Rabbin Skorka : Ce que mon amitié avec le Pape François m’a appris sur le dialogue interreligieux

En février, je participerai avec mon ami le Pape François à une «Conférence mondiale sur la fraternité humaine» organisée par les Emirats arabes unis à Abu Dhabi. Elle cherche un cadre commun de coopération entre les dirigeants religieux pour parvenir à la paix et à la solidarité humaine.

Le dialogue interreligieux a toujours été pour moi une priorité. J’ai appris son importance auprès de mon mentor le Rabbin Marshall T. Meyer, un protégé du grand Rabbin Abraham Joshua Heschel. J’ai rencontré Jorge Mario Bergoglio pour la première fois il y a près de 20 ans, quand il était évêque auxiliaire à Buenos Aires. Nous avons reconnu dans l’autre un partenaire pour la mise en œuvre de notre engagement commun en faveur du dialogue entre et parmi les religions. Au cours des années qui ont suivi, nous avons eu de nombreuses conversations sincères, que nous avons toutes deux trouvées profondément significatives et transformatrices.

En préparation de la rencontre d’Abu Dhabi, je me demande pourquoi mes dialogues avec le futur Pape François nous ont si fortement touchés tous les deux. Comment ont-ils dépassé le stade d’échanges superficiels d’informations pour devenir des expériences spirituelles et personnelles profondes? Comment en sont-ils venus à incarner ce qu’il a décrit comme «le chemin de l’amitié» que juifs et catholiques ont entrepris depuis le Concile Vatican II?

D’abord, nous plaçons consciemment Dieu au centre de nos échanges. Nous avons parlé de Dieu et de la façon de nous rapprocher de lui. Nous voulions apprendre de nos expériences mutuelles de Dieu. Cela nous a donné à tous les deux la certitude que Dieu nous accompagnait sur notre chemin.

En restant concentrés sur nos relations avec Dieu, nous sommes restés humbles et plus ouverts l’un envers l’autre. Comme le dit François dans Sur la terre comme au ciel, le livre que nous avons co-écrit : «Pour dialoguer, il faut savoir baisser la garde, ouvrir les portes de sa maison et offrir de la chaleur humaine». Nous avons compris que Dieu nous a tous façonnés à son image divine, nous permettant de voir le reflet de Dieu sur les visages des uns et des autres au fur et à mesure que nous nous ouvrions nos cœurs les uns aux autres.

De plus, nous n’avons jamais essayé de nous persuader – ou dissuader – les uns les autres de quoi que ce soit. Comme l’a rappelé le pape François: «Il y avait là une base de confiance totale, et... aucun de nous n’a négocié sa propre identité. Si nous l’avions fait, nous n’aurions pas pu parler. Cela aurait été une imposture... Et aucun de nous n’a essayé de convertir l’autre.» Grâce à notre confiance, «notre dialogue était libre», comme me l’a rappelé François lorsque j’ai partagé avec lui une ébauche de cet essai. Le respect de l’intégrité religieuse des uns et des autres, en fait, nous a aidés à apprendre ensemble. «Grâce à ses explications, ma vie religieuse est devenue plus riche, tellement plus riche», observait mon ami.

Ce serait un blasphème pour Dieu que de laisser même la définition des différences nous séparer comme enfants de Dieu et comme frères.

François et moi avons également compris l’urgence des défis actuels: l’effort commun pour la paix, la réduction de la faim, l’arrêt de la destruction de notre écosystème mondial. Au-delà des différences, réelles ou perçues, qui ont séparé juifs et chrétiens pendant des siècles, le fondement éthique commun, que nous partageons dans la Bible et qui nous permet de travailler ensemble, est beaucoup plus important.

Ce qui est crucial, c’est que chacun a essayé de comprendre l’identité religieuse de l’autre selon ses propres termes et de partager les préoccupations l’un de l’autre. Je me souviens de la douleur de François face à l’antisémitisme: «Un chrétien ne peut pas être antisémite», a-t-il déclaré à plusieurs reprises en tant que pape. Il a également déclaré qu’«une attaque directe contre l’État d’Israël est [une forme d’] antisémitisme» parce qu’«Israël a le droit d’exister en toute sécurité et prospérité».

Remarques de l’éditeur

Source : America Magazine.
Le rabbin Abraham Skorka est professeur à l’Université Saint-Joseph de Philadelphie et coauteur avec le pape François de Sur la terre comme au ciel (Paris, Robert Laffont, 2013).
Traduit par Jean Duhaime pour Relations judéo-chrétiennes.