Qui sont les chrétiens en Israël aujourd’hui?

JÉRUSALEM – Une conférence intitulée « Qui sont les chrétiens en Israël aujourd’hui? » a eu lieu le mardi 6 décembre 2016 à l’Institut œcuménique de Tantur. La conférence était organisée et présidée par le P. David Neuhaus, Vicaire patriarcal latin pour les catholiques de langue hébraïque en Israël. Voici le texte de son intervention.

En janvier 2015, le patriarche latin émérite de Jérusalem, Michel Sabbah, s’est adressé aux participants d’un congrès à l’Université hébraïque de Jérusalem à propos des chrétiens ayant le statut de citoyens arabes palestiniens d’Israël. Il a insisté sur la vocation des chrétiens d’Israël en ces termes : « La vocation des chrétiens est d’indiquer la voie de la paix et d’y cheminer. Cette paix doit être édifiée sur la dignité de chaque être humain, juif comme palestinien. Bénis soient les artisans de paix, car ils servent vraiment Dieu et l’humanité, toute l’humanité, aussi bien les Palestiniens que les Israéliens, et la région entière. » Mais, au fait, qui sont les chrétiens en Israël aujourd’hui?

Les chrétiens d’Israël appartiennent à une mosaïque de communautés.

– Premièrement, il y a une grande diversité de confessions religieuses. D’abord les chrétiens byzantins (ou grecs), orthodoxes ou catholiques (qui forment ensemble la vaste majorité des chrétiens d’Israël), les catholiques romains, les maronites, les arméniens (apostoliques et catholiques), les syriens (orthodoxes et catholiques), les coptes, les éthiopiens, les anglicans, les luthériens et un grand nombre de groupes évangéliques. Il y a aussi quelques milliers de juifs messianiques, qui croient au Christ, mais qui ne s’identifient pas comme chrétiens.

– Deuxièmement, il a aussi une grande diversité parmi les chrétiens du point de vue de leurs origines et de leurs langues. Ils vivent aussi dans des contextes sociopolitiques et culturels diversifiés :

  • les indigènes, des chrétiens qui ont leurs racines dans le pays, sont pour la plupart arabophones et sont intégrés dans la société palestinienne arabe d’Israël. La majorité de cette population vit en Galilée, à Haïfa et dans les villages voisins, et dans les villes de Jaffa, Ramlah et Lydda; 
  • les résidents permanents expatriés sont principalement au service des structures et des institutions de leurs Églises. La plupart des dirigeants faisant partie de la hiérarchie religieuse chrétienne appartiennent à ce groupe : des Grecs dans l’Église orthodoxe grecque, des Italiens et d’autres Européens, de même qu’un nombre croissant d’Asiatiques et d’Africains dans l’Église catholique romaine, des membres du clergé venant du Liban, de la Syrie, d’Égypte et d’Irak dans les Églises de rite oriental, d’autres qui venant d’Angleterre, d’Allemagne, de Suisse ou des États-Unis d’Amérique dans les Églises anglicane, luthérienne, etc.
  • un nombre croissant de chrétiens d’origine juive ou d’autres origines diverses vivent au milieu de la société israélienne de langue hébraïque. La plupart ont immigré en Israël au cours des dernières décennies, en provenance de pays de l’ex-Union soviétique, d’Europe de l’Est ou d’Éthiopie;
  • un grand nombre de chrétiens sont arrivés en Israël récemment comme migrants – travailleurs migrants, surtout originaires d’Asie, et comme demandeurs d’asile, surtout originaires d’Afrique.

En Israël, les citoyens chrétiens constituent environ 2,4% de la population totale. Cela représente une importante diminution dans leur proportion de la population depuis 1948, alors que des centaines de milliers de Palestiniens arabes, musulmans et chrétiens ont quitté le pays comme réfugiés, tandis que ces centaines de milliers de juifs sont arrivés dans le pays comme nouveaux immigrants. Jusqu’en 1948, les chrétiens constituaient environ 10% de la population.

Dans l’État d’Israël, il y a :

  • environ 120 000 à 130 000 citoyens chrétiens qui sont des arabes palestiniens parlant l’arabe
  • environ 30 000 à 40 000 citoyens chrétiens qui sont intégrés à la population juive israélienne parlant l’hébreu; ils sont originaires principalement de l’ex-Union soviétique et d’Europe de l’Est.

En plus de ces citoyens chrétiens, il y a :

  • environ 160 000 migrants chrétiens (environ 65 000 migrants chrétiens sont des travailleurs légaux ou illégaux provenant surtout d’Asie, environ 35 000 sont des chrétiens africains demandeurs d’asile provenant d’Érythrée, et environ 60 000 chrétiens sont des Européens de l’Est arrivés avec un visa de touriste mais demeurés dans le pays après sa date d’expiration dans l’espoir de trouver du travail).

