La Pâque Juive

La Pâque juive (Pessah) commémore la sortie du peuple hébreu d’Égypte et l’avènement du peuple juif après le don de la Torah au prophète Moïse sur le mont Sinaï. Pessah est le temps de notre Libération, (zémane hérouténou) et l’avènement de la nation juive avec l’octroi de la terre d’Israël plusieurs fois promise à Abraham, Isaac et Jacob.

Le thème de notre rencontre est «Pâque juive et Pâques chrétienne – Similitudes et différences»[1]. J’ai été, tout de suite, interpellée par la formulation de ce titre. Pourquoi parle-t-on de Pâque juive (au singulier) et des Pâques chrétiennes (au pluriel)? Je dois avouer que c’est la première fois que je me penche sur la question.

Il est vrai que chez les chrétiens il y a la crucifixion le vendredi saint et la résurrection le dimanche de Pâques, ce qui nécessite un pluriel. Mais la Pâque juive comporte aussi deux événements très importants dont l’un était conditionnel à l’autre et ils étaient suivis de la révélation de Dieu au Mont Sinaï avec le don de la Torah et la fête dure huit jours. Les deux événements en question sont Yétsiat Mitsraïm et Yetsiat miMitsraïm. Yetsiat Mitsraïm se réfère à l’éradication, chez les hébreux, de la culture idolâtrique égyptienne dans laquelle ils ont baigné pendant des siècles et Yétsiat miMitsraïm c’est la sortie, l’exode d’Égypte proprement dit. Ce deuxième événement auquel on associe la Pâque juive, n’aurait pas eu lieu si les hébreux n’avaient pas réussi l’épreuve que constituait le premier événement et qui porte le nom de korban pessah, le sacrifice pascal. Nous verrons plus loin en quoi cela a consisté.

La deuxième question qui s’est imposée à moi c’est l’adjectif «juive». À quoi cela fait-il référence?  C’est évidemment un terme qui se réfère aux juifs; mais qui sont «les juifs»? Et pourquoi est-ce que c’est la seule fête que l’on qualifie de «juive»? C’est quoi cette association entre les deux termes? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord déterminer et définir l’entité juive, comment elle est apparue dans l’histoire et continue à perdurer plus vibrante que jamais. Un survol historique rapide nous aidera à comprendre.

Définir l’entité juive

Le terme «juif» s’est chargé de tant de connotations négatives à travers les âges que nous juifs, nous demandons, à juste titre, s’il s’agit de nous ou est-ce une projection des autres sur nous. Personnellement, je ne me reconnais pas dans le juif décrit par les antisémites de tout acabit. Je souscris plutôt à ce que dit Élie Botbol, médecin et talmudiste: «Il faut que le nom de juif résonne pour ce qu’il est réellement et non pour ce qui lui est attaché comme charge négative et douloureuse»[2].

Pour savoir, donc, ce que signifie le terme «juif» tâchons de nous représenter son apparition dans l’histoire par un parcours rapide à travers la Bible et le Midrach. Après les six jours de la création, le texte dit: «Ainsi furent terminés le ciel et la terre et toutes leurs légions. Le septième jour, Dieu acheva Son travail qu’il avait fait et il s’abstint le septième jour de tout Son travail qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia car Il s’y était abstenu de tout Son travail que Dieu avait créé pour faire» (Genèse 2,1-3). La dernière expression «pour faire» laisse entendre l’existence d’un processus de création continu auquel l’humanité entière est invitée à participer comme partenaire de Dieu. Or entre Adam et Noé on compte dix générations au cours desquelles toute vie aussi bien humaine qu’animale s’est corrompue. Dieu n’est pas content. Il décide de détruire ce monde qui ne correspond pas au projet initial; mais il sauve une famille, celle de Noé, et un couple de chaque catégorie animale avant d’envoyer le déluge.

