Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal prend position sur la laïcité

Dans un mémoire présenté à l’Assemblée Nationale du Québec le 20 février 2014, le Dialogue judéo-chrétien de Montréal se dit favorable à l’affirmation de la neutralité religieuse de l’État, mais s’oppose vigoureusement à ce qu’on interdise aux membres du personnel d’un organisme public d’afficher leur appartenance religieuse.

Le mémoire du Dialogue judéo-chrétien de Montréal (DJCM) a été présenté à l’occasion d’une consultation publique qui a cours depuis le 14 janvier 2014, sur un projet de loi controversé dans lequel le gouvernement du Québec se propose d’affirmer « les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que l’égalité entre les femmes et les hommes » et d’encadrer « les demandes d’accommodement » (Projet de loi 60, déposé le 7 novembre 2013). Ce projet fait suite à un document d’orientation « Parce que nos valeurs on y croit », publié en septembre 2013.

Au cours de leur présentation et des échanges qui ont suivi avec les membres de la commission parlementaire, les trois représentants du DJCM ont particulièrement traité de l’apport social des religions, de la neutralité de l’État et de l’égalité homme-femme.

Faire taire les religions en interdisant les signes ostentatoires

Le président du DJCM, le Dr Victor Goldbloom, a introduit la présentation du mémoire en indiquant clairement l’opposition de son groupe à l’article 5 de projet de loi, prévoyant qu’ « un membre du personnel d’un organisme public ne doit pas porter, dans l’exercice de ses fonctions, un objet, tel un couvre-chef, un vêtement, un bijou ou une autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère démonstratif, une appartenance religieuse » Selon le Dr Goldbloom, « Au bout du chemin que commence à tracer ce projet de loi, nous percevons une société où l’État aurait fait taire les religions et les aurait rendues invisibles ».

Faisant ensuite appel à son expérience personnelle, le Dr Goldbloom, de confession juive, a attiré l’attention sur le fait que les personnes affichant leur appartenance religieuse ne sont pas moins compétentes pour autant : « Vous constatez que je ne porte ni symbole ni vêtement qui identifie mon appartenance religieuse. Mais, lorsque je mets ma kippa, ma calotte, je ne deviens pas, par le fait même, moins objectif, moins ouvert d’esprit, moins québécois ». 

À titre de membre du DJCM et accompagnant le Dr Goldbloom, j’ai moi-même renchéri en disant que la position du gouvernement semble fondée sur une vision négative de  la religion : « On a le sentiment, en particulier quand on lit le document d’orientation, qu’il y a une vision extrêmement négative de la religion derrière ce projet de loi : tout ce que la religion aurait apporté au Québec, à peu près, ce sont des noms de rue et des signes emblématiques, alors qu’il y a eu un apport très positif. Malgré des erreurs, malgré des errements, il y a eu, il y a encore, un apport positif des groupes religieux dans la société québécoise, et ça, ce n’est pas reconnu ».

Le mémoire du DJCM souligne cette dimension sociale importante des religions : « Elles proposent à leurs adhérents des valeurs et des motivations qui les invitent à s’engager dans des actions en faveur de la paix et de la justice sociale. Elles encouragent [...] un esprit d’ouverture aux autres. Notre société aurait tort de se passer de ces valeurs humaines, sous prétexte que la religion est, pour la collectivité, une influence négative, et qu’elle devrait être confinée à la vie privée des gens ».

La neutralité religieuse de l’État et son affirmation

Selon le ministre Bernard Drainville, l’interdiction des signes religieux pour les membres du personnel d’un organisme public vise plutôt à affirmer la neutralité religieuse de l’État, qui pourrait  « s’effriter », selon les mots du sociologue Guy Rocher, si le nombre de personnes portant un signe religieux augmente : « Quand 10 enseignants d’une école porteront un signe religieux, on se demandera si cette école est encore neutre ».

Mais, du point de vue du DJCM, cet argument comporte une erreur fondamentale qui consiste à opposer la liberté religieuse et la neutralité. Selon l’opinion de nombreux juristes, une des visées de la neutralité de l’État, c’est de favoriser la liberté religieuse. Et la liberté religieuse implique la possibilité d’exprimer son appartenance religieuse publiquement.

