Jérusalem – L’Église catholique et la Ville Sainte

Le pape François a parlé de Jérusalem lors de son audience générale du 6 décembre 2017, quelques heures avant que le président américain Donald Trump n’affirme que son gouvernement reconnaît Jérusalem comme «la capitale d’Israël». Le pape François a dit:

«Je ne peux taire ma profonde préoccupation face à la situation qui s’est développée ces derniers jours et, en même temps, je souhaite lancer un appel sincère pour que chacun s’engage à respecter le statu quo de la ville, conformément aux résolutions pertinentes des Nations Unies. Je prie le Seigneur que cette identité soit préservée et renforcée au profit de la Terre Sainte, du Moyen-Orient et du monde entier, et que la sagesse et la prudence prévalent, pour éviter d’ajouter de nouveaux éléments de tension dans un monde déjà secoué et marqué par de nombreux conflits cruels.»

Quelle est la position du Saint-Siège sur Jérusalem et comment s’est-elle développée au cours des cent dernières années?

Jérusalem est plus qu’un lieu géographique ou une réalité sociopolitique pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Jérusalem est un lieu saint où Dieu s’est révélé au fil des générations. La géographie sacrée place Jérusalem au centre même de la création. De Jérusalem, le message du salut de Dieu s’étend à toute la terre. Les descendants directs de l’ancien Israël, le judaïsme, le christianisme et l’islam regardent tous vers Jérusalem, vénérant avec amour les Lieux Saints dans l’enceinte de la ville mais veillant aussi avec zèle à ce que les fidèles des autres religions ne dépassent pas les frontières invisibles fixées par la tradition et l’histoire. Chrétiens, musulmans et juifs ont gouverné la ville tour à tour, mais la vocation de Jérusalem à être «ville de paix» n’a pas encore été réalisée.

L’Église catholique regarde Jérusalem avec amour et sollicitude. Le Pape Jean-Paul II a consacré à Jérusalem sa lettre apostolique de 1984, Redemptionis anno, dans laquelle il exprime la profondeur de l’attachement et de la pensée chrétienne au sujet de la ville. Cette lettre résume bien le point de vue catholique contemporain sur Jérusalem:

«Je pense particulièrement à la ville de Jérusalem, où Jésus, offrant sa vie, ‘de deux peuples en a fait un seul, abattant le mur de séparation qui les divisait… Il a lui-même détruit la haine’ (Éphésiens 2,14.16).

Jérusalem, avant même d’être la ville de Jésus, le Rédempteur, a été le lieu historique de la révélation biblique de Dieu, le point où, plus qu’en tout autre lieu, se noue le dialogue entre Dieu et les hommes, comme le point de rencontre entre la terre et le ciel.

Vers elle, les chrétiens regardent avec une religieuse et jalouse affection, parce que c’est là que tant de fois a résonné la parole du Christ, là que se sont déroulés les grands événements de la Rédemption, c’est-à-dire la passion, la mort et la résurrection du Seigneur. À Jérusalem est née la première communauté chrétienne et là s’est maintenue au fil des siècles, malgré les difficultés, une présence ecclésiale continue.

Pour les juifs, c’est l’objet d’un vif amour et d’une mémoire perpétuelle, riche de nombreux souvenirs et impressions, depuis l’époque de David, qui l’érigea en capitale, et de Salomon, qui y édifia le Temple. Depuis lors, ils regardent vers elle, pour ainsi dire, tous les jours et la considèrent comme le symbole de leur nation.

Les musulmans aussi appellent Jérusalem ‘La Sainte’, avec un profond attachement qui remonte aux origines de l’islam, et qui est motivé par des lieux privilégiés de pèlerinage et par une présence plus que millénaire et presque ininterrompue.

Outre ces témoignages rares et éminents, Jérusalem accueille des communautés vivantes de croyants dont la présence est gage et source d’espérance pour les gens de toutes les parties du monde qui regardent la Ville sainte comme leur propre patrimoine spirituel et un signe de paix et d’harmonie. Oui, à cause de sa qualité de patrie de cœur pour tous les descendants spirituels d’Abraham, qui nous est si chère, et de point de rencontre, aux yeux de la foi, entre la transcendance infinie de Dieu et la réalité d’être créé, Jérusalem est devenue un symbole de rencontre, d’union et de paix pour toute la famille humaine.»  (Redemptionis anno, 4 avril 1984).

La question de Jérusalem est aussi une question politique et pourtant l’Église catholique ne se considère pas d’abord comme une réalité politique. Le développement de la politique de l’Église à l’égard d’une question comme Jérusalem est guidé par deux orientations fondamentales formulées au cours du XXe siècle. La première, formulée dans le Traité du Latran de 1929, qui reconnaît l’État du Vatican comme entité politique, est que le Saint-Siège conserve sa neutralité sur les questions de conflit politique. L’article 24 de ce traité définit la neutralité du Saint-Siège: «Le Saint Siège, en relation à la souveraineté qui lui revient aussi dans le domaine international, déclare vouloir rester et restera étranger aux compétitions temporelles entre les autres États et aux Congrès internationaux sur ces sujets, à moins que les parties contentieuses fassent ensemble appel à sa mission de paix, se réservant en tous les cas de faire valoir son pouvoir moral et spirituel.»

