Une enfant cachée en Belgique

Lors de la 34e Commémoration chrétienne de la Shoah, tenue à Montréal le 14 avril dernier, Hélène Kravitz a livré pour la première fois son témoignage d’enfant cachée en Belgique, durant l’occupation allemande. Elle a raconté comment elle a ainsi échappé à la déportation et a eu la vie sauve grâce à la générosité de voisins, d’amis et d’étrangers.*

Mon nom est Hélène Kravitz et je suis une enfant cachée de l’Holocauste.

Mes parents sont venus de Pologne en Belgique en 1929, en passant par la Bulgarie. Ils avaient un visa temporaire et lorsqu’il est venu à échéance, le gouvernement belge a tenté de les expulser à plusieurs reprises. Ma mère est restée parce qu’elle était enceinte de moi. Les autorités ont expulsé mon père à sept reprises; il est revenu à chaque fois, sauf la dernière, en 1939. Il n’est plus jamais rentré et ma mère s’est retrouvée seule pour s’occuper de deux jeunes enfants.

La guerre a éclaté en 1940 en Belgique. A cette époque, nous vivions sur l’avenue Foncny, dans un appartement d’une seule pièce près de la Gare du Nord, tout près de la station ferroviaire. Je me souviens des soldats allemands débarquant des trains et marchant à travers la ville. Bien des gens se réunissaient à l’appartement de ma mère; elle et ses amis parlaient de ce qui allait se passer, puisque la guerre venait de commencer. Elle a compris que c’était une situation dramatique et elle avait peur, tout comme les autres adultes de son entourage.

En 1941, nous avons fui la Belgique illégalement pour passer en France. Sur le train de Bruxelles à Paris, je me souviens qu’une valise m’est tombée dessus. A Paris, nous avons pris le métro pour nous rendre je ne sais où; je me souviens seulement qu’il faisait très noir dans le métro.

En France, nous avons été immédiatement envoyées à Toulouse, dans un camp pour personnes déplacées. Ma mère, ma sœur et moi partagions un petit espace carré dans le camp. Nous y sommes demeurés pendant presqu’un an.

Quand l’Allemagne a envahi la France, ma mère a décidé de retourner en Belgique parce qu’elle y avait des amis et des connaissances. Comme nous franchissions la frontière illégalement, ma mère a été arrêtée et mise en prison, où elle est restée pendant deux mois. Durant ce temps, ma sœur et avons été placées dans un camp pour enfants, si je me souviens bien. À cette époque, j’avais six ans et ma sœur Rosa environ trois.

Quand ma mère a été libérée, nous l’avons retrouvée et nous sommes allés vivre à Saint-Gill dans un environnement où résidaient un grand nombre de juifs. Nous habitions rue Joseph Class. Ma mère trouva du travail comme cuisinière dans un restaurant.

J’ai fréquenté l’école élémentaire. Ma mère fut obligée de coudre un étoile jaune sur le revers de mon manteau. Je n’ai pas pu fréquenter l’école très longtemps parce que les Allemands ont fini par interdire aux enfants juifs l’accès à l’école.

Puis les Allemands ont commencé à faire des rafles. Ma mère a cru qu’elle serait peut-être sauvée si elle mariait un non-juif. Mais elle s’est aperçue que ce ne serait pas le cas et elle ne s’est donc pas mariée à un non-juif. Ma mère a pensé s’en aller en Amérique, mais elle a changé d’idée. Je ne me souviens plus pour quelle raison.

Un jour de mai 1942, alors qu’elle revenait de son travail en compagnie d’une voisine, ma mère a été arrêtée par la Gestapo. J’avais alors neuf ans et Rosa six. Quelqu’un du voisinage qui avait été témoin de cela vint à la maison et raconta à la personne qui s’occupait de nous ce qui venait de se produire. Il nous a immédiatement sorti de la maison et nous sonmmes allés chez des amis de ma mère qui habitaient la même rue. Nous avons été chanceuses parce que des gens de la Gestapo, sachant que ma mère avait deux enfants, sont venus fouiller la maison. Ils ne nous ont pas trouvées parce que nous venions juste de partir. Je me souviens bien d’avoir été amenée chez l’amie de ma mère. Elle fabriquait des chaussures et avait deux fils. Je me souviens encore de la peur que j’ai éprouvée durant cette nuit-là. 