Dix générations plus tard, on se retrouve à Babel. Nimrod, fils de Canaan et petit-fils de Ham, un des fils de Noé assujettit les Babyloniens. Il devient roi et ordonne de construire une tour, la fameuse Tour de Babel, qui s’élancerait jusqu’au ciel et permettrait de livrer bataille contre Dieu. Cette deuxième série de dix générations a donc également échoué dans le devoir de mener à bien le plan de la création. Dieu veut de nouveau détruire le monde mais un homme, Abram, a été en mesure d’empêcher la destruction. Comment?

Le Midrach raconte que Terah, le père d’Abram, était un fabricant d’idoles dont il faisait commerce mais Abram était arrivé par sa propre logique à comprendre l’absurdité de toutes ces idoles. Il a découvert de façon personnelle l’existence d’un Être Suprême, créateur de tout. Il détruit donc toutes les idoles de son père. Celui-ci le dénonce au roi Nimrod qui le fait jeter dans une fournaise ardente mais il est miraculeusement sauvé des flammes. Abram répandait la notion du Dieu unique, père de l’humanité entière. Ce monothéisme était selon lui, inséparable de la morale qu’il pratiquait déjà, à savoir la justice et la charité. «Sa grandeur et son altruisme ont sauvé l’humanité»[3]. Le rôle qui aurait dû être celui de toute l’humanité, à savoir mener à bien le plan divin, lui est désormais dévolu. La Création renaît avec Abram qui veut dire père de Aram (la Chaldée), son peuple. Il devient plus tard Abraham c’est-à-dire père du monde entier. C’est lui et sa postérité qui vont dorénavant porter la charge du sacré dans le monde. Dieu s’adresse à lui en disant: «Va pour toi, hors de ton pays, de l’endroit où tu es né et de la maison de ton père, vers la terre que je te montrerai. Je ferai de toi un grand peuple (…) et toutes les familles de la terre se béniront par toi» (Genèse 12,1-3).

Sans hésiter Abram s’exécute et tourne le dos à la plus grande civilisation de l’époque, une civilisation totalitaire, idolâtre, corrompue qui accorde plus d’importance aux briques qui servent à construire la Tour de Babel qu’aux hommes qui meurent d’épuisement pour accomplir cette tâche.

Afin de quitter Babel, Abram devait traverser l’Euphrate et se rendre à l’autre rive du fleuve. En hébreu on dit aller mé éver la nahar. Éver qui vient du verbe la’avor, «traverser», donne le mot ivri, «hébreu». Un hébreu est celui qui quitte un monde immoral pour un pays que Dieu lui destine. Il se trouve désormais de l’autre côté d’une ligne (mé ever la nahar) le séparant du reste de ce monde immoral et idolâtre.

Abram, l’araméen, le chaldéen, le babylonien, devient Abram Ha-ivri «Abram l’hébreu» qui n’a rien à voir à ce stade avec le mot juif. Il est alors âgé de 75 ans et son épouse Saraï de 65 ans. Ils arrivent en Canaan et Dieu se manifeste de nouveau et lui annonce: «Je suis l’Éternel Qui t’ai fait sortir d’Our Kasdim (là où il a été jeté dans la fournaise ardente) pour te donner cette terre pour en hériter (…) Sache bien que ta descendance sera étrangère dans un pays qui n’est pas le sien; ils les asserviront et les opprimeront, quatre cents ans (…) et la quatrième génération reviendra ici, car le péché de l’amorréen ne sera pas complet jusqu’alors» (Genèse 15,13-15).

