Raviver le dialogue:
L’Église peut faire mieux pour promouvoir les relations entre les catholiques et les Juifs

John T. Pawlikowski est professeur d’éthique sociale et directeur des études sur les relations entre catholiques et juifs à la Catholic Theological Union de Chicago. Au terme de son mandat comme président de l’Amitié internationale judéo-chrétienne (ICCJ), il a livré, en juillet 2008, ses réflexions sur l’état actuel des relations entre l’Église catholique et les Juifs.

Raviver le dialogue:

L’Église peut faire mieux pour promouvoir les relations entre les catholiques et les Juifs

John T. Pawlikowski

John T. Pawlikowski est professeur d’éthique sociale et directeur des études sur les relations entre catholiques et juifs à la Catholic Theological Union de Chicago. Au terme de son mandat comme président de l’Amitié internationale judéo-chrétienne (ICCJ), il a livré, en juillet 2008, ses réflexions sur l’état actuel des relations entre l’Église catholique et les Juifs. (Traduction pour jcrelations.net par Pierrot Lambert, révisée par Jean Duhaime)

 

Depuis quelques années, les cercles de dialogue entre les catholiques et les Juifs sont gagnés progressivement par un sentiment de stagnation, notamment au plan institutionnel. Entre autres signes, ne faut-il pas interpréter en ce sens la tiédeur de la réaction exprimée par les évêques catholiques et le Vatican aux stéréotypes antisémites classiques remis en circulation par le film de Mel Gibson, La Passion du Christ, sorti sur les écrans en 2004?

Un peu plus tôt, le cardinal Avery Dulles et certains représentants du Vatican avaient vivement critiqué le document paru en 2002: «Réflexions sur l’Alliance et la Mission», un texte issu du dialogue permanent déployé entre le Conseil national des synagogues et le Secrétariat des questions œcuméniques et interreligieuses des évêques des États-Unis. Cette déclaration avait été appuyée explicitement par le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et de sa Commission pour les relations religieuses avec les Juifs, et avait reçu l’aval de l’ancien président du Conseil, le cardinal Edward Idris Cassidy.

Or, le cardinal Kasper s’est fait plutôt discret récemment sur les questions théologiques, même s’il a appuyé modérément la consultation théologique permanente sur «Le Christ et le peuple juif», co-parrainée à l’échelle internationale par plusieurs grands établissements d’éducation catholique européens et américains, notamment en participant personnellement à la séance de consultation tenue à Ariccia, en Italie, en octobre 2006. Kasper, qui, au début de sa présidence du Conseil pontifical, avait offert des pistes de réflexion théologiques novatrices sur les relations entre chrétiens et Juifs, est demeuré plutôt silencieux dans ce domaine au cours des dernières années. Et il a été incapable de produire une nouvelle déclaration vaticane à l’occasion du 40e anniversaire de Nostra Aetate, en 2005.

Les réflexions que Kasper nous a offertes jusqu’ici, ou les idées nouvelles surgies des consultations sur le Christ et les Juifs peuvent-elles s’inscrire dans les grands courants de la théologie catholique? La théologie des relations entre chrétiens et Juifs, comme l’ont souligné avec insistance des spécialistes comme Gregory Baum et Johannes Metz, est un point névralgique de l’identité chrétienne. Le cardinal Kasper pourrait certes contribuer à ce qu’une nouvelle intelligence théologique issue du dialogue passe dans le discours dominant, étant donné la position qu’il occupe en tant que porte-parole principal du Vatican, tant pour les relations entre les chrétiens que pour les rapports entre les catholiques et les Juifs. Toutefois durant la Semaine Sainte de 2006, Kasper a accordé son appui personnel à un concert, co-parrainé par le Vatican et l’Église orthodoxe russe, concert axé sur le récit de la Passion de saint Matthieu, et faisant appel à des textes imprégnés de la théologie classique patristique et anti-juive qui prévaut encore tellement dans les cercles théologiques orthodoxes, et qu’expriment des paroles telles que: «Toi (Christ), tu nous as libérés de la calamité de la Loi».