L’État d’Israël a été créé en 1948. La plupart des communautés chrétiennes ont maintenu des structures institutionnelles plus anciennes, dont la juridiction s’étend au-delà des frontières de cette entité politique moderne. Plusieurs Églises maintiennent leur centre administratif dans la partie Est de Jérusalem, sous occupation israélienne, et leur juridiction s’exerce sur les fidèles en Israël et en Palestine (la Cisjordanie et la bande de Gaza), et, dans certains cas, aussi en Jordanie, à Chypre et au-delà. Ainsi de nombreux chrétiens arabes palestiniens ont des relations communautaires avec leurs coreligionnaires en Palestine et en Jordanie.

Une des questions principales à laquelle les chrétiens arabes d’Israël sont confrontés est celle de l’émigration de leur terre d’origine. Ce courant, qui a commencé au dix-neuvième siècle, est aujourd’hui une des plus importantes menaces pour les communautés chrétiennes du Proche-Orient. Il y a en effet un sérieux exode des cerveaux dans la communauté en Israël, alors que les jeunes, les personnes éduquées et les professionnels émigrent en laissant derrière une communauté de plus en plus pauvre. De plus, les chrétiens ont des familles moins nombreuses que les musulmans et les juifs. Le résultat est qu’en dépit d’une légère augmentation du nombre de chrétiens d’année en année, il y une diminution importante de la portion qu’ils représentent dans l’ensemble de la population. L’immigration concomitante de travailleurs et de réfugiés chrétiens en Israël a produit des communautés dynamiques, qui vivent toutefois dans des conditions fragiles, car leurs membres, souvent sans racines, n’ont pour la plupart pas de statut légal permanent dans le pays.

Quels sont les défis auxquels les chrétiens d’Israël sont confrontés aujourd’hui?

Définir les défis auxquels les communautés chrétiennes d’Israël sont confrontées aujourd’hui est une manière de décrire leur réalité actuelle.

L’identité dans la diversité et l’unité : chrétiens arabes palestiniens, citoyens d’Israël

Comment les chrétiens arabes palestiniens citoyens d’Israël définissent-ils leur identité? Plusieurs les décrivent comme des gens qui traversent une crise d’identité. Beaucoup se voient piégés entre le nationalisme juif, qui les marginalise et exerce de la discrimination envers eux, et le nationalisme arabe, de plus en plus islamiste dans son expression, qui les aliène.

La fragmentation des chrétiens en diverses confessions contribue à la crise identitaire. L’histoire a divisé les arabes chrétiens en une variété de confessions, qui tirent leurs origines des débats théologiques du premier millénaire, de la Réforme, de la création des Églises catholiques orientales et de la fragmentation structurelle qui en résulte. Les byzantins, les latins, et ceux qu’on appelle les monophysites (arméniens, syriens, coptes, éthiopiens), se font concurrence et coexistent dans les Lieux saints; un nombre encore plus grand de confessions chrétiennes se font concurrence et coexistent dans la vie quotidienne de la communauté (les Églises orientales de rite catholique – byzantins, maronites, syriens, arméniens, chaldéens –, les anglicans, divers groupes protestants et évangéliques). Pour plusieurs, ces divisions et les rivalités qui en résultent sont une source de scandale. D’autres insistent aujourd’hui pour dire que leur identité religieuse primaire est chrétienne, plutôt que byzantine, latine ou luthérienne. Le dialogue œcuménique est non seulement une formalité, mais une réalité quotidienne, dans laquelle les chrétiens arabes palestiniens d’Israël, toujours conscients de leur petit nombre, proclament : « Unis nous survivons, divisés nous disparaissons ».

Les événements de 1948 ont conduit à la création de l’État d’Israël et dépossédé des centaines de milliers de Palestiniens, musulmans et chrétiens. Le conflit, qui se poursuit toujours, a généré une série de guerres dans lesquelles les pays arabes ont été défaits d’une fois à l’autre. Les chrétiens palestiniens arabes sont fragmentés non seulement par leurs confessions, mais aussi par leurs situations géopolitiques. Après 1948, les chrétiens palestiniens arabes, comme leurs compatriotes musulmans, ont été confrontés à trois réalités sociopolitiques différentes. Certains sont devenus citoyens du nouvel État d’Israël, d’autres se sont retrouvés dans les territoires annexés au Royaume hachémite de Jordanie (Jérusalem-Est et la Cisjordanie) ou dans des territoires occupés par l’Égypte (la bande de Gaza), tandis que de nombreux autres sont devenus des réfugiés vivant en diaspora. En 1967, Israël a occupé Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza, et soumis ces territoires à un régime d’occupation militaire.

