Une phénoménologie du monothéisme en relation : juifs, chrétiens et musulmans.

Dans sa réponse à la question d’une « relation spéciale » entre le judaïsme et le christianisme, le prof. Reuven Firestone explore d’un point de vue phénoménologique le processus par lequel les deux sont devenus des monothéismes concurrents. Il montre également que l’islam s’est d’abord présenté comme une confirmation et une correction du judaïsme et du christianisme, avant de les rejeter. Il soutient enfin que nous avons aujourd’hui l’occasion de transcender les tendances absolutistes de nos traditions religieuses.

Certaines personnes engagées dans le dialogue interreligieux ont soutenu que le judaïsme et le christianisme ont une relation spéciale, apparentée à celle de jumeaux, qui provient de leur rôle d’héritiers du monothéisme biblique, à l’exclusion de l’islam qui est entré en scène plusieurs siècles plus tard, dans un contexte passablement différent. D’autres ont plutôt soutenu que le judaïsme et l’islam ont une relation théologique spéciale qui provient de leur compréhensions (ou de leurs articulations) particulières de l’unité de Dieu comme noyau théologique, qui rejette explicitement et délibérément toute forme de nature trinitaire de Dieu. Je vais emprunter une voie un peu différente en observant une phénoménologie de relation interreligieuse que je considère comme fondée sur l’heureux hasard de l’histoire. Étant donné l’espace limité dont je dispose pour cette enquête, je m’en tiendrai nécessairement à des considérations assez générales.

Il est admis depuis longtemps que le judaïsme rabbinique et le christianisme ont émergé des cendres du judaïsme du Second temple et que les expressions primitives du judaïsme rabbinique et du christianisme ne peuvent pas être distingués sur bien des plans[1]. La fameuse (ou infâme!) « séparation des routes » allait aboutir à la formation de deux communautés monothéistes différentes et concurrentes, chacune ayant la prétention de représenter la continuation authentique du monothéisme biblique[2]. Il s’agit d’une relation binaire. L’une des expressions est correcte. Toutes les autres sont incorrectes. L’une représente la Vérité. Toutes les autres sont fausses.

Cette insistance sur le caractère absolu et la nature exacte de la vérité – et la prétention à une possession exclusive de cette vérité, Jan Assmann l’appelle « la distinction mosaïque » : « […] la distinction entre le vrai et le faux dans la religion, entre le vrai dieu et le faux, le vrai dogme et les dogmes erronés, entre le savoir et le défaut de savoir, la croyance et le défaut de croyance » [3]. Des siècles avant l’émergence du christianisme, cette distinction a prévalu à travers une affirmation unique du monothéisme et sa vision de toutes les autres expressions religieuses, considérées comme autant de formes de polythéisme. Ce monothéisme a certainement évolué durant les périodes du Premier et du Second temples. Il a produit une diversité de sous-communautés et de groupes sectaires en son sein, mais, malgré cette variété, il y avait une unité dans la foi en un Dieu unique, à l’intérieur d’une même ethnie, tandis que toutes les  autres ethnies, ou presque, étaient considérées comme autant de formes de polythéisme. Assmann soutient que les polythéistes sont tolérants de nature :  « [Le polythéisme] recourt à l’organisation personnelle et fonctionnelle du divin pour donner au panthéon propre à chaque groupe une forme qui le rende compatible avec les panthéons d’autres groupes et cultures » [4].

Les polythéistes qui observaient le monothéisme du Premier et du Second temples éprouvaient quelquefois de la perplexité devant la rigidité de la perspective et de la pratique monothéistes mais, sauf quelques exceptions notables, ils essayaient généralement de composer avec la nature étrange ou particulière de ces prétentions et idées monothéistes[5]. Malgré l’intériorisation de la « distinction mosaïque » par les monothéistes bibliques, ceux-ci pouvaient aussi vivre avec l’existence de polythéistes tant qu’ils avaient un « abri sûr » dans lequel ils pouvaient exercer leur religion sans subir d’interférence ou sans être tentés de retourner à la pratique polythéiste antérieure (israélite) par le biais d’une interaction religieuse ou sociale avec des peuples polythéistes. La tentation du polythéisme, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté, est  demeurée une menace pour le monothéisme biblique durant des siècles[6].

