Les personnes âgées dans la société contemporaine et leur protection

Le lundi 28 août 2023, à l’Université Catholique d’Argentine à Buenos Aires, des représentants du judaïsme, du christianisme et de l’islam ont signé une déclaration commune sur «Les personnes agées dans la société contemporaine et leur protection». Ratifié en présence du président de l’Académie pontificale pour la vie, Mgr Vincenzo Paglia, ce texte appelle à traiter les anciens avec dignité et à valoriser leur contribution au bien commun. En voici une traduction.

Déclaration interreligieuse des religions abrahamiques,
Buenos Aires, lundi 28 août 2023.

SITUATION ACTUELLE ET DÉFIS DU 21E SIÈCLE

Depuis le début de ce millénaire, les études sociodémographiques mettent en garde contre le vieillissement de la population mondiale en tant que processus global et généralisé, reflétant la baisse du taux de natalité et l'augmentation de l'espérance de vie. Ce phénomène démographique est abordé par les chercheurs et les décideurs politiques dans de multiples domaines, car il pose des défis dans tous les secteurs de la société, qu'il s'agisse du travail et de la finance, de la demande de biens et de services, de la protection sociale et de la santé, de la structure urbaine ou des liens familiaux intergénérationnels. Plus précisément, la recherche indique que l'espérance de vie a augmenté à tous les âges, mais que l'augmentation la plus importante a été observée chez les adultes de plus de 65 ans.

D'autre part, le vieillissement de la population peut également être considéré comme une opportunité pour la société. Le vieillissement réussi étant un objectif réalisable, caractérisé par une bonne santé et la participation à la vie de la communauté, les personnes âgées peuvent contribuer de manière significative au bénévolat social ou communautaire, à l'éducation et au transfert intergénérationnel de connaissances, entre autres activités dont le potentiel positif pour la société n'a pas encore été correctement évalué. En ce sens, le concept traditionnel selon lequel la retraite marque la fin de la contribution et de l'inactivité n'est plus valable. De nombreux seniors se lancent dans une seconde carrière, dans des projets personnels ou dans le bénévolat, ce qui leur permet de continuer à apporter leur expérience et leur sagesse, non seulement pour s'enrichir individuellement, mais aussi pour ajouter de la valeur à la communauté dans son ensemble, en construisant une société résiliente et cohésive.

Dans l'ensemble, ce phénomène démographique nous rappelle l'importance d'adapter nos politiques et nos structures sociales pour répondre aux besoins changeants d'une société en constante évolution. Et ces défis, plutôt que d’être une source de regret, sont une opportunité de redécouvrir le rôle et le positionnement des personnes âgées et d'élever le statut moral de la société.

En relevant les défis posés par le vieillissement de la population mondiale d'une manière holistique et humanitaire, nous nous trouvons peut-être face à une occasion unique de changer le paradigme qui consiste à concevoir la vieillesse comme une étape négative et superflue de la vie, pour y voir une phase digne de respect, de soins et de participation, en reconnaissant la valeur et l'expérience des personnes âgées, en leur apportant le soutien nécessaire et en construisant une société plus inclusive et solidaire pour tous les âges et dans l'intérêt collectif. Ce changement désarticule l'âgisme actuel qui discrimine, exclut, infantilise, fragilise et invisibilise les personnes âgées qui, pendant des siècles, ont été les gardiennes de l'histoire vivante d'une société, les porteuses de traditions et de valeurs qui ont été transmises de génération en génération. Le partage de leurs expériences et de leurs connaissances aide les nouvelles générations à comprendre leur passé et, par conséquent, à se forger une identité culturelle solide.

Ce n'est que dans cette perspective d'inclusion, de protection et de valorisation de la vieillesse, dont les racines se trouvent dans chacun des textes fondateurs des religions abrahamiques, que nous pourrons relever les défis dans le respect et la dignité de l'être humain, sans réification de la condition humaine telle que nous l'avons malheureusement vécue dans les phases les plus sombres du 20e siècle. Au cours de ce siècle, l'humanité doit encore démontrer qu'elle a surmonté cette «culture du jetable», en s'engageant à changer son attitude et sa mentalité par le biais de politiques efficaces où les personnes, ainsi que les biens et les ressources, ne sont pas traités comme des objets jetables ou superflus selon un critère d'obsolescence productive et d'inutilité pour la société.

LA VIEILLESSE ET LA PERSONNE ÂGÉE DANS LES RELIGIONS ABRAHAMIQUES

Historiquement, les multiples façons de mesurer le progrès ou la grandeur d'une civilisation étaient la richesse et la productivité matérielle des nations, la conquête d'autres pays et l'acquisition de territoires, les forces militaires, le développement scientifique et technologique, ou leur niveau culturel.