Après dix ans de séjour en Canaan, Saraï voyant qu’elle ne donnait pas d’enfant à Abram, lui dit de s’unir à sa servante Hagar l’égyptienne. Celle-ci conçut et eut un fils, Ishmael. Abram avait alors 86 ans. À 99 ans Dieu lui apparut de nouveau et lui dit: «Je suis El Chaddaï; marche devant Moi et sois parfait. J’établirai Mon alliance entre Moi et toi (…) tu seras le père d’une multitude de peuples; et ton nom ne s’énoncera plus Abram; ton nom sera Abraham car je t’ai fait père d’une multitude de peuples (…) Ceci est mon alliance que vous garderez entre Moi et vous et ta descendance après toi, en alliance éternelle, afin d’être Dieu pour toi et pour ta descendance après toi; (…) Je vous donnerai (…) tout le pays de Canaan en patrimoine éternel et je serai leur Dieu: tout mâle parmi vous sera circoncis (…) à l’âge de huit jours (…) Quant à Saraï ton épouse, tu ne l’appelleras plus Saraï, car Sara est son nom. Je la bénirai et je te donnerai aussi un fils d’elle (…) elle t’enfantera un fils et tu le nommeras Isaac; et J’établirai mon alliance avec lui comme un pacte éternel pour sa descendance après lui» (Genèse 17,3-4.15).

Isaac naquit donc un an après cette annonce, une naissance miraculeuse vu l’âge des parents, une naissance voulue et ordonnée par Dieu lui-même, contrairement à celle d’Ishmaël, une naissance naturelle. Et c’est même Dieu qui décide du prénom Isaac de cet enfant. Isaac engendra Jacob et Esaü. Plus tard, Jacob s’exile en Chaldée chez son oncle Laban, le frère de sa mère Rébecca, pour échapper à la vindicte de son frère Ésaü à qui il aurait volé le droit d’aînesse. Il épouse Rachel, Léa, Zilpah et Bilha qui lui donnent 11 enfants en Chaldée. Il décide de revenir en Canaan. Avant sa rencontre avec Ésaü qui s’en vient vers lui avec une grande armée a eu lieu l’épisode de la lutte avec l’Ange, lequel, après avoir lutté toute la nuit avec Jacob, lui dit: «Il ne sera plus dit que ton nom est Jacob mais Israël, car tu as lutté avec le Divin et avec les hommes et tu as triomphé» (Genèse 32,29). Et Dieu lui répéta la même chose un peu plus loin en ajoutant: «Et le pays que J’ai donné à Abraham et à Isaac, à toi Je le donnerai et à ta descendance après toi Je le donnerai» (Genèse 35,12).

Rachel donna ensuite naissance à Benjamin, le douzième fils de Jacob. À partir de ce moment la Torah utilise tantôt le terme hébreu, tantôt l’expression Bneï Israël pour désigner les descendants de Jacob. Plus tard, Joseph fut vendu comme esclave en Égypte, où il s’identifia comme hébreu. Il précisa qu’il avait été enlevé du pays des hébreux (Genèse 40,15) et les égyptiens eux-mêmes le désignèrent comme ish hivri, «l’homme hébreu». Il y devint, comme on sait, vice-roi d’Égypte. Une famine se déclara ensuite en Canaan forçant les hébreux, c’est-à-dire Jacob et sa famille (70 personnes) à descendre en Égypte. Là, commence à se réaliser la prophétie selon laquelle la descendance d’Abraham sera asservie et opprimée.

Par déférence pour Joseph qui était vice-roi, Pharaon donna à ces chaldéens devenus des hébreux et des Bneï Israël la région fertile de Goshen. Ils s’y installèrent et s’occupèrent de leurs troupeaux de moutons loin des égyptiens, car être berger était une abomination pour les égyptiens qui idolâtraient les moutons. Ces animaux étaient de véritables divinités aux yeux des égyptiens. Bien qu’installés à Goshen, les hébreux, au cours des siècles d’esclavage se sont laissés corrompre par cette civilisation d’idolâtres. Plus tard, un autre Pharaon vint. Il ne connaissait pas Joseph ni ceux qui l’avaient connu dans toute sa gloire lorsqu’il sauva l’Égypte de la famine. Ce nouveau Pharaon asservit les hébreux comme Dieu avait prédit à Abram.