La consolidation des relations entre les chrétiens et les Juifs passe nécessairement par une prise de position nette des autorités chrétiennes contre les manifestations courantes d’anti-judaïsme théologique classique. C’est seulement si la nouvelle théologie des relations entre l’Église et les Juifs s’exprime haut et fort dans de telles situations qu’on pourra démontrer qu’elle a vraiment été intégrée par la pensée chrétienne. Il faudra surveiller quelle sera l’attitude de l’Église à l’égard du document sur l’identité ecclésiale fondamentale en préparation à la Commission Foi et Constitution du Conseil mondial des Églises (CME), dont le Vatican est membre. Le Conseil international des chrétiens et des Juifs a co-parrainé une consultation sur ce document avec la Commission Foi et Constitution du CME à Boldern, en Suisse, en décembre 2006. Les responsables de Foi et Constitution présents lors de cette consultation ont laissé entrevoir que ce document serait révisé pour s’aligner sur la nouvelle pensée théologique issue du dialogue entre les chrétiens et les Juifs.

Vers la fin de son mandat à la présidence de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le pape actuel a rédigé quelques textes potentiellement positifs sur la théologie des relations entre les chrétiens et les Juifs, y compris une préface à la volumineuse monographie de la Commission biblique pontificale sur Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne. Mais ces perspectives n’ont jamais été réexprimées jusqu’à maintenant dans ses déclarations papales. Au contraire, certaines de ses réflexions, notamment son homélie du Jeudi Saint 2007, semblent redevables partiellement aux idées anti-judaïques de Jean Chrysostome.

Il est préoccupant de voir également qu’une conférence prononcée à Washington en 2005 par le cardinal Dulles n’a suscité aucune réponse publique chez les dirigeants catholiques. Cette conférence, publiée plus tard dans le magazine First Things, touche à l’essence de Nostra Aetate et des enseignements clairs de Jean-Paul II en affirmant que Vatican II n’a pas réglé la question de l’inclusion de l’alliance juive, une référence à une idée de la théologie chrétienne classique selon laquelle les Juifs ont été exclus de l’alliance avec Dieu pour avoir rejeté Jésus. Selon cette perspective, discréditée depuis, les Juifs ont été remplacés dans l’alliance par les disciples de Jésus. Les seules réactions que cette conférence ont suscitées sont les réactions privées du cardinal Kasper et de certains autres évêques qui ont affirmé qu’il s’agissait là du point de vue strictement personnel du cardinal Dulles et qu’il ne représentait aucunement la pensée catholique. Pourtant, j’ai rencontré d’autres évêques qui entérinaient le point de vue de Dulles.

En outre, le pape Benoît XVI a semblé reculer sur la question de la reconnaissance d’une complicité catholique importante dans l’Holocauste. Le pape actuel semble prendre ses distances à l’égard des déclarations de Jean-Paul II admettant la participation de catholiques à l’Holocauste, même si ces déclarations étaient quelque peu inadéquates. Certes, Benoît XVI a condamné l’idéologie nazie et a exprimé son opposition aux manifestations encore actuelles d’antisémitisme. Mais, dans les allocutions qu’il a prononcées dans la synagogue de Cologne, en Allemagne, en 2005, et au cours de la visite qu’il a effectuée en 2006 au camp de la mort de Birkenau, il a interprété le nazisme comme un phénomène néo-païen, dans un propos occultant le rôle central joué par les enseignements classiques de l’Église sur les Juifs et le judaïsme comme terreau du soutien populaire de l’idéologie nazie. Tant à Cologne qu’à Birkenau, le pape Benoît XVI n’a mentionné ni le document publié en 1998 par le Vatican sur la Shoah, Nous nous souvenons, ni les énoncés encore plus forts concernant la complicité des catholiques, exprimés dans les déclarations des évêques allemands (1995) et français (1997) sur la nécessité d’un repentir chez les catholiques.

