Pierre et Gamaliel, des croyants modèles

La liturgie catholique romaine du 3e Dimanche de Pâques (année C) propose, à travers la lecture des Actes des Apôtres et celle de l’Évangile de Jean les témoignages de deux croyants modèles, l’apôtre Pierre et le pharisien Gamaliel.

Pierre et Gamaliel, des croyants modèles

Jean-Claude Breton

La liturgie catholique romaine du 3e Dimanche de Pâques (année C) propose, à travers la lecture des Actes des Apôtres et celle de l’Évangile de Jean les témoignages de deux croyants modèles, l’apôtre Pierre et le pharisien Gamaliel. Selon l’Évangile de Jean (21,1-19), Pierre, qui avait renié Jésus trois fois, proclame à trois reprises son attachement au ressuscité apparu à ses disciples. Appelé à comparaître devant le grand conseil (Actes 5,27-41), il justifie son engagement par le devoir d’ « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Suite à sa déposition, le pharisien Gamaliel, « docteur de la Loi honoré de tout le peuple » donne ce conseil à ses pairs : « Ne vous occupez pas de ces gens-là, laissez-les. Car si leur intention ou leur action vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » Dans cette homélie prononcée à la Communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand (Montréal) le 22 avril 2007, Jean-Claude Breton o.p. montre le parallèle entre les démarches de foi de Pierre et de Gamaliel. Il en tire une invitation à s’ouvrir aux croyantes et croyants qui « cherchent Dieu autrement et à leur manière ».

Plus que Nicodème, plus que Joseph d’Arimathie, Gamaliel est probablement le personnage de la communauté juive, et qui a décidé d’y demeurer même après la mission de Jésus, qui a toujours le plus retenu mon attention et mon appréciation. La sagesse dont il fait preuve lors de la comparution de Pierre et ses compagnons m’a toujours impressionné. Imaginez la situation. On amène devant les responsables de la communauté des adeptes d’une nouvelle secte qui continuent de vanter les qualités de leur maître malgré les avertissements et interdits qu’on leur a fournis. Comme on dit parfois ailleurs, le temps était venu de mettre le pied à terre et d’arrêter ce mouvement qui risquait de contaminer toute la communauté. Si on laissait faire les disciples de Jésus, on risquait de se retrouver rapidement avec des personnes qui se diraient juives sans pour autant satisfaire aux exigences et aux normes de la religion. Ça n’avait pas de bon sens et il était temps de mettre un terme à ces dérives.

Gamaliel aurait eu beau jeu de jouer la carte de l’opinion populaire, d’autant que cette opinion inquiète était prête à n’importe quelle décision susceptible d’apporter un peu de réconfort et d’assurance. Au lieu de cela, ce sage va proposer d’attendre. Mais ce n’est pas l’attentisme qui fait de lui un sage; ce sont les raisons qu’il met de l’avant. D’une clarté remarquable, ces arguments pourraient presque paraître simplistes, si on ne voyait qu’il était bien impossible de penser à les remplacer par une solution plus «songée». Répétons encore une fois le cœur de cet argumentaire pour le plaisir d’entendre ces propos de sagesse. Gamaliel rappelle l’alternative qui s’offre aux autorités juives. Ou bien on condamne cette nouvelle secte et si elle est bien de Dieu la condamnation n’entraînera aucun effet, ou bien on la laisse aller, et si elle n’est pas de Dieu, elle va finir par disparaître naturellement. Un argument religieux, presque évangélique, servi à des autorités  religieuses et qui emporte le morceau. On ne voit pas cela tous les jours et il fallait bien en souligner l’originalité. Cela vaut bien l’histoire de pêche rapportée dans l’évangile du jour.

Troisième manifestation de Jésus après son retour d’entre les morts, le modèle commence à être connu. Les disciples sont concentrés sur leur occupation et commencent à trouver moins drôle d’avoir perdu la nuit à pêcher sans succès. Un homme arrive qui leur dit de jeter leur filet à droite de la barque. Comme s’ils avaient passé la nuit à pêcher du côté gauche, ils obéissent au cas où, et la suite s’enchaîne comme dans les autres récits d’apparition. Jésus est finalement reconnu et il va partager avec eux le pain à la fois pour bien signifier son retour à la vie et pour refaire le geste de la cène, qu’il les a déjà invités à reprendre en mémoire de lui. Cette pêche n’aurait rien de remarquable si elle n’était pas suivie par l’entretien entre Jésus et Pierre. Pour corriger la triple trahison de Pierre au moment du procès de Jésus, voici que ce dernier va amener Pierre a confessé trois fois son attachement à Jésus. Peut-être moins préoccupé de mathématiques que nos ancêtres dans la foi, je suis plus sensible au but de cette confession qu’à sa triple répétition.

