L’antisémitisme selon l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste

Dans le discours qu’ils ont prononcé au 34e Dîner annuel du Crif (20 février 2019), Francis Kalifat et Emmanuel Macron ont évoqué la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Voici quelques informations sur cette organisation et sur sa définition de l’antisémitisme.

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste réunit des gouvernements et des experts pour renforcer, faire progresser et promouvoir l’éducation, la recherche et la mémoire sur l’Holocauste et pour respecter les engagements pris dans la Déclaration de Stockholm de 2000.

L’IHRA[1] a été créée en 1998 par Göran Persson, ancien Premier ministre suédois. Aujourd’hui, l’IHRA compte 31 pays membres, chacun d’eux reconnaissant que la coordination politique internationale est impérative pour renforcer l’engagement moral des sociétés et pour combattre le déni croissant de l’Holocauste et l’antisémitisme.

Le réseau d’experts de confiance de l’IHRA partage ses connaissances sur les signes avant-coureurs de génocide aujourd’hui et sur l’éducation concernant l’Holocauste. Ces connaissances aident les décideurs politiques et les multiplicateurs du domaine de l’éducation dans leurs efforts pour élaborer des programmes d’études efficaces, et elles informent les responsables gouvernementaux et les ONG qui participent à des initiatives mondiales de prévention du génocide.  

La déclaration de Stokholm

La Déclaration du Forum international de Stockholm sur l’Holocauste (ou «Déclaration de Stockholm») est le document fondateur de l’IHRA et elle continue d’exprimer l’engagement de chaque pays membre envers des principes communs.

Cette déclaration est le résultat du Forum international organisé à Stockholm du 27 au 29 janvier 2000 par l’ancien Premier ministre suédois Göran Persson. Les représentants de 46 gouvernements, dont 23 chefs d’État ou premiers ministres et 14 vice-premiers ministres ou ministres, ont participé à ce forum. La Déclaration de Stockholm se lit comme suit: 

1. L’Holocauste (Shoah) a foncièrement remis en question les fondements mêmes de la civilisation. Le caractère unique de l’Holocauste gardera une signification universelle à tout jamais. Alors que cinquante ans se sont passés, les événements restent encore suffisamment proches pour que des survivants témoignent encore des horreurs subies par le peuple juif. Les souffrances terribles endurées par les millions d’autres victimes des nazis ont également laissé une marque indélébile à travers l’Europe.

2. L’ampleur de l’Holocauste, planifié et perpétré par les nazis, doit rester pour toujours gravé dans notre mémoire collective. Le sacrifice désintéressé de ceux qui ont défié les nazis, qui ont parfois offert leur propre vie pour protéger ou venir en aide aux victimes de l’Holocauste, doit également rester marqué dans nos coeurs. Les profondeurs de l’horreur qu’ils ont vécue et les sommets atteints par leur héroïsme peuvent nous aider à comprendre la capacité de l’homme à faire le bien ou le mal.

3. Si l’humanité est encore terrifiée par le génocide, le nettoyage ethnique, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, la communauté internationale partage la responsabilité solennelle de combattre ces maux. Ensemble, nous devons soutenir la vérité terrible de l’Holocauste contre ceux qui en nient la réalité. Nous devons renforcer l’engagement moral de nos peuples et l’engagement politique de nos gouvernants afin de nous assurer que les générations futures comprendront les causes qui ont mené à l’Holocauste et réfléchiront sur ses conséquences.

4. Nous promettons d’accroître nos efforts de promotion de l’éducation, du souvenir et de la recherche au sujet de l’Holocauste, aussi bien dans les pays qui ont déjà fait beaucoup à ce sujet que dans ceux qui choisissent de se joindre à nous dès maintenant.

5. Nous partageons l’engagement d’encourager l’enseignement de l’Holocauste sous toutes ses formes. Nous ferons la promotion de cette étude dans nos écoles et universités ainsi que dans nos communautés, et nous l’encouragerons dans les autres institutions.

6. Nous partageons l’engagement de commémorer les victimes de l’Holocauste et d’honorer ceux qui l’ont combattu. Nous encouragerons dans nos pays toutes les formes adéquates de souvenir, y compris la célébration, une fois par an, d’un Jour du Souvenir de l’Holocauste.

7. Nous partageons l’engagement de jeter toute la lumière sur les zones d’ombres qui persistent encore au sujet de l’Holocauste. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires à l’ouverture des archives, afin de nous assurer que tous les documents portant sur l’Holocauste sont mis à la disposition des chercheurs.

8. Il nous semble approprié que cette conférence internationale, la première réunion importante de ce nouveau millénaire, déclare qu’elle s’engage à semer les graines d’un avenir meilleur dans la terre d’un passé amer. Nous nous identifions aux victimes et à leurs souffrances et nous puisons notre inspiration dans leur lutte. Nous nous engageons à nous rappeler de ceux qui ont péri et à respecter les survivants. Nous réaffirmons l’aspiration, commune à toute l’humanité, à une compréhension mutuelle et à la justice.

