Protestants et Juifs en France et en Allemagne depuis le début du XXème siècle

Dans son édition de janvier 2007, la revue Sens, publiée par l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, présente une étude de Matthieu Arnold, professeur à la Faculté de Théologie protestante de l’Université March Bloch (Strasbourg), sur les relations entre Protestants et Juifs en France et en Allemagne depuis la Shoah jusqu’aux déclarations de repentir du début du XXIème siècle.

Protestants et Juifs en France et en Allemagne depuis le début du XXème siècle

Une étude de Matthieu Arnold

 

Dans son édition de janvier 2007, la revue Sens, publiée par l’Amitié Judéo-Chrétienne de France1, présente une étude de Matthieu Arnold, professeur à la Faculté de Théologie protestante de l’Université March Bloch (Strasbourg), sur les relations entre Protestants et Juifs en France et en Allemagne depuis la Shoah jusqu’aux déclarations de repentir du début du XXIème siècle.2 (Résumé par Clémentine Woille et Jean Duhaime pour JCRelations.net).

 

Dans cette version remaniée d’une conférence donnée en mai 2006 à une groupe de rencontre entre Juifs et Chrétiens à Colmar, Matthieu Arnold se propose de saisir l’occasion offerte par la célébraton du 40ème anniversaire de la Déclaration catholique Nostra Aetate (1965) pour proposer une rétrospective des relations relations entre Juifs et Protestants, de la Shoah à nos jours. Il restitue les principales tendances de la théologie protestante des Eglises de France et d’Allemagne dans leur contexte historique de manière à en faire mieux voir les transformations.

I. Du début du XXème siècle à l’avènement de Hitler

Avant d’aborder les événements de la Seconde Guerre mondiale, Arnold examine brièvement les décennies antérieures. Au début du XXème siècle, les préjugés antijuifs étaient très répandus en Allemagne, comme en témoigne l’influent ouvrage L’Essence du christianisme (1900) d’Adolph Harnack, qui «égrène […] les contrastes qu’il croit percevoir entre Jésus et les milieux dirigeants du peuple juif». Cependant d’autres théologiens (Guillaume Baldensperger, Albert Schweitzer) se sont opposés à ce type de présentation qui attribue au Judaïsme «une valeur religieuse moindre».

Selon la recherche récente, l’attitude hostile aux Juifs aurait eu en fait deux racines distinctes: 1) «un antisémitisme raciste» d’inspiration néo-païenne qui remonte au XIXème siècle et qui fonda directement la politique d’extermination nazie; 2) «un antijudaïsme séculaire» qui contribua indirectement à la Shoah en rendant «la majorité des Allemands insensibles au sort de leurs concitoyens juifs». Les Juifs allemands, estime Arnold, «ont été les victimes de la haine d’une minorité, très déterminée, et de l’indifférence […] de la majorité».

En France, les Protestants ont manifesté plus de sensibilité envers les Juifs, minoritaires comme eux. Ils ont généralement pris parti pour Dreyfus. Arnold souligne également que la revue Foi et Vie a dénoncé dès 1921 la parution d’une édition française des Protocoles des sages de Sion comme une «invention […], un des fruits empoisonnés de l’antisémitisme».

II. Sous le IIIème Reich

En Allemagne, ce sont principalement des Chrétiens, appuyés par leur communautés locales, plutôt que des Églises, qui ont protesté contre la persécution des Juifs, en particulier lors du pogrom de la «Nuit de cristal» (nov. 1938), souvent au péril de leur vie. La décision de tuer Hitler, chez un certain nombre de conjurés du 20 juillet 1944 mus par des motifs religieux, aurait été renforcée par leur connaissance de la Shoah.

