Le conflit israélo-palestinien

Dans sa livraison de novembre 2007, la revue Sens publie une importante analyse sur le conflit israélo-palestinien par le Père Jean Dujardin expert du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme dont il a été le secrétaire de 1984 à 19991. Cette étude fait suite à un séminaire offert par le P. Dujardin à Jérusalem en 2006.

Le conflit israélo-palestinien

Une analyse du Père Jean Dujardin

Dans sa livraison de novembre 2007, la revue Sens publie une importante analyse sur le conflit israélo-palestinien par le Père Jean Dujardin expert du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme dont il a été le secrétaire de 1984 à 19991. Cette étude fait suite à un séminaire offert par le P. Dujardin à Jérusalem en 2006. Son but principal est « de donner au lecteur quelques éléments de compréhension tels que l’histoire nous les présente », ce qui devrait permettre de mieux saisir les enjeux actuels et d’entrevoir des pistes de solution. Après quelques observations préliminaires, l’auteur propose quelques clés de compréhension politique, s’interroge sur la dimension religieuse du conflit et trace les perspectives d’une paix possible.

1. Observations préliminaires

D’entrée de jeu, le P. Dujardin formule quelques observations sur la situation actuelle. Il note que depuis le début de la seconde Intifada (2000), « les peuples israélien et palestinien ont été replongés dans le sentiment que la perspective d’une paix possible s’éloignait ». Ce sentiment est surtout attribuable à la victoire du Hamas aux élections palestiniennes et au soutien que lui apporte le Président iranien qui souhaite ouvertement la destruction de l’État d’Israël et tente de se doter de l’arme nucléaire. Or, insiste l’auteur, « il n’y a pas de possibilité de paix sans interlocuteurs qui se parlent et se reconnaissent dans leur légitimité ». À cela s’ajoutent quelques facteurs aggravants tels que l’instabilité politique du Liban et la fragilité des États arabes modérés de la région.

D’autres observations portent sur l’approche personnelle que le P. Dujardin adopte à l’égard de ce conflit. Il se laisse guider par une recherche de la vérité « la plus complète possible ». Convaincu par ailleurs « qu’une paix n’est jamais totalement juste pour toutes les victimes », il dit qu’il faut chercher des solutions de compensation satisfaisantes. Il s’impose également le devoir de garder « assez d’estime pour les peuples en présence […] quand bien même il faudrait […] leur poser des questions douloureuses ou les inviter à des remises en cause ». Enfin, de son point de vue de chrétien engagé depuis longtemps dans le dialogue avec les Juifs, il se dit convaincu « qu’il est possible à la fois de comprendre et de partager les souffrances du peuple palestinien sans occulter la souffrance et l’inquiétude juives qui rendent compréhensible son attachement à ‘sa terre’ ». Il pense en conséquence « qu’il faut œuvrer en même temps et sans contradiction […] pour que le peuple palestinien puisse édifier un État » tout en reconnaissant « le droit au retour du peuple juif et à l’existence de l’État d’Israël ».

2. Clés de compréhension politiques

Pour comprendre le conflit entre Israéliens et Palestiniens, selon le P. Dujardin, on doit d’abord prendre en compte le ressentiment de ces deux peuples à l’égard de l’Occident. Les Juifs ont connu une longue histoire d’antijudaïsme et d’antisémitisme, culminant avec la Shoah. Des nouvelles formes de l’antisémitisme apparaissent et certains expriment des doutes sur la pertinence de la décision de l’ONU concernant la création de l’État d’Israël : dans ces conditions, un Juif ne peut pas prendre pour acquis le soutien de l’Occident. Les Palestiniens, eux, ont l’impression que l’Occident leur a imposé la présence juive en profitant de la chute de l’Empire ottoman au début du 20e siècle.

Le conflit actuel plonge ses racines jusqu’à la fin du 19e et au début du 20e s., alors que les puissances européennes prenaient le contrôle de la région et procédaient à un découpage arbitraire des territoires du Proche-Orient en privilégiant certains groupes au détriment d’autres et en fragmentant des minorités ethniques. Il s’inscrit dans une longue séquence d’événements similaires : entre 1948 et 2006, la région a connu neuf affrontements majeurs qui ont provoqué des souffrances et laissé des traces profondes dans la mentalité des deux peuples. La conscience nationale des Palestiniens s’est aiguisée à travers le problème des réfugiés résultant de la création de l’État d’Israël, celui de l’occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967, etc. Du côté israélien, si les premières générations étaient tournées vers le Néguev à conquérir, depuis 1967, c’est l’attachement à Jérusalem et à la Judée Samarie qui se manifeste. Enfin, après des décennies d’alignement des États-Unis aux côtés d’Israël et de l’URSS aux côtés des Palestiniens, on assiste aujourd’hui à un bouleversement géopolitique de grande envergure dans la région, marqué notamment par la fragilisation des États arabes modérés.

En conséquence, les deux peuples en viennent à douter de la possibilité de parvenir à la paix : « Israéliens et Palestiniens sont, les uns et les autres, habités par le doute. Ce doute exprime la méfiance réciproque qui obère inévitablement toute perspective de négociation ». Les Juifs doutent que leur existence soit un jour vraiment acceptée par les Palestiniens, par le monde arabe, par l’Islam. À l’inverse, les Palestiniens se demandent si les Israéliens accepteront de leur laisser une place et de construire un véritable État.