Le récent Motu Proprio de Benoît XVI, permettant d’utiliser davantage l’ancien rituel de la messe latine, a également soulevé de sérieuses questions parce qu’il semble à certains moments approuver l’élimination possible de lectures tirées des Écritures hébraïques et cautionner la prière du Missel romain de 1962 pour la conversion des Juifs qui parle d’eux comme d’un «peuple aveugle» dont Dieu est prié d’enlever «le voile qui aveugle leur cœur». Un certain nombre de conférences épiscopales catholiques (notamment celles de l’Allemagne et des États-Unis) ont demandé au pape d’imposer la version post-Vatican II de la prière pour les Juifs (celle du Missel de 1970), dans toutes les célébrations liturgiques du Vendredi Saint. Des organismes tels que le Conseil international des chrétiens et des Juifs, le Comité allemand des catholiques et des Juifs et le Comité juif international pour les consultations inter-religieuses ont fait de même. Des protestations se sont fait entendre en Autriche et en France et les grands rabbins en Israël ont également écrit au pape à cet égard. Cette question pourrait être résolue par un simple décret papal, annonçant une décision comme celle prise par le pape Jean XXIII d’éliminer le mot «perfide» des prières du Vendredi Saint. Le débat semble s’enliser de plus en plus dans des discussions centrées sur le Missel de 1970, plutôt que sur l’objectif initial qui était de ramener dans l’Église quelques catholiques dissidents. Le contenu de ce Motu Proprio, concerne l’intégrité fondamentale du catholicisme. Les média ont parlé fréquemment des préoccupations des Juifs au sujet de ce document. Ces préoccupations sont tout à fait justifiées. Mais en fin de compte il s’agit là d’un problème catholique. Le Vatican peut-il reconnaître comme officielles à la fois la prière pour les Juifs de la liturgie post-Vatican II, beaucoup plus positive, et la prière humiliante du missel de 1962? Les catholiques peuvent-ils tenir un double langage à propos des relations avec les Juifs et être tout de même pris au sérieux? Si le pape Benoît XVI ne répond pas à ces préoccupations, son règne sera entaché d’une défaillance au chapitre des relations entre les catholiques et les Juifs.

Au cours des quatre dernières décennies, l’Église n’a pas étendu son examen des manuels catholiques au domaine de la liturgie (notamment des hymnes) et aux programmes d’études bibliques. Le document «God"s Mercy Endures Forever» (La miséricorde de Dieu dure à toujours), publié en 1988 par le comité sur la liturgie des évêques des États-Unis, n’a fait l’objet d’aucune promotion et est demeuré largement inconnu dans les cercles liturgiques et homilétiques.

Le dialogue peut-il vraiment débloquer? J’espère que oui. Le document récent préparé pour le prochain synode sur la Parole de Dieu, qui insiste fortement sur les liens de l’Église avec le peuple juif, pourrait faire avancer la situation si le synode (qui se tient du 5 au 26 octobre 2008) l’endosse et traite la question d’une manière correspondant au document de la Commission biblique pontificale sur Le Peuple juif et ses Saintes Écritures. Il faudra pour cela un effort concerté de la part des groupes de dialogue entre juifs et chrétiens, afin que des évêques influents soulèvent cette question mentionnée dans le document préliminaire. S’il le font effectivement, cela constituera un test véritable de l’engagement personnel du pape Benoît XVI à l’égard de la réconciliation des catholiques et des Juifs, puisqu’il devra approuver le communiqué final du synode. Les Juifs devront également s’engager plus sérieusement dans ce dialogue, notamment dans ses dimensions théologiques. Certains groupes juifs, estimant peut-être que les relations entre catholiques et Juifs ne sont pas susceptibles de progresser pendant le règne du pape actuel, ont adopté une attitude de passivité prudente, dans l’espoir que se consolident les gains réalisés depuis Vatican II. Ce défaitisme finit par miner les efforts des catholiques engagés dans le dialogue. Certaines des réactions juives au Motu Proprio traduisaient une position de faiblesse, qui semblaient tenir d’un sentiment d’infériorité dans les échanges avec le Vatican. Les Juifs doivent également prendre au sérieux les préoccupations croissantes au sein du Vatican concernant ses relations avec l’État d’Israël.

Si les chrétiens font preuve d’une volonté de relancer les discussions théologiques, d’en faire une priorité dans les débats ecclésiaux et de poursuivre l’examen de leurs documents pédagogiques et liturgiques, ils pourraient réorienter le dialogue dans la bonne voie. Je garde espoir, tout en sachant que la stagnation actuelle, si elle continue, entraînera à brève échéance une détérioration permanente.