En France, dès 1933, le Protestantisme a dénoncé l"antisémitisme de la nouvelle Allemagne nazie. Le pasteur Wilfred Monod et le président de la Fédération protestante de France, Marc Boegner ont affirmé tour à tour leur solidarité avec les Juifs. La même année, le pasteur Freddy Durrleman prononçait à Radio-Paris un «Plaidoyer pour Israël». En 1938, après la «Nuit de cristal», le Conseil de la Fédération protestante a condamné les pogroms. En juin 1940, la Cimade (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués), fut créée pour intervenir dans les camps français où étaient détenus des juifs étrangers. En septembre 1941, plusieurs théologiens protestants diffusèrent des thèses dans lesquelles ils affirment que «l’Église reconnaît en Israël le peuple que Dieu a élu pour donner un Sauveur au monde et pour être, au milieu des nations, un témoin permanent de sa fidélité». Des Protestants français ont contribué également au sauvetage de nombreux Juifs.

III. Au lendemain de la guerre

Après la guerre, les Protestants allemands reconnurent leur part de culpabilité dans «la souffrance indicible infligée à de nombreux peuples et pays» (Déclaration de 1945 du Conseil de l’Église protestante d’Allemagne), sans mentionner spécifiquement les Juifs. Ce geste leur permit néanmoins de réintégrer le mouvement œcuménique et ouvrit la voie à une réflexion sur leur responsabilité dans la Shoah.

En 1947, des pasteurs protestants participèrent à la conférence de Seelisberg, aux côtés de rabbins, de prêtres et de laïcs de diverses confessions. La «Charte de Seelisberg» élaborée à cette occasion invitait à «la mise en œuvre d’une pédagogie de l’estime, destinée à succéder à l’enseignement du mépris» à l’égard des juifs. L’Amitié judéo-chrétienne de France fut fondée en 1948 et compta plusieurs protestants parmi ses premiers membres. La même année, 351 délégués du Conseil Oecuménique des Églises réunis à Amsterdam déclaraient que «l’antisémitisme est un péché à la fois contre Dieu et contre l’homme» et qu’il devait être dénoncé.

IV. Les relations depuis la fondation de l’État d’Israël

La création de l’État d"Israël (1948) introduisit un élément politique dans l’attitude des chrétiens envers les Juifs. Après la Guerre des Six Jours (1967), l’opinion protestante française fut divisée : une partie des Protestants considérèrent les Palestiniens comme victime de la violence d’État israélienne et ils épousèrent leur cause.

En 1973, la commémoration du 500ème anniversaire de la naissance de Luther donna l’occasion d’évaluer et de rejeter les perspectives antisémites du réformateur. Quelques documents récents ont permis de préciser la position protestante: L’Église et le peuple juif (1981), La charte oecuménique de Strasbourg (2001) et surtout la déclaration L’Église et Israël de la Communion ecclésiale de Leuenberg (2002), qui préconise le rejet de toute forme de prosélytisme chrétien à l’égard des Juifs.

De nos jours, constate Arnold, la question de l’État d’Israël, continue de créer des difficultés dans les rapports entre Juifs et Protestants et «a beaucoup de mal à être abordée de manière non émotionnelle, rationnelle et raisonnable». Il estime qu’il faut à tout prix «distinguer les choses et refuser de parasiter les débats théologiques avec les questions d’actualité».

L’auteur attire finalement l’attention sur la déclaraton œcuménique des présidents du Conseil d’Églises chrétiennes en France (dont fait partie la Fédération protestante de France) à l’occasion du 60ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz Bireknau (2005), qui demandent «à toutes les Églises de ne jamais se relâcher pour dénoncer toute forme d’antisémitisme […] quelles que soient ses origines».

Conclusion

Arnold conclut cette rétospective en soulignant que les déclaration récentes montrent «que l’antijudaïsme théologique, séculaire, n’a plus droit de cité dans les grandes Églises protestantes».

 

  1. Site internet de l’AJCF: http://www.ajcf.fr/
  2. Matthieu Arnold, «Protestants et Juifs depuis la Shoah jusqu’aux déclarations de repentance du XXIème siècle (France, Allemagne)», Sens 1-2007 p.19- 39.