Dans l’État d’Israël, tous les citoyens arabes de l’État, musulmans, chrétiens et druzes, ont un statut de seconde classe et subissent de la discrimination et de la marginalisation. Pendant des décennies, le combat pour l’égalité a raffermi les liens entre chrétiens et entre musulmans et chrétiens. Ce combat était mené par des partis politiques séculiers, dans lesquels des chrétiens ont souvent eu un rôle de direction, le plus important d’entre eux étant le Parti communiste. Des générations de politiciens identifiés nominalement comme chrétiens, tels que les communistes Tawfiq et George Toubi, Emil Habibi et Saliba Khamis et des nationalistes comme Azmi Bishara et les pasteurs anglicans Shehade Shehade et Riah Abu El-Assal ont travaillé main dans la main avec des musulmans sécularisés dans le combat contre la discrimination et la marginalisation en Israël. Cependant la montée du mouvement islamique en Israël a constitué un défi pour les personnes sécularisées. Au cours des dernières années, parmi les chrétiens, les musulmans et les druzes, des tensions en rapport avec l’appartenance religieuse ont caractérisé des conflits locaux dans diverses localités arabes, l’exemple le plus connu étant la demande, faite par certains activistes musulmans, de construire une grande mosquée tout près de la basilique de l’Annonciation à Nazareth. Le mouvement islamique a fomenté ces conflits, comme l’ont fait certains éléments de l’administration israélienne, qui voient un avantage à diviser la minorité arabe. 

Certains éléments de l’administration israélienne ont constamment suivi une politique de « diviser pour régner » en ce qui a trait à la minorité arabe. Dans les années 1950, l’administration israélienne a fait des efforts considérables pour séparer la communauté druze du reste de la population arabe. De jeunes druzes ont été mobilisés dans l’armée, à côté de juifs (les chrétiens et les musulmans n’étaient pas enrôlés) et l’État, avec l’appui des dirigeants religieux druzes traditionnels, tenait un discours qui définissait les druzes comme un peuple distinct des arabes. Des tentatives semblables de séparer les chrétiens des autres arabes ont échoué durant cette période, mais elles se sont renouvelées au cours des dernières années et ont repris de la force, avec l’appui de certains chrétiens arabes. Ce qu’on tente de faire est de renforcer une identité « chrétienne » qui ne se définit plus en rapport avec le monde arabe. Ce courant est porté par les craintes vis-à-vis du radicalisme arabe qui se développe et par des promesses de gains matériels pour les chrétiens, qui espèrent s’intégrer au segment juif privilégié. La forme la plus évidente de cette tentative de redéfinir l’identité se manifeste dans les efforts d’enrôler la jeunesse chrétienne arabe dans l’armée israélienne. Mis de l’avant par un prêtre grec orthodoxe, le Père Gabriel Naddaf, et un lieutenant maronite de l’armée israélienne, Shadi Khalloul, ce courant promeut l’identité « araméenne » des chrétiens d’Israël plutôt que leur identité arabe palestinienne.

La Commission justice et paix de l’Assemblée des ordinaires catholiques de Terre sainte a publié une lettre à ce sujet en 2013. La commission déclarait : « L’Église a pour tâche d’éduquer notre jeunesse afin qu’elle s’accepte comme elle est, de lui fournir une éducation chrétienne, nationale, humaine et équilibrée, et lui donner conscience de son histoire, de ses racines et un sens de l’identité qui intègre différents éléments (arabe palestinien et citoyen d’Israël) plutôt que de réprimer l’un de ces éléments. Les évêques et les prêtres doivent aider leurs fidèles dans cette ‘crise identitaire’ ».