Pendant le Concile Vatican II, conclu en 1965, l’Église, dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes, a donné aux fidèles des orientations sur leur comportement politique: «Le Concile se propose de lancer un appel ardent aux chrétiens pour qu’avec l’aide du Christ, auteur de la paix, ils travaillent avec tous les hommes à consolider cette paix entre eux, dans la justice et l’amour, et à en préparer les moyens» (n. 77).

Au cours du siècle dernier, l’Église catholique et les pontifes romains qui l’ont guidée ont exprimé à maintes reprises leur préoccupation pour Jérusalem, cherchant à sauvegarder les intérêts chrétiens dans la ville et à promouvoir la vocation religieuse de la ville. Les modalités prévues pour atteindre cet objectif ont changé au cours du siècle dernier, à mesure que les réalités politiques ont changé et que le champ des principales préoccupations de l’Église s’est étendu. D’abord et avant tout, deux préoccupations fondamentales pour Jérusalem sont restées constantes:

- la protection des Lieux Saints chrétiens et leur libre accès pour les chrétiens,

- le bien-être des résidents chrétiens de Jérusalem.

Plus récemment, deux autres préoccupations ont été clairement formulées et fournissent un contexte dans lequel la position de l’Église sur Jérusalem est formulée:

- la promotion de la justice et de la paix,

- la promotion du dialogue et de la coopération interreligieuse.

La discussion ici se concentre directement sur la question de Jérusalem, mais cette question est liée à un éventail plus large de questions, y compris les relations du Saint-Siège avec les communautés chrétiennes en Terre Sainte et au Moyen-Orient, le dialogue avec les juifs et les musulmans, la promotion de la justice et de la paix en Israël/Palestine et au Moyen-Orient en général et l’interprétation des Écritures.

Au cours du siècle dernier, on distingue trois étapes dans le développement de la pensée catholique à l’égard de Jérusalem: la ville en tant que «corpus separatum», la ville jouissant d’un «statut spécial garanti internationalement» et enfin, la ville telle que définie dans un règlement négocié, fruit d’un dialogue entre Israéliens et Palestiniens avec la participation de toutes les parties intéressées et de la communauté internationale.

De 1917 à 1962

Le 10 décembre 2017 marque le 100e anniversaire de la conquête britannique de Jérusalem dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Le 2 novembre 1917, quelques semaines à peine avant l’entrée des Britanniques à Jérusalem et la défaite des Turcs ottomans, le gouvernement britannique avait publié la Déclaration Balfour, qui promettait «l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif». Bien que le Pape Benoît XV se soit félicité du retour de Jérusalem et des Lieux Saints aux mains des chrétiens (Discours aux cardinaux, 10 mars 1919), il s’est inquiété de ce que l’arrivée d’un grand nombre de juifs puisse mettre en danger les communautés chrétiennes et même les remplacer (Discours aux cardinaux, 13 juin 1921). Dans son premier discours aux cardinaux, le successeur de Benoît XVI, le pape Pie XI a également exprimé sa préoccupation, faisant écho à celle de son prédécesseur, que les droits des catholiques à Jérusalem pourraient être affectés négativement par le changement du statut des juifs, musulmans et non-catholiques (en particulier les anglicans et les protestants) (Discours aux cardinaux, 11 décembre 1922).

Le Saint-Siège, bien qu’il n’ait pas été invité à participer à la définition du mandat britannique pour la Palestine par la Société des Nations, a explicitement formulé sa position et s’est appuyé sur l’administration française pour porter cette position à l’attention des décideurs. Le secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Gasparri, a écrit au secrétaire général de la Société des Nations que, bien que le Saint-Siège n’ait aucune objection à ce que les Britanniques reçoivent le mandat pour la Palestine, il avait de grandes réserves quant au changement de statut des juifs que cela pourrait comporter. L’article 4 du Mandat prévoyait l’implication d’une «agence juive appropriée» dans «l’établissement du foyer national juif» et l’évolution du pays. Gasparri, tout en soulignant que «le Saint-Siège ne s’oppose pas à ce que les juifs aient des droits civils égaux en Palestine», a souligné qu’il ne pouvait accepter que les juifs se voient accorder une position privilégiée par rapport aux autres. Le Cardinal a attiré l’attention sur trois développements inacceptables: la reconnaissance d’un organe directeur juif en Palestine parallèlement à l’administration britannique (c’est-à-dire l’exécutif sioniste devenu l’Agence juive en 1929), son implication dans le développement du pays et la promotion de l’immigration juive en Palestine (Lettre, 15 mai 1922).