Le ministre reconnaît que la liberté de religion est un droit fondamental, au même titre que la liberté d’expression. Mais il fait l’analogie avec la restriction imposée aux fonctionnaires de l’État, et jugée légitime, d’afficher leurs convictions politiques personnelles durant les heures de travail. Il suggère qu’il serait aussi légitime, pour des raisons similaires, de restreindre l’affichage de l’appartenance religieuse.

Pour les membres du DJCM, il s’agit là d’une comparaison boiteuse. Un fonctionnaire de l’État est au service d’un gouvernement qui a une appartenance politique claire. Si un fonctionnaire qui n’est pas de cette appartenance politique l’affiche explicitement, cela pourrait miner sa crédibilité auprès du citoyen qui ne sera pas sûr de sa loyauté envers l’État. Mais comment le port d’un signe religieux pourrait-il dire au citoyen qu’un fonctionnaire est déloyal envers l’État, puisque l’État n’a pas de religion?

En fait, affirme le mémoire du DJCM, « la neutralité et l’objectivité se situent dans le cœur, dans la tête et dans la formation, pas dans la tenue vestimentaire ou dans un symbole d’appartenance ». Selon le Dr Goldbloom, ce qui compte, c’est le comportement : « Ce que l’on porte est moins important que la façon de laquelle on s’exprime, on communique avec des gens. Si l’on a un parti pris et si l’on cherche à en convaincre le public, c’est autre chose que d’avoir une responsabilité professionnelle pour l’enseignement ou pour la gestion de la chose publique ». Le président du DJCM dénonce également « la présomption que l’absence de signes identitaires religieux est la preuve de l’impartialité et que, par contre, la présence d’une identification religieuse est la preuve que cette personne est incapable de mettre de côté son appartenance et de juger objectivement une question qui est devant elle ».

Faisant allusion à un argument souvent évoqué par le ministre, la députée Kathleen Weil a demandé au Dr Goldbloom, qui a fait longtemps carrière comme pédiatre, s’il estimait qu’un enfant serait lésé dans son droit s’il était exposé au « prosélytisme silencieux et passif » d’une institutrice affichant son appartenance religieuse. « Le droit le plus fondamental de l’enfant écolier, » selon le Dr Goldbloom, « c’est d’être préparé à faire face au monde. Bannir l’identité religieuse de l’école, c’est cacher à l’enfant la réalité du monde et donc mal le préparer à rencontrer cette diversité qu’on ne peut lui cacher à la porte de l’école ».

Le DJCM estime qu’il y aurait un paradoxe à interdire les signes religieux aux employés d’organismes publics alors qu’on a introduit dans les écoles primaires et secondaires, depuis 2008, un cours d’éthique et de culture religieuse dans l’ensemble des cycles d’études primaires et secondaires. Un des objectifs de ce programme est de faire tomber les préjugés à l’égard des religions et des visions humanistes du monde par une meilleure connaissance de ce qu’elles sont. Le programme vise aussi à favoriser la compréhension et le dialogue entre des citoyens de différentes appartenances. Comment pourra-t-on atteindre ces objectifs si, en même temps, on envoie le signal que l’appartenance religieuse est une affaire strictement privée et qu’il est interdit de l’afficher dès qu’on a le moindre lien, par ses fonctions, avec l’État québécois?

Les membres du DJCM croient finalement qu’il y a d’autres moyens que l’interdiction du port de signes religieux pour exprimer la neutralité religieuse de l’État. Ces moyens, pense-t-on, devraient être explorés dans une approche non partisane et en dialogue avec l’ensemble des composantes religieuses et non religieuses de la société québécoise. C’est la seule façon d’arriver à un consensus social sur un sujet aussi sensible.

L’égalité entre hommes et femmes

La députée Kathleen Weil a soulevé la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, une des valeurs de la société québécoise qui est également affirmée dans le projet de loi. Lors des auditions de la commission, a-t-elle expliqué, on entend « beaucoup de malaise » par rapport à la religion, surtout par rapport à l’islam et au port du voile. « Il y a un lien qui est fait avec l’égalité hommes-femmes. [...] une inquiétude par rapport à cette religion et par rapport à l’émancipation des femmes ». Deux points de vue sont en présence. Selon les uns, « en forçant la femme à enlever son voile, on va la libérer ». Mais d’autres diront plutôt que c’est une approche très paternaliste et qu’il faut permettre aux femmes de faire leur choix.