Le combat incessant pour l’indépendance palestinienne a fourni une base sur laquelle les arabes chrétiens palestiniens peuvent non seulement surmonter leurs divisions confessionnelles, mais aussi s’unir aux musulmans pour poursuivre un plan d’action commune. Des dirigeants d’Église arabes palestiniens ont fermement condamné l’occupation israélienne des territoires palestiniens et réclamé un État palestinien; les plus connus d’entre eux sont le patriarche latin (catholique romain) émérite de Jérusalem, Michel Sabbah, l’évêque grec orthodoxe Atallah Hanna, l’évêque anglican émérite Riah Abu El Assal et l’évêque luthérien Munib Younan. Les centres chrétiens palestiniens visant à promouvoir l’unité et la solidarité avec la cause palestinienne se sont multipliés au cours des dernières décennies, dans le but de renforcer cette conscience d’être à la fois chrétien et palestinien. Parmi ceux-ci, mentionnons le Centre Al-Liqa’ de Bethléem, fondé par un arabe palestinien également citoyen israélien et grec catholique, le Dr Geries Khoury, et le Centre œcuménique de libération Sabeel de Jérusalem, fondé par un palestinien arabe et citoyen israélien, le chanoine anglican Naïm Ateek. Quelques dirigeants de communautés évangéliques palestiniennes se sont aussi associés à cet effort œcuménique pour unifier les chrétiens palestiniens autour de la cause nationale. Un exemple est la collaboration de théologiens palestiniens pour la composition du document « Kairos » qui a formulé un « cri d’espoir » devant l’incessante occupation israélienne. En Israël, un des formes qu’a pris ce combat pour les droits des Palestiniens a été la campagne pour reconstruire les villages arabes chrétiens palestiniens d’Ikrit et de Kufr Bir’am à la frontière nord d’Israël, deux endroits qui furent évacués en 1948 et détruits par la suite. Cette campagne a mis particulièrement en valeur l’ex-archevêque grec catholique de Galilée, Yusuf Raya, qui est arrivé en Israël en 1968, après avoir participé au combat pour les droits des Africains Américains dans le Sud des États-Unis, aux côtés de Martin Luther King. L’archevêque Raya a été l’un des premiers dirigeants d’Église à défendre publiquement les droits des arabes palestiniens citoyens d’Israël.

La montée de courants islamiques radicaux, qui ont réussi à isoler la bande de Gaza de la Cisjordanie, a refoulé les chrétiens dans les marges. Un mouvement islamique dont la voix se fait entendre à l’intérieur d’Israël préoccupe également les arabes palestiniens citoyens d’Israël. La dernière série de soulèvements dans le monde arabe, commencée à la fin de 2010, a révélé le profond désir de liberté et de dignité des populations, mais a aussi ouvert une boîte de Pandore d’alternatives islamiques radicales aux régimes arabes séculiers, ce qui constitue une menace palpable pour les chrétiens rêvant d’égalité et d’intégration dans le monde arabe.

En même temps, la croissance en Israël de nouvelles communautés évangéliques et pentecôtistes a aussi amené des chrétiens à prendre leur distance aussi bien des Églises traditionnelles que de leurs voisins musulmans. Les chrétiens « régénérés » (mutajadidin en arabe) justifient parfois la version sioniste du nationalisme juif, habituellement en se basant sur leur lecture littérale de l’Ancien Testament. Ces communautés entretiennent souvent certaines formes de relations avec des communautés chrétiennes similaires vivant dans le milieu juif de langue hébraïque.

Les arabes chrétiens palestiniens citoyens de l’État d’Israël jouent un rôle important dans la minorité arabe. Les chrétiens ont souvent un haut niveau d’éducation et occupent des postes professionnels importants comme médecins, travailleurs sociaux, avocats, ingénieurs, universitaires ou gens d’affaires. Les meilleures écoles arabes, dans l’État d’Israël, sont des écoles chrétiennes; quelques-unes d’entre elles sont les meilleures de tout le pays. Une grande partie de la production locale dans la presse, le théâtre ou la littérature est l’œuvre de chrétiens. Un écrivain arabe palestinien chrétien, Anton Shammas originaire de Fassouta, un village entièrement grec catholique, a été considéré comme un des principaux auteurs de langue hébraïque après la publication, en 1986, de sa nouvelle Arabesques. Les chrétiens jouent également un rôle de premier plan dans des organisations qui combattent la discrimination et qui militent pour les droits humains. Actuellement, un des juges de la Cour suprême est un chrétien, Salim Joubran. Plusieurs parlementaires chrétiens ont siégé à la Knesset israélienne, la plupart comme membres du Parti communiste et d’autres partis arabes, y compris deux qui sont actuellement députés à la Knesset, Basel Ghattas (Balad) et Aida Touma-Suleiman (Liste arabe unie).

En mars 2014, la Commission justice et paix de l’Assemblée des ordinaires catholiques de Terre sainte a publié une déclaration sur les tentatives répétées que font les  autorités israéliennes pour couper les chrétiens de leurs racines arabes palestiniennes. La déclaration affirme : « Nous, chefs de l’Église catholique en Israël, nous tenons à préciser que ce n’est ni le droit ni le devoir des autorités civiles israéliennes de nous dire qui nous sommes. En réalité, la plupart de nos fidèles en Israël sont arabes palestiniens. Ils sont évidemment chrétiens aussi. Ils sont aussi citoyens de l’État d’Israël. Nous ne voyons pas de contradiction dans cette identité ainsi définie : arabes chrétiens palestiniens et également citoyens de l’État d’Israël. (…) Si la Knesset travaille au bien des citoyens d’Israël, elle se doit de fournir tous les efforts nécessaires pour adopter des lois qui mettent fin aux discriminations, qu’elles soient à l’encontre des juifs, des arabes, des chrétiens, des musulmans ou des druzes. La création d’une société qui unit tous les citoyens dans l’égalité et qui s’efforce d’œuvrer pour la justice et la paix, ne laissera plus de place à la peur pour personne. Israéliens et palestiniens, chrétiens, musulmans et druzes, peuvent vivre ensemble dans le respect mutuel et la dignité, et travailler ensemble à la construction d’un avenir meilleur. »