Au cours des trois décennies qui ont suivi la Première Guerre mondiale, l’Église a continué d’insister sur la protection des Lieux Saints et sur les droits des communautés chrétiennes. La manière la plus efficace de protéger Jérusalem, selon le Saint-Siège, était de garantir à la ville un régime international. Dans ces années, l’idée d’un «corpus separatum», d’un corps séparé, devint la base de la vision de l’Église de Jérusalem comme une ville sûre pour les chrétiens, accessible à tous et exclue du conflit territorial. Le Saint-Siège ne s’est pas contenté de préciser cette vision par des déclarations, il a également commencé à faire pression en faveur de cette idée, en particulier auprès de la Société des Nations et plus tard auprès des Nations Unies. Évitant de prendre position sur le nationalisme sioniste ou palestinien, l’Église a insisté pour que le mandat ne soit pas utilisé comme un moyen de changer le caractère de la Ville Sainte. En 1937, la Commission Peel instituée par les Britanniques demandait la partition de la Palestine et un «corpus separatum», sous contrôle international, qui comprendrait Jérusalem, Bethléem, Nazareth et la mer de Galilée. Le plan de partition des Nations Unies de 1947 proposait également un «corpus separatum» pour Jérusalem et Bethléem, sous la juridiction des Nations Unies. Dans la partie III de la Résolution 181 (1947), l’ONU a proposé ceci: «La Ville de Jérusalem sera constituée en corpus separatum sous un régime international spécial et sera administrée par les Nations Unies. Le Conseil de tutelle sera désigné pour assurer, au nom de l’Organisation des Nations Unies, les fonctions d’Autorité chargée de l’administration.» La résolution proposait qu’après une période de dix ans, la situation soit réexaminée. Cette résolution est définitive pour le droit international et reste fondamentale pour la discussion sur le statut de Jérusalem.

Avec l’escalade de la violence en Palestine à la fin des années 1940, l’Église n’a cessé d’appeler à ce que «la justice et la paix deviennent une réalité» (Pape Pie XII, Discours aux délégués de la Commission suprême arabe de Palestine, 3 août 1946). Déplorant la guerre et la destruction en Palestine, le Pape Pie XII consacra le mois de mai 1948 à une intercession spéciale pour la Palestine, priant pour que «la concorde et la paix triomphent» (Encyclique Auspicia quaedam, 1 mai 1948), mais sans succès. Pendant et après la guerre de 1948, le pape Pie XII, clairement peiné par la guerre et les souffrances humaines qu’elle a causées, a également exprimé son indignation en entendant des rapports sur la profanation d’églises et autres institutions catholiques. Il a clairement exposé l’idée que Jérusalem se voie garantir un statut qui la mettrait à l’écart du conflit en cours entre le nouvel État d’Israël et ses voisins arabes. Son encyclique In Multiplicibus, publiée le 24 octobre 1948, est entièrement consacrée à la question de la guerre en Terre Sainte. A la fin de cette encyclique, le Pape a insisté sur le fait qu’«il serait opportun de donner à Jérusalem et à sa périphérie, où se trouvent tant et tant de précieux souvenirs de la vie et de la mort du Sauveur, un caractère international qui, dans les circonstances actuelles, semble offrir une meilleure garantie pour la protection des sanctuaires. Il serait également nécessaire d’assurer, avec des garanties internationales, à la fois le libre accès aux Lieux Saints disséminés dans toute la Palestine et la liberté de culte et le respect des coutumes et des traditions religieuses.»

Quelques mois plus tard, après la fin de la première guerre israélo-arabe, le pape Pie XII écrivit que «le temps est venu pour Jérusalem et ses environs, où les anciens mémoriaux de la vie et de la mort du Divin Rédempteur doivent être préservés, de se voir accorder et garantir légalement un statut ‘international’, qui dans les circonstances actuelles semble offrir la meilleure et la plus satisfaisante protection pour ces monuments sacrés» (Encyclique Redemptoris nostri, 15 avril 1949). Il a appelé les catholiques du monde entier à user de leur influence pour «persuader les dirigeants des nations, et ceux qui ont le devoir de régler cette importante question, d’accorder à Jérusalem et à ses environs un statut juridique dont la stabilité dans les circonstances actuelles ne peut être assurée de manière adéquate que par un effort uni des nations qui aiment la paix et respectent le droit des autres.»

Le Saint-Siège n’a pas établi de relations diplomatiques avec Israël ni avec la Jordanie après l’armistice de janvier 1949. Cependant, la Délégation apostolique à Jérusalem (établie comme représentation du Saint-Siège en 1946) et les autorités ecclésiastiques locales et les communautés religieuses ont tenu le Saint-Siège au courant des faits sur le terrain, et le pape Pie XII a continué à protester contre la situation désespérée des réfugiés, déplacés par la guerre, ainsi que la profanation de divers lieux saints. Le statut de «corpus separatum» pour Jérusalem a été repris par les Nations Unies dans la résolution 303 en décembre 1949, mais Israël et la Jordanie ont refusé l’idée, ayant tous deux annexé des parties de Jérusalem divisées en zones sous leur pleine juridiction.

De 1962 à 1992

La convocation du Concile Vatican II en 1962 par le Pape Jean XXIII devait marquer un tournant dans l’histoire de l’Église. Parmi les questions abordées au Concile, plusieurs auront un impact sur la manière dont l’Église formulera sa position sur Jérusalem: la promotion des relations œcuméniques avec les orthodoxes et les protestants, le dialogue naissant avec les juifs et les musulmans et l’appel au dialogue avec le monde moderne.

