Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif. Un autre regard.

Comme le P. Dujardin nous l’indique dès le début de l’ouvrage, rien ne le prédisposait à s’impliquer dans le dialogue entre juifs et chrétiens

Jean Dujardin, L"Église catholique et le peuple juif. Un autre regard.

Diane Dufour et Jean Duhaime

Paris, Ed. Calmann-Lévy, Coll. «Diaspora» 2003. ISBN 2-7021-3531-5. 28 €.

Comme le P. Dujardin nous l’indique dès le début de l’ouvrage, rien ne le prédisposait à s’impliquer dans le dialogue entre juifs et chrétiens : « Pour le chrétien que j’étais, le judaïsme était une religion dépassée. Pour moi, la rencontre et l’expérience ont précédé la réflexion théologique » (p. 13). Son parcours s’est amorçé en 1961, alors que, étudiant en théologie, il séjourne par curiosité dans un kibboutz religieux; il y découvre avec admiration un judaïsme vivant où chaque instant de la vie quotidienne est marqué par la prière. Peu de temps après allait s’ouvrir le Concile Vatican II qui a transformé en profondeur le regard des catholiques sur le monde juif…

Ce volume exceptionnel est l’œuvre d’un philosophe, théologien et historien qui se démarque par le réalisme et la rigueur de sa réflexion. Faisant appel à son expérience comme Secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme (1984-1999) et expert à ce comité jusqu’à aujourd’hui, il propose une approche en trois parties :

  1. Des réflexions historiques sur le choc de la Shoah et les questions morales et éthiques qu’elle a suscitées chez les chrétiens;
  2. Un examen historique et théologique des principaux points litigieux : la séparation, l’antijudaïsme chrétien et l’antisémitisme moderne, Pie XII et les juifs, le retour du peuple juif sur la terre d’Israël, l’affaire du Carmel d’Auschwitz et la repentance;
  3. Une invitation à développer un nouveau regard et à ouvrir de nouvelles perpectives en se mettant à l’écoute de l’enseignement de l’Église catholique depuis Vatican II et en observant l’évolution récente du dialogue entre juifs et chrétiens.

En conclusion, le P. Dujardin signale les difficultés qui demeurent et propose un approfondissement de la notion de dialogue. L’ouvrage comporte en annexe 19 documents qui ont balisé l’histoire des relations entre juifs et chrétiens de 1933 (Lettre d’Édith Stein à Pie XI) à 2000 (« Dabru Emet »).

Voici quelques notes qui donnent un aperçu sélectif de ce livre important.

1. La Shoah : réflexion historique et choc pour les chrétiens

Spécificité de la Shoah

Comme historien, le P. Dujardin a été frappé par le « négationnisme des chambres à gaz juives ». Il a donc cherché à comprendre le nazisme et les causes de sa volonté d’exterminer les juifs. Pour le P. Dujardin la Shoah est un génocide qui a des caractéristiques si particulières qu’il devient le paradigme de tous les autres (p. 41). La Shoah est un génocide religieux et païen. On veut éradiquer tout le peuple juif, représentant le dessein de Dieu par sa fidélité au Dieu unique et à sa Loi. Sa tradition est contraire à l’idéologie nazie, religion séculaire qui présente la race aryenne comme supérieure. La Shoah constitue la négation de toute conscience morale et de toute responsabilité de la part des exécutants puisque le juif est vu comme moins qu’un homme : les criminels n’ont pas de remord. Tous les rouages de l’État de droit, à tous les niveaux, permettent de masquer le caractère criminel de l’assassinat collectif et endorment les consciences chrétiennes. Le non-droit devient le Droit.

Le chrétien face à la Shoah

La conscience chrétienne endormie s’est trouvée perturbée après la reconnaissance des atrocités commises contre des millions de juifs exterminés. La participation active ou passive de communautés chrétiennes, de pasteurs et laïcs qui ont été impliqués à divers degrés dans ce génocide perpétré par les nazis, a obligé l’Église à se demander dans quelle mesure elle avait contribué à la haine des juifs par son rejet du peuple juif et sa vision de la supériorité religieuse des chrétiens sur les juifs; l’anti-judaïsme religieux a mené à l’antisémitisme païen.