Émigration et immigration : les « nouveaux chrétiens » en Israël

À côté de l’émigration de chrétiens arabes palestiniens quittant leur patrie, il y a eu une forte immigration de chrétiens non arabes qui se sont établis en Israël au milieu de la population juive de langue hébraïque. Ces chrétiens non arabes ont provoqué l’éclosion de communautés chrétiennes et d’églises plutôt précaires dans des endroits où l’Église n’était pas encore présente, au cœur même de villes et de cités juives. Aujourd’hui, le Sud de Tel-Aviv abrite une des populations chrétiennes les plus nombreuses d’Israël : des dizaines de milliers de chrétiens, appartenant à une pléthore d’Églises orthodoxes, orientales, catholiques, protestantes, évangéliques, pentecôtistes, messianiques, ainsi qu’à une variété de sectes. Cette population, dont les origines sont diverses, introduit de nouvelles formes du christianisme dans l’État d’Israël.

Des chrétiens membres de familles juives et des chrétiens se réclamant d’ancêtres juifs ont émigré en Israël depuis 1948. Comme ils bénéficient d’un grand nombre des privilèges qu’on octroie à leurs compatriotes juifs, ils s’identifient principalement comme juifs. Parmi les exemples les plus connus de chrétiens d’origine juive qui ont cherché à immigrer en Israël, rappelons le cas d’un polonais, le prêtre carmélite catholique romain Osvald Daniel Rufeisen, dont la demande d’être reconnu comme juif en Israël en 1959 a défrayé les manchettes, et celui d’un prêtre dominicain catholique romain, Bruno Hussar, qui a fondé le village coopératif judéo-arabe de Newe Shalom. Le cas du « Frère Daniel » a attiré l’attention sur cette nouvelle population de chrétiens. Les structures qui ont été mises en place pour répondre à leurs besoins a fait de l’hébreu la langue d’une population chrétienne pour la première fois dans l’histoire de l’Église. Les catholiques ont mis sur pied « L’Œuvre Saint-Jacques » (qui devint un vicariat en 1990), qui a constamment soutenu la possibilité d’être un catholique israélien hébréophone intégré à la population juive.   

Aujourd’hui, après les vagues d’immigration massives en provenance des pays de l’ex-Union Soviétique (environ un million de personnes entre 1990 et 2005), les chrétiens non-arabes d’Israël représentent environ le quart des citoyens chrétiens (entre 30 000 et 40 000). Cela équivaut à environ 10% des immigrants de l’ex-Union Soviétique que l’État définit comme non-juifs. Subissant des pressions pour s’assimiler à la population juive, certains cachent leur identité chrétienne, adoptent des coutumes juives et, dans certains cas, se convertissent au judaïsme. Ce processus d’assimilation réussit encore mieux avec les enfants de ces immigrants qui sont scolarisés dans le système public séculier juif israélien, sans pratiquement aucune exposition à la foi chrétienne et aux traditions de leurs parents. L’État promeut la conversion au judaïsme pour ceux qui sont perçus comme ayant une ascendance juive; c’est particulièrement dans l’armée israélienne, ou les jeunes sont encouragés à joindre le « courant dominant » en devenant formellement juifs. L’Institut pour les études juives, qui a commencé ses activités en 1999, visait à convertir des milliers de Russes non-juifs à chaque année; parallèlement à cela, l’armée israélienne a aussi ses propres cours pour les soldats non-juifs. 

Des dizaines de milliers de travailleurs migrants et de demandeurs d’asile chrétiens, provenant pour la plupart d’Asie et d’Afrique, ont gonflé le nombre des chrétiens en Israël. Au début des années 1990, un flot de travailleurs migrants africains et asiatiques sont arrivés en Israël pour remplacer les travailleurs arabes à bon marché de moins en moins nombreux à mesure que les autorités empêchaient les Palestiniens des Territoires occupés d’entrer en Israël. Une société israélienne de plus en plus fortunée a aussi commencé à faire venir des dizaines de milliers d’aidants pour les personnes âgées, les handicapés et les malades. Même si beaucoup de travailleurs migrants ne demeuraient en Israël que pour un temps limité, retournant dans leurs pays d’origine à l’expiration de leur permis ou lorsqu’ils étaient déportés, quelques-uns de ces migrants ont établi leurs familles en Israël. Les enfants des familles de migrants ont été intégrés au système scolaire public, devenant des locuteurs de l’hébreu et s’identifiant largement à leur pays d’adoption. L’arrivée des enfants et leur scolarisation a favorisé des séjours plus longs pour leurs parents et certaines familles de migrant se sont vu octroyer la résidence permanente au cours des dernières années.

