Quelle est au juste la position de l’Église catholique à l’égard des Juifs?

Leigh Lerner est le rabbin sénior du Temple Emanu-El-beth Sholom (Westmont Qc, Canada) et président du Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal. Cette lettre a été adressée à titre personnel au cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal à propos de la récente révison de la prière Pro Conversione Iudaeorum de la liturgie du Vendredi saint du missel latin de 1962

Quelle est au juste la position de l’Église catholique à l’égard des Juifs?

Rabbin Leigh Lerner

Leigh Lerner est le rabbin sénior du Temple Emanu-El-beth Sholom (Westmont Qc, Canada) et président du Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal. Cette lettre a été adressée à titre personnel au cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal à propos de la récente révison de la prière Pro Conversione Iudaeorum de la liturgie du Vendredi saint du missel latin de 19621.

 

Montréal, le 20 mars 2008

 Cardinal Jean-Claude Turcotte,

Archidiocèse de Montréal

2000, rue Sherbrooke Ouest,

Montréal Qc, H3H 1G4

 Éminence,

À titre de rabbin et de responsable d’une congrégation historique de Montréal, je tiens à exprimer ma consternation devant l’autorisation donnée par l’Église catholique romaine d’utiliser, pour la liturgie du Vendredi saint, la prière intitulée Pro Conversione Iudaeorum du Missel latin de 1962. La version révisée de cette prière me déconcerte également. Voici les éléments qui me préoccupent :

  1. La prière latine ne correspond pas à ce que disent les catholiques dans l’ensemble des autres langues, le Vendredi saint. Elle crée une division théologique entre la liturgie latine et les autres, une division qui nous force à nous demander, nous qui sommes à l’extérieur de l’Église catholique romaine, quelle est au juste la position de l’Église à l’égard des Juifs. J’imagine, par conséquent, que les personnes qui se trouvent à l’intérieur de l’Église et qui prennent conscience de cette division auront peut-être du mal à saisir, elles aussi, la théologie de l’Église concernant les Juifs.

  2. Pro Conversione Iudaeorum ne semble concorder ni avec les affirmations ou l’esprit de Vatican II, de Nostra Aetate, ni avec les paroles et les attitudes de l’Église catholique romaine envers les Juifs depuis la promulgation de Nostra Aetate. Allons-nous faire abstraction des progrès réalisés depuis plus de quarante ans dans les relations entre catholiques et Juifs?

  3. Si la prière en latin se veut eschatologique, elle enseigne néanmoins quelque chose pour le présent : elle signifie que les Juifs, aux yeux de l’Église, forment un groupe qui n’est pas sauvé et qui risque d’être l’objet d’un « enseignement du mépris » dans le temps présent.

  4. Elle semble également indiquer que l’alliance avec Abraham et l’alliance du Sinaï ont, de fait, été supplantées et que ce petit peuple d’Israël – le peuple de Jésus de Nazareth – mérite la condamnation divine, à moins que, par quelque moyen, Dieu soit amené à lui faire miséricorde. L’attente du jour « où tous les peuples invoqueront le Seigneur d"une seule voix », pour reprendre l’expression de Nostra Aetate (n. 4), n’exclut pas les alliances antérieures conclues par Dieu avec les juifs, comme semble le faire l’intercession Pro Conversione Iudaeorum. La prière latine est susceptible d’aider et de conforter les personnes dont l’attitude envers le judaïsme pourrait être qualifiée de « triomphaliste ».

  5. Le simple fait d’avoir une prière intitulée Pro Conversione Iudaeorum caractérise les Juifs, dans l’esprit des fidèles, comme un peuple qui a spécialement besoin de salut, plus que les autres. Il y a là encore le germe d’un enseignement du mépris. Si l’espérance eschatologique exprimée par cette prière était vraiment englobante, et portait sur le fait que le monde entier en viennne à servir Dieu d’une certaine manière, elle n’isolerait pas un groupe spécifique, les Juifs, en attirant particulièrement l’attention sur lui.

Je sais que certaines voix s’élèvent au sein de l’Église catholique pour s’opposer à cette intercession du Missel latin. J’espère que vous vous joindrez à ces protestataires, et exprimerez les questions difficiles que soulève cette prière latine. Je vous prie de faire savoir aux dirigeants du Vatican que l’intercession Pro Conversione Iudaeorum pose des problèmes sérieux aux yeux du peuple juif, comme aux yeux de nombreux catholiques.

Je vous remercie de l’attention positive que vous portez constamment aux relations entre les catholiques et les Juifs et vous prie d’agréer, Éminence, l’expression de ma plus haute considération.

Rabbin Leigh Lerner

Notes
  1. Voir à ce sujet Jean Duhaime, “La révision de la prière du Vendredi saint et le dialogue entre Juifs et chrétiens”. Traduction Pierrot Lambert et Jean Duhai