À la fin de la deuxième session du Concile Vatican II, le successeur du Pape Jean XXIII, le Pape Paul VI, a annoncé qu’il visiterait la Terre Sainte. C’était la première fois qu’un pape quittait le territoire italien depuis 1809 et la première fois qu’un pape quittait l’Europe depuis des siècles. Ce premier voyage a été conçu comme un retour aux racines de l’Église. Sans mentionner explicitement le nom d’Israël ou de la Jordanie, le Pape Paul a expliqué que ce pèlerinage, principalement motivé par la piété, aurait aussi pour but «d’implorer la miséricorde divine en faveur de la paix entre les hommes» (Discours du 4 décembre 1963). Au cours de ce voyage, il a continué à éviter de nommer des réalités politiques spécifiques, son discours se concentrant sur l’histoire du salut et la relation de la chrétienté avec la terre et la Ville Sainte. Debout à la Porte de Damas, dans la partie jordanienne de la ville, le Pape Paul a dit avec beaucoup d’émotion: «Aux habitants de Jérusalem, nous disons notre grande estime pour leur esprit religieux et pour les nobles traditions de courtoisie et d’hospitalité à l’égard de tous les pèlerins des Lieux Saints» (Discours du 4 janvier 1964). La rencontre la plus importante à Jérusalem n’a pas été avec les autorités politiques, les juifs ou les musulmans, les Israéliens ou les Arabes, mais avec les patriarches grecs orthodoxes de Constantinople et de Jérusalem, Athénagoras et Bénédictos – un symbole durable du désir d’unité chrétienne.

Trois ans plus tard, au début de la guerre de 1967, le pape Paul a envoyé un télégramme à U Thant, secrétaire général des Nations unies, exprimant l’espoir que Jérusalem puisse être déclarée «ville ouverte et inviolable» (Télégramme du 5 juin 1967). Deux jours plus tard, lors de l’audience générale, alors que la guerre faisait rage, le pape Paul réitéra ce souhait: «(...) il est de l’intérêt suprême de tous les descendants de la semence spirituelle d’Abraham, juifs, musulmans et chrétiens, que Jérusalem soit déclarée ville ouverte, exempte de toute opération militaire, immunisée contre les causes des guerres, qui ont déjà causé ces dommages» (Audience générale, 7 juin 1967). Il a ajouté que Jérusalem devait être épargnée «du régime de la guerre» et rester «la ville sainte, refuge des blessés et des impuissants, symbole pour tous d’espérance et de paix». Quelques jours plus tard, le Pape a adressé un appel aux chefs d’État de la région, les suppliant d’acquiescer à la médiation des Nations Unies afin de mettre fin aux hostilités.

La nouvelle situation, créée après la guerre, a été perçue par le Saint-Siège comme un nouveau coup porté aux tentatives de laisser la Ville Sainte en dehors du conflit. Dans son discours à l’occasion de la création de nouveaux cardinaux fin juin 1967, le Pape Paul a de nouveau souligné la vocation de Jérusalem : «(…) la Ville Sainte de Jérusalem doit toujours rester ce qu’elle représente: Ville de Dieu, oasis libre de paix et de prière, lieu de rencontre, d’élévation et d’accord pour tous, avec un statut propre et internationalement garanti» (Discours du 26 juin1967). Quelques semaines plus tard, dans une lettre adressée au pape copte Cyrille VI, le pape Paul assure son homologue que le Saint-Siège fait tout son possible pour garantir le statut international de Jérusalem et protéger les Lieux Saints (Lettre du 8 août 1967).

Après la guerre de 1967 et la conquête de Jérusalem-Est par les Israéliens, un changement subtil dans la formulation de la position du Saint-Siège est devenu perceptible. N’insistant plus sur le «corpus separatum», c’est-à-dire l’internationalisation de Jérusalem, le Saint-Siège a commencé à promouvoir un statut spécial pour les Lieux Saints et les communautés religieuses, qui les protégerait du conflit actuel. Fin 1967, dans une allocution au Sacré Collège, le Pape Paul a exposé en détail la vision du Saint-Siège concernant la nécessité d’un régime international qui assurerait «la liberté de culte, le respect, la préservation et l’accès aux Lieux Saints», en tenant compte de la «physionomie historique et religieuse de Jérusalem» (Discours du 22 décembre 1967). Le régime spécial des Lieux Saints s’accompagnait d’une préoccupation pour le bien-être des communautés chrétiennes qui vivaient dans la ville. Le Pape a insisté sur «la libre jouissance des droits religieux et civils légitimes des personnes, des résidences et des activités de toutes les communautés». Le Pape Paul VI a promu l’idée que Jérusalem doit être protégée par «une tutelle légale internationale» et que les droits de tous doivent être respectés (Discours au Sacré Collège, 24 juin 1971, cf. Discours au Sacré Collège, 23 décembre1971, exhortation apostolique Nobis in animo, 25 mars 1974, Discours au Président Sadate d’Égypte, 13 Février 1978).

D’autres changements subtils peuvent être notés dans le discours catholique sur Jérusalem après le Concile Vatican II. Le Saint-Siège ne s’occupe plus uniquement des Lieux Saints chrétiens et des communautés chrétiennes, mais aussi des questions de justice et de paix et du dialogue avec les juifs et les musulmans. Par exemple, lors de la prière de l’Angélus en août 1969, le pape Paul a «vivement déploré» l’attaque de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. «Cette fois, ce sont les sentiments religieux des musulmans qui ont été touchés, ébranlés par un assaut dévastateur contre un site cher à la vénération tenace et jalouse de millions d’hommes. Nous comprenons leur amertume, mais nous espérons qu’elle n’aggravera pas la situation au Moyen-Orient, déjà si tendue et délicate» (Discours du 31 août 1969). Dans sa réponse au Sacré Collège en 1973, le Pape soulignait « le devoir, plus que le droit, que nous avons de travailler pour que toute résolution touchant le statut de Jérusalem et de la Terre Sainte (...) réponde aux exigences du caractère particulier de cette ville unique au monde et aux droits et aspirations légitimes de ceux qui appartiennent aux trois grandes religions monothéistes qui ont, en Terre Sainte, les sanctuaires parmi les plus précieux et les plus chers à leur cœur» (Discours du 21 décembre 1973). Le pontificat du Pape Paul VI a vu une acceptation croissante de la réalité de l’État d’Israël (il a reçu de nombreux dirigeants politiques d’Israël même si le Vatican n’avait toujours pas de relations diplomatiques avec Israël) et une reconnaissance que les Palestiniens étaient un peuple ayant droit à une patrie en Palestine (au milieu des années 1970, les Palestiniens n’étaient plus considérés comme des «réfugiés» mais comme un «peuple»).

