Lettre ouverte à Sa Sainteté le Pape François et aux fidèles de l’Église catholique

12 novembre 2023

«Comme l’eau renvoie un reflet du visage, ainsi le cœur d’un homme répond à celui d’un autre.» (Proverbes 27,19)

Nous écrivons en tant qu’intellectuels juifs, responsables religieux et praticiens de longue date du dialogue judéo-chrétien, en Israël, en Amérique et en Europe, pour rappeler à nos frères et sœurs de l’Église catholique «le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la lignée d’Abraham » (Nostra Aetate no 4) en un temps de détresse et d’angoisse pour les juifs du monde entier.

Le 7 octobre, le Hamas, le Djihad islamique et quelques civils gazaouis ont commis un massacre dans la partie sud d’Israël. Environ 1 200 civils ont été tués, dont des femmes, des enfants et des bébés, des personnes handicapées et des survivants de l’Holocauste. Les terroristes ont abusé des corps, brûlé des familles entières, violé brutalement des femmes et commis d’autres atrocités que la main hésite à écrire. Environ 240 hommes, femmes et enfants ont été enlevés et sont toujours retenus en otage par le Hamas. Ce massacre est l’attaque la plus horrible contre des juifs depuis l’Holocauste. Il s’agit d’un véritable pogrom dont nous espérions tous qu’il ne serait plus possible.

Le crime génocidaire du Hamas, perpétré sur un territoire israélien établi depuis 1948, a été célébré par de nombreuses personnes dans le monde entier et justifié comme un acte légitime de résistance pour la libération de la Palestine. Lorsqu’Israël a réagi en entrant dans Gaza pour récupérer ses otages et se défendre contre la menace existentielle du Hamas, ainsi que du Hezbollah, de l’Iran, des Houthis du Yémen et de leurs alliés et partisans dans le monde entier, la responsabilité du massacre et de la guerre a été de plus en plus imputée à l’ensemble des juifs. Nombreux sont ceux qui ont dépassé les limites de la critique politique à l’égard de la politique israélienne en protestant contre le droit d’Israël à exister et en se ralliant aux intentions du Hamas de détruire Israël. La vague mondiale d’attaques contre les juifs depuis le 7 octobre – meurtres, agressions physiques, menaces, harcèlement et vandalisme – est la pire vague d’antisémitisme depuis 1945.

La situation actuelle fait trembler le sol sous nos pieds. À l’immense chagrin pour les vies qui ont été enlevées s’ajoute un sentiment de profonde solitude et une perte de confiance dans la possibilité d’une vie de sécurité et de liberté dans l’État souverain d’Israël et ailleurs. Par-dessus tout, ces événements suscitent chez nous une grande inquiétude quant à notre avenir. Le 7 octobre restera à jamais gravé dans la mémoire juive. Les répercussions de ce jour terrible auront un impact sur notre identité, sur la façon dont nous nous comprenons nous-mêmes et sur nos relations avec les autres, d’une manière que nous n’avons même pas encore commencé à comprendre.

Nous reconnaissons avec gratitude que Sa Sainteté, ainsi que certains cardinaux et évêques, se sont exprimés à plusieurs reprises sur cette question en réitérant leur renonciation à l’antisémitisme et en affirmant le droit d’Israël à se défendre. Nous partageons également la douleur de l’Église pour les civils palestiniens qui sont tombés sous la coupe du Hamas contre leur gré et qui ont été tués à la suite de la guerre sans avoir commis le moindre crime. Comme l’a souligné Sa Sainteté le 8 octobre, «chaque guerre est une défaite» (prière de l’Angélus), et le coût le plus tragique de la guerre est la perte de vies innocentes. Nous comprenons également que l’Église cherche à maintenir une neutralité politique sur la guerre au Moyen-Orient, dans laquelle tant de puissances sont impliquées, en raison de considérations diplomatiques.

Néanmoins, nous, juifs aux positions politiques, aux appartenances nationales et aux origines religieuses diverses, ne vous tendons pas la main aujourd’hui en tant que diplomates ou politiciens. La crise à laquelle nous sommes confrontés transcende la politique. Quatre-vingts ans après l’Holocauste, les menaces qui pèsent sur les juifs sont à nouveau véritablement et clairement existentielles. Nous demandons donc à l’Église d’être «attentive au patrimoine qu’elle partage avec les juifs» et d’être «poussée non par des raisons politiques mais par l’amour spirituel de l’Évangile» (Nostra Aetate n° 4). Cet engagement, pris pour la première fois en 1965 et affirmé par l’Église à maintes reprises, ne doit pas être marginalisé en temps de crise, bien au contraire.

Mettant notre confiance dans les «solides liens d’amitié entre juifs et catholiques» (Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, «Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables», 2015) que nous cultivons depuis des décennies, nous demandons à l’Église d’agir comme un phare de clarté morale et conceptuelle au milieu d’un océan de désinformation, de distorsion et de tromperie; de faire la distinction entre la critique politique légitime de la politique d’Israël dans le passé et dans le présent et la négation haineuse d’Israël et des juifs; de réaffirmer le droit d’Israël à exister; de condamner sans équivoque le massacre terroriste du Hamas visant à tuer autant de civils que possible, et de distinguer ce massacre des victimes civiles de la guerre d’autodéfense d’Israël, aussi tragiques et déchirantes qu’elles soient.

Rappelant le «désir ardent de justice» de l’Église et son engagement ferme «pour que le mal ne l’emporte pas sur le bien, comme ce fut le cas pour des millions d’enfants du peuple juif» (Discours du pape Jean-Paul II à l’occasion de la commémoration de la Shoah, 7 avril 1994, 3), nous demandons l’intervention de l’Église pour garantir que «les semences empoisonnées de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme ne puissent plus jamais s’enraciner dans un cœur humain» (Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, «Nous nous souvenons : Une réflexion sur la Shoah», 1998). Puisque se souvenir «est une condition pour un avenir meilleur de paix et de fraternité» (Pape François, « Audience générale », 27 janvier 2021 – Journée internationale de la Commémoration de l’Holocauste), nous appelons les fidèles catholiques à se joindre à nous dans la mémoire des victimes du massacre du 7 octobre, à plaider pour la libération des personnes kidnappées et des otages, et à reconnaître la vulnérabilité de la communauté juive en ce moment.

Par-dessus tout, nous appelons nos frères et sœurs catholiques à tendre une main solidaire à la communauté juive dans le monde entier, dans l’esprit de la «fraternité authentique de l’Église avec le peuple de l’alliance» (Pape Jean-Paul II, Prière au Mur occidental, 2000), cette alliance dont l’Église catholique a enseigné qu’elle «n’a jamais été révoquée par Dieu» (cf. Romains 11,29).

Signataires initiaux:

Karma Ben Johanan, Ph.D, Jérusalem
Malka Zeiger Simkovich, Ph.D, Chicago
Rabbi Jehoshua Ahrens, Ph.D, Frankort/Berne
Rabbi Yitz Greenberg, Ph.D, Jérusalem
Rabbi David Meyer, Ph.D, Paris/Rome

Liste de tous les signataires