Célébrer et approfondir la nouvelle relation entre chrétiens et juifs

La déclaration suivante a été préparée par le comité exécutif du Conseil International des Chrétiens et des Juifs et adoptée à Rome au congrès de 2015 ayant pour thème « Le 50e anniversaire de Nostra Aetate – Le passé, le présent et le futur des relations entre chrétiens et juifs ». Elle est co-signée par les représentants de 24 organisations nationales membres du CICJ, établies dans 22 pays[1] .

Introduction

La déclaration de 1965 du concile Vatican II sur les relations entre l’Église et les religions non chrétiennes est qualifiée à juste titre de texte innovant et révolutionnaire qui a marqué un tournant et amorcé une transformation profonde. Même si certaines de ses idées avaient été déjà exprimées dans des écrits antérieurs publiés après la Shoah, Nostra Aetate a eu un impact global sans précédent en tant que texte normatif émis par l’autorité enseignante de la plus grande communauté chrétienne du monde. Cinquante ans plus tard, nous nous réjouissons de la nouvelle relation entre juifs et chrétiens amorcée par le paragraphe 4 de Nostra Aetate. Nous réfléchissons à ce que nous avons appris et aux défis actuels auxquels nous sommes confrontés. Comme des gens qui rêvent à ce qui était considéré autrefois comme impossible (Psaume 126, 1), nous envisageons un futur plein d’espoir.

Le chemin parcouru

Il n’y a pas si longtemps, des penseurs en vue des deux communautés affirmaient qu’il était impossible ou indésirable pour des chrétiens et des juifs d’avoir les uns avec les autres des discussions significatives sur le plan religieux. Des siècles de dénigrement et d’oppression des juifs par les chrétiens avaient instillé profondément dans l’esprit de chacun des mécanismes d’évitement et de suspicion. Aucune des deux communautés n’imaginait qu’elle pourrait apprendre de l’autre quelque chose de signifiant.

Aujourd’hui, cette situation a complètement changé en bien des endroits. D’importantes communautés de chrétiens en sont venues à réaliser qu’elles ne sont pas les seules à être le peuple des fidèles de Dieu. Étant parvenues à une appréciation authentique de la sainteté de la vie d’alliance de la communauté juive avec Dieu, elles ont renoncé aux objectifs de conversion du passé. Parallèlement à cela, des juifs qui participaient au dialogue interreligieux en voie de maturation ont perçu la présence du Dieu Saint au cours de conversations avec des interlocuteurs chrétiens. Les uns et les autres, nous devenons conscients que beaucoup d’idées théologiques développées dans d’anciens contextes d’opposition deviennent de plus en plus nuisibles aujourd’hui. Nous avons appris comment nous parler en amis et en partenaires.

La relation actuelle

Nous vivons maintenant – pour la première fois dans l’histoire – dans une ère où juifs et chrétiens peuvent travailler et étudier ensemble de manière soutenue, enrichissant ainsi mutuellement leurs vies d’alliance. Mais cette bénédiction sans précédent pour les générations actuelles comporte la responsabilité d’utiliser à bon escient l’opportunité qui nous a été donnée. Pour accomplir ce devoir, nous devons relever ensemble plusieurs défis actuels.

  • Trop de chrétiens et trop de juifs ignorent le rapprochement qui est en train de se faire entre nous. Nous nous cramponnons aux « ghettos mentaux » auxquels nous sommes habitués. Une éducation rigoureuse et constante à une connaissance adéquate de nos traditions respectives est plus importante que jamais pour assurer une meilleure compréhension de soi-même et de l’autre. Bien que cela soit particulièrement crucial dans la préparation de nos futurs dirigeants, des initiatives en ce sens doivent aussi être prises à la base. Dans toutes nos communautés, il ne devrait pas y avoir de dissonance entre ce qu’affirment nos déclarations officielles et nos activités quotidiennes : elles devraient s’éclairer et se refléter mutuellement.
     
  • Les habitudes acquises durant des siècles ne peuvent être changées en quelques décennies seulement. Les réflexes dont nous avons hérité doivent être transformés en nouveaux modes d’action. Ceci ne s’effectue que par une interaction régulière. Par exemple, des chrétiens qui étudient des textes rabbiniques sous la conduite de guides juifs perçoivent rapidement l’injustice que représente la caricature séculaire du judaïsme comme un légalisme impitoyable ou de ses ancêtres novateurs, les pharisiens, comme des gens préoccupés davantage des règles que des personnes. De même, des juifs qui explorent les traditions ecclésiales avec des partenaires chrétiens peuvent découvrir une  spiritualité marquée par la recherche et l’humilité, bien loin de l’arrogance et de la  condescendance auxquelles ils se seraient attendus. 
     