Lors de sa première audience générale, le Pape Jean-Paul I a évoqué l’espoir de voir commencer une nouvelle ère de paix en Terre Sainte, au moment même où les Accords de Camp David entre Israël et l’Égypte étaient élaborés aux États-Unis (Discours du 6 septembre 1978). Le Pape Jean-Paul II a promu la nouvelle vision des relations avec les juifs et les musulmans, un dialogue fraternel qui a eu des implications pour la position sur Jérusalem. Le Saint-Siège a continué d’insister sur un statut spécial pour Jérusalem et c’est ce message que le Pape Jean-Paul II a livré aux Nations Unies en 1979: «Je souhaite (…) un statut spécial, doté de garanties internationales comme l'avait déjà indiqué mon prédécesseur le Pape Paul VI, capable d'assurer le respect de la nature particulière de Jérusalem, patrimoine sacré, vénéré par des millions de croyants des trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam.» (Discours du 2 octobre 1979).

En 1979, l’archevêque Giovanni Cheli, Observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, a fait une déclaration détaillée sur Jérusalem dans laquelle il affirmait: «À ce sujet, le Saint-Siège s’efforce de rester en contact non seulement avec les autorités religieuses des différentes Églises chrétiennes mais aussi avec les principaux dirigeants de l’islam et du judaïsme» (Déclaration du 3 décembre 1979). Il ajoutait que «quelle que soit la solution trouvée à la question de la souveraineté sur Jérusalem (sans exclure l’hypothèse de l’‘internationalisation’ de la ville), il y a des conditions à satisfaire est à préserver et, en même temps, la communauté internationale doit être garante d’intérêts qui concernent des peuples nombreux et divers». Dans la déclaration, le Saint-Siège insistait sur une solution qui garantirait la justice obtenue par des moyens pacifiques. Selon le Saint-Siège, le «statut spécial internationalement garanti pour Jérusalem» devait inclure:

- la parité des communautés religieuses, impliquant la liberté de culte, l’accès aux Lieux Saints, la protection des droits et la sauvegarde des aspects historiques et urbains propres à la Ville,

- l’égalité de jouissance des droits pour toutes les communautés religieuses garantissant la promotion de la vie spirituelle, culturelle, civile et sociale, y compris les possibilités de progrès économique, d’éducation, d’emploi, etc.

Il n’est donc pas surprenant que le Saint-Siège, en harmonie avec la majeure partie de la communauté internationale, ait fermement rejeté l’annexion officielle de Jérusalem-Est par Israël en 1980.

La lettre apostolique de 1984 du Pape Jean-Paul II, entièrement consacrée au sujet de Jérusalem, note: «Les pontifes romains, surtout en ce siècle, ont été témoins avec une sollicitude toujours plus vive des événements violents qui affligent Jérusalem depuis de nombreuses décennies, et ils ont suivi de près et avec soin les déclarations des institutions internationales sur le sort de la Ville Sainte. À de nombreuses reprises, le Saint-Siège a appelé à la réflexion et demandé instamment qu’une solution adéquate soit trouvée à cette situation difficile et complexe. Le Saint-Siège l’a fait parce qu’elle se préoccupe de la paix entre les peuples, non moins que pour des raisons spirituelles, historiques et culturelles, de nature éminemment religieuse» (Redemptionis anno, 20 avril 1984). Le Pape a réitéré l’exigence que Jérusalem soit épargnée par le conflit en cours dans la région: «En effet, il faudrait trouver, avec bonne volonté et clairvoyance, une solution concrète et juste qui permette de satisfaire les différents intérêts et aspirations sous une forme harmonieuse et stable, et qui soit sauvegardée de manière adéquate et efficace par un statut spécial garanti au niveau international afin qu’aucune partie ne puisse la mettre en péril.» Soulignant l’exigence que les Israéliens puissent vivre en sécurité et que les Palestiniens puissent se voir accorder une patrie dans laquelle ils puissent vivre en paix, il a écrit: «Je suis convaincu que l’incapacité à trouver une solution adéquate à la question de Jérusalem et le report résigné du problème ne font que compromettre davantage le règlement pacifique et juste de la crise au Moyen-Orient.» Cette lettre, éminemment sensible aux juifs et aux musulmans, aux Israéliens et aux Palestiniens, insistait pour qu’on permette à Jérusalem de réaliser sa vocation spirituelle.