Les monothéistes ont combattu le polythéisme à travers toute la Bible hébraïque, mais le but n’était pas vraiment de convaincre les polythéistes de se tourner vers le monothéisme. Le but principal était plutôt de convaincre les Israélites de demeurer monothéistes ou de le devenir encore davantage. De même, bien que des polythéistes aient combattu les notions et pratiques d’Israël, il n’y a aucune preuve d’un antijudaïsme dogmatique[7].

Ce modus vivendi allait changer avec la « séparation des routes » parce que pour la première fois, avec cette partition, deux communautés différentes, indépendantes, s’auto définissant comme monothéistes, s’affrontaient autour de leur notions propres de Vérité, de révélation divine sous forme d’écrits canoniques, de destinée et de salut. Pour employer la terminologie d’Assmann, c’était la première fois que la distinction mosaïque s’appliquait à deux expressions concurrentes du monothéisme; d’où la nature binaire du débat judéo-chrétien.

En dépit de tout ce qu’il y a de commun entre les juifs et les chrétiens, je soumets que de petites différences ont été amplifiées à cause de la mentalité binaire de la distinction mosaïque entre deux monothéismes concurrents. Les débats antérieurs entre diverses factions de la communauté juive du Second temple n’étaient pas compris comme faisant des gagnants ou des perdants au même niveau. Mais après la crise initiale de type binaire entre juifs et chrétiens, cependant, même le débat interne devint plus problématique, moins chez les juifs, qui appartenaient à la même ethnie (même si, à cette époque, celle-ci était entièrement plutôt que partiellement construite[8]), mais certainement parmi les chrétiens qui se sont débattus vigoureusement avec le problème du sectarisme et de l’hérésie.

Je soutiens que l’intensité de la distinction mosaïque est demeurée élevée tant que cette distinction n’existait qu’entre deux groupes séparés et auto identifiés. Les chrétiens prétendaient avoir supplanté les juifs dans leur position de seuls et uniques élus de Dieu (Matthieu 22,14; 24,1-22; Marc 13,20-32; Luc 1,30-33; 9,28-35; Jean 15,5-6.15-16; Romains 9,7-8; Galates 4,21-31; Hébreux 8,6-13; 1 Pierre 2,7-10, etc.). Au cours de la période durant laquelle les chrétiens devinrent plus influents, les juifs perdirent en puissance. Vers le 4e siècle, ils n’étaient plus en mesure d’énoncer fortement leurs prétentions comme le faisaient leurs compétiteurs chrétiens (ils étaient souvent forcés d’articuler leur position en langage codé dans la littérature rabbinique de manière à ne pas trop s’exposer au danger), mais la perception qu’ils avaient d’eux-mêmes en rapport avec leurs compétiteurs chrétiens n’était pas moins élitiste que celle des chrétiens[9]. Chacune des deux communautés monothéistes était en compétition avec l’autre dans une perspective binaire; chacune se réclamait d’une identité indépendante et chacune prétendait être détentrice de l’entière vérité.

Cette relation binaire ne pouvait pas changer facilement à cause des siècles durant lesquels elle devint codifiée dans les textes les plus sacrés des deux parties. Mais lorsqu’une tierce partie émergea, la nature de la relation monothéiste changea profondément. Il ne pouvait plus s’agir d’une relation binaire. Cela ne pouvait plus être l’une ou l’autre. Tel que je l’ai souligné à l’instant, juifs et chrétiens ont continué à traiter le monde, incluant l’émergence d’une forme nouvelle et indépendante de monothéisme dans l’Islam, dans le cadre rigide façonné par des siècles de polémique entre leurs visions binaires du monde. Mais ce n’est pas la perspective adoptée par le Coran et je soutiens que l’émergence d’une troisième option, avec sa perspective non binaire concernant les monothéismes antérieurs, en vint à affecter la vision de certains chrétiens et de certains juifs, tels que le chrétien Nicolas de Cues (d. 1464) et le juif Menachem Me’iri (d. 1310)[10] Quand la communauté musulmane a commencé à s’identifier comme une communauté religieuse distincte[11], elle a observé non pas une ou deux communautés rivales, mais plusieurs expressions différentes du monothéisme. Certaines étaient juives ou chrétiennes, mais d’autres non[12]. L’existence même de polémiques internes farouches entre des communautés chrétiennes rivales et, mais à un degré moindre, de communautés juives rivales, rendaient relatives les prétentions des unes comme des autres. 