3. La dimension religieuse du conflit

Selon le P. Dujardin, le conflit actuel n’est pas d’abord religieux. Mais l’histoire, sur laquelle Israéliens et Palestiniens s’appuient pour revendiquer leurs droits, comporte indéniablement une dimension religieuse. C’est pourquoi « l’argumentaire religieux risque de prendre une place très forte et d’entraver une paix qui devrait être d’abord politique, tout en respectant les traditions religieuses de chacun ».

Le lien particulier que les Israéliens « juifs » vivant en Israël se reconnaissent par rapport à cette terre a une racine religieuse. La dimension religieuse s’est manifestée surtout après la guerre des Six jours, en particulier dans l’émergence du Goush Émounim, le bloc de la foi : « Ce mouvement met en évidence la relation à la terre dans une perspective de rédemption messianique »; il développe l’idée que la terre est sacrée et qu’on ne peut renoncer à la moindre parcelle du Grand Israël. Mais il existe aussi une autre dimension religieuse du rapport à la terre, fondée sur le chapitre 30 du Deutéronome : il s’agit « d’une relation conditionnelle, éthique dans son fondement ». Les voix qui soutiennent cette interprétation « placent expressément le respect de la vie humaine, de la justice et de la paix comme valeur centrale de la loi et de la tradition juive ».

Du côté musulman, on trouve une grande diversité d’interprétations. Le point de vue radical s’exprime dans l’islamisme, défini comme « l’usage de l’Islam à des fins politiques ». D’après Olivier Carré, les premières contestations arabes du retour du peuple juif, au début du 20e s. ont d’abord été formulées en termes laïcs; cependant la dimension religieuse est apparue dès les années 1920 et son expression n’a cessé de se radicaliser depuis. On la retrouve en particulier dans la charte de 1988 du Hamas qui se définit comme « un mouvement palestinien qui doit loyauté à Allah, prend son mode de vie dans l’Islam et aspire à élever la bannière d’Allah sur chaque pouce de cette terre de Palestine ». Une autre lecture de la tradition musulmane est cependant possible. Le P. Dujardin cite une récente étude de Louis Gardet : «  À côté du ‘Dar al Islam’, le monde de l’Islam auquel s’oppose le ‘Dar al Harb’, le monde de la guerre, il y a [le ‘Dar Al Suhl’,] le monde de la réconciliation, le monde de ceux qui sont monothéistes sans être musulmans et avec lesquels il est donc permis de signer un traité de paix ». Il note aussi que Rachid Benzine, dans son livre Les nouveaux penseurs de l’Islam, fait état de plusieurs auteurs qui mettent de l’avant une lecture éthique et métaphysique de l’Islam susceptible de soutenir une recherche de la paix.

4. La paix est-elle possible?

On assiste à de nombreuses initiatives israélo-palestiniennes qui manifestent une aspiration profonde à la paix chez ces deux peuples. La tentation est forte de rechercher une solution purement laïque à ce conflit. « Mais, interroge le P. Dujardin, n’est-ce pas, en même temps, le lieu par excellence où devrait se développer le dialogue interreligieux, un dialogue où chacun s’efforcerait de comprendre en profondeur et de reconnaître la vérité de l’Autre dans ce qui lui est propre et de la respecter? » On ne saurait aboutir à une solution durable à ce conflit en occultant la dimension religieuse.

Sur le plan politique, au moins huit problèmes sont à résoudre : le dispositif de sécurité, la définition des frontières, le principe du retour des réfugiés, celui de l’éventuelle intégration de réfugiés dans les États arabes voisins, les implantations juives en Cisjordanie, l’eau, le statut de Jérusalem et la dimension régionale et internationale du conflit. Il faut aussi se demander « sous quelle égide et avec quelles garanties » un accord de paix peut être conclu et appliqué.

Le conflit actuel est multidimensionnel, comme le note une analyse de Michaël Walzer, cité par le P. Dujardin, qui distingue quatre guerres en une : une guerre palestinienne pour la destruction d’Israël, une autre pour un État palestinien indépendant, une guerre d’Israël pour sa sécurité et une autre pour un Grand Israël. Walzer conclut que deux peuples coexistent sur le même territoire avec chacun sa vérité et que « toute paix assise sur une seule vérité sera unilatérale, donc inéquitable, ni durable ».

Conclusion

Au terme de son analyse, le P. Dujardin se montre d’un optimisme modéré. Rappelant que les deux peuples aspirent profondément à la paix, il mise sur la dimension éthique du rapport à la terre, du côté juif, et sur la notion de monde de la réconciliation (Dar Al Suhl) dans l’Islam pour donner une légitimation religieuse à la recherche de la paix. Il note toutefois que « tout retard dans l’établissement d’une solution politique donne aux positions religieuses les plus radicales une place et une force grandissantes ». Il y a donc une urgence à trouver cette solution politique et les moyens de la mettre en œuvre. Elle sera nécessairement un compromis passant par la reconnaissance des deux peuples et du droit de chacun à une terre qui lui soit propre. Elle exigera aussi « un travail de vérité, de justice, de compréhension, un travail d’éducation et de réconciliation ».

  1. Jean Dujardin, « Le conflit israélo-palestinien. Quelques clés de compréhension », Sens 59,11 (novembre 2007), p. 581-630. Voir le site http://www.amitie-judeo-chretienne.com. Compte rendu par Jean Duhaime. Pour alléger le texte, les références des passages cités sont omises.