De 1992 à aujourd’hui

Un autre changement subtil dans la nature de la discussion est dû à l’ouverture, après 1992, de négociations directes par le Saint-Siège avec Israël, d’une part, et avec l’Organisation de libération de la Palestine, d’autre part, à la lumière des négociations entreprises entre les dirigeants israéliens et palestiniens. Tout en affirmant que la position fondamentale du Saint-Siège sur Jérusalem n’avait pas changé, un nouvel élément est apparu dans le discours du Saint-Siège: encourager les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens et accepter que ces négociations décident finalement du sort de Jérusalem, tout en insistant sur les garanties internationales pour la sécurité et le bien-être tant des Lieux Saints que des communautés qui y pratiquent.

La signature de l’Accord fondamental entre le Saint-Siège et l’État d’Israël en 1993 a soulevé beaucoup de controverse quant à d’éventuels changements imminents de la position du Saint-Siège sur Jérusalem. En fait, l’accord ne faisait aucune mention de Jérusalem et, suite à sa signature, le Saint-Siège a insisté sur le fait que sa position sur la question demeurait inchangée. Dans un résumé de la position du Saint-Siège sur Jérusalem, publié par la Secrétairerie d’État en mai 1996, il est affirmé que «le Saint-Siège n’a pas changé sa position». Tout en maintenant sa neutralité et en refusant de s’impliquer dans les «conflits temporels», le Saint-Siège a souligné le «droit d’exercer sa fonction d’enseignement moral et spirituel». Ainsi, selon la déclaration, la position du Saint-Siège est la même que celle de la communauté internationale. Cette position a été résumée comme suit dans la déclaration: «La partie de la ville occupée militairement en 1967, puis annexée et déclarée capitale de l’État d’Israël est un territoire occupé, et toutes les mesures israéliennes qui excèdent le pouvoir d’un occupant belligérant en vertu du droit international sont donc nulles et non avenues.» Cependant, la déclaration reconnaît également que l’intérêt du Saint-Siège pour Jérusalem va au-delà des questions territoriales et comporte une dimension religieuse. La déclaration expliquait comment, dans l’intérêt de la sauvegarde du caractère unique de Jérusalem, la politique du Saint-Siège avait d’abord soutenu l’idée du «corpus separatum», puis en était venue à réclamer un «statut spécial garanti internationalement». Citant longuement la lettre apostolique du pape Jean-Paul II sur Jérusalem, la déclaration expliquait que le Saint-Siège était fermement convaincu qu’«aucune revendication unilatérale faite au nom de l’une ou l’autre des religions ou en raison de la primauté historique ou de la prépondérance numérique n’est acceptable». La sauvegarde de l’identité de Jérusalem signifie que les «caractéristiques historiques et matérielles de la ville ainsi que ses caractéristiques religieuses et culturelles doivent être préservées». Cependant, la déclaration précise également que cette sauvegarde ne doit pas seulement être comprise comme s’appliquant aux Lieux Saints, mais qu’elle doit inclure les communautés qui vivent autour des sites et leurs droits. En ce qui concerne les pourparlers de paix d’Oslo, la déclaration cite le Pape qui appelle la communauté internationale à offrir «aux parties politiques les plus directement concernées, les instruments juridiques et diplomatiques capables d’assurer que Jérusalem, une et sainte, soit véritablement un carrefour de paix» et explique que «Sa Sainteté demande une assistance internationale pour sauvegarder la vraie valeur que Jérusalem a pour les Israéliens et les Palestiniens, les juifs, les chrétiens et les musulmans».

En novembre 1997, l’Accord de personnalité juridique: État d’Israël - Saint-Siège a été signé afin de faciliter la reconnaissance de la vie institutionnelle de l’Église catholique dans l’État d’Israël. Bien que Jérusalem n’ait pas été mentionnée dans le texte de l’accord, la controverse a été provoquée par le fait que la liste des institutions jointe au document comprenait celles de Jérusalem-Est, territoire occupé après la guerre de 1967. Cela touchait directement à la définition de la souveraineté à Jérusalem. Sur cette question, le Saint-Siège a continué d’insister pour qu’il respecte strictement le droit international, en faisant une distinction entre le secteur de Jérusalem qui faisait partie de l’État d’Israël et celui (y compris la vieille ville) qui a été occupé par Israël pendant la guerre de 1967. Dans les accords avec Israël, le Saint-Siège devait accepter qu’Israël administre les territoires occupés, mais il ne les considérait pas comme faisant partie intégrante de l’État d’Israël, se réservant le droit pour l’Église d’exercer sa fonction d’enseignement moral et spirituel à l’égard de ces territoires.

Le cardinal Jean-Louis Tauran, secrétaire aux relations avec les États à la Secrétairerie d’État, lors d’une conférence à Jérusalem en 1998, a expliqué comment le Saint-Siège voyait la relation entre les revendications politiques de la ville et sa vocation religieuse universelle: «Rien n’empêche Jérusalem, dans son unité et son unicité, de devenir le symbole et la capitale nationale des deux peuples qui la revendiquent comme leur capitale. Mais si Jérusalem est sacrée pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, elle l’est aussi pour de nombreuses personnes de toutes les parties du monde qui la considèrent comme leur capitale spirituelle» (Discours du 26 octobre 1998). Le Cardinal a insisté sur le fait que «toute la communauté internationale est responsable du caractère unique et sacré de cette ville incomparable».