La Rév. Diane Rollert, pasteure de l’Église unitarienne et membre du DJCM, avait fait allusion à cette question dans ses remarques d’ouverture : « Comme femme, disait-elle, je suis très consciente des batailles difficiles que mènent actuellement les femmes de partout dans le monde pour établir leur juste place au sein d’une société plus égalitaire. Je suis pleine d’empathie pour toutes les femmes qui ont souffert des inégalités vécues à cause de leurs traditions culturelles ou religieuses ; mais je suis heureuse de dire qu’on a fait beaucoup de chemin ».

« Dans chaque tradition religieuse, il y a des femmes qui sont en train de réclamer leur moitié du ciel, mais elles ont choisi de le faire dans leurs traditions et pas à l’extérieur.  Alors, ce n’est pas à nous de les juger à cause de leur manière de s’habiller. En légiférant sur le droit d’une femme à s’habiller selon ce que lui dicte sa conscience, vous la privez du droit fondamental de contrôler son propre corps ».

Sur le point précis évoqué par la députée, la Rév. Rollert a tenu à préciser que le projet de loi tel que proposé ne créera pas l’égalité puisqu’il interdira de nombreux emplois aux femmes musulmanes qui tiennent à porter le voile. Ce faisant, a-t-elle dit, « vous allez privilégier certains groupes d’hommes et de femmes par rapport à d’autres. [...] Le fait de retirer son hijab ne libérera pas la femme musulmane. Ce qui libère les femmes, c’est le fait qu’elles aient accès à une éducation égale, à la possibilité de s’exprimer publiquement et à des emplois ». À son avis, en forçant des femmes musulmanes à choisir entre leur travail et leur foi, on les marginaliserait plutôt que de les libérer.

Le Dr Goldbloom a également exprimé la crainte que les mesures envisagées dans le projet de loi conduisent, entre autres choses, à « une discrimination que la loi est supposée ne pas permettre : [...] il y a des femmes qui se trouveraient désavantagées par rapport aux hommes de la même religion; l’inverse est vrai dans certaines religions ».

Au terme de leur présentation, les membres du DJCM ont réaffirmé leur conviction que ce projet de loi devrait être abandonné dans sa forme actuelle. « Affirmons simplement la neutralité religieuse de l’État », conclut leur mémoire, « et laissons tomber l’encadrement détaillé ».

Promouvoir le respect

Dans le cadre de cette consultation publique, le DJCM a également produit et mis en ligne quelques vidéos dans lesquelles il souligne que la diversité religieuse et culturelle constitue un enrichissement pour la société québécoise.

Le Dialogue a réuni quinze individus d’âge, de religions, de cultures et de professions différentes pour qu’ils répondent à la question : « Pour vous, que signifie être un Québécois? » Des retraités aux étudiants, l’ensemble des personnes interrogées répondent qu’être un Québécois signifie faire partie d’une communauté qui privilégie des valeurs de respect, de compréhension, d’inclusion et de tolérance. 

« Le CJDM veut promouvoir l’idée que nous pouvons apprendre à vivre ensemble dans l’harmonie et que nous pouvons célébrer également notre diversité » dit à ce sujet Catherine Jarvis, Directrice des Affaires publiques pour l’Église de Jésus Christ des Saints du Dernier Jour, région du Québec, et membre du comité directeur du CJDM. « L’histoire du Québec est riche et nous en faisons tous partie. C’est cet esprit que nous avons cherché à saisir dans ces vidéos et que nous voulons mettre de l’avant ».

 


Références

Document  d’orientation « Parce que nos valeurs, on y croit » http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/medias/pdf/Valeurs_document_orientation.pdf


Projet de loi 60

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-60-40-1.html


Mémoire du CJDM  (numéro 089M)

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CI/mandats/Mandat-24537/memoires-deposes.html


Transcription de la présentation du mémoire

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/ci-40-1/journal-debats/CI-140220.html


Vidéo de la présentation du mémoire

http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-49923.html?support=video


Vidéos produites par le DJCM

http://www.youtube.com/watch?v=u4f4OVWtJH0

http://www.youtube.com/watch?v=8iW7DvCLTlI


Page Facebook du DJCM

https://www.facebook.com/ChristianJewishDialogueOfMontreal?fref=ts