À ce stade les hébreux sont déjà des Bneî Israël, des israélites mais n’ont pas encore acquis l’appellation de juifs. Il faut attendre leur sortie d’Égypte, la Révélation de Dieu et le Don de la Torah au Mont Sinaï, l’errance pendant quarante ans dans le désert, la conquête de Canaan ordonnée par Dieu, la division entre les différentes tribus de cette Terre devenue Eretz Israël, l’apparition de la royauté, l’évolution politique qui a donné naissance au Royaume d’Israël et au Royaume de Judée. Les ressortissants de ce dernier royaume qui fait référence à la tribu de Judah, yéhouda en hébreu, se nomment yéhoudim en langue hébraïque, «judéens» ou «juifs» en français.

On voit ici, pour reprendre l’expression «What’s in a name?», l’évolution dans le temps et l’espace de cette nomenclature: les judéens, c’est-à-dire les juifs, sont les anciens chaldéens ou araméens devenus hébreux puis Bnëi Israël que Dieu est allé chercher lui-même pour en faire un peuple et une nation sur la Terre d’Israël qu’il leur donne ad olam, c’est-à-dire pour l’éternité, expression employée plusieurs fois. De nos jours et depuis longtemps déjà, le terme juif a remplacé tous les autres.

Le «passage» des hébreux

Cela n’a pas été, toutefois, facile de passer de l’hébreu d’origine à judéen ou juif. Les hébreux avaient atteint un tel degré de déchéance dans la société idolâtre égyptienne qu’il fallait les soumettre à une première épreuve, celle de Yétsiat Mitzraîm, c’est-à-dire l’extirpation, l’éradication d’eux-mêmes de l’idolâtrie égyptienne par laquelle ils s’étaient laissés contaminer. Et c’est là que commence la pâque juive.

Après des siècles d’esclavage, le prophète Moïse reçoit l’ordre divin d’aller délivrer les hébreux de l’esclavage égyptien. À ce stade les hébreux ne constituent pas encore la nation juive, même si on les nomme déjà les «Bneï Israël», les israélites.

Lors de la dixième plaie, celle qui s’attaque directement à l’idolâtrie, Dieu s’adresse à Moïse et à Aaron leur disant: «Parlez à toute la communauté d’Israël (Israël, je rappelle, est le nom que Jacob porte désormais depuis son combat avec l’ange) en disant: le dixième jour de ce mois-ci, ils prendront pour eux (…) un agneau par maison paternelle (…) il sera pour vous en observation jusqu’au quatorzième jour de ce mois-ci, toute la communauté d’Israël l’abattra l’après-midi. Ils prendront du sang et le mettront sur les deux montants et sur le linteau des maisons (…) c’est un sacrifice de pessa’h pour l’Éternel. Je traverserai le pays d’Égypte cette nuit-là et Je frapperai tout premier-né dans le pays d’Égypte, depuis l’homme jusqu’à la bête; et je ferai justice de tous les dieux d’Égypte (…) le sang sera pour vous un signe sur les maisons dans lesquelles vous vous trouverez; Je verrai le sang et je passerai au-dessus de vous (c’est pour cela que la pâque se nomme passover en anglais); et il n’y aura pas contre vous de fléau de destruction lorsque je frapperai dans le pays d’Égypte» (Exode 12,12).

Imaginez un moment ce que Dieu exige de cette bande d’esclaves, totalement impuissants et sans ressources. C’est Dieu lui-même qui exige de prendre rien de moins qu’un agneau, considéré comme une divinité égyptienne, de l’égorger au vu et au su de tous, et de mettre en plus le sang de ce sacrifice pascal, le korban pessah, sur les linteaux des maisons.

En obéissant avec dévouement, courage et dignité, sans craindre le Pharaon, son armée et ses décrets, les esclaves hébreux ont démontré leur foi en Dieu et ont eu le mérite de devenir le peuple de Dieu, les Bneï Israël, une nation éternellement libre.

