« Montre-moi le chemin de la vie »

Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal a tenu sa 35e commémoration annuelle de la Choah le dimanche 27 avril 2014 à l’église anglicane Trinity Memorial Church. Cet événement a réuni des Juifs et des Chrétiens durant le Jour commémoratif de l’Holocauste (connu sous le nom de Yom Hachoah en hébreu), pour commémorer les quelque six millions de Juifs et le million d’autres victimes qui ont péri dans l’Holocauste durant la Deuxième Guerre mondiale.

La commémoration faisait partie de l’Eucharistie dominicale régulière. Le thème retenu cette année, « Montre-moi le chemin de la vie » (inspiré du Psaume 16,11), a été développé dans l’homélie de la Rév. Joyce Sanchez, un témoignage du survivant de l’Holocauste Paul Herczeg, un poème par Corine Lambert et une cérémonie d’allumage de bougies dirigée par la Rév. Sanchez et la Rabbin Lisa Grushcow. Quelques pièces musicales en hébreu ont été exécutées par la Cantor Rona Nadler et d’autres chants par le choeur de la Trinity Memorial Church dirigé par Christopher Grocholski. Voici les principaux textes de cette Commémoration.

1. Montre-moi le chemin de la vie

Homélie sur Lévitique 19,1-3.9-18.32-34; Psaume 16,8-11; 1Pierre 1,3-9; et l’Évangile selon S. Jean 20,19-31.

Par la Rév. Chanoine Joyce Sanchez

Le thème de ce matin est « Montre-moi le chemin de la vie » (Psaume 16,11). L’Écriture nous fait voir un peu de la vie du peuple de Dieu à différents moments et en divers lieux. Elle nous ouvre une fenêtre sur le monde de Dieu et sur son amour pour son peuple.

Dans notre passage du Lévitique, le Seigneur ordonne à Moïse de transmettre ses commandements aux Israélites. Dieu a généreusement donné à son peuple un chemin de vie. Puissent-ils la suivre, cette manière de vivre fondée sur la justice, la miséricorde, l’intégrité, l’amour et le respect, une manière de vivre qui les conduirait à une relation correcte avec le Seigneur et entre eux, une manière de vivre par laquelle ils apprendraient à vivre en paix, dans la chalom de Dieu, une manière de vivre qui leur ferait trouver le chemin de Vie. 

Les Israélites se sont évadés d’Égypte en quête d’une vie meilleure dans la Terre Promise. Mais ce n’est pas un voyage éclair : c’est une aventure qui impliquera plusieurs années de lutte. Néanmoins, le Seigneur demeure fidèle à son peuple, le conduisant et lui proposant une manière de vivre.

La lecture d’aujourd’hui de l’Évangile selon S. Jean nous transporte plusieurs siècles après, durant les jours suivant l’arrestation et la mort de Jésus. Les disciples sont déroutés et craintifs. Ils se cachent, ne sachant pas quoi faire. Quelques femmes de leur communauté prétendent avoir vu Jésus ressuscité. Les disciples ne savent pas quoi penser. Au milieu de ce chaos, Jésus apparaît à ses disciples égarés en leur souhaitant la paix; pour être bien honnête, disons que quelques-uns d’entre eux ne savent pas ce qu’ils doivent croire. Mais retrouvant de la force grâce à l’Esprit-Saint, les disciples sont envoyés continuer le ministère de Jésus, un ministère d’amour, de miséricorde, de justice et de pardon.

La lecture de la Première Lettre de Pierre provient de la génération après la mort de Jésus. Le christianisme est une nouvelle religion et subit la persécution dans le puissant empire romain. La lettre a pour but d’encourager les fidèles durant ces temps difficiles. L’auteur veut que, face à l’adversité, ses lecteurs restent fermes dans leur foi. Ils seront renforcés en supportant la souffrance s’ils demeurent constants dans leur foi.

