Le rôle de la femme dans le judaïsme et dans le christianisme exposé à deux voix de Sylvia Assouline et Pauline Jacob

Le 10 octobre 2007, au Temple Emanu-El-Beth Sholom de Montréal, avait lieu une conférence à deux voix sur Le rôle de la femme dans le judaïsme et le christianisme. Québécoise d’origine marocaine, Sylvia Assouline a d’abord évoqué le rôle de la femme dans le judaïsme. Puis Pauline Jacob, théologienne québécoise, a parlé de la place de la femme dans l’Église catholique.

Le rôle de la femme dans le judaïsme et dans le christianisme

Exposé à deux voix de Sylvia Assouline et Pauline Jacob

Le 10 octobre 2007, au Temple Emanu-El-Beth Sholom de Montréal, avait lieu une conférence à deux voix sur Le rôle de la femme dans le judaïsme et le christianisme. Québécoise d’origine marocaine, Sylvia Assouline a d’abord évoqué le rôle de la femme dans le judaïsme. Puis Pauline Jacob, théologienne québécoise, a parlé de la place de la femme dans l’Église catholique. Leurs interventions sont résumées ci-après1.

La femme dans le judaïsme

Sylvia Assouline est née et a grandi dans une famille sépharade marocaine typique où les femmes pratiquaient la religion avec crainte et ferveur, sans accès aux textes, guidées par l’autorité suprême des hommes. Plus tard, d’abord en Israël puis au Canada, elle a pu étudier sa religion et a choisi de faire un retour à la pratique religieuse dont elle s’était éloignée. C’est à partir de cette expérience vécue qu’elle propose son point de vue sur le rôle et le statut de la femme dans le judaïsme.

La vie des juifs est réglée par l’accomplissement des commandements (mitsvot) qui gèrent tous les aspects des activités humaines publiques ou privées. Il y a les commandements positifs ou prescriptions, et les commandements négatifs ou interdictions. Parmi les commandements positifs il y a ceux qui sont liés au temps et ceux qui ne le sont pas, comme l’obligation d’aimer son prochain comme soi-même, par exemple. Les femmes sont dispensées des commandements positifs liés au temps.

Il y a trois commandements que la femme juive est tenue d’observer: (1) la Halla qui est le prélèvement d’un morceau de pâte lorsqu’on fait le pain, (2) la Nidda qui concerne les lois de la pureté familiale et (3) la Hadlakat Nerot, c’est-à-dire l’allumage des bougies le vendredi soir à l’entrée du Shabbat et pendant les fêtes. Ce sont ces trois mitsvot qui assurent un foyer juif empreint de sainteté (Kédousha) et qui instillent l’observance des autres commandements.

La Halla

Selon la Torah, une portion de la pâte du pain devait être prélevée et offerte aux prêtres (Nombres 15, 18-21). Autrefois, on faisait le pain tous les jours à la maison. Le prélèvement de la halla était un rappel quotidien de l’histoire juive: la perte du Temple, de la terre et de la liberté, l’espoir de les retrouver. Avec l’évolution de la vie moderne, beaucoup ne font plus le pain. On l’achète, mais dans une boulangerie cachère pour être sûr que le prélèvement a été fait.

La Nidda

Il s’agit des lois de la pureté familiale. Pendant ses menstruations, la femme a un statut particulier: elle est nidda, c’est-à-dire impure, exclue, repoussée (physiquement, pas moralement). Au Maroc, une jeune fille ou une femme qui avait ses règles ne pouvait se rendre à la synagogue pendant les grandes fêtes (Rosh Hashanah, Kippour ou Soukkot), seuls moments de l’année où les femmes s’aventuraient dans ce lieu de culte. Au Canada, on leur a appris que rien dans la loi ne justifie cela; pourtant, nombreuses sont celles qui continuent à s’abstenir d’aller à la synagogue lorsqu’elles sont nidda. Une femme est surtout nidda pour son mari et les rapports sexuels sont strictement interdits pendant les règles. Pour éviter toute tentation entre mari et femme pendant cette période, il y avait toujours un petit lit supplémentaire dans la chambre des conjoints que la femme utilisait quand elle avait ses menstruations. Ce petit lit était un rappel constant pour grands et petits, de l’importance du respect de la loi de la pureté familiale. L’immersion dans un bain rituel (le mikvé), mettait fin à la période de nidda et était le signal pour la reprise de l’activité sexuelle. Le terme nidda pourrait paraître dégradant. En réalité, comme c’est la femme qui décidait du jour de l’immersion dans le mikvé, on peut conclure qu’elle avait le plein contrôle de son corps et des rapports sexuels. Pour beaucoup, la période d’abstinence permet une lune de miel renouvelée, un remède à ce qui se passe dans les couples qui souffrent d’ennui, de perte de désir ou de vie répétitive. On ne peut parler de nidda sans parler de sexualité. Le désir sexuel est reconnu et accepté dans le judaïsme comme partie intégrante de la vie humaine. Dans la tradition juive, la faute d’Adam et Ève n’est pas associée à la sexualité. Adam et Ève ont eu des rapports sexuels avant de désobéir à l’ordre divin parce que l’ordre de procréer a été donné avant la faute.