C’est donc Dieu, Lui-même, et non un ange ou un messager divin qui va procéder, à présent, à leur sortie d’Égypte comme cela est précisé dans la Haggadah de Pessah, le récit que tous les juifs font lors du Séder de Pâque. Ce deuxième événement, la sortie physique d’Égypte, Yétsiat miMitsraîm, l’exode proprement dit, n’aurait pas pu avoir lieu si les hébreux avaient refusé, par peur ou manque de foi, d’immoler l’agneau, divinité égyptienne, pour extirper, éradiquer d’eux-mêmes l’idolâtrie à laquelle ils s’étaient adaptés. L’histoire des descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob se serait arrêtée là. La foi l’a emportée. Le peuple juif, jusqu’à ce jour, hay vékayam, c’est-à-dire qu’il a traversé le temps et continue de vivre et d’exister dans sa judéité malgré, les exils, les souffrances, les persécutions que les nations lui ont infligés au cours des siècles. Et, contre toute attente, tout de suite après la Shoah, ce peuple exsangue, diminué du tiers de sa population, est de retour sur sa Terre ancestrale, Éretz Israël, terre où sa langue biblique est ressuscitée également.

Pessah commémore, donc, la sortie du peuple hébreu d’Égypte et l’avènement du peuple juif après le don de la Torah au prophète Moïse sur le mont Sinaï. Pessah ou pâque juive, que l’Éternel nous ordonne de commémorer ad olam, pour l’éternité est donc le temps de notre Libération, zémane hérouténou, et l’avènement de la nation juive, avec l’octroi de la terre d’Israël plusieurs fois promise à Abraham, Isaac et Jacob.

Un peuple libre

Qu’est-ce que cela signifie exactement? Tout d’abord, lorsque Dieu, par la bouche de Moïse et d’Aaron, s’adresse au peuple en disant «Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois, il sera pour vous le premier des mois de l’année» (Exode 12,2), Il souligne le nouveau rapport des enfants d’Israël avec le temps. Tant qu’ils étaient des esclaves, le temps ne leur appartenait pas, il appartenait plutôt à leurs maîtres, ceux qui les asservissaient. Maintenant, ils sont en contrôle du temps et ne sont soumis qu’à Dieu, leur seul et unique Maître.

Ils sont tenus de sanctifier le Rosh Hodesh, la nouvelle lune. Celle-ci symbolise le renouveau, la capacité de renaître de ses cendres, de toutes les oppressions et de retrouver la gloire passée[4]. Tout comme la lune disparaît à la fin de chaque mois mais réapparaît pour croître jusqu’à sa plénitude, de même, Israël subit parfois l’exil et le déclin mais se renouvelle constamment. Cet aspect essentiel de l’histoire juive s’est révélé pour la première fois en Égypte. Le peuple y avait sombré dans l’impureté et la déchéance pour se renouveler de façon prodigieuse et accéder, sept semaines plus tard à la Révélation au Mont Sinaï où il atteignit un niveau quasi prophétique.

On compte donc les mois à partir de la sortie d’Égypte. En faisant cela, on arrive à une situation étrange où Nisan, ce mois printanier est désigné le premier mois du peuple juif en tant qu’entité nationale, mais la nouvelle année, le jour de l’an, a lieu le premier Tishri, septième mois de l’année.

Faire le compte des mois à partir de Nisan revient à se souvenir en permanence de la sortie d’Égypte. Comme Dieu s’adresse pour la première fois à toute la communauté (éda) d’Israël pour donner des instructions sur le sacrifice pascal (korban pessah). Ce commandement instaure une ère nouvelle: le peuple juif est désormais une nation unie par une vocation commune de peuple choisi pour servir Dieu et surtout être témoin de Dieu afin que l’humanité reconnaisse son origine divine.

Son rapport avec Dieu se fait directement, sans intermédiaire[5], à tel point que dans le Décalogue (les Dix commandements) Dieu ne se présente pas comme celui qui a créé les cieux et la terre mais comme Celui qui a fait sortir Israël d’Égypte en défiant toutes les lois de la nature. Dans toutes nos prières, au quotidien, à chaque Shabbat, à chaque fête nous rappelons constamment le souvenir de la sortie d’Égypte.