Au moment où nous écoutons ces paroles aujourd’hui, puisse le Seigneur nous montrer le chemin de la vie, une vie enracinée dans l’amour, le respect mutuel, la justice et l’intégrité, une vie enracinée dans la foi. Je prie pour que nous, Juifs comme Chrétiens, puissions marcher ensemble sur ce chemin.

2. Mon chemin de vie

Témoignage d’un survivant de la Choah

Par Paul Herczeg

Je m’appelle Paul Herczeg. Je vis à Montréal depuis 1947. Je suis « diplômé » à la fois d’Auschwitz et de Dachau et j’ai perdu mes deux parents en cours de route. J’ai été extrêmement chanceux et j’ai réussi à survivre.

Je suis un Hongrois de la cinquième génération, originaire d’une banlieue ouvrière de Budapest, assez similaire à ce que Verdun représente dans la région de Montréal. Cette semaine, qui coïncide avec cette commémoration, est très significative et source de grande émotion pour moi. Il y a soixante-dix ans, le 28 avril 1944, juste un an avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on commençait la déportation des Juifs hongrois et le premier convoi pour Auschwitz quittait la Hongrie.

Durant la dernière semaine d’avril 1944, à Budapest où je me trouvais, on ordonna aux Juifs de quitter leurs maisons à pied et de se rapporter à un certain endroit de la ville, n’apportant avec eux qu’un sac à dos ou une valise. C’était la création du ghetto d’Ujpest (Ujpest étant une banlieue de Budapest). Deux ou trois familles devaient partager le même appartement. 

Par souci de précision historique, il faut mentionner que tous les Juifs de sexe masculin âgés de 18 à 50 furent conscrits dans l’armée hongroise. Ils ne recevaient pas d’uniforme, mais servaient plutôt en civil. Ils furent envoyés sur le front russe pour creuser des trous d’homme et construire des routes, et ils furent surtout utilisés comme détecteurs humains de mines, pour nettoyer les champs de mines. Ces bataillons de travaux forcés existaient depuis 1941.

À cause de cette conscription, les déportés étaient surtout des femmes de tous âges, des enfants, et des hommes jeunes ou âgés. Il n’y avait pas d’homme entre 18 et 50 ans. Selon les statistiques publiées, en huit semaines, 437 000 Juifs furent déportés à Auschwitz. Il y a eu 145 convois, deux par jour, chacun emmenant environ 3 000 personnes. Environ 8% survécurent. Je suis l’une d’entre elles.

Survivre était un cadeau. Ce cadeau, cependant, venait avec des obligations. D’abord et avant tout, assurer la continuité, celle de notre famille, de nos traditions, de notre éthique, etc. Deuxièmement, faire en sorte que ces temps difficiles ne soient pas oubliés, sur le plan historique. Ou pire, qu’on les nie. Je dois cela à la mémoire de mes parents, des gens de notre famille, de mes camarades et de mes amis qui n’ont pas eu autant de chance que moi et qui ont péri.

Ma mission a été d’être un témoin, de telle sorte que cela ne soit pas oublié, et un messager, de telle sorte qu’un tel génocide ne se produise plus. Un philosophe célèbre (Santayana) a dit que « Ceux qui ne tirent pas les leçons de l'histoire sont condamnés à la répéter ». Malheureusement, le monde n’a pas retenu la leçon de l’Holocauste. Pensez au génocide au Rwanda et maintenant au Soudan. Même s’ils sont de moindre dimension, ceux-ci n’en sont pas moins horribles.

Je pense avoir rempli mes obligations en élevant une famille, de même qu’en parlant de ces questions ici et dans de nombreuses écoles au cours des vingt dernières années. Mais je considère que ma principale réussite est d’avoir su vivre une vie normale, sans haine ou rancœur, malgré tout ce que j’ai vu ou dont j’ai fait l’expérience. Je peux encore rire, apprécier les bons côtés de la vie, contribuer peut-être à la société en général et travailler à la compréhension entre les gens de toutes races, convictions ou religions.