Après 2007, quand l’Europe a fermé des frontières Sud aux Africains fuyant la guerre et la famine en passant par l’Afrique du Nord, un nombre croissant de demandeurs d’asile vinrent en Israël via l’Égypte, en se frayant un chemin à travers la frontière du Sinaï. La première vague provenait principalement du Soudan du Sud et du Darfour. Ils ont été rapidement suivis par de nombreux Érythréens. Israël ne pouvait pas déporter ces populations vers leurs pays d’origine à cause des conventions internationales, mais refusa de traiter les individus qui arrivaient dans le pays comme des réfugiés, leur offrant plutôt une protection comme groupe, qu’ils pouvaient leur retirer quand les autorités estimaient cela approprié. La protection de groupe a été retirée, par exemple, quand le Soudan du Sud a proclamé son indépendance et que des milliers de chrétiens soudanais ont été renvoyés dans un pays qui était encore aux prises avec la violence et la famine. Israël a tenté de plus en plus de décourager les Érythréens et autres demandeurs d’asile africains de venir dans le pays en mettant sur pied des établissements similaires à des prisons pour ceux qui arrivaient et en fortifiant la frontière avec l’Égypte. En même temps, ceux qui étaient déjà en Israël subissaient des pressions pour quitter, un départ facilité par la signature de documents de déportation volontaire. Néanmoins les enfants qui naissent de ces demandeurs d’asile sont intégrés au système scolaire juif israélien de langue hébraïque, ce qui facilite une intégration partielle de leur famille également.

Les nouvelles populations chrétiennes constituent un dilemme pour un État qui se définit comme juif. Tandis que les arabes chrétiens sont clairement distincts de l’ensemble de la population juive parce qu’ils vivent généralement dans un milieu arabophone, séparé géographiquement et institutionnellement du milieu hébréophone, plusieurs des nouveaux chrétiens vivent au cœur même de la société juive. Les nouveaux citoyens israéliens chrétiens (originaires principalement de l’ex-Union Soviétique et d’Europe de l’Est), ne revendiquent rien de l’État sur le plan politique, mais aspirent à une intégration sociale complète. Leurs enfants sont scolarisés avec les enfants juifs, ils font leur service militaire et marient des juifs. Quelques modestes signes de reconnaissance de cette présence chrétienne se manifestent. Par exemple, depuis 1996, les soldats chrétiens intégrés à l’armée peuvent prêter leur serment de loyauté sur un exemplaire du Nouveau Testament. Le défi pour ces chrétiens est de transmettre leur foi à leurs enfants au milieu d’une société fortement sécularisée et massivement juive. Les chrétiens qui n’ont pas la citoyenneté israélienne, soit les travailleurs migrants et les demandeurs d’asile, font face aux énormes défis que représentent des conditions de vie précaires, l’exploitation sur le marché du travail, l’absence de couverture sociale et médicale et un racisme croissant (particulièrement à l’égard des Africains). Mais ici aussi, la génération née en Israël de ces travailleurs migrants et de ces demandeurs d’asile est attirée par la dynamique culture séculière israélienne et ne continue que rarement à fréquenter les communautés chrétiennes et les églises où leurs parents se sentent chez eux.

Ces nouvelles populations chrétiennes ont aussi conduit à l’établissement de nouvelles communautés, principalement évangéliques et pentecôtistes, et à de nouvelles formes de communautés de foi africaines, asiatiques et latino-américaines. Plusieurs d’entre elles sont charismatiques et sont dirigées par des pasteurs individuels qui louent des locaux dans le voisinage des endroits où vivent les migrants. Des dizaines d’églises sont installées dans des boutiques, des ateliers ou des abris contre les bombes dans Tel-Aviv Sud, où se trouve une forte concentration de migrants. Des missionnaires étrangers évangéliques et pentecôtistes ont également mis sur pied des organisations locales en Israël non seulement pour rassembler les nouveaux chrétiens, mais encore pour attirer des juifs et des musulmans, de même que des chrétiens arabophones. Les évangéliques et les pentecôtistes supportent aussi assez largement le sionisme chrétien et des organisations comme l’Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem et Ponts pour la paix font du lobbying et des campagnes de financement en faveur d’Israël. L’Association internationale des chrétiens et des juifs, fondée par le très sioniste rabbin Yehiel Eckstein, encourage le dialogue et la réconciliation entre juifs et chrétiens basés sur un support indéfectible à l’État d’Israël parmi les évangéliques et les pentecôtistes.