Jésus en effet n’impose pas à Pierre de répéter trois fois son attachement à son maître pour le seul plaisir de le faire souffrir, mais pour le préparer à sa mission. «Pais mes brebis». C’est en vue de cette tâche que Jésus veut s’assurer que Pierre a bien compris son erreur et qu’il est prêt maintenant à se tenir debout contre vents et marées. Et ç’a marché comme l’illustre la comparution devant les autorités religieuses où Pierre va être sauvé par Gamaliel.

On ne sait pas combien de temps il aura fallu à Pierre pour passer de l’esprit de trahison à celui de la confession inconditionnelle. Quelques semaines, quelques mois ou quelques années, ce n’est pas ce qui est important. Ce qui doit retenir notre attention, c’est que Pierre a progressé, qu’il a consenti aux temps de réflexion et aux efforts, qu’il a répondu aux appels inscrits dans sa relation avec Jésus, et qu’il est parvenu à une conviction indéfectible. «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes». Une belle phrase que le juif Pierre avait dû apprendre dès son enfance, mais qu’il devient capable de citer au moment opportun et devant les autorités qui ont le pouvoir de l’emprisonner. Pierre ne sera pas le dernier à suivre ce chemin, mais il inaugure ici la voie royale du témoignage qui pourrait mener au martyre même. Pierre a compris, après le temps qui lui a été nécessaire, que sa foi en Dieu ne peut pas s’accommoder de négociations ni d’arrangements.

Et voilà que nous nous retrouvons avec l’exemple de deux grands croyants. Par des chemins différents et en fonction de buts apparemment opposés, Gamaliel et Pierre offrent l’exemple presque identique de ce que signifie prendre Dieu au sérieux, dans sa vie et surtout dans ses propos religieux. Les enjeux sont de taille. Pour Pierre, son témoignage pourrait le mener au martyre et ce sera finalement le cas plus tard. Pour Gamaliel, sa fidélité à la tradition et son intégrité à l’égard de la communauté juive pourront être remises en question en raison de son plaidoyer pour la nouvelle secte. On pourrait se demander en passant ce qui lui aura rapporté éventuellement le fait d’être cité dans les écrits de cette nouvelle secte, un peu comme si un théologien connu devenait une référence choisie par les disciples de Raël! Mais rien n’y fait. Ni l’un ni l’autre n’hésitent à affirmer ce que leur foi, ce que leur expérience de Dieu leur dicte. Et la conviction de l’un ressemble énormément à la sagesse de l’autre, même s’ils se trouvent du côté opposé de la barrière. Le chrétien Pierre et le juif Gamaliel se ressemblent comme deux gouttes d’eau dans leur geste de foi.

Dans l’esprit de la fête de Pâques, qui nous a rappelé le cœur de notre foi chrétienne, il n’est pas indifférent qu’aujourd’hui, en 2007, nous soyons invités par la liturgie à recevoir et comprendre les témoignages de Gamaliel et de Pierre. Il n’est pas insignifiant que ce soit en pleine célébration du mystère pascal qu’il nous soit rappelé que le chemin de notre foi en Jésus ne nous isole pas des démarches de nos frères et sœurs en humanité, et ne nous oppose aux croyantes et croyants qui vivent autrement leur attachement à Dieu.

Dans le geste du partage du pain, nous célébrons la présence de Jésus au milieu de notre assemblée et au cœur de notre recherche de Dieu. Que ces textes nous donnent aussi de comprendre que ce signe du pain n’est pas l’affirmation de notre possession exclusive de Dieu, mais qu’il est un geste de communion toujours appelé à l’ouverture. De même que notre communion au corps du Christ doit s’ouvrir à la communion avec les membres de notre assemblée, de même la communion entre les membres de l’assemblée doit préparer notre communion avec les croyants et croyantes qui cherchent Dieu autrement et à leur manière. Ayons à notre tour la sagesse de Gamaliel de laisser au temps faire son œuvre et à Dieu de reconnaître les siens où qu’ils soient.