Cela a été et continue d’être mon « chemin de vie ».

3. Nous avons survécu

Poème composé pour la Commémoration chrétienne de la Shoah 2014

Par Corinne Lambert, membre du groupe des jeunes de la paroisse La Nativité

Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils viennent.

Nous attendions littéralement « en ligne » pour perdre nos vies :

pas parce que nous avions péché, mais parce que nous étions croyants

et qu’ils ne pouvaient rien faire pour nous changer.

J’avais toujours rêvé du jour où nous serions libres.

Mais ils avaient pris leur décision et allaient l’exécuter telle quelle.

Ils étaient dans une telle furie contre nous.

Ils voulaient nous exterminer de la surface du globe.

Mais me voici devant vous.

J’ai survécu à plusieurs années d’agonie, devenant un exemple de force.

J’avais rêvé du jour où je pourrais voir le chemin de la vie

où je pourrais marcher sur la rue sans avoir à regarder derrière mon épaule.

Capturés et forcés de construire notre propre prison,

affamés, battus, gelés et fatigués,

nous avons souffert pendant des années, puis nous avons été pris.

Mais nous sommes demeurés forts.

Nous avons survécu.

4. Cérémonie d’allumage de bougies

Présidée par la Rév. et la Rabbin Lisa Grushcow, assistées par la Cantor Rona Nadler

Rév. Sanchez. Au cours des prochaines minutes, selon le rite de la communauté juive, nous allons allumer sept bougies en mémoire des six millions de Juifs et du million d’autres victimes de l’Holocauste. Nous nous rappellerons aussi toutes les victimes d’autres tragédies dues à la haine et à l’exclusion, hier et aujourd’hui.

Rabbin Grushcow. Nous faisons un moment de silence pour nous rappeler tous ceux qui ont été conduits à la mort dans les camps d’Auschwitz-Birkenau, Dachau, Treblinka et ailleurs durant l’Holocauste.

Tous. Nous nous rappelons les six millions de Juifs mis à mort durant l’Holocauste.

(Temps de silence)

(Première bougie allumée par Paul Herczeg.)

Rabbin Grushcow. Ils ont vécu avec foi. Pas tous, mais beaucoup. Et, sûrement, plusieurs sont morts avec la foi en Dieu, en la vie, en la bonté que même les flammes ne peuvent détruire. Même là, même là, ces gens chantaient : « Ani ma'amin ... Je crois, avec une foi parfaite, en la venue du Messie et même s’il tarde, je l’attendrai jour après jour ».

Cantor Rona NadlerJe crois – Ani ma'amin

Je crois
Avec une foi parfaite
En la venue du messie, je crois
En la venue du messie, (je) crois
En la venue du messie, je crois
En la venue du messie, (je) crois
Ani ma'amin,
Be'emuna chelema
Beviat hamachiach ani ma'amin
Beviat hamachiach, ma'amin
Beviat hamachiach ani ma'amin
Beviat hamachiach, ma'amin

Rév. Sanchez. Nous nous souvenons aussi de nos frères et de nos sœurs juifs qui portent encore les cicatrices de cet événement horrible, et dont les vies témoignent des ténèbres de ce mal sans précédent.

Tous. Nous nous souvenons de ceux qui ont survécu et trouvé un chemin de vie.

(Deuxième bougie allumée par Marsha Levy, membre du DJCM.)

Rabbin Grushcow. Nous nous souvenons aussi de toutes les autres victimes de l’Holocauste, ces personnes, incluant de nombreux Chrétiens, y compris des prêtres et d’autres religieux. Leur foi les a poussés à s’opposer au nazisme.

Rév. Sanchez. Nous nous souvenons aussi de ceux qui ont été tués parce qu’ils étaient différents: handicapés, membres de la communauté tsigane, personnes gaies ou lesbiennes, bisexuelles ou transgenres.