Il existe dans la société israélienne une méfiance à l’endroit du christianisme et des chrétiens; elle se fonde sur des arguments théologiques (« le christianisme est idolâtre »), des blessures héritées de l’histoire (« les chrétiens ont maltraité les juifs »), et de l’animosité idéologique (« les chrétiens sont du côté des Palestiniens dans le conflit israélo-palestinien »). Cela a produit un discours et une pratique de mépris dans certains cercles juifs en Israël, se traduisant parfois en manifestations d’un sentiment antichrétien dans certains milieux : on crache sur ces membres du clergé portant leur costume traditionnel, on trace des slogans antichrétiens sur les murs d’églises ou d’institutions, on abîme des propriétés, on se moque de la foi chrétienne dans les médias. Les groupes les plus à risque d’être victimes de ce sentiment antichrétien sont ceux de « juifs messianiques », dont beaucoup sont de nouveaux arrivants en Israël, qui croient en Jésus Christ, mais insistent sur leur appartenance au peuple juif. Ils ont été la cible d’attaques, en paroles et en actes, par des organisations religieuses juives qui s’opposent à la « mission » chrétienne et qui promeuvent un discours et des politiques antichrétiennes. 

Même si certains éléments de la société israélienne travaillent fermement pour éduquer les juifs à propos du christianisme, de la minorité chrétienne en Israël et de la nécessité du dialogue, il reste encore beaucoup à faire pour que la majorité juive accepte les chrétiens et tous les autres non juifs comme une partie intégrale de la société israélienne.

Institutions, service et relations intercommunautaires

En Israël, les chrétiens vivent comme une mosaïque de groupes diversifiés, submergés par des mondes qui sont musulman (dans la société arabe en Israël) et juif (la société israélienne majoritaire). Les relations avec les musulmans et les juifs ne sont pas marginales mais sont essentielles pour la survie et le bien-être de ces communautés. Les deux majorités, cependant, ne sont pas toujours sensibles à la présence chrétienne. En réaction à cela, les chrétiens adoptent une variété de stratégies :

l’assimilation : certains chrétiens cherchent à résoudre la tension que cause leur appartenance à une minorité en cherchant à s’assimiler à la majorité musulmane ou juive. Même si la conversion à l’islam ou au judaïsme est rare, quelques-uns adoptent des comportements qui camouflent leur identité chrétienne et soulignent l’appartenance aux majorités dominantes.

le dialogue: le leadership traditionnel chrétien et une partie des laïcs s’efforcent d’établir avec la majorité, aussi bien musulmane que juive, un dialogue qui se concentre sur la nécessité d’un discours de respect, d’égalité des droits, de valeurs communes et, surtout, de citoyenneté partagée. 

le retrait : bien des chrétiens, devant la marginalisation et la discrimination, préfèrent se retirer de l’espace public et créer des environnements fermés où les chrétiens peuvent se sentir à l’aise. Les tendances dans le logement et la scolarisation, au cours des dernières décennies, a été d’inscrire la plupart des enfants chrétiens dans des écoles chrétiennes privées plutôt que dans les écoles gouvernementales et de créer des projets domiciliaires où les chrétiens vivent à l’écart de leurs voisins non chrétiens.

l’émigration : devant les défis d’être un arabe et/ou un chrétien en Israël, plusieurs chrétiens choisissent de chercher un avenir meilleur pour eux-mêmes et pour leurs enfants dans d’autres pays, habituellement là où les chrétiens sont la majorité.

Malgré le petit nombre de chrétiens en Israël, la présence chrétienne institutionnelle est très significative dans des domaines où l’Église a été traditionnellement présente, surtout dans le secteur arabe. Cette présence institutionnelle s’est développée au cours des siècles et particulièrement depuis le 19e siècle; elle se concrétise dans des écoles, des hôpitaux, des orphelinats, des hébergements pour les handicapés et les personnes âgées où l’on prend soin des chrétiens et d’un nombre grandissant de non chrétiens. La plupart de ces institutions ont été établies par des chrétiens étrangers, particulièrement par des ordres religieux et des congrégations religieuses catholiques. Aujourd’hui ces institutions donnent de la visibilité à la communauté chrétienne, malgré sa petite taille, dans des endroits comme Jaffa, Ramaleh, Nazareth, Haïfa et de nombre de villes et de villages en Galilée. Les établissements d’éducations, les centres médicaux et les organismes de bienfaisance constituent d’importants espaces où le discours et les valeurs chrétiennes peuvent être promus dans l’ensemble de la société. La présence institutionnelle chrétienne en Israël manifeste l’importante réalité d’une Église au service de tous, et particulièrement des plus nécessiteux. La plupart de ces institutions sont situées dans des secteurs arabophones; c’est pourquoi, au-delà de la communauté chrétienne, elles rejoignent surtout les musulmans.