Une définition pratique de l’antisémitisme

Dans l’esprit de la Déclaration de Stockholm, les membres de l’IHRA ont adopté, lors de la séance plénière du 26 mai 2016 à Bucarest, la définition pratique suivante, non juridiquement contraignante, de l’antisémitisme :

«L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, contre des institutions communautaires juives et des installations religieuses.»

Pour guider l’IHRA dans son travail, les exemples suivants peuvent servir d’illustrations:

Les manifestations [de l’antisémitisme] pourraient inclure le ciblage de l’État d’Israël, conçu comme une collectivité juive. Toutefois, des critiques à l’égard d’Israël similaires à celles formulées à l’encontre de tout autre pays ne peuvent être considérées comme antisémites. L’antisémitisme accuse souvent les Juifs de conspirer pour nuire à l’humanité, et il est souvent utilisé pour blâmer les Juifs de ce «pourquoi les choses vont mal». Elle s’exprime par la parole, l’écriture, les formes visuelles et l’action, et emploie des stéréotypes sinistres et des traits de caractère négatifs.

Les exemples contemporains d’antisémitisme dans la vie publique, dans les médias, à l’école, sur le lieu de travail et dans la sphère religieuse pourraient, compte tenu du contexte général, inclure, sans s’y limiter :

-    Appeler, aider ou justifier le meurtre ou le préjudice de Juifs au nom d’une idéologie radicale ou d’une vision extrémiste de la religion.

-    Faire des allégations mensongères, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les Juifs en tant que tels ou sur le pouvoir des Juifs en tant que collectivité – comme, en particulier mais pas exclusivement, le mythe d’une conspiration juive mondiale ou de Juifs contrôlant les médias, l’économie, le gouvernement ou les autres institutions sociales.

-    Accuser les Juifs en tant que peuple d’être responsables d’actes répréhensibles, réels ou imaginaires, commis par un seul individu ou groupe juif, ou même d’actes commis par des non-Juifs.

-    Nier le fait, la portée, les mécanismes (par exemple les chambres à gaz) ou l’intentionnalité du génocide du peuple juif aux mains de l’Allemagne nationale-socialiste et de ses partisans et complices pendant la Deuxième Guerre mondiale (l’Holocauste).

-    Accuser les Juifs en tant que peuple, ou Israël en tant qu’État, d’avoir inventé ou d’avoir exagéré l’Holocauste.

-    Accuser les citoyens juifs d’être plus loyaux envers Israël, ou envers les prétendues priorités des Juifs du monde entier, qu’envers les intérêts de leurs propres nations.

-    Priver le peuple juif de son droit à l’autodétermination, par exemple en prétendant que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste.

-    Appliquer deux poids, deux mesures en exigeant de lui un comportement qui n’est pas attendu ou exigé d’une autre nation démocratique.

-    Utiliser les symboles et les images associés à l’antisémitisme classique (par exemple, les affirmations que les Juifs ont tué Jésus ou les accusations diffamatoires concernant le sang[2]) pour caractériser Israël ou les Israéliens.

-    Faire des comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des nazis.

-    Tenir les Juifs collectivement responsables des actions de l’État d’Israël.

Les actes antisémites sont criminels lorsqu’ils sont définis comme tels par la loi (par exemple, le déni de l’Holocauste ou la distribution de matériel antisémite dans certains pays).

Les actes criminels sont antisémites lorsque les cibles des attaques, qu’il s’agisse de personnes ou de biens – tels que bâtiments, écoles, lieux de culte et cimetières – sont choisies parce qu’elles sont juives ou liées aux Juifs, ou perçues comme telles.

La discrimination antisémite est le déni aux Juifs des opportunités ou des services disponibles pour les autres et est illégale dans de nombreux pays.

Adoption par des gouvernements et organismes

À ce jour, cette définition a été adoptée et approuvée par les gouvernements et organismes suivants : Royaume-Uni (12 décembre 2016), Israël (22 janvier 2017), Autriche (25 avril 2017), Écosse (27 avril 2017), Roumanie (25 mai 2017), Allemagne (20 septembre 2017), Bulgarie (18 octobre 2017), Lituanie (24 janvier 2018), ex-République yougoslave de Macédoine (6 mars 2018), Pays-Bas (27 novembre 2018), Slovaquie (28 novembre 2018), République de Moldovie (18 janvier 2019), République tchèque (25 janvier 2019), Ministère grec de l’éducation (11 février 2019), France (20 février 2019).

Le 1er juin 2017, le Parlement européen a voté l’adoption d’une résolution appelant les États membres et leurs institutions à adopter et à appliquer la définition pratique de l’antisémitisme de l’IHRA.

[1] Anciennement Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and Research, ou ITF.

[2] (NDLR) Au Moyen Âge, des Juifs ont été accusés d’avoir tué des chrétiens, de préférence des enfants, pour en utiliser le sang à de fins rituelles.

Remarques de l’éditeur

Source : International Holocaust Remembrance Alliance.