Tous. Nous nous souvenons de ceux qui ont été tués à cause de ce qu’ils étaient, de ceux qu’ils aimaient, ou ce de qu’ils croyaient.

(Troisième bougie allumée par le Maire Denis Coderre.)

Rabbin Grushcow. Nous nous souvenons des gens persécutés à cause de leur origine, de leur culture ou de leur religion, et ce ceux qui sont déplacés ou exilés par la guerre et les conflits ethniques.

Rév. Sanchez. Nous prions spécialement pour les réfugiés et pour ceux qui leur viennent en aide.

Tous. Nous nous souvenons de ceux qui sont victimes de conflits dont ils ne sont pas responsables.

(Quatrième bougie allumée  par le Rév. Stephen Petrie, Officier oecuménique de l’Église anglicane et membre du DJCM.)

Rabbin Grushcow. Nous nous souvenons des Justes des nations et de ceux qui ont risqué leur vie pour sauver les autres durant l’Holocauste.

Rév. Sanchez. Nous honorons tous les croyants, Chrétiens, Juifs et autres qui, au nom de leur foi, travaillent aujourd’hui à promouvoir la compréhension et la réconciliation entre les religions et à renforcer la solidarité entre les personnes.

Tous. Nous nous souvenons de ceux qui, au milieu des ténèbres, ont eu le courage d’apporter de la lumière.

(Cinquième bougie allumée par Daphne Daniel, membre de la Trinity Memorial Church.)

Rabbin Grushcow. Nous nous souvenons des hommes et des femmes qui luttent pour la justice et pour la paix véritable.

Rév. Sanchez. Nous nous souvenons de ceux qui consacrent leur vie à la libération des opprimés et à la reconnaissance des droits humains pour tous.

Tous. Nous nous souvenons de ceux qui oeuvrent pour construire un monde meilleur.

(Sixième bougie allumée par la Cantor Rona Nadler.)

Rév. Sanchez. Nous portons dans notre coeur tous les enfants, incluant un million et demi d’enfant juifs, qui furent assassinés durant l’Holocauste.

Rabbin Grushcow. Nous nous souvenons aussi de tous les enfants qui perdent la vie dans les conflits qui dressent des gens les uns contre les autres.

Tous. Nous nous souvenons des enfants assassinés durant l’Holocauste et de tous les autres dont les rêves ont été détruits à jamais dans des conflits.

(Septième bougie allumée par Corinne Lambert, au nom des jeunes de La Nativité.)

Rév. Sanchez. Puissions-nous être guidés par Dieu dans notre recherche d’un chemin de vie, de justice et de paix pour toute l’humanité. Éternel, reçois la prière de nos cœurs. Aide nous à nous souvenir et à empêcher de telles horreurs de se produire à nouveau.

Rabbin Grushcow. Donne-nous de trouver des paroles et des gestes qui puissent soulager ceux qui souffrent. Montre-nous le chemin qui nous rapprochera les uns des autres, dans le respect et dans l’amour. Conduis-nous dans la justice vers la paix, la chalom.

Tous. Nous nous souvenons pour agir et pour marcher ensemble sur le chemin de la vie. Amen.

Une tradition significative

Le Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal a organisé sa première Commémoration chrétienne de la Shoah en 1980, dans le but d’inviter une communauté chrétienne différente à chaque année à s’impliquer avec des membres des communautés juives de Montréal pour organiser conjointement une cérémonie commémorative le dimanche qui précède ou qui suit le Yom Hachoah, le Jour commémoratif de l’Holocauste. Au fil des ans, la Commémoration chrétienne de la Choah a eu lieu dans de nombreuses Églises francophones et anglophones de différentes dénominations, notamment les Églises catholique romaine, unie, luthérienne, presbytérienne, ukrainienne catholique, anglicane, unitarienne et L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.