  • La grande ombre de la Shoah va continuer de soulever des questions difficiles entre nous pendant de nombreuses années. Les juifs se débattent avec le terrifiant héritage de la victimisation et des craintes d’anéantissement. Les chrétiens sont aux prises avec la culpabilité générée par la longue histoire de l’antisémitisme chrétien. Ce défi devient particulièrement critique lorsqu’il s’agit de porter un jugement sur les actions d’individus au cours de l’histoire : est-ce que le fait d’être immergés dans une société antisémite excuse les idées antisémites personnelles qu’ils ont exprimées ou les gestes qu’ils ont posés? Ceci constituerait un dangereux argument, étant donné que l’antisémitisme social est encore répandu aujourd’hui. Nous croyons que c’est seulement ensemble que les chrétiens et les juifs peuvent s’aider mutuellement à se remettre du lourd héritage de la Shoah et à s’y confronter efficacement.
     
  • Les conflits apparemment insurmontables au Proche-Orient génèrent partout dans le monde des tensions interreligieuses et même de l’hostilité. La signification spirituelle de la Terre d’Israël pour les juifs demeure difficile à saisir pour les chrétiens. De plus, l’exil des juifs de leur terre ancestrale a pris fin avec l’établissement d’un État-nation moderne, ce qui soulève des défis sans précédent pour les perspectives religieuses des juifs aussi bien que des chrétiens. En tant qu’êtres religieux, nous croyons qu’il faut promouvoir en priorité la compréhension interreligieuse mutuelle et que cela doit guider toutes nos conversations et nos actions des années à venir. Nous devons nous efforcer de demeurer conscients et critiques face à nos présupposés et à nos histoires respectives qui peuvent entraver une empathie et une perception authentiques.
     
  • Aujourd’hui, des minorités religieuses souffrent encore de maltraitance, de persécution et de violence. La lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’islamophobie devrait être une des priorités majeures de tous ceux qui sont travaillent dans le domaine des relations interreligieuses.
     

Dans notre monde de globalisation, de dégradation écologique, de disparités croissantes entre riches et pauvres et de changements technologiques rapides, le rapprochement croissant entre juifs et chrétiens peut devenir un signe inestimable d’espoir, démontrant que même les inimitiés les plus longues et les divisions les plus profondes peuvent être transformées en solidarité et en renouveau. Nous félicitons tous ceux qui promeuvent la compréhension interreligieuse entre juifs, chrétiens, musulmans et autres croyants.

La route devant nous

Lorsque nous regardons les décennies devant nous, nous sommes parfaitement conscients qu’en tant que chrétiens et juifs, nous sommes engagés dans un parcours sans précédent qui nous a conduits de l’hostilité aux débuts d’une amitié. Nous avons commencé à prendre soin les uns des autres, à nous préoccuper de la souffrance des uns et des autres, à nous réjouir de notre riche héritage spirituel mutuel et à désirer le meilleur les uns pour les autres. Le CICJ et ses organisations membres nationales, partout à travers le monde, s’engagent à approfondir cette nouvelle relation entre juifs et chrétiens et à élargir notre culture du dialogue. Nous nous efforcerons d’intensifier le discours théologique et l’éducation dans nos communautés. Notre but ultime est de voir Dieu dans le visage de l’autre. Comme la rencontre entre Jacob et Ésaü après des années d’animosité, nous devrions voir la valeur religieuse chez nos frères et sœurs. Alors nous pourrons tous dire : « Voir ta face est comme voir la face de Dieu » (Genèse 33, 10).

 

[1] Source: Council of Centers on Jewish-Christian Relations (http://ccjr.us/dialogika-resources/documents-and-statements/interreligious/iccj/1339-iccj-2015june30). Traduit de l’anglais par J. Duhaime. On retrouvera ce texte et un compte rendu du congrès du CICJ dans le numéro de septembre 2015 de SENS Magazine, publié par l’Amitié judéo-chrétienne de France (http://www.ajcf.fr/-revue-sens-.html).

Remarques de l’éditeur

* En anglais : International Council of Christians and Jews ou ICCJ