En conséquence, le Coran, dans sa rhétorique, n’a pas tendance à formuler une perspective binaire sur la vérité en rapport avec le judaïsme et le christianisme[13]. Il reconnaît que le judaïsme tout comme le christianisme proviennent de Dieu et que les deux contiennent une certaine part de vérité. Mais leurs expressions particulières d’un monothéisme authentique s’est corrompue ou déformée au cours des siècles[14]. Soit par erreur, soit par oubli (C. 2,59; 5,13-14) ou délibérément (C. 2,75.146; 3,78.187), juifs et chrétiens ont altéré les formes originelles de leurs Écritures de telle sorte que les croyants contemporains ne se rendent peut-être même pas compte que leurs croyances et pratiques religieuses ne sont pas totalement correctes. C’est pourquoi, en raison de la grande sagesse et de de la compassion de Dieu, le Coran fut donné pour divulguer de manière claire la révélation divine, confirmant et corrigeant ce qui avait précédé[15]. Parfois il corrige la théologie et les pratiques des Écritures antérieures, celles-ci étant des versions altérées d’une matrice divine qui a été préservée intacte dans le Coran[16], mais il ne prétend pas les supplanter[17]. Les anciennes alliances ne sont pas déclarées invalides[18]

Le Coran ramène le monothéisme à sa forme originale, correcte, intégrale, mais il n’est pas supersessionniste. Quelques versets comme 3,110 paraissent élitistes, mais la notion de « meilleure communauté » est peut être comprise comme une expression conditionnelle[19] . Et le verset qui semble le plus supersessionniste, « Et quiconque désire une religion autre que l’islam ne sera point agréé, et il sera, dans l’au-delà, parmi les perdants » (3,85) pourrait, d’après le contexte, faire référence à une soumission générique à Dieu plutôt qu’à une religion particulière[20]. Même sa critique des religions antérieures est ambivalente. Bien que la soumission à la volonté divine soit articulée de meilleure façon dans le Coran, le Coran lui-même enjoint malgré tout les croyants, y compris Mahomet, de demander aux Gens du livre lorsqu’ils ont un doute (C. 10,94; 16,43).

Le Coran soutient de manière récurrente que les différences entre les communautés humaines sont intentionnelles, que Dieu a créé les humains pour qu’ils divergent[21]. Il s’en prend à certaines pratiques ou croyances des monothéismes établis, mais il ne conteste pas leur valeur intrinsèque. Je soumets que la rigidité qui s’est infiltrée dans la pensée islamique, dans son rapport aux autres formes de monothéisme, a été en grande partie une réaction au rejet absolu qu’elle a subie de la part des monothéismes antérieurs. Certes tous les monothéismes antérieurs n’ont pas rejeté l’islam. De fait, la plupart des chrétiens et de nombreux juifs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont devenus eux-mêmes musulmans, mais la puissante institution de l’Église a totalement rejeté l’islam et son livre, le considérant soit comme une erreur ridicule, ou, pire encore, comme l’œuvre du diable[22]. En partie pour répondre à ce rejet total et en partie pour répondre à son propre processus interne associé à des rivalités politiques, ethniques et religieuses (qu’on ne peut pas vraiment dissocier) pour le pouvoir et le contrôle au moment de l’émergence du Califat, la pensée institutionnelle islamique devint elle-même de plus en plus rigide, et cela inclut son rejet du christianisme et du judaïsme. L’enjeu devint non seulement de rejeter les particularités erronées du christianisme et du judaïsme telles que mises en pratiques par les chrétiens et les juifs, mais un rejet beaucoup plus absolu de tout ce qui était chrétien ou juif.