2. Pour une approche renouvelée de quelques points litigieux

La repentance et le Pape Jean-Paul II

Le 30 décembre 1997, l’Évêque de St-Denis lisait devant le mémorial du camp de Drancy, une déclaration de repentance sur l’attitude de l’épiscopat français pendant les années 1940-1942 (p. 263). Cette démarche a surpris et même choqué une partie de l’opinion, car incomprise comme celle de Jean-Paul II au cours du jubilé de l’an 2000. Pourquoi incomprise? C’est que le mot repentance fait appel à la culpabilité, alors que les fautes commises pendant la Shoah et les victimes de celles-ci ne sont plus là pour témoigner et que les chrétiens ne se sentent pas coupables de l’inconscience vécue par d’autres, d’autant que leur mémoire collective fait appel aux actes de bravoure pour sauver les juifs entre autres bonnes actions.

En faisant acte de repentance, l’Église dit qu’il n’y a pas d’avenir sans pardon. Le mot repentance (teshouva) veut faire appel à une «  conversion intérieure » par l’aveu, le repentir, le pardon, la réconciliation et la réparation lorsque possible. Le mot évoque la guérison, après l’aveu d’une faute collective, car des pasteurs ont failli à leurs tâches, ce qui a atteint la mémoire collective du peuple chrétien. Il aurait préféré ne pas se rappeler, mais il ne peut vivre l’âme en paix qu’après ce rappel. C’est le principe même d’une thérapie.

Il faut faire mémoire; cela engendre une souffrance non désirée, mais c’est à ce prix que la délivrance ou repentance rend la liberté et la paix et permet un avenir dans les relations. C’est cela que Jean Paul II, le 12 mars 2000, a voulu signifier dans son parcours de paix avec les juifs, surtout lorsqu’il a déposé devant eux, dans l’interstice du Mur de Jérusalem, une demande de pardon adressée à Dieu, source unique du pardon. Il s’agissait de se souvenir du mal commis envers les juifs et de ses conséquences, d’exprimer que l’Alliance de Dieu avec le peuple juif « n’était pas révoquée » et que ceux qui rencontrent le Christ rencontrent le judaïsme.

3. Nouveau Regard sur les relations judéo-chrétiennes

À propos de la situation actuelle du dialogue entre juifs et chrétiens, le P. Dujardin rappelle l’important colloque sur « l’antijudaïsme en milieu chrétien » tenu au Vatican en octobre 1997. L’une des conclusions majeures de ce colloque concerne les affirmations du Nouveau Testament sur les juifs : « Un chrétien ne peut pas tirer du Nouveau Testament pris dans son ensemble des raisons pour justifier des comportements ou des pensées antijuifs » (p. 348). Cette conclusion est aussi celle du document de la Commission biblique pontificale Le Peuple juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (2001).

Conclusion. Difficultés et limites du dialogue

En conclusion, l’auteur rappelle que « dialogue » signifie rapport à l’autre et acceptation de son altérité dans le but d’instaurer la paix. Les chrétiens ont accepté que les juifs étaient leurs frères aînés, peuple premier choisi par Dieu pour en être les témoins par leur foi. Les chrétiens ont besoin des juifs afin que la conscience chrétienne survive, puisqu’ils sont les révélateurs de la Parole de Dieu. À l’inverse, comme le suggère le rabbin Haddad « la Synagogue a besoin de l’Église pour être comprise dans son message universel » (cité p. 356). Les difficultés du dialogue demeurent énormes. Plusieurs l’ignorent ou n’y croient tout simplement pas. Du côté juif, certains sont encore habités par la souffrance et la peur, ce qui rend la confiance difficile à établir, malgré le renouvellement important de l’enseignement catholique sur le judaïsme depuis Nostra Aetate.

Pourtant, le P. Dujardin demeure optimiste et ouvert; pour lui, le dialogue entre juifs et chrétiens est le « paradigme du dialogue avec les autres religions » (p. 378). Après avoir rappelé que, pour saint Paul, la reconnaissance du peuple juif comme l’Autre dans sa spécificité irréductible appartient au dessein de Dieu, il conclut : « Ne doit-elle pas d’une certaine manière éclairer toutes nos rencontres non seulement avec ceux qui nous sont les plus proches, mais avec tous ceux qui appartiennent selon le langage biblique à l’alliance de la Création? » (p. 381).

Remarques de l’éditeur

Diane Dufour et Jean Duhaime, Faculté de théologie et de sciences des religions, Université de Montréal.

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