Etty Hillesum, témoin de Dieu dans l'abîme du mal

Présentation du livre d'Yves Bériault, Etty Hillesum, témoin de Dieu dans l'abîme du mal (Montréal, Médiaspaul Canada, 2010, 192 p.) par Violaine Paradis, novice CND.

Etty Hillesum, témoin de Dieu dans l'abîme du mal

Recensions de livres

Yves Bériault, Etty Hillesum, témoin de Dieu dans l'abîme du mal (Montréal, Médiaspaul Canada, 2010, 192 p.)

Etty Hillesum

Etty Hillesum est une jeune femme juive, d’origine néerlandaise. Elle est disparue dans la nuit de la Shoah, à l’automne 1943. Par l’entremise d’un thérapeute, elle fait la rencontre de Dieu au plus intime d’elle-même. Elle tient un journal dans lequel elle décrit combien elle est saisie par Dieu.

Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi

Ce qui frappe chez Etty Hillesum, c’est qu’elle parle à Dieu d’une façon simple et directe. Son étonnante lucidité face à ce qu’elle vit est inspirante. Elle regarde le monde «au fond des yeux», c'est-à-dire avec beaucoup de profondeur et en même temps avec une grande subjectivité. Sa rencontre avec Dieu l’amène à ne faire qu’ «un» avec son peuple alors que celui-ci vit une des plus tragiques pages de son histoire.

Voici ce qu’elle écrit dans une de ses lettres: «Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi. Ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider -et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes.»[1] Dieu, nous dit Etty, a besoin de nous.

L’expérience de Dieu chez Etty Hillesum comporte bien des points de ressemblance avec la tradition judéo-chrétienne. En puisant à la fois dans le judaïsme et le christianisme, sans toutefois adhérer explicitement à aucune de ces deux religions, elle fait la découverte d’un Dieu proche, solidaire de son peuple, reconnu autant des juifs que des chrétiens.

Je regarde ton monde au fond des yeux, mon Dieu

Voici un extrait du journal d’Etty qui représente bien ce qu’elle a été: un être de lucidité, de courage et d’ouverture:

«29 mai 1942 : On a parfois le plus grand mal à concevoir et à admettre, mon Dieu, tout ce que tes créatures terrestres s'infligent les unes aux autres en ces temps déchaînés. Mais je ne m'enferme pas pour autant dans ma chambre, mon Dieu, je continue à tout regarder en face, je ne me sauve devant rien, je cherche à comprendre et à disséquer les pires exactions, j'essaie toujours de retrouver la trace de l'homme dans sa nudité, sa fragilité, de cet homme bien souvent introuvable. Enseveli parmi les ruines monstrueuses de ses actes absurdes. Je ne reste pas ici, dans une chambre paisible et fleurie, à me gaver de poètes et de penseurs et à louer Dieu, je n'y aurais pas grand mérite, et je ne crois pas non plus être aussi étrangère au monde que mes bons amis se plaisent à le répéter d'un air attendri. Tout être humain a sa réalité propre, je le sais, mais je ne suis ni une illuminée, ni une rêveuse, mon Dieu, ni une "belle âme" attardée dans une interminable puberté... Je regarde ton monde au fond des yeux, mon Dieu, je ne fuis pas la réalité pour me réfugier dans de beaux rêves - je veux dire qu'il y a place pour de beaux rêves à côté de la plus cruelle réalité - et je m'entête à louer ta création, mon Dieu, en dépit de tout!»[2]

Sur les pas d'Etty

Yves Bériault, est dominicain, et revient d'un séjour d’une année au Rwanda, là où il a écrit son livre. Il a été aumônier universitaire, a enseigné à l’Institut de pastorale des dominicains de Montréal et a dirigé le Centre étudiant Benoît-Lacroix.

En nous proposant ce livre, le désir du frère Yves est de mieux faire connaitre cette jeune femme qui suscite de plus en plus d’intérêt et dont le monde n’a pas fini d’entendre parler.

Il nous conduit et nous amène sur les lieux où a vécu Etty. Nous partons en voyage dans les rues d’Amsterdam, dans les camps de concentration, à bord des trains remplis de juifs partant vers leur «voyage de non-retour».

Le livre est composé de 16 courts chapitres qui présentent Etty dans son rapport à la Shoah, au judaïsme, au christianisme, à la Bible, à la prière. L’auteur a enrichi son texte de citations du journal d’Etty, des grands mystiques chrétiens tels saint Augustin et sainte Catherine de Sienne ainsi que des commentaires d’autres auteurs s’intéressant à Etty.

Au fil des pages, nous revivons l’histoire, l’essentiel de la vie d’Etty Hillesum depuis sa rencontre avec Dieu par l’intermédiaire de son thérapeute, Julius Spier, jusqu’à son arrivée au camp de transit de Westerbork. Elle y travaillera jusqu’à ce qu’elle soit déportée à Auschwitz d'où elle ne reviendra pas. Y. Bériault résume ainsi son parcours:

«Dans les situations extrêmes, l’être humain semble saisir que la vie n’a de sens que dans l’affrontement conscient et volontaire de la mort qui se présente à lui, le sacrifice de soi-même ayant valeur d’accomplissement de soi, une affirmation de la vie malgré son échec apparent. C’est dans cette nuit qu’Etty Hillesum est entrée avec son Dieu, emportant avec elle le secret de sa mort. Sans vouloir l’idéaliser, on peut croire qu’elle est allée à Auschwitz avec toute son énergie créatrice et spirituelle, avec cette détermination qui l’habitait à Westerbork, continuant à affronter la terrible réalité qui s’imposait à elle, se faisant proche de ses compagnes d’infortune, s’en remettant à 'son hôte intérieur', celui dont elle disait qu’il lui donnait la force de tout supporter, de tout assumer».[3]

L'auteur nous apprend à connaître Etty de l’intérieur. On découvre toute la profondeur de la foi en Dieu qui l’anime, du sens que Dieu donne à sa vie et qu’elle donne à Dieu, du sens qu’elle donne à la souffrance, à la prière, au pardon. On comprend qu’elle a trouvé son unité intérieure en Dieu:

«Elle est toute ouverture au grand mystère où la vie et la mort se côtoient, sans jamais se sentir abandonnée, sans jamais désespérer de Dieu, parce qu’elle goûte déjà sa présence et sent sa main qui la porte. Et c’est là sa joie.»[4]

Dans la préface du livre, Jean Vanier écrit: «Beaucoup de personnes en difficulté avec l’Église vont trouver une lumière et un chemin vers Dieu à travers Etty. Dieu n’est pas lié aux structures d’une Église. Dieu est souverainement libre».

Puisse ce livre aider à faire découvrir Etty Hillesum tant aux familiers de ses écrits qu’aux lecteurs et lectrices qui font sa connaissance pour la première fois. Nous pouvons trouver en elle, «une compagne exceptionnelle sur les chemins non balisés de l’existence humaine».[5]

[1] Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, trad. Philippe Noble, Paris, Seuil, 1995, p. 175.

[2] Ibid., p. 117-118

[3] Yves Bériault, Etty Hillesum, témoin de Dieu dans l’abîme du mal, Montréal, Médiaspaul, 2010, p.50.

[4]Ibid, p.167.

[5]Ibid, p.14.

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