La Hadlakat Nerot

C’est l’allumage des bougies le vendredi soir pour marquer le début du shabbat et celui des fêtes. Quand on allume les bougies du shabbat, on associe la lumière à la Torah. Tout le foyer brille de la sainteté de la Torah et la révérence à Dieu imprègne toute la maison. Ces bougies créent une atmosphère particulière dans le foyer à laquelle personne ne peut échapper. Étant donné que les hommes se trouvent à la synagogue au moment de l’allumage des bougies, c’est la femme qui met en pratique cette mitsva.

La femme qui observe ces trois mitsvot est donc un pilier dans le judaïsme. Une fois qu’elle a sanctifié le pain, son corps et son foyer, tous les autres commandements suivent. Elle assure et perpétue le judaïsme et devient ainsi la reine du foyer; mais à quel prix? Un vendredi typique se passe à peu près comme ceci. Toute la journée c’est la course pour préparer le repas du shabbat, c’est-à-dire ceux du vendredi soir et de samedi car il est interdit de faire le moindre travail le samedi, allumer le feu ou l’électricité. Ces repas, en général élaborés, doivent être prêts avant l’heure d’allumer les bougies. Il faut également penser à nettoyer la maison, mettre la table, laver les enfants, apprêter costumes, chemises et cravates pour le mari et les grands garçons qui ont juste le temps après le travail ou autre de se préparer à toute vitesse et filer à la synagogue; préparer sa propre toilette, le tout dans une course effrénée contre la montre. Quand les bougies sont allumées, les prières et les bénédictions faites, la femme peut enfin s’asseoir et savourer le shabbat. Elle a droit alors au poème Eshet Haïl (La femme vaillante) que son mari lui chante le vendredi soir et dans lequel il reconnaît tous ses mérites.

Ces trois commandements sont perçus par les femmes orthodoxes comme le moyen de s’accomplir et de servir Dieu de toute leur âme selon ce qu’il a prescrit. On ne peut nier, cependant, que de vraies injustices subsistent dans le judaïsme dont la plus grande est sans doute celle de l’agouna, c’est-à-dire celle de la femme dont le mariage a pris fin mais qui ne peut se remarier religieusement parce que son mari refuse de lui donner le libelle du divorce (le guèt). Il n’y a rien dans la loi juive qui puisse forcer un mari à donner le guèt. Seuls les juifs libéraux et conservateurs ont trouvé un moyen de régler ce problème par des amendements au contrat de mariage.

Des inégalités au niveau de l’enseignement de la Torah et du rituel religieux ont été abolies chez les uns mais demeurent entières chez d’autres. Pourtant à l’heure actuelle, la connaissance étant partout, à la portée de tous et de toutes, les femmes n’ont plus besoin d’autorisation pour s’instruire ni pour se rendre à la prière. La séparation entre hommes et femmes est, cependant, toujours de rigueur chez les orthodoxes. Chez les juifs libéraux et conservateurs on essaie de hâter cette égalité par toutes sortes de mesures. Chez les juifs orthodoxes et traditionnels, la femme ne se sent pas inférieure mais investie d’un rôle différent, un rôle qu’elle accepte parce que c’est la volonté de Dieu (qu’elle exprime dans sa prière du matin). En faisant ce que Dieu demande, les femmes l’aident dans son processus de création. En maintenant un foyer juif, en éduquant les enfants dans la voie tracée par Dieu, en soutenant leurs maris dans leurs efforts, en les incitant au repentir (à faire téchouva), elles contribuent, sans aucun doute, à la perfection du monde (au Tikoun olam), dans l’espoir de la rédemption finale.

