Victor Goldbloom - Un pionnier du dialogue interreligieux à Montréal et dans le monde

Le 4 octobre 2012, le Père Irénée Beaubien, s.j., et le Dr. Victor Goldbloom (à gauche; crédit Jacques Nadeau, photographe) ont été honorés pour leur œuvre de pionniers du dialogue interreligieux à Montréal depuis plus de 50 ans. À cette occasion, le Dr Goldbloom a reçu des mains du Cardinal Jean-Claude Turcotte, ex-archevêque de Montréal, la distinction pontificale par laquelle le pape Benoît XVI l’a fait Chevalier de l’Ordre de Saint-Sylvestre. Cette distinction veut reconnaître ses efforts inlassables pour promouvoir le dialogue entre les Chrétiens et les Juifs. Nous reproduisons l’intervention de Jean Duhaime, membre actif et ex-président du Dialogue judéo-chrétien de Montréal, qui a offert à l’auditoire ce portrait du Dr Goldbloom.

Faut-il présenter le Dr Victor Goldbloom? Tous ceux qui le connaissent ou qui ont lu la note biographique qui figure sur le site Beaubien – Goldbloom[1] savent que le Dr Goldbloom est né et a reçu son éducation à Montréal, qu’il a complété ses études en médecine à l’Université McGill (1945) et est devenu pédiatre (tout comme son père, le Dr Alton Goldbloom), professeur de pédiatrie à l’université et membre actif de plusieurs associations médicales au Québec et au Canada.

La plupart d’entre nous sommes assez agés pour nous souvenir qu’il fut membre de l’Assemblée Nationale du Québec (1966 à 1979) et Ministre de l’Environnement et des Affaires municipales. Certains ont peut-être oublié (mais certainement pas lui!) qu’il eut la responsabilité de mener à bien la préparation des installations olympiques de 1976.

Déjà engagé dans le dialogue entre Chrétiens et Juifs depuis quelques décennies, le Dr Goldbloom a renoncé à son siège à l’Assemblée Nationale en 1979 pour devenir Président et Chef de la direction du Conseil Canadien des Chrétiens et des Juifs. Durant cette période, il a été également, durant huit ans, Président de l’Amitié internationale judéo-chrétienne (ICCJ – de 1982 à 1990). Il a été Directeur fondateur de la Fondation Jules et Paul-Émile Léger (1981) qu’il a présidée de 2000 à 2003 et dont il est maintenant Président honoraire. Il fut l’un des membres fondateurs du Musée des religions du monde (mis sur pied à Nicolet dans les années 1980’s)[2]. Il a été également le Président fondateur de Relations judéo-chrétiennes du Canada et de L’Amitié judéo-musulmane du Québec.

On se souviendra aussi que le Dr Goldbloom a présidé les audiences publiques du Conseil de l’environnement du Québec, qu’il a été Directeur exécutif de la Fondation pour la recherche sur la santé du Québec, et Commissaire aux langues officielles du Canada (1991 à 1999). Le Dr Goldbloom préside actuellement le Conseil pour l’agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

Voilà les repères principaux de sa carrière. Mais qui est l’homme derrière toutes ces activités? Je siège aux côtés de Victor depuis plus de dix ans au Dialogue judéo-chrétien de Montréal. Au fil de nos discussions et de notre collaboration à divers projets, j’ai appris à le connaître un peu mieux et je me suis fait une meilleure idée de ce qui le motive. J’ai aussi recueilli quelques indices à partir de remarques de Victor ou de remarques à son sujet dans divers articles parus dans les médias. J’ai également eu ce matin une brève conversation avec le Cardinal Turcotte et je lui ai demandé ce qu’il trouvait de si particulier chez Victor pour avoir supporté le projet de l’honorer d’une distinction papale.

Au cours de cette «enquête», si l’on peut dire, j’ai noté que Victor s’exprime assez souvent en faisant appel à son expérience personelle et en recourant à quelques maximes qui semblent guider ses choix. En voici quelques exemples qui illustrent assez bien, me semble-t-il, les valeurs qui sous-tendent son action.

Dans un article du Canadian Medical Association Journal intitulé «Le Dr Victor Goldbloom prend un nouveau patient en charge » et portant sur sa nomination comme commissaire aux langues officielles[3], la journaliste Charlotte Gray écrit: «Goldbloom croit que les médecins possèdent des habiletés qui peuvent être mises au service de la vie publique: ‘Nous pouvons utiliser notre formation scientifique pour évaluer les problèmes’ explique-t-il. […] Il croit aussi que les professionnels de la santé ont des connaissances en relations humaines qui leur donnent une vision particulière de la manière dont fonctionnent les sociétés: ‘Nous comprenons que les problèmes familiaux peuvent devenir des problèmes sociaux’». 

Sept ans plus tard, Pierre Gravel rendait compte dans le journal La Presse des principales qualités manifestées par le Dr Goldbloom durant son mandat[4]: «Victor Goldbloom aura été un parfait exemple de tranquille tenacité et de volonté délibérée de mettre l’accent sur des éléments positifs au lieu de s’attarder sur des aspects plus décevants de la réalité». Gravel mentionnait aussi «la dignité, la fidélité et la patience avec lesquelles M. Goldloom aura assumé un rôle difficile». En me basant sur mes propres observations, je peux confirmer que Victor a mis ces mêmes qualités au service du dialogue judéo-chrétien et d’autres formes de dialogue interreligieux depuis plus de cinquante ans. En voici quelques exemples.

Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal organise à chaque année une Commémoration chrétienne de la Shoah dans un lieu de culte chrétien. Nous avons l’habitude d’y inviter les élus de la circonscription où se tient l’événement, de même que plusieurs membres du corps diplomatique. Il y a quelques années, lors des rencontres préparatoires à cette commémoration, certains membres d’une communauté chrétienne particulièrement sensibles au conflit Israélo-palestinien se sont fermement objectés à cette pratique. À titre de président du comité, j’ai consulté les membres du Dialogue pour savoir si nous devions aller de l’avant avec le projet. Victor a eu alors cette réflexion: «Il vaut mieux avoir une commémoration sans personnalités politiques que pas de commémoration du tout. Faisons avec cette communauté le pas qu’elle est prête à faire. C’est pour cela que le dialogue existe!».

À une autre occasion, une congrégation d’une Église chrétienne a invité le Dialogue judéo-chrétien de Montréal à envoyer des représentants participer à une discussion sur La paix au Proche-Orient qui se tenait un samedi après-midi. On devait y échanger sur le document «Kairos – Palestine» un texte très critique  d’Israël[5], et sur «l’occupaton illégale des territoires palestiniens». Le membre du Dialogue qui nous a relayé cette invitation commentait: «Évidemment, ils ne s’attendent pas à une très grande participation juive, puisqu’ils tiennent cet événement un samedi après-midi». Mais Victor a répondu aussitôt: «Je ne suis pas strict dans l’observance de ma religion au point d’exclure la possibilité de participer à une discussion sérieuse un samedi après-midi. Je vais peser le pour et le contre, un des « pours » étant le vieil adage: ‘Les absents ont toujours tort’»[6].

Plus récemment Victor a participé comme invité à l’Assemblée générale d’une Église chrétienne qui envisageait d’encourager ses membres à cesser d’acheter tout produit provenant des colonies israéliennes. Dans son intervention, il a souligné qu’ «une telle action de la part d’une Église canadienne n’aura qu’un impact mineur sur la situation au Proche-Orient, mais elle risque de rendre les relations plus difficiles entre Juifs et non-Juifs ici au Canada»[7]. Victor est certes attaché à Israël, comme la plupart des membres de la communauté juive. Mais né au Québec et se définissant d’abord comme Québécois et Canadien[8], il a d’abord à cœur la bonne entente entre les citoyens d’ici et il y travaille sans relâche.

Lors de notre conversation ce matin, le Cardinal Turcotte m’a dit que c’est précisément ce qui le frappe à propos de Victor: «Je connais victor depuis plus de trente ans, disait-il. Il a toujours été fidèle au dialogue. Je connais très peu de personnes qui sont aussi fermement ancrées dans leurs convictions religieuses et qui sont en même temps aussi ouvertes à écouter celles des autres.» 

Et le Cardinal Turcotte de poursuivre: «Cet homme s’est dévoué sans compter depuis des années pour la communauté montréalaise, québécoise et canadienne et a rendu d’immenses services, à tous les niveaux. Depuis l’époque du Cardinal Léger, l’Église d’ici a d’excellentes relations avec la communauté juive grâce aux soins que lui et d’autres personnes de la même trempe ont mis à assurer le dialogue. Victor est un homme préoccupé de faire de la société un meilleur endroit pour vivre».

C’est exactement ce qui motive Victor. Il y a quelque années, on lui a demandé son témoignage, pour un ouvrage collectif intitulé Ce que je crois. Victor écrivait alors: «À ma mort, je voudrais que Dieu me dise: ‘Vous avez bien fait. Le monde est un petit peu meilleur parce que vous y êtes passé»[9]. Ne vous en faites pas, vos actions et votre nom sont inscrits à jamais en lettres d’or dans le Livre de vie… À la vue d’une aussi généreuse contribution à «réparer le monde» d’ici, je ne serais pas étonné qu’on vous sollicite également pour participer à la mise en ordre du monde à venir!

Cher Victor, merci pour tout ce que vous êtes et tout ce que vous faites! Et merci aussi à votre épouse Sheila qui ne cesse d’appuyer tous vos engagements! Elle mérite certainement de partager à vos côtés l’honneur dont vous gratifie aujourd’hui le pape Benoît XVI en vous faisant chevalier de l’Ordre de Saint Sylvestre![10]

[1]http://www.beaubiengoldbloom.ca/BioE.html

[2]http://www.museedesreligions.qc.ca/

[3] 15 sept. 1991, p. 713-714.

[4]27 mai 1998, p. B2.

[5] Voir à ce sujet, entre autres, Jean Duhaime, «Autour du document Kairos-Palestine » sur le site Relations judéo-chrétiennes: http://www.jcrelations.net/Autour_du_document___Kairos_Palestine.3273.0.html

[6] Courriel du 1er avril 2011.

[7] Rapporté par V. Goldbloom lors de la réunion du Dialogue judéo-chrétien de Montréal du 11 sept. 2012.

[8] Courriel du 20 oct. 2011.

[9] «Victor Goldbloom», dans J. Lavoie-Bouchard (dir.) Ce que je crois : 18 personnalite´s face a` la question de Dieu, (Mont-Royal, Que´bec : Novalis, 2000), p. 59-64.

[10] Sur cet Ordre, voir http://www.liberius.net/articles/Les_decorations_pontificales.pdf; http://en.wikipedia.org/wiki/Order_of_St._Sylvester