La signature de l’Accord fondamental entre le Saint-Siège et l’OLP en février 2000 a recentré l’attention sur Jérusalem. Le texte de l’Accord parle longuement de Jérusalem:

«Déclarant qu’une solution équitable en ce qui concerne la question de Jérusalem, basée sur les résolutions internationales, est fondamentale pour une paix juste et durable au Proche-Orient, et que les décisions et les actions unilatérales modifiant le caractère et le statut spécifiques de Jérusalem sont moralement et légalement inacceptables ;

Appelant donc à un statut spécial pour Jérusalem, garanti au niveau international, qui puisse sauvegarder ce qui suit :

a) La liberté de religion et de conscience pour tous.

b) L’égalité devant la loi pour les trois religions monothéistes, leurs institutions et leurs fidèles dans la Ville.

c) L’identité propre et le caractère sacré de la Ville et son héritage culturel et religieux dont la signification est universelle.

d) Les Lieux Saints, la liberté d’y accéder et d’y pratiquer sa foi.

e) Le régime du statu quo dans ces Lieux saints là où il s’applique.».

En octobre 2000, l’archevêque Renato Martino, Observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, a exprimé plus explicitement l’idée que le statut de Jérusalem devrait être le fruit de négociations incluant des garanties internationales au sujet des Lieux Saints et des communautés religieuses: «Parce que Jérusalem revêt une telle importance spirituelle pour les croyants représentant près de quarante-cinq pour cent de la population mondiale, comme l’a recommandé l’Assemblée générale dans sa résolution du 25 avril 1997 et réaffirmé par la suite, ‘une solution globale, juste et durable à la question de la ville de Jérusalem, qui devrait être obtenue par des négociations entre les parties concernant son statut permanent, devrait inclure des dispositions garanties au niveau international pour assurer la liberté de religion et de conscience de ses habitants ainsi que l’accès permanent, libre et sans entrave aux lieux saints pour les fidèles de toutes les religions et nationalités’» (Discours lors de la 55e session de l’Assemblée générale sur l’UNWRA, 30 octobre 2000).

Les relations diplomatiques établies avec Israël et la Palestine ont ouvert la voie à trois autres visites d’un pape à Jérusalem. Au cours de ces visites, les pontifes ont pu attirer particulièrement l’attention sur l’identité et la vocation fondamentales de Jérusalem. Par exemple, le pape Jean-Paul II, lors d’une rencontre interreligieuse à Jérusalem en mars 2000, a déclaré: «Pour nous tous, Jérusalem, comme l'indique son nom, est la ‘Cité de la Paix’. Sans doute, aucun autre lieu dans le monde ne transmet le sentiment de transcendance et d'élection divine que nous ressentons dans ses pierres, dans ses monuments, et dans le témoignage des trois religions qui vivent les unes aux côtés des autres au sein de ses murs. Dans cette coexistence, tout n'a pas été et ne sera pas facile. Toutefois, nous devons trouver dans nos traditions religieuses respectives la sagesse et la motivation supérieures pour garantir le triomphe de la compréhension réciproque et du respect cordial» (Discours du 23 mars 2000).

Le Pape Benoît XVI, qui s’est rendu à Jérusalem en mai 2009, a parlé à plusieurs reprises de Jérusalem et de sa vocation. A son arrivée en Israël, il a dit: «Les espoirs d’innombrables hommes, femmes et enfants de connaître un avenir plus stable et plus sûr dépend de l’issue des négociations pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. Avec les hommes de bonne volonté, où qu’ils soient, je plaide pour qu’avec tous les responsables soient explorées toutes les possibilités afin d’aboutir à une solution juste aux difficultés persistantes, de telle sorte que les deux peuples puissent vivre en paix dans leur propre pays, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues. À cet égard, j’espère et je prie pour qu’un climat de plus grande confiance puisse bientôt être créé qui permettra aux parties d’accomplir de réels progrès sur la route de la paix et de la stabilité» (Discours du 11 mai 2009). Le même jour, à la résidence du Président de l’État d’Israël, il a parlé de Jérusalem: «Jérusalem, qui a longtemps été un carrefour pour de nombreux peuples d’origines différentes, est une cité qui permet aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans aussi bien d’assumer le devoir et de jouir du privilège de témoigner ensemble de la coexistence pacifique depuis si longtemps désirée par ceux qui adorent le Dieu unique; de mettre en évidence le dessein du Tout-Puissant sur l’unité de la famille humaine annoncée à Abraham; et de proclamer la nature véritable de l’homme qui est d’être un chercheur de Dieu. Prenons la résolution de faire en sorte que, à travers l’enseignement et l’orientation que nous donnons à nos communautés respectives, nous aidions leurs membres à être fidèles à ce qu’ils sont en tant que croyants, toujours plus conscients de la bonté infinie de Dieu, de l’inviolable dignité de tout être humain et de l’unité de la famille humaine tout entière » (Discours du 11 mai 2009).

