L’Église et au-delà – Hans Küng et les relations interreligieuses

Hans Küng, décédé le 6 avril 2021, est surtout connu pour ses analyses de l’Église catholique, tant sur le plan théologique qu’institutionnel. Mais nous devons également apprécier ses contributions significatives aux nouvelles relations interreligieuses générées par Vatican II.

Un examen des contributions de Küng à l’émergence du dialogue interreligieux en tant qu’axe postconciliaire du catholicisme doit mettre en lumière des aspects importants de son travail. Ces aspects sont les suivants: (1) l’accent qu’il met sur la rencontre interreligieuse comme élément essentiel de l’identité ecclésiale catholique; (2) ses réflexions sur le judaïsme et l’islam comme partenaires de l’Église dans une communauté de foi abrahamique; et (3) la création d’une éthique planétaire comme partie intégrante de la promotion de la justice et de la paix dans la communauté mondiale émergente.

1) La rencontre interreligieuse, un élément vital de l’identité catholique

Alors que la couverture médiatique de l’œuvre de Küng s’est concentrée sur ses efforts pour reformuler et redynamiser notre vision du catholicisme en collaboration avec nos sœurs et frères des autres Églises chrétiennes, Küng a très tôt reconnu que la mondialisation croissante du christianisme nécessiterait un début d’étude et de conversation avec d’autres communautés de foi au-delà du christianisme. Pour Küng, une telle expansion n’était pas simplement destinée à engendrer l’harmonie et la cohésion sociales, mais constituait un élément vital de la reconstruction de l’identité de l’Église à la lumière du Concile. Cela s’est manifesté par son ferme soutien à la création du Journal of Ecumenical Studies, fondé par Leonard et Arlene Swidler. Alors que la revue mettait initialement l’accent sur le dialogue interchrétien, elle a fini par s’intéresser au dialogue entre chrétiens et juifs, ainsi qu’aux communautés de foi en Asie et en Afrique. Le professeur Swidler a écrit sur les contributions substantielles de Küng au lancement réussi de cette revue, qui a acquis un statut d’icône dans le domaine des relations interreligieuses.

Küng a également joué un rôle important dans la création de la collection de volumes «Concilium», consacrée à la mise en œuvre et à l’expansion de la vision de Vatican II. Certains de ces ouvrages avaient une nette tendance œcuménique et interreligieuse, tant par leur contenu que par leurs auteurs. L’un de ces volumes était consacré aux implications, tant morales que théologiques, de l’holocauste nazi.

2) Le judaïsme et l’islam comme partenaires de l’Église

Il y a quelques années, alors que j’étais professeur invité à l’Université catholique de Louvain, j’ai eu l’occasion de rendre visite à Küng chez lui, à Tübingen. Il venait de recevoir un exemplaire d’un nouvel ouvrage allemand traitant de la relation entre chrétiens et juifs à la lumière de l’Holocauste. Nous avons donc passé plusieurs heures à discuter de ce nouveau volume et de ses implications pour la compréhension de l’Église d’aujourd’hui. Küng était convaincu qu’une nouvelle réflexion sur les relations entre chrétiens et juifs était essentielle à la revitalisation de l’ecclésiologie. Nous avons par la suite poursuivi cette discussion lors d’une conversation privée au petit déjeuner, alors que nous étions tous deux présents à une conférence sur l’éthique mondiale à l’université de Georgetown.

Küng a reconnu que repenser la relation entre chrétiens et juifs, ainsi que les liens de l’Église avec l’Islam, était vital pour l’avenir de la compréhension de soi de l’Église dans le nouveau millénaire. Il a donc entrepris une telle révision des deux relations dans ses propres écrits. Sur le front judéo-chrétien, sa perspective n’était pas aussi avancée que celle de certains chercheurs chrétiens de pointe comme Rosemary Ryether ou Paul van Buren, qui ont abordé la signification dialogique pour la compréhension de la christologie et de l’ecclésiologie de l’Église. Sa contribution, cependant, n’était pas moins importante. En tant que théologien de premier plan de l’après-Vatican II, il a placé ces deux relations au centre de l’agenda de la réforme ecclésiale, contribuant ainsi à une validation théologique importante de ces préoccupations. En ce qui concerne le dialogue entre musulmans et catholiques, il a été l’un des premiers chercheurs à en faire une priorité de la réflexion ecclésiologique. Le seul inconvénient à sa vision de l’inclusion des deux dialogues dans l’étude de l’Église concerne ses réflexions sur la situation politique en Israël-Palestine, où ses écrits semblent indûment influencés par des perspectives marginales.

3) La nécessité d’une éthique planétaire pour promouvoir la justice et la paix

La troisième contribution majeure de Küng, l’élaboration d’une éthique mondiale, pourrait bien s’avérer être sa contribution la plus durable. Küng avait commencé à développer une vision pour une telle éthique en relation avec ses efforts à Vatican II. Au début des années 1990, des plans ont commencé à émerger pour une conférence célébrant le centenaire du Parlement des religions du monde de 1903, qui s’est tenu à Chicago dans le cadre de l’Exposition universelle. Le comité de planification du parlement de 1993 a décidé de produire un document d’éthique planétaire comme pièce maîtresse de la célébration. Küng a été choisi pour préparer le projet de cette déclaration, qui serait signée par les représentants des religions du monde présents à la commémoration de Chicago.

Küng a procédé à de larges consultations pour élaborer le texte, qui a finalement été approuvé après de nombreux débats et signé par les représentants des différentes communautés religieuses. Le regretté cardinal Joseph Bernardin de Chicago a signé au nom de la communauté catholique. Küng a été convaincu jusqu’à la fin de sa vie que la vision globale qui a vu le jour à Vatican II ne pouvait être soutenue sans être enracinée dans une éthique planétaire. Cette éthique ne pouvait pas refléter uniquement la tradition catholique ou même la tradition chrétienne au sens large. C’est pourquoi il a insisté pour qu’elle soit formulée dans un langage fondamentalement laïc.

L’éthique planétaire est restée la propriété du Parlement après la réunion de 1993. Küng lui-même a créé la Fondation éthique planétaire chez lui à Tübingen. Cette fondation s’est concentrée sur la mise en œuvre de l’éthique planétaire, principalement en Europe. En 2018, lors du parlement de Toronto, une cinquième directive a été ajoutée aux quatre premières, portant sur le défi écologique croissant[1].

L’éthique planétaire continuera sans doute à être affinée à la lumière des critiques selon lesquelles elle est trop occidentale et qu’il lui manque des éléments de perspectives féministes, libératrices et postcoloniales. Mais la nécessité d’une telle éthique reste un héritage durable de la contribution de Hans Küng à la compréhension religieuse contemporaine.

[1] Voir la déclaration sur l’éthique planétaire du Parlement des religions (1993, mise à jour en 2020): https://parliamentofreligions.org/documents/towards-global-ethic-initial-declaration#

Remarques de l’éditeur

John T. Pawlikowski, O.S.M., président honoraire de l’ICCJ, est professeur émérite de la Catholic Theological Union de Chicago où il a enseigné l’éthique sociale et dirigé le programme de Catholic-Jewish Studies.
Source: The Berkley Center for Religion, Peace, and World Affairs. Cet article fait partie d’une série de contribution évaluant le legs d’Hans Küng dans les domaines du dialogue interreligieux, de l’œcuménisme et de la théologie catholique.