Être libre c’est aussi libérer la parole. Quand on décompose le mot Pessah en deux syllabes, on obtient Pé-Sah c’est-à-dire la «bouche libre». L’hébreu libéré peut désormais s’exprimer sans crainte aucune, ce qu’un esclave ne pouvait faire.

Par ailleurs, en recevant la Torah, un code moral rigoureux et en s’y conformant, le juif ne se laisse pas dominer par ses pulsions et ses instincts. Il devient libre de toute dépendance. On constate qu’en conjuguant les efforts de l’être humain et l’assistance divine, toute l’humanité peut prétendre aux joies et aux responsabilités de la liberté.

La sortie d’Égypte a fait des enfants d’Israël un peuple éternellement libre. Depuis ce moment toute servitude ou oppression, et Dieu sait s’il y en a eu, est perçue comme phénomène temporaire, incapable d’altérer l’essence du peuple[6].

Cet héritage d’espoir et de confiance en des temps meilleurs est resté l’âme de l’histoire juive. L’observance de la «fête de la liberté» demeure un décret éternel (ad olam). La Pâque juive est donc fêtée tous les ans pendant huit jours à partir de la pleine lune du mois printanier de Nisan et les lois à suivre sont énoncées dans Exode 12,17-18.

Comment célèbre-t-on la Pâque?

Avant la fête proprement dite, on recherche et on détruit toute nourriture à base de levure se trouvant dans la maison. On détruit également tout ce qui est hametz, boisson, aliment ou tout autre produit fait à partir du blé, de l’orge, du seigle, de l’avoine, de l’épeautre ou de leurs dérivés. La veille de la fête au soir, on organise à la maison la recherche du hametz. Il faut s’assurer que la maison est cachère pour célébrer la Pâque.

Les deux premiers soirs de la fête, 14 et 15 Nisan, il y a un festin élaboré de Pessah, qui se déroule selon le Séder, «l’ordre». Il est composé d’aliments qui revêtent une importance symbolique spéciale. Au cours du Séder, la famille du plus grand au plus petit revit l’expérience de la rédemption en se concentrant sur ce qu’implique le fait d’appartenir au peuple juif. Bénédictions, alimentation, récits et chants se suivent. Un grand plat, le plat du Séder, est placé au centre de la table. Il contient les différents mets symbolisant l’esclavage en Égypte et la délivrance du peuple.

Les symboles du Séder sont:

- L’agneau: il représentant le sacrifice demandé aux Hébreux quatre jours avant leur libération. Un os grillé d’agneau est présent dans le plat du Séder;

- Beitsa: un œuf dur. Il est là en signe de deuil, en souvenir de la destruction du Temple comme il est dit: «Je placerai Jérusalem au-dessus de mes plus grandes joies»;

- Maror: ce sont les herbes amères, en général, de la romaine, endives ou raifort pour rappeler la vie amère de nos ancêtres;

- La matza ou pain azyme: du pain qui n’a pas eu le temps de lever, symbole de la hâte avec laquelle les Hébreux ont recouvré la liberté, grâce aux miracles réalisés par Dieu;

- Harosset: compote à base de dattes, d’amandes, de pommes, de noix broyées et délayées dans du vin doux. Il symbolise le mortier avec lequel nos ancêtres fabriquèrent des briques pour les Pharaon;

- Karpas: persil ou céleri que l’on trempe dans de l’eau salée en souvenir des larmes versées par nos ancêtres lors de leur esclavage;

- Quatre coupes de vin: elles symbolisent les quatre moments de la délivrance et de la rédemption: «Je vous sortirai du fardeau des Égyptiens, Je vous délivrerai de leur servitude, Je vous affranchirai par un bras étendu et par de grands jugements et Je vous prendrai pour Mon peuple» (Exode 6,6-7).