La femme dans le christianisme

Pauline Jacob vient de terminer un doctorat en théologie avec une thèse intitulée L’authenticité du discernement vocationnel de femmes qui se disent appelées à la prêtrise ou au diaconat dans l’Église catholique du Québec2. Son intervention porte sur la place de la femme dans l’Église catholique romaine qui, selon elle, émet des messages contradictoires concernant l’égalité fondamentale des hommes et des femmes. D’un côté, elle prône la non-discrimination des femmes et des hommes; et elle a des textes en ce sens. D’un autre côté, dans d’autres textes, elle discrimine la femme, le plus souvent au nom du rôle spécifique que lui confère la maternité.

L’ouverture de Jésus et des premières communautés

Pauline Jacob rappelle que, dans la perspective chrétienne, le principal rôle de la femme, comme celui de l’homme croyant, est de répondre à l’appel de Dieu/e qui l’invite à travailler à la construction d’une communauté humaine où chaque personne peut s’épanouir. Cette « vocation » s’appuie sur l’égalité fondamentale des femmes et des hommes, laquelle est exprimée dès le premier récit de la Genèse : hommes et femmes sont créé/e/s égaux devant Dieu/e, femmes et hommes à l’image et à la ressemblance de Dieu/e.

Au cours de sa vie en Palestine, Jésus est allé au-delà de ce qui était couramment admis pour un homme de son époque dans son contact avec les femmes. Il a accepté la proximité de femmes alors que sa tradition le lui interdisait. Il a proposé un modèle de gestion centré sur le service plutôt que sur la domination ou l’exclusion. Et il a appelé certaines femmes à le suivre de façon spéciale même si ça allait à l’encontre de la coutume de ce temps. Marie de Magdala fait partie du groupe de femmes qui, avec les disciples masculins, parcourent avec Jésus les routes de la Palestine. Marie de Béthanie se retrouve au pied de Jésus dans la position du disciple, celui à qui le Maître enseigne, transmet des connaissances. Et Jésus interpelle la Samaritaine à partir de ce qu’elle est : quelqu’un qui puise de l’eau pour la rapporter aux siens. Il lui demande d’abord à boire. Puis il l’interpelle à un autre niveau sur des questions qui touchent sa foi et celle des Juifs et des Samaritains. On pourrait dire qu’il entre en discussion théologique avec elle. Enfin, il l’envoie annoncer aux siens qui il est. Elle laisse sa cruche, son instrument de travail, comme d’autres ont laissé leurs filets, et devient l’apôtre auprès des siens qui répondent à leur tour à l’appel en venant voir Jésus. Avec la Samaritaine, Jésus a en quelque sorte dépassé les tabous concernant les relations possibles entre les femmes et les hommes dans l’espace public.

Après le départ de Jésus, la communauté chrétienne s’est structurée petit à petit. Il y avait alors, dans l’Église primitive, une tradition favorable à l’intégration des femmes; elle avait été amorcée par Jésus, même si elle allait à contre-courant des usages habituels. Les premières communautés chrétiennes ont permis une certaine égalité des hommes et des femmes. Comme on se réunissait dans les maisons, les femmes pouvaient jouer un rôle de rassembleuses dans des communautés où les différentes responsabilités n’étaient pas encore structurées hiérarchiquement.

Au fil des siècles : de moins en moins de place pour les femmes

C’est l’adaptation sociale subséquente du christianisme, et non la volonté de Jésus ou des communautés primitives, qui y a introduit les conditions d’inégalité entre hommes et femmes que nous connaissons encore aujourd’hui. En effet, avec la fusion de l’Église et de l’État sous Constantin, on a vu le pouvoir des femmes se rétrécir. L’Église a cessé de s’organiser sur le modèle domestique pour aligner ses formes de leadership sur celles de la société gréco-romaine. Dans ces structures institutionnelles, de type politique, les femmes étaient en retrait puisque, dans la sphère publique, elles cédaient la place aux hommes et n’avaient pas droit de parole.

Dans les premiers siècles du christianisme, il y a eu à quelques endroits des femmes diacres et des femmes prêtres. De cette période, quelques exemples de prières utilisées lors de l’ordination de femmes au diaconat et quelques traces de l’existence de femmes prêtres (presbyterae) ont été retrouvés3. Mais l’institution ecclésiale n"a pas jugé bon de poursuivre dans cette voie. À partir des IIIe et IVe siècles, sauf pour quelques percées sporadiques, le ministère public des femmes, même non ordonné, semble peu présent et ce, jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle. Dans la mémoire historique, les femmes sont oubliées.

