lesquels ont péri une grande partie de leurs proches. La mère de Paul-Henri fit réparer la maison familiale d’Anvers où les survivants se réinstallèrent et vécurent pendant quelques années avant d’émigrer en Afrique du Sud pour y rejoindre une tante. En 1997, Paul-Henri et son épouse Lilli déménagèrent à Toronto pour se rapprocher de leurs enfants et petits-enfants.

Dans la préface de ce livre, Mark Webber et Naomi Azrieli soulignent les deux thèmes principaux qui le parcourent: «les tentatives assidues et ingénieuses de la famille pour fuir l’occupation nazie» et «l’aide que des belges chrétiens, courageux et ‘patriotes’ [...] ont apportée à leur voisins juifs» qui avaient, de leur côté, mis en place un «processus de solidarité» (p. xiii-xiv). Ils rappellent aussi la configuraton de la communauté juive de Belgique au moment de la guerre: 65000 à 70000 personnes environ dont à peine 6 à 10 % détenaient la citoyenneté belge en 1940. Le récit de Paul-Henri Rips constitue à leur avis «un témoignage de première main sur des événements et des aspects importants de l’expérience juive en Belgique, sur lesquels on a rarement écrit» (p. xvi). Traduit en français par Florence Buathier, il est complété par des notes historiques, des cartes et photographies, un glossaire et un index.

Une édition électronique de ce livre et des autres ouvrages de la Collection Azrieli des mémoires des survivants de l’Holocauste est disponible sur le site de la Fondation ( www.azrielifoundation.org).

Retour