La prière du Vendredi saint de la liturgie tridentine, un obstacle au dialogue

Dans cette lettre personnelle datée du Jeudi saint (20 mars) 2008, John Robinson, président du Conseil des jeunes leaders de l’Amitié internationale judéo-chrétienne, fait part au pape Benoît XVI des préoccupations que soulève, chez les catholiques engagés dans le dialogue avec les Juifs, la révision de la prière Pro Conversione Iudaeorum de la liturgie tridentine du Vendredi saint

La prière du Vendredi saint de la liturgie tridentine, un obstacle au dialogue

John Robinson

Dans cette lettre personnelle datée du Jeudi saint (20 mars) 2008, John Robinson, président du Conseil des jeunes leaders de l’Amitié internationale judéo-chrétienne, fait part au pape Benoît XVI des préoccupations que soulève, chez les catholiques engagés dans le dialogue avec les Juifs, la révision de la prière Pro Conversione Iudaeorum de la liturgie tridentine du Vendredi saint1.

 

Jeudi saint 2008

À Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

 Très Saint Père,

Je vous écris à titre de président du Conseil des jeunes leaders de l"Amitié internationale judéo-chrétienne et en tant que jeune catholique étudiant en théologie. Je vous écris dans le cadre d’un dialogue constant entre les Juifs, les musulmans et les chrétiens. Les personnes qui comme moi sont engagées dans un tel dialogue sont très préoccupées par la révision que vous proposez de la prière pour les Juifs à utiliser dans dans la liturgie tridentine, prière qui comporte une demande pour la conversion des Juifs à la foi en Jésus. La récitation d’une telle prière, en ce jour particulièrement chargé d’émotion dans la liturgie chrétienne, n’intervient malheureusement pas dans un contexte historique neutre. De fait, durant des siècles, des foules chrétiennes ont fait souffrir les Juifs en les traitant abusivement de façon violente et dégradante. S’ajoutant à ces épisodes, la longue tradition d’anti-judaïsme au sein du christianisme et la mémoire récente de la complicité de certains chrétiens et du silence de nombreux autres dans la Shoah, situent cette prière dans un contexte qui la rend très pénible, voire offensante pour nos sœurs et nos frères Juifs. En tant que catholique, je ressens un grand malaise et je souffre de ces blessures historiques au moment où je me prépare à célébrer la mort et la résurrection du Seigneur, dans le triduum pascal, avec toute l’Église.

La prière elle-même, tout en évitant les expressions de la version liturgique traditionnelle, demande à Dieu d’éclairer les cœurs des Juifs. Cela signifie forcément que ces cœurs sont présentement dans les ténèbres, une notion proche des anciennes formules supprimées par le pape Jean XXIII. De même, le symbolisme eschatologique auquel Jésus a recours lorsqu’il parle de la venue du Royaume de Dieu est interprété ici dans un sens plus étroit, comme une référence à l’intégration toutes les nations dans l’Église : cela implique un exclusivisme qui paraît étranger au Jésus des Évangiles. La prière de 1970, par contre, reconnaît la dignité du peuple juif et fait écho à l’affirmation de saint Paul concernant le maintien de l’alliance entre Dieu et Israël. Comme le dit Nostra Aetate : « Selon l"Apôtre, […] les dons et l"appel [de Dieu] sont sans repentance » (n. 4). Si cela est vrai, si les promesses faites par Dieu au peuple d’Israël tiennent toujours, nous pouvons certainement affirmer que les Juifs seront sauvés précisément en tant que Juifs, et non parce que le peuple d’Israël aura cessé d’exister. De fait, le Catéchisme de l’Église catholique semble évoquer une telle vision lorsqu’il affirme : « À la différence des autres religions non-chrétiennes la foi juive est déjà réponse à la révélation de Dieu dans l’Ancienne Alliance » (n. 839).

La prière constitue un obstacle très réel au dialogue : quelle sorte de dialogue attendre en effet si l’une des parties recherche chez l’autre une transformation qui la priverait effectivement de son identité spirituelle? Par ailleurs, il est bien difficile de ne pas percevoir, dans l’institution de cette prière, une ambiguïté, voire une contradiction, par rapport à l’attitude de l’Église envers les Juifs telle qu’elle s’exprime dans la prière de 1970 utilisée dans la liturgie ordinaire. En tant que catholique, j’ai toujours considéré avec fierté les efforts déployés par l’Église depuis le Concile pour guérir certaines des blessures historiques infligées aux Juifs par les chrétiens. Cette prière rouvre, hélas, certaines de ces blessures après une période de guérison si courte par rapport aux siècles de persécutions et de souffrances que les Juifs ont vécus. Dans cette optique, Saint Père, je vous supplie de n’utiliser que la prière de 1970 de la liturgie tridentine; je fais appel à vous au nom de mes frères et soeurs Juifs et au nom de tous ceux et celles d’entre nous qui sommes engagés dans le dialogue entre les Juifs et les chrétiens ; mais je fais également appel à vous au nom de tous ceux qui, en tant que catholiques, jugent l’évolution actuelle profondément troublante et y voient un obstacle pour nous au moment où nous entrons dans la célébration du mystère pascal.

Je vous prie d’agréer l’expression de ma très haute considération,

John Robinson

Notes