Anne Soupa: Pâques, art du passage

Anne Soupa, rédactrice en chef du magazine Biblia reprend ici trois conférences données les jeudi, vendredi et samedi saint 2008 à l’abbaye de Sylvanès.

Anne Soupa, Pâques, art du passage

Recension de livre

Jean Duhaime

Anne Soupa, Pâques, art du passage, Paris, Éd. du Cerf, 2009. 86 p. ISBN: 978-2-204-08909-8. 10 €.

Anne Soupa, rédactrice en chef du magazine Biblia reprend ici trois conférences données les jeudi, vendredi et samedi saint 2008 à l’abbaye de Sylvanès. Elle se propose de «montrer la résonance qui existe entre le donné théologique» de la fête de Pâques et «la dimension existentielle qu’elle honore» en montrant comment Pâques est un temps béni où Dieu passant (jeudi), se fait passeur (vendredi) et passage (samedi).

En introduction, Soupa souligne que Pâques «se dit en hébreu pessah, c’est-à-dire ‘passage’»; elle souhaite laisser venir et travailler, «comme pour les pétrir, les associations essentielles suscitées par ce constat» (p. 12). Aussi, la proposition centrale de ces pages est, dit-elle «que ‘nous nous retrouvions’, Jésus et nous, sur le fait que, lui comme nous, nous passons» (p. 13).

Pâques rappelle deux événements décisifs: pour les juifs, la traversée de la mer par les Hébreux; pour les chrétiens, le passage de Jésus à travers la mort. Mais, plus profondément, le passage fondateur de la Pâque juive est d’abord celui de Dieu qui, selon Moïse «a passé au-delà des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’il frappait l’Égypte, mais épargnait nos maisons» (Exode 12,27 cité p. 14). C’est le passage de Dieu qui permet celui de son peuple de l’esclavage à la liberté. De même, pour les chrétiens, c’est Dieu qui fait passer Jésus de la mort à la vie.

Le jeudi saint est centré sur le dernier repas de Jésus avec les siens. Soupa commente d’abord la parole rapportée par Luc: «J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir» (Luc 22,15). Elle y voit le signe que pour Jésus «on ne passe bien les épreuves de la vie que relié à autrui et porté par la vérité de la parole» (p. 31).

Après avoir exprimé le désir d’être ainsi relié aux siens, Jésus donne à ses amis le moyen de rester toujours liés avec lui grâce aux signes du pain et du vin et aux paroles qui les associent à son corps et à son sang. Des paroles similaires, dans le cours de nos existences, sont même à notre insu «le soubassement de nos actes: ‘Prends, mon tout-petit à naître, ce corps de mère, livré pour toi. Plus tard, en mémoire de moi, tu donneras la vie’» (p. 33).

Les paroles du vendredi saint soulignent toutes, selon l’auteure, «que Jésus cherche à s’appuyer sur ses liens avec le Père» (p. 46). Mais ces liens, dans le drame qui se joue, demeurent insondables. De même, pour le chrétien qui croit à la présence mystérieuse de Jésus dans sa vie, ce lien «demande à s’éprouver dans la foi» (p. 49).

Soupa discute de «trois nœuds» qui endommagent ce lien: l’affirmation que Jésus est mort «pour nos péchés» se prête à des interprétations diverses selon la conception que l’on se fait du péché et suscite des attitudes conséquentes; le fait que la condamnation de Jésus soit celle d’un innocent est une lecture chrétienne qui n’était pas celle des autorités romaines ou juives, pragmatiques, pour lesquelles «il constituait bien une menace à prendre au sérieux» (p. 54); le rapprochement que l’on fait entre Jésus, victime d’une justice sommaire et «toutes les victimes du monde», pour lesquelles on prie en ce jour, peut faire désespérer de voir les choses changer et fermer les yeux sur ce qui va bien. Elle conclut: « [...] se polariser sur le péché, s’en tenir à une conception subjective de l’innocence et à une conception [...] trop politique du messianisme de Jésus», cela mène à des impasses (p. 56).

Il faut plutôt lire le vendredi saint comme «le jour du Salut» parce que «Jésus a tout accepté, tout traversé, tout accueilli» parce qu’il est passé au-delà, pour rendre inopérants, vains et stériles la souffrance et les humiliations: il a vaincu le mal parce qu’il est «passé outre» (p. 57). La contemplation du Crucifié nous amène aussi à nous replonger intensément «dans les lieux de sa vie, là où le don de sa vie par Jésus se verrait à l’œuvre» (p. 65), en témoignant d’un amour.

Le samedi saint, Dieu se tait, «comme en un second sabbat» (p. 71). Ce silence n’est pas «un silence de mort», mais un espace ouvert: «Le silence laisse une place libre devant soi: il y a place, à travers ce que nous nommons silence, pour de l’inconnu, du mystère» (p. 73). Cette façon de comprendre les choses nous pose une question: «quel ‘espace’ concédons-nous à l’inconnu de nous-mêmes [...] à la surprise que nous pouvons être parfois pour nous-mêmes?» (p. 74).

Nous rejoignons ainsi l’expérience des Hébreux lors du passage de la mer. Devant leur peur et leurs plaintes, Moïse répond «Ne craignez pas, tenez ferme. Le SEIGNEUR combattra pour vous; vous, vous n’aurez qu’à vous tenir tranquilles» (Exode 14,13-14 cité p. 77.). À travers passage de la mer, le peuple a ainsi appris à mettre sa foi en Dieu: «Faire silence, rester tranquille, c’est laisser Dieu être Dieu» (p. 78).

Il ne s’agit pas là seulement d’un épisode de l’histoire passée d’Israël, mais de «la mise en récit d’un passage tout entier placé [...] dans la confiance faite en Dieu au moment où plus aucun avenir ne semblait possible. Dans l’Évangile l’aveugle-né a vécu un tel passage, paradigmatique de ces traversées que chacun est invité à faire grâce à «un véritable travail de la foi» (p. 80).

Résumant sa réflexion au terme de ce parcours, Soupa renverse l’expression traditionnelle «faire ses Pâques»: «C’est en réalité Pâques qui nous fait, nous modèle, nous tire en avant, nous libère» (p. 85). Pâques s’offre ainsi, «chaque année, au saut du printemps, comme le rappel efficace de ce qui remplit nos vies» (p. 85).

Dans la perspective du dialogue entre juifs et chrétiens, cet ouvrage est bienvenu. Il manifeste le souci de lire dans la continuité la Pâques chrétienne et la Pâque juive, sans toutefois tomber dans le piège d’une théologie de la substitution. Il rappelle un aspect essentiel de la fête juive qui fonde l’interprétation chrétienne de la mort de Jésus et de la foi en sa résurrection. Son souci de faire le lien avec l’expérience humaine contemporaine est susceptible également d’interpeller aussi bien le juif que le chrétien et d’initier entre eux une conversation sur la manière dont leur foi pascale peut transformer leur vie.

Remarques de l’éditeur

Jean Duhaime, Faculté de théologie et de sc. des religions, Université de Montréal

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