Dignifier

Dans les traditions abrahamiques, l'une des valeurs reflétant la force morale des peuples est leur attitude à l'égard des secteurs les plus vulnérables et les plus dépendants sur le plan social. Cette valeur est le facteur qui mesure la cohésion et la responsabilité mutuelle dans la société, fondée sur l'investissement d'efforts et de moyens pour assurer le bien d'autrui, non dans le but d’en tirer un bénéfice, mais par un devoir qui s’impose de lui-même comme une différence spécifique entre l'homme et l'animal.

C'est là que la vision monothéiste du monde conçoit l'action morale, plaçant l'être humain comme une fin et non comme un instrument; en conséquence, elle met l'accent sur l'aide aux pauvres, aux plus faibles, aux sans protection, aux nécessiteux, à ceux qui sont privés de leur autodétermination physique et de leur pouvoir de pression politique, ou à ceux qui sont socialement marginalisés. Ce précepte, parmi d'autres, est le dénominateur commun de nos traditions abrahamiques qui façonne une conscience sociale exprimée sous le concept de liberté et de dignité de la personne, sans différence d'âge.

Dans le cas des personnes âgées, l'usure physique du temps est compensée par la sagesse acquise, et c'est l'une des occasions où l'attitude de la communauté à leur égard exprime son humanisme.

Les enseignements des textes révélés présentent le concept de vieillesse comme une plénitude favorable à la réalisation du but de la vie. Par conséquent, les anciens sont considérés comme de véritables leaders dont la sagesse fait d'eux des «maîtres de vie».

La synthèse entre ces concepts est que chez les personnes âgées, nous pouvons trouver la compréhension comme un processus d'acquisition au fil des ans. En d'autres termes, la sagesse ne vient pas naturellement, mais elle est le fruit de l'accumulation de connaissances et d'expériences contribuant à la compréhension du monde et de son évolution.

Assister

Honorer ses parents et les traiter avec égard, respecter leurs conseils et accepter leur autorité, cela se complète par une profonde gratitude à leur égard, qui s'exprime par l'aide qu’on leur apporte en cas de besoin. Lorsque ces attitudes sont adoptées par la société, il s'établit avec nos aînés une relation non seulement de miséricorde et de bonté, mais aussi de justice.

La transmission de leur sagesse accumulée confère à nos aînés une perspective unique sur la vie; non seulement elle relie les gens à leurs racines, mais elle favorise également un sentiment d'appartenance et de continuité dans un monde en constante évolution.

Car si les formes et les technologies changent, il n’en est pas ainsi du facteur humain: leur engagement, leur résilience et leurs compétences en matière de leadership, leur réflexion sur les défis et la prise de décision, c'est ce qui fait des aînés des mentors et des guides spirituels pour les jeunes générations. Leurs conseils et leurs orientations sont inestimables en période d'incertitude, car ils aident les gens à prendre des décisions éclairées et à faire face à l'adversité avec courage.

La société ne peut se permettre de perdre cette importante contribution des personnes âgées, c'est pourquoi elle doit les aider et les protéger comme un véritable trésor lorsqu'elles deviennent fragiles.

Intégrer

Pour toutes ces raisons, les cultures abrahamiques conçoivent la vieillesse comme une étape du développement et non comme une période de la vie condamnée à la marginalisation sociale.

Les traditions monothéistes viennent au secours de cette phase de l'existence humaine qui se traduit par une contribution au bien social, en considérant la vieillesse comme partie intégrante du cours de la vie et du tissu familial et communautaire.

Dans les sources de nos trois traditions, la vieillesse n'est pas éludée par des euphémismes puisqu'elle n'est pas une instance marginale, et les personnes âgées ne tentent pas de façon grotesque d'imiter les comportements de la jeunesse. Là, et malgré les difficultés, il y a un respect de la personne âgée, qui a une place sociale en gardant son autonomie ou en étant soutenue dignement par la communauté. On la respecte pour elle-même à cause de son expérience, sa sagesse et sa trajectoire de vie, qui méritent qu’on traite la vieillesse déférence et honneur.

La société doit intégrer ses aînés en améliorant leur qualité de vie et en éliminant toute forme de discrimination sociale fondée sur l'âge, qui touche de nombreuses personnes âgées. Ensuite, il est nécessaire d'explorer les changements structurels dans le cadre des politiques sociales avec des mesures proactives et adaptatives efficaces en matière de travail, une protection sociale de qualité et une couverture sanitaire universelle.

Notre société méprise l’ancienneté, l'associant au passé et à l'obsolescence, mais le vieillissement est l'avenir de chacun d'entre nous. Honorer les anciens aujourd'hui, c'est préparer la dignité future avec laquelle nous aspirons à être traités.

Buenos Aires, lundi 28 août 2023

Rabbin Fishel Szlajen, Ph.D.
Prof. Rubén Revello
Cheikh Abdala Cerrilla

Remarques de l’éditeur

Source : Pontifical Academy for Life.