Le lendemain matin, on nous a amenées immédiatement à une Agence juive qui s’occupait de mettre les enfants juifs à l’abri dans des endroits sûrs. C’est comme cela que nous nous sommes retrouvées dans un couvent à Louvain, La Maison de la Miséricorde, qui était entièrement dirigée par des religieuses.

On nous a donné de fausses identités et changé notre nom de famille en Bienfait. Nous sommes demeurées au couvent jusqu’à la fin de la guerre. Même si on ne nous a pas forcées à nous convertir, on nous a obligées à apprendre le catéchisme. Nous allions en classe. Nous assistions quotidiennement à la messe et à l’office religieux. Nous devions ressembler à tous les enfants catholiques qui allaient à l’école à cet endroit. Périodiquement, les Allemands débarquaient à l’improviste pour vérifier si les religieuses cachaient des enfants juifs, ce qu’on les soupçonnait de faire. Je me souviens, une fois, d’avoir été prise par une des religieuses et d’avoir été cachée dans le champ d’un fermier. Cela a duré plusieurs heures, durant lesquelles j’étais littéralement terrifiée.

Vers la fin de la guerre, un grand nombre de bombes étaient larguées et les enfants étaient amenés dans le cellier pour être protégés. Durant un de ces raids, une de mes amies, qui était catholique, m’a baptisée parce qu’elle croyait que nous allions mourir. Elle craignait d’être séparée de moi et voulait me retrouver au ciel.

Après coup, les religieuses ont écrit au pape et ont demandé si ce baptême était légitime. On m’a donné le nom de Marie-Agnès. A cette époque, j’étais en âge d’être confirmée et, puisque j’étais une catholique (selon elles), les religieuses m’ont permis de faire ma confirmation, toute habillée de blanc. J’ai encore une photo de cet événement.

Au couvent, on me gardait les cheveux très court parce qu’on craignait les poux; on nous donnait le bain une fois par semaine. Nous avions des tâches à remplir : éplucher des pommes de terre, cirer les planchers de bois franc, etc. Les sœurs nous ont enseigné à tricoter et à coudre; nous tricotions des bas pour les soldats. Au début, je ne savais pas coudre et j’ai reçu quelques gifles...

On nous faisait sortir les dimanches pour une marche autour de la ville. Durant les congés, je pouvais aller voir ma sœur dont j’étais séparée en raison de son âge (elle était dans une autre partie du couvent). Je pouvais la voir environ trois fois par année, durant le congé de Noël et d’autres occasions semblables. Mais, compte tenu de la situation, je considère que nous avons eu vraiment de la chance d’être dans ce couvent; cela nous sauvé la vie.

En 1945, après la fin de la guerre, au cours de l’été, l’Agence juive qui nous avait placées au couvent est venue nous reprendre pour nous déménager dans un orphelinat à Aische en Refaille, en banlieue de Bruxelles. Il n’y avait que des enfants juifs dans cet orphelinat. Nous espérions tous que nos parents reviendraient et nous ramèneraient à la maison; certains revinrent effectivement, mais pas les miens.

On m’a proposé de venir au Canada. J’ai accepté parce qu’on promettait de nous placer dans une famille et que cela serait beaucoup plus avantageux pour nous que de demeurer en Belgique.

Et me voilà donc aujourd’hui : une survivante et une des chanceuses. Je me suis mariée et j’ai deux merveilleux enfants et trois petits-enfants. C’est pour eux et pour vous que je partage aujourd’hui mon expérience.

Remarques de l’éditeur

* Traduction par Jean Duhaime pour Relations judéo-chrétiennes.