- Une cinquième coupe de vin: pour le prophète Élie qui sera l’annonciateur «du jour de l’Éternel grand et redoutable» (Malachie 3,23). Ce jugement vise le peuple juif divisé entre ses différents maîtres qui ne sont pas d’accord entre eux et ne parviennent pas à trancher sur certaines questions de droit. Élie viendra non pour donner une nouvelle Torah, mais pour renforcer celle qui nous a été donnée au Sinaï et qui vaut pour toutes les générations[7].

- Et le souhait: «L’an prochain à Jérusalem!»

Lors de la soirée il y a la lecture de la Haggadah, le recit de cet événement historique. C’est un commandement divin que de raconter ce qui s’est passé comme il est dit: «(…) afin que tu racontes aux oreilles de ton fils et du fils de ton fils». Cela se fait sous forme de dialogue.

Le plus jeune, celui qui ne comprend pas ce qui se passe, pose la question: «En quoi cette nuit est différente des autres nuits?» On lui donne l’explication nécessaire. Puis on fait intervenir quatre sortes de fils:

- Le sage (hakham) demande: «Que signifient les lois, les préceptes et les ordonnances que l’Éternel notre Dieu, vous a prescrits?» On répond en conséquences.

- Le pervers (rachah), celui qui se détache de sa communauté: «Quelle signification a pour vous cette cérémonie?» Comme il s’exclut de la collectivité on lui rappelle que s’il avait été présent, il n’aurait pas été sauvé.

- Le simple (tam) demande: «Qu’est-ceci?» On lui explique comment avec une main puissante l’Éternel nous a fait sortir d’Égypte.

- Celui qui ne sait pas questionner (véshéeino yodéah lishol), «commence toi-même à lui en parler».

À travers cette série de questions et réponses on s’assure que la transmission se fait de génération en génération. On pourrait intituler cette fête de Pessah «fête du dialogue». Il y a une sublimation de la parole qui a atteint son paroxysme lorsque le peuple d’Israël traversa la mer, transforma cette parole en chant, en éloges au Créateur. Ce chant figure dans notre rituel de prières et s’intitule Chirat Hayam, «Le cantique de la mer». Dieu devient omniprésent pareil à un père qui s’occupe de ses enfants.

En nous faisant don de la Torah, Dieu nous libère à tout jamais car: «Seul l’homme qui accepte le joug de la conscience et de la connaissance de la Torah et des préceptes est affranchi du joug de ses instincts et de ses penchants (…) Telle est la véritable liberté de l’homme»[8]. Telle est la finalité de la sortie d’Égypte. Telle est la signification de la Pâque juive.

[1] Intervention lors d’une conférence à deux voix au groupe de Dialogue judéo-chrétien du Temple Emanu-El-Beth Sholom de Montréal, le 21 mars 2018. La fête chrétienne de Pâques a été présentée par le P. Bruno Demers, o.p.

[2] Élie Botbol Quel avenir pour le judaïsme? (Paris, L’Harmattan, 2006), p. 21-22. Pour le développement qui suit, voir entre autres Élie Munk, La voix de la Thora, I-II (Paris, Fondation Samuel et Odette Lévy, 3e édition 1980). ¬

[3]Le Houmach – L’édition Edmond J. Safra ( Brooklyn, Artscroll Mesorah, 2014), p. 52.

[4]Ibid., p. 373.

[5]Ibid., p. 377.

[6]Ibid., p. 379; voir Exode 12,14-18.

[7] Yeshayahou Leibowitz, Les fêtes juives (Paris, Cerf, 2008), p. 93.

[8]Ibid., p. 107.

Remarques de l’éditeur

Sylvia Ayelet ASSOULINE est enseignante de carrière. Originaire du Maroc, elle a vécu en Israël avant de s’installer au Québec. Elle est auteur et metteur en scène de pièces de théâtre, auteur de manuels scolaires, de nombreux articles parus dans différents magazines et d’un roman. Très active dans sa communauté, elle participe au Dialogue judéo-chrétien de Montréal depuis de nombreuses années.