Il en résulté un vecteur d’absolutisme dans l’islam qui est à peu près parallèle aux vecteurs d’absolutisme du christianisme et du judaïsme[23]. La phénoménologie de la formation de l’identité est à peu près similaire. Tandis que les musulmans commençaient à s’identifier de plus en plus comme une communauté indépendante de celles des chrétiens et des juifs, ils virent leur mouvement de plus en plus en termes absolutistes, tout comme les mouvements qui se développaient dans le judaïsme rabbinique et dans le christianisme devenaient de plus en plus isolationnistes et centrés sur eux-mêmes à mesure que leurs voies se séparaient. Ironiquement, une « troisième voie » qui avait été amorcée dans le Coran ne pouvait pas être maintenue chez les musulmans post coraniques; on pourrait parler d’une autre perte occasionnée par l’inéluctable realpolitik religieuse.

Je termine en notant qu’aujourd’hui, dans un environnement pluraliste où les bénéfices politiques sont plus accessibles qu’avant à travers des moyens autres que la religion, nous avons l’occasion de transcender les tendances absolutistes qu’Assmann croit inhérentes à la « distinction mosaïque ». Il y a des modèles traditionnels dans chacune de nos traditions qui peuvent être mis à profit pour examiner comment nous pouvons maintenir le particularisme de nos engagements, tout en nous ouvrant à la possibilité que la vérité concernant l’Ultime ne puisse être contenue totalement dans une seule communauté[24].

 

[1] Plusieurs termes différents ont été utilisés pour identifier les sortes de monothéisme pratiqués par les populations qui peuplaient la Terre d’Israël avant la destruction du Temple de Jérusalem en 70 de notre ère : monothéisme israélite, le monothéisme biblique,  judaïsme du Second temple, etc. Ils renvoient à une variété de pratiques et de théologies antérieures au judaïsme rabbinique, l’expression du monothéisme des juifs qui devint dominante vers la fin de la période talmudique, ce qui correspond à peu près au moment de l’émergence de l’islam au 7e s.

[2] Voir par exemple : James Dunn (éd.), Jews and Christians: The Parting of the Ways (Grand Rapids: Eerdmans, 1992); Julie Galambush, The Reluctant Parting (SanFrancisco: Harper, 2005); George Nickelsburg, Ancient Judaism and Christian Origins (Minneapolis: Fortress, 2003); Marcel Simon, Verus Israel (Paris : E. de Boccard, 2e éd. 1964); Adam Becker et Annette Yoshiko Reed (éds.), The Ways that Never Parted (Minneapolis: Fortress, 2007).

[3] Jan Assmann, Le prix du monothéisme (Paris : Aubier, 2007), p. 9. Assmann beaucoup écrit sur cette question et a suscité beaucoup de débats, particulièrement en Europe. Cet ouvrage est l’un des plus concis et des plus récents à ce propos.

[4]Ibid., p. 42.

[5] Voir John Gager, The Origins of Anti-Semitism: Attitudes toward Judaism in Pagan and Christian Antiquity (New York: Oxford University, 1983); Peter Schäfer, Judeophobia: Attitudes toward the Jews in the Ancient World (Cambridge, MA: Harvard University, 1997). Assmann explique la violence antijuive à Éléphantine et à Alexandrie en Égypte (Gager, p. 43-54; Schäfer, p. 121-169) comme une réaction violente dans une phase de formation en réponse à une expression beaucoup plus ancienne de la « distinction mosaïque » durant la période d’Amarna par Akhenaton (Le prix du monothéisme, p. 55-94; From Akhenaten to Moses, Cairo: American University in Cairo, 2014).

