La vie est belle

Non ce n’est pas la reprise du film de Roberto Benigni, mais le leitmotiv du journal d’Etty Hillesum. Cette jeune femme d’origine juive, dont le parcours a mis bien du temps à être connu, est en train de devenir une référence phare dans le monde de l’expérience spirituelle.

La vie est belle

Recension du livre

Alexandra PLESHOYANO, J'avais encore mille choses à te demander. L'univers intérieur d'Etty Hillesum (Montréal/Paris, Novalis/Bayard, 2009, 243 p.

Non ce n’est pas la reprise du film de Roberto Benigni, mais le leitmotiv du journal d’Etty Hillesum. Cette jeune femme d’origine juive, dont le parcours a mis bien du temps à être connu, est en train de devenir une référence phare dans le monde de l’expérience spirituelle.

Un parcours concret

Rien ne la préparait à ce qu’elle est devenue. Sa famille serait sans doute qualifiée de dysfonctionnelle par les spécialistes contemporains et son parcours personnel n’était pas très prometteur. Jusqu’au moment où, les choses se détraquant sous les avancées de l’armée nazie, le monde d’Etty est remis en question.

Alors, à travers des rencontres décisives et des aventures amoureuses marquantes, elle devient une femme qui s’ouvre à la dimension spirituelle, avec tous les questionnements que cela comporte. Cela ne la transforme pas en un modèle édifiant du jour au lendemain, bien au contraire : elle est tiraillée entre les cris du corps et les appels de l’âme et elle ne consent à sacrifier ni les uns ni les autres. Elle découvre Dieu, le Dieu des chrétiens, sans renoncer à son héritage juif qui la condamne à la mort que l’on sait.

Ce n’est pas dans la fuite ni dans le renoncement qu’elle grandit : c’est plutôt dans la tension entre toutes ces exigences qu’elle prend conscience, d’une manière indéfectible, que la vie est belle, que c’est bon de pouvoir dire «je crois en Dieu».

La force de la vie

S’il y a une chose qu’Etty illustre par-dessus tout c’est bien la force de la vie, avec ses amours, ses bonheurs et ses misères. S’attacher à la lecture de Rilke et d’Augustin ne va pas de soi quand la mort dans un camp de concentration est à l’horizon. Mais y a-t-il autre chose à faire lorsqu’on sait que le temps va manquer et qu’il reste tant à explorer et à réaliser.

Malgré le deuil, la maladie et les ruptures, Etty avance dans la vie et y mord avec force. Elle ne veut pas convaincre, mais partager le bonheur qu’elle expérimente à croire et à vivre dans cette lumière. Habitée par l’amour, tiraillée par ses amours, elle illustre à qui veut bien voir que la vie est merveilleuse quand on ne la détruit pas. Portée peut-être par la force de la foi naissante, mais encore plus, à mon avis, par la conviction que Dieu est avec ceux et celles qui le cherchent, elle refuse de Lui faire porter la responsabilité de ce qui arrive au peuple juif. Les hommes sont capables, par eux-mêmes, de toute cette destruction.

Une traduction convaincante

Ce livre est présenté comme une anthologie de textes choisis et offerts dans une nouvelle traduction. Et il faut ajouter avec un avant-propos indispensable. Son auteure, Alexandra Pleshoyano, est une spécialiste d’Etty Hillesum sur laquelle elle a rédigé sa thèse de doctorat. On retrouve donc dans le texte serré de l’avant-propos toutes les indications qui seront utiles pour la lecture du journal : les personnes et leur rôle dans la vie d’Etty; les événements majeurs de sa vie et les points de repère indispensables à la compréhension du journal; sans oublier les références à la guerre et à son déroulement au pays d’Etty. Il y a bien aussi des notes qui accompagnent la traduction; mais elles sont malheureusement reportées en fin de section et, le plus souvent, elles reprennent les informations de l’avant-propos.

Ne connaissant pas le néerlandais, je ne suis donc pas en mesure de vérifier la qualité grammaticale de la traduction; mais en lisant les textes d’Etty Hillesum présentés ici, j’ai oublié que j’étais en train de lire une traduction. Je ne crois pas que ce soit simple distraction de ma part; je suis plutôt convaincu que la traductrice témoigne d’une telle proximité, pour ne pas dire complicité, avec son auteure, qu’elle la fait parler en français comme elle s’est exprimée en néerlandais. On peut donc remercier Alexandra Pleshoyano de nous donner accès à presque tout Etty (seules quelques lettres ne sont pas traduites) et souhaiter que le plus grand nombre possible de lecteurs francophones s’offre le plaisir de cette lecture.

 

Remarques de l’éditeur

Jean-Claude Breton, professeur de théologie spirituelle et doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Montréal. Version remaniée d'une recension parue dans le numéro de septembre 2009 de Présence Magazine (http://www.presencemag.qc.ca/index.html).

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