Il y aura bien, à diverses époques, des femmes d’Église engagées dans la vie religieuse avec des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Si certaines ont joué un rôle majeur, elles n’avaient cependant pas accès au domaine du sacré, interdit aux femmes. Les communautés religieuses étaient sous la tutelle d’évêques, envers lesquels certaines fondatrices durent parfois déployer beaucoup de ruse pour atteindre leurs objectifs. Malgré tout, ces communautés de femmes furent des lieux d’autonomie pour celles qui en avaient rejoint les rangs.

Au Québec, on ne peut parler du rôle des femmes dans l’Église sans parler du pouvoir que le clergé a exercé sur elles. Pendant longtemps, les autorités religieuses se sont opposées à toute forme de contraception, à l’accès des filles aux études supérieures et au droit de vote des femmes. Sur ce dernier point, l’argumentation des évêques des années 1940 était très proche de celle qu’on utilise aujourd’hui pour s’objecter à l’ordination des femmes. Selon le cardinal Villeneuve, le suffrage féminin irait « à l’encontre de l’unité et de la hiérarchie familiale ». Il estime que « l’exercice du suffrage exposerait la femme à toutes les passions et à toutes les aventures de l’électoralisme » ; d’ailleurs, à son avis, « la très grande majorité des femmes de la province ne désirent pas le droit de vote ». Enfin, il croit que « les réformes sociales, économiques, hygiéniques que l’on avance pour préconiser le droit de suffrage chez les femmes, peuvent être aussi bien obtenues, grâce à l’influence des organisations féminines en marge de la politique4 ». En somme, la femme, subordonnée à l’homme, doit se centrer sur la famille. Sa sensibilité la rend inapte aux choses publiques et elle peut faire valoir ses idées indirectement.

Des années 1960 à nos jours : des espoirs déçus

En 1963, dans l’encyclique Pacem in terris, le pape Jean XXIII présentait comme un signe des temps « l’entrée de la femme dans la vie publique » et sa volonté d’être traitée « comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique »5. Cela a avivé l’espoir qu’une plus large place soit faite aux femmes dans l’Église et qu’elles puissent notamment accéder à la prêtrise. Les évêques canadiens et québécois sont même devenus les défenseurs de la cause des femmes au niveau de l’Église universelle.

Ces espoirs ont été amèrement déçus au lendemain du concile Vatican II. En 1975, la Commission biblique pontificale concluait qu’il n’existait, dans les Écritures, aucune objection à l’ordination des femmes ; mais son rapport ne fut jamais publié. Le pape Jean-Paul II, de son côté, a affirmé que « toute discrimination constitue une injustice absolument intolérable »6; malgré cette conviction, il a milité fermement pour bloquer l’accès des femmes aux ministères ordonnés. Le pape Benoît XVI maintient la même orientation. On veut bien reconnaître que les femmes sont égales aux hommes, mais on affirme qu’elles sont différentes et que, par conséquent, elles doivent jouer d’autres rôles.

Sortir d’un système patriarcal

Pauline Jacob estime que l’attitude de l’Église catholique envers les femmes est le reflet du système patriarcal dans lequel nous vivons encore. Rome considère que la question de l’accès des femmes à l’ordination, donc à la pleine égalité avec les hommes, n’est pas recevable et ne doit plus être discutée. Mais, sur le terrain, des femmes se sentent appelées par Dieu/e à le servir dans des ministères ordonnés... Et leur communauté, incluant certains évêques, prêtres et diacres, témoigne de l’authenticité de leur vocation.

Malgré le plaidoyer de l’Église institutionnelle contre la discrimination basée, entre autres, sur le sexe, malgré le souhait exprimé de donner toute la place possible à la femme dans la société, on voit que le « possible » est fortement teinté d’une vision patriarcale. Il reste beaucoup de travail à faire pour qu’on se sorte de cette approche restrictive pour les femmes.

  1. L’intervention de Sylvia Assouline a été résumée par Jean Duhaime; celle de Pauline Jacob par Nathalie Cholette, étudiante à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.
  2. Publiée sous le titre Appelées aux ministères ordonnés (Ottawa, Novalis, 2007).
  3. Ibid., p. 189.
  4. Ibid., p. 100-102.
  5. Jean XXIII, Encyclique Pacem in terris (11 avril 1963), n. 41. Disponible sur le site du Vatican :
    http://www.vatican.va/holy_father/john_xxiii/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_11041963_pacem_fr.html.
  6. ean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde (30 décembre 1988), n. 37. Disponible sur le site du Vatican :
    http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_exhortations/documents/hf_jp-ii_exh_30121988_christifideles-laici_fr.html.