[6] Voir par exemple, Exode 15,11; 2 Rois 21,1-9; Psaume 95,3, etc. Voir encore Mark S. Smith, The Origins of Biblical Monotheism: Israel’s Polytheistic Background and the Ugaritic Texts (Oxford: Oxford University, 2001); Ziony Zevit, The Religions of Ancient Israel (London: Continuum, 2001).

[7] Le terme « Israël » est le terme courant pour le peuple que les sources juives désignent, selon le cas, comme « Hébreux », « Israélites », « Judéens », « Juifs ».

[8] Je m’inspire du travail de Benedict Anderson (Imagined Communities, London: Verso, 1983) qui vaut aussi pour une époque antérieure. Voir aussi Patrick Geary, The Myth of Nations: The Medieval Origins of Europe (Princeton: Princeton University, 2003); Lee Patterson, Kinship Myth in Ancient Greece (Austin: University of Texas, 2010); Exode 12,37-38, le Livre de Ruth, etc.

[9] Voir les travaux de Daniel J. Lasker, tels que Jewish Philosophical Polemics Against Christianity in the Middle Ages (New York: Ktav, 1977, 2007), et Sarah Stroumsa, « Jewish Polemics Against Islam and Christianity In the Light of Judaeo-Arabic Texts », dans N. Golb (éd.), Judaeo-Arabic Studies: Proceedings of the Founding Conference of the Society for Judaeo-Arabic Studies, Studies in Muslim-Jewish Relations 3 (Amsterdam, 1997), p. 241-250.

[10] Inigo Bocken, « Nicholas of Cusa and the Plurality of Religions », dans Barbara Roggema, Marcel Poorthuis et Pim Valkenberg (éds.), The Three Rings: Textual Studies in the Historical Trialogue of Judaism, Christianity and Islam (Lueven: Peters, 2005), p. 163-180; Moshe Halbertal, « ‘Ones Possessed of Religion:’ Religious Tolerance in the Teachings of the Me’iri », The Edah Journal (2005), p. 1-24; idem, [Entre Torah et Sagesse : Rabbi Menachem Ha-Meiri et les halakhistes maïmonidiens en Provence](en hébreu; Jérusalem: Hebrew University Magnes Press, 2002).

[11] Fred Donner et d’autres soutiennent, de manière convaincante à mon avis, que le mouvement qui s’est développé dans la communauté des musulmans n’est pas apparu comme une confession religieuse distincte, mais ne l’est devenu qu’au fil du temps (Fred Donner, « From Believers to Muslims: Confessional Self-Identity in the Early Muslim Community », al-Abhath 50-51 [2002-2003], p. 9-53; ibid., Muhammad and the Believers: at the Origins of Islam, Cambridge: Harvard University, 2010).

[12] Voir par exemple Polymnia Athanassiadi et Michael Frede, Pagan Monotheism in Late Antiquity (Oxford: Oxford University Press, 1991); Stephen Mitchell et Peter Van Nuffelen (éds.), One God: Pagan Monotheism in the Roman Empire (Cambridge : Cambridge University, 2010).

[13] Il n’est pas dans la nature de l’écriture d’éviter ce que nous identifierions aujourd’hui comme de l’incohérence; mais, comme on le verra plus loin, le Coran réfère souvent de manière positive aux religions des juifs et des chrétiens, même s’il ne le fait pas en ce qui concerne leurs pratiques et leurs croyances. Ce n’est pas le cas par rapport à ce qu’il définit comme shirk ou polythéisme, qui n’a pas de valeur rédemptrice.

[14] Hava Lazarus-Yafeh, “Tahrif” dans l’Encyclopaedia of Islam, 2e éd., vol. 10 (Leiden: E. J. Brill, 1998), p. 111-112; Gabriel Said Reynolds, « On the Qur’anic Accusation of Scriptural Falsification (tahrif) and Christian Anti-Jewish Polemic », Journal of the American Oriental Society 130.2 (2010), p. 189-202.

[15] C. 2,2-5; 4,47; 5,48; 12,1-2; 15,9; 16,64.