La promotion continue des institutions chrétiennes au service de la population tout entière doit aller de pair avec le développement d’un discours chrétien adéquat au sujet du monde dans lequel vivent les chrétiens. C’est ce discours qui doit aussi caractériser les chrétiens comme une voix pour la justice, la paix, le pardon, la réconciliation et l’amour désintéressé. La présence chrétienne en Israël n’est pas et ne sera pas mesurée par son importance statistique, mais plutôt par la pertinence de sa contribution à la société, particulièrement par les services qu’elle rend dans les domaines de l’éducation, de la santé et des secours humanitaires, et par son langage d’amour.

Quel avenir pour les chrétiens en Israël?

En Israël, la discrimination continue envers les chrétiens et leur marginalisation affaiblissent des communautés déjà fragiles qui jouent un rôle très positif dans la vie du pays. Cependant les chrétiens, peut-être davantage que tous les autres résidants actuels d’Israël, sont menacés principalement par l’état de guerre constant entre Israël et les Palestiniens. L’occupation de terres palestiniennes, la discrimination envers les citoyens arabes d’Israël, la violence dans la région et l’agitation sociopolitique sont tous des éléments qui menacent l’avenir des chrétiens aussi bien que celui des autres.

Des prophètes de malheur prédisent que les chrétiens sont en voie de disparition en Israël et partout en Terre sainte, et qu’il pourrait bien un jour ne rester aucun chrétien dans la région. Des arabes chrétiens éduqués quittent en effet leur patrie et ceux qui restent ont moins d’enfants. Cependant de nouvelles communautés chrétiennes se forment, même si elles sont fragiles. Les chrétiens sont appelés à envisager l’avenir avec espoir et à relever activement les défis du présent :

– L’éducation chrétienne doit approfondir le sens de l’appartenance à la terre et la vocation particulière d’être chrétien dans la Terre devenue sainte par l’histoire du salut.

– Les chrétiens doivent se confronter à la tentation d’émigrer en focalisant leur attention sur cette vocation chrétienne, en même temps qu’ils doivent maintenir des liens avec les chrétiens de la diaspora pour obtenir des appuis pour ceux qui restent.

– Les chrétiens doivent s’unir de plus en plus, non seulement au-delà des divisions des identités confessionnelles, mais aussi des frontières sociopolitiques provenant de la diversité des origines et des contextes sociopolitiques. Ces chrétiens arabes palestiniens doivent accueillir les nouveaux chrétiens parmi eux comme des membres égaux de l’Église et les nouveaux chrétiens doivent apprendre à connaître leurs frères et sœurs palestiniens et à en devenir solidaires.

– Les chrétiens doivent prendre part à la société civile, pour y apporter un discours qui  focalise sur des valeurs comme la justice, la paix, le pardon et la réconciliation, et pour y réclamer également qu’on y renforce des liens d’appartenance sociale dont la base soit la citoyenneté plutôt que l’identité religieuse, confessionnelle ou ethnique.

– Les chrétiens doivent s’identifier avec ceux des musulmans et des juifs qui sont des alliés dans le combat pour l’avènement, aussi bien en Palestine qu’en Israël, d’une société dont les fondements sont la liberté, l’égalité, la dignité et le respect des droits humains.

– Les chrétiens d’Israël doivent jouer un plus grand rôle dans le dialogue entre chrétiens et juifs qui se développe actuellement. Ce dialogue constitue l’une des révolutions les plus spectaculaires du 20e siècle : il fait des chrétiens et des juifs des partenaires et des alliés sur plusieurs questions, après des siècles de suspicion et d’hostilité. Les chrétiens d’Israël sont dans la situation unique d’être la seule minorité chrétienne dans un État où les juifs sont la majorité.

Remarques de l’éditeur

David NEUHAUS est né à Johannesburg (Afrique du Sud) en 1962, il a fait sa profession religieuse dans la Compagnie de Jésus (jésuites) en 1994 et a été ordonné prêtre en 2000. Il a été nommé Vicaire patriarcal pour les catholiques d’expression hébraïque par le Patriarche latin de Jérusalem, S.B. Fouad Twal, le 15 mars 2009. Il a publié récemment Je vous écris de la Terre sainte (Montrouge, Bayard, 2017)
Source : Patriarcat latin de Jérusalem : http://en.lpj.org/2016/12/22/who-are-the-christians-in-israel-today/. Traduit de l’anglais par Jean DUHAIME.