La visite du Pape Benoît XVI s’est particulièrement concentrée sur l’identité et la vocation des chrétiens locaux et, au cours de la messe célébrée pour eux au pied du Mont des Oliviers, il a dit: «De fait, Jérusalem est depuis toujours une ville où résonne dans les rues l’écho de langues différentes, où cheminent sur les pavés des peuples de toute race et langue, et dont les murs sont un symbole de l’amour providentiel de Dieu pour la famille humaine tout entière. Comme un microcosme de notre univers mondialisé, cette Ville, si elle veut vivre en conformité à sa vocation universelle, doit être un lieu qui enseigne l’universalité, le respect des autres, le dialogue et la compréhension mutuelle; un lieu où les préjugés, l’ignorance et la peur qui les alimentent, sont mis en échec par l’honnêteté, le bon droit et la recherche de la paix. Il ne devrait pas y avoir place, à l’intérieur de ces murs, pour l’étroitesse d’esprit, la discrimination, la violence et l’injustice. Ceux qui croient en un Dieu miséricordieux – qu’ils se reconnaissent comme juifs, chrétiens ou musulmans – doivent être les premiers à promouvoir cette culture de réconciliation et de paix, sans se laisser décourager par la pénible lenteur des progrès ni par le lourd fardeau des souvenirs du passé» (Discours du 12 mai 2009).

En mai 2014, le Pape François est devenu le quatrième pontife à visiter Jérusalem dans les temps modernes. Au cours de sa visite à la résidence du Président de l’État d’Israël, il a déclaré: «Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer à nouveau ici à Jérusalem, ville qui abrite les Lieux Saints chers aux trois grandes religions qui adorent le Dieu qui a appelé Abraham. Les Lieux Saints ne sont pas des musées ou monuments pour touristes, mais des lieux où les communautés des croyants vivent leur foi, leur culture, leurs initiatives caritatives. Aussi doit-on perpétuellement les sauvegarder dans leur sacralité, protégeant ainsi non seulement l’héritage du passé mais aussi les personnes qui les fréquentent aujourd’hui et les fréquenteront dans l’avenir» (Discours du 26 mai 2014). Durant le vol de retour vers Rome, le Pape a commenté les différentes propositions concernant une solution à la question de Jérusalem et a clairement exprimé que les négociations entre Israéliens et Palestiniens doivent résoudre la question du statut de Jérusalem: «L’Église catholique (…) a sa position du point de vue religieux: ce sera la ville de la paix des trois religions. (…) Les mesures concrètes pour la paix doivent sortir des négociations. (…) Je crois qu’on doit emprunter le chemin des négociations avec honnêteté, fraternité et confiance mutuelle. Et là, tout se négocie: tout le territoire, et aussi les relations. Il faut du courage pour faire cela, et moi je prie beaucoup le Seigneur afin que ces deux dirigeants, ces deux gouvernements aient le courage d’avancer. C’est cela l’unique chemin pour la paix. Je dis seulement ce que l’Église doit dire et a toujours dit: que Jérusalem soit protégée comme capitale des trois religions, comme référence, comme une ville de la paix» (Conférence de presse du 26 mai 2014).

Le Saint-Siège a déjà conclu un Accord fondamental avec l’État de Palestine, signé le 26 juin 2015. Cet accord appelle à une «solution équitable de la question de Jérusalem, fondée sur des résolutions internationales», déclarant que «les décisions et actions unilatérales modifiant le caractère spécifique et le statut de Jérusalem sont moralement et légalement inacceptables». On s’attend à ce qu’un accord final soit finalement signé avec l’État d’Israël, après 25 ans de négociations continues. Ces accords donnent leur forme la plus achevée aux relations diplomatiques du Saint-Siège avec la Palestine et Israël, en reconnaissant l’Église comme un agent actif dans les deux sociétés. Malheureusement, les négociations entre Israéliens et Palestiniens n’ont pas encore abouti à une paix durable et Jérusalem reste un théâtre de conflit permanent. Le Saint-Siège insiste sur sa neutralité à l’égard des revendications territoriales, ce qui déçoit les Palestiniens et sur son strict respect des définitions du droit international et des résolutions de l’ONU, ce qui déçoit les Israéliens. Il considère que son rôle est de préserver une dimension de Jérusalem, comme ville sainte, où convergent trois religions et où le christianisme a ses origines, une dimension trop souvent marginalisée dans le conflit national entre Israéliens et Palestiniens. Sans aucun doute, le Saint-Siège continuera à travailler sans relâche pour promouvoir sa vision de Jérusalem comme une ville de paix et un lieu où juifs, musulmans et chrétiens peuvent vivre ensemble et témoigner d’un Dieu qui aime tous ces enfants, appelé à faire de Jérusalem un lieu où le nom de Dieu est vénéré.

 


Bibliographie

ABDUL HADI, Mahdi. Documents on Jerusalem, vol. 1 (Jérusalem, PASSIA, 2007).

FARGE, Elodie. The Vatican and Jerusalem (Jérusalem, PASSIA, 2012).

FARHAT, Edmond. Gerusalemme nei Documenti pontifici (Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1987).

NEUHAUS, David. «La Santa Sede e lo Stato di Palestina», Civiltà Cattolica, No. 3961 (11 juillet 2015), p. 72-79.

NEUHAUS, David. «Gerusalemme e la Chiesa Cattolica», Civiltà Cattolica, No. 4021 (6 janvier 2018), p. 10-23.

 

Remarques de l’éditeur

Source: JCRelations. Traduit de l’anglais par Jean Duhaime.

* Le P. David M. Neuhaus s.j. a été Vicaire Patriarcal Latin au sein du Patriarcat Latin de Jérusalem jusqu’à sa démission en août 2017. Il était responsable des catholiques de langue hébraïque en Israël ainsi que des populations migrantes catholiques.