[16] Par exemple : C. 50,38 soutient que Dieu n’a pas eu besoin de se reposer le jour suivant la création; 5,72 soutient que Jésus n’est pas Dieu; 4,157 soutient que la crucifixion n’a pas eu lieu; 3,93 affirme que les juifs se sont eux-mêmes imposés leurs rigoureuses restrictions alimentaires, tandis que 4,160-161 dit qu’elles constituent une punition infligée pour leurs iniquités.

[17] Le Coran parle d’abrogation de la révélation (C. 2,106). Certains chercheurs musulmans comprennent ceci en référence à une révélation antérieure, bien que ce soit devenu le fondement de la théorie de l’abrogation interne à l’intérieur du Coran (naskh ou al-nasikh wal-mansukh). Mais dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un acte correctif plutôt que supersessionniste.

[18] Reuven Firestone, « Is there a Notion of ‘Divine Election’ in the Qur’an? » dans Gabriel S. Reynolds (éd.), New Perspectives on the Qur'an. The Qur'an in Its Historical Context 2 (New York: Routledge, 2011), p. 393-410.   

[19] « Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes : vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux; il y en a qui ont la foi, mais la plupart d’entre eux sont pervers ». Cela peut se comprendre avec une nuance conditionnelle : la communauté est la meilleure si effectivement elle ordonne le convenable et interdit le blâmable.

[20] Voir aussi C. 3,19; 5,3; L. Gardet, “Islam” dans Encyclopaedia of Islam, 2e éd. vol. 4, p. 171; A. J. Droge, The Qur’an: A New Annotated Translation (Sheffield and Bristol, CT: Equinox, 2013), p. 32, note 26. Pour une histoire de la tradition interprétative islamique du terme coranique, voir Jane Smith, An Historical and Semantic Study of the Term ‘Islam’ as Seen in a Sequence of Qur’an Commentaries (Missoula, MT: Scholars Press, 1975).

[21] C. 5,48; 6,106-07; 10,99; 11,118-119; 42,15; 49,13.

[22] Norman Daniel, Islam and the West: The Making of an Image (Oxford: Oneworld, 1960); John Tolan, Saracens: Islam in the Medieval European Imagination (New York: Columbia University, 2002); Minou Reeves, Muhammad in Europe: A Thousand Years of Western Myth-Making (New York: New York University, 2003).

[23] Le judaïsme, bien que tout aussi élitiste dans son sens du monothéisme, échappe cependant à une problématique binaire de salut/damnation. En effet, les non-croyants ne sont pas automatiquement destinés à la damnation parce que le judaïsme prévoit l’entrée dans le monde à venir pour tous les non-juifs qui suivent les lois noachides (Tosefta, Avodah Zarah 9,4; Talmud babylonien Sanhedrin 56a). Dans les textes rabbiniques postérieurs, la liste des sept lois noachides inclut la prohibition de l’idolâtrie (le culte des idoles, mais pas nécessairement la possession d’images), le meurtre, le vol, l’immoralité sexuelle, le blasphème, la consommation de la chair d’un animal vivant; la dernière n’est pas une prohibition, mais plutôt l’obligation d’avoir des cours de justice pour offrir une recours légal.

[24] J’ai mentionné Nicolas de Cues et Menachem Me’iri ci-haut. Voir aussi les travaux de Mohammad Hassan Khalil, Islam and the Fate of Others: The Salvation Question (New York: Oxford University Press, 2012); idem (éd.), Between Heaven and Hell: Islam, Salvation, and the Fate of Others (Oxford: Oxford University Press, 2013).

Remarques de l’éditeur

Le Prof. Reuven Firestone est le Regenstein Professor in Medieval Judaism and Islam au Hebrew Union College – Jewish Institute of Religion de Los Angeles (États-Unis d’Amérique).

Source : Paru initialement dans CURRENT DIALOGUE No. 58, 2016, publié par le Conseil mondial des Églises et reproduit avec son aimable autorisation. Traduit par Jean Duhaime.