Jérusalem, coeur du dialogue interreligieux

Le P. Frédéric Manns, o.f.m. enseigne l’exégèse du Nouveau Testament et la littérature juive ancienne au Studium Biblicum  Franciscanum de Jérusalem. Il est engagé depuis de nombreuses années dans le dialogue entre juifs et chrétiens. Il a publié notamment  L'Israël de Dieu (SBF Analecta 43; Jerusalem 1996) et dirigé l’édition de l’ouvrage The Sacrifice of Isaac in the Three Monotheistic Religions. Proceedings of a Symposium on the Interpretation of the Scriptures held in Jerusalem, March 16-17, 1995 (SBF Analecta 41;  Jerusalem 1995). Du coeur de la ville sainte, il nous fait part de ses réflexions sur l’importance du dialogue interreligieux dans la situation particulièrement difficile que connaît le Proche-Orient.

Jérusalem, coeur du dialogue interreligieux

 

Frédéric Manns

 

 

 

Le P. Frédéric Manns, o.f.m. enseigne l"exégèse du Nouveau Testament et la littérature juive ancienne au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem. Il est engagé depuis de nombreuses années dans le dialogue entre juifs et chrétiens. Il a publié notamment L"Israël de Dieu(SBF Analecta 43; Jerusalem 1996) et dirigé l"édition de l"ouvrageThe Sacrifice of Isaac in the Three Monotheistic Religions. Proceedings of a Symposium on the Interpretation of the Scriptures held in Jerusalem, March 16-17, 1995(SBF Analecta 41; Jerusalem 1995). Du coeur de la ville sainte, il nous fait part de ses réflexions sur l"importance du dialogue interreligieux dans la situation particulièrement difficile que connaît le Proche-Orient.

 

 

 

Les tensions que connaît le Proche-Orient entraînent comme conséquence un accroissement de conflits entre les communautés musulmanes et juives de par le monde. Les peurs qui s"amplifient sont mauvaises conseillères. Les différentes formes de fondamentalisme sont basées en fait sur la peur de l"autre et sur la non acceptation de la différence. Certains vont plus loin dans leur analyse de la situation et accusent les religions monothéistes elles-mêmes d"être conflictuelles par essence. En d"autres termes, le retour à la laïcité résoudrait tous les problèmes. C"est la solution qui est préconisée par beaucoup d"hommes politiques. On parle d"un Islam laïcisé, version occidentale qui consistera à faire de l"Islam une nouvelle religion d"Etat.

 

 

 

Cette façon de poser le problème n"est pas objective. Reprenant un célèbre proverbe on pourrait dire : Chassez le religieux, il reviendra au galop. Les religions monothéistes bien interprétées sont porteuses de paix et non pas de guerre. Elles font partie de l"identité profonde des groupes humains qui sont parfois en conflit. L"homme, plus qu"un animal politique, est un animal religieux. Malheureusement trop de représentations simplistes alimentent les peurs et les fantasmes de nos contemporains. Hannah Arendt affirme que tout totalitarisme a besoin pour subsister de se créer un ennemi : pour le communisme c"était le bourgeois, pour le nazisme c"était le juif et pour la société globalisée c"est le terroriste. Au Proche-Orient cette liste pourrait facilement être allongée.

 

 

 

Ce qui se passe au quotidien c"est que les religions sont instrumentalisées par ceux qui détiennent le pouvoir politique pour différentes raisons. Agiter le spectre du jihad est une solution trop facile pour les musulmans. La popularité de Ben Laden auprès des jeunes musulmans ne justifie pas toujours la gêne éprouvée en Occident et en Amérique face à l"islam. Il est vrai que Ben Laden incarne souvent la révolte des jeunes musulmans qui n"arrivent pas à s"insérer dans la société dont ils se sentent exclus. Il y a beaucoup de colère dans le monde musulman contre une certaine hypocrisie occidentale.

 

 

 

Ramener tous les problèmes à l"antisémitisme est une tentation que connaissent les Juifs lorsqu"ils sont à court d"arguments. Le dernier exemple en date est cette affiche que l"Union des étudiants juifs de France qui lance une campagne publicitaire contre l"antisémitisme vient d"imprimer. Par un langage violent ce groupe veut sensibiliser au caractère absurde des actes antisémites. Les affiches se présentent sous forme d"icônes de Jésus ou de la vierge Marie taguées d"un outrageux "sale juif" ou "sale juive". Est-ce la meilleure façon de combattre l"antisémitisme?.Il est permis de se le demander. L"argument pourrait se retourner contre le monde juif.

 

 

 

Maintenir des populations entières dans l"ignorance peut être de la part des chefs religieux un moyen facile pour maîtriser les masses. Vouloir éliminer tout signe religieux est encore une façon simpliste de résoudre le problème. C"est faire la politique de l"autruche qui enfouit la tête dans le sable pour ne pas voir les problèmes.

 

 

 

Si les religions ouvrent réellement les hommes à Dieu pourquoi ne pas les faire servir à la promotion de la paix ? Le pape Jean-Paul II en invitant les responsables religieux de tout pays à prier à Assise était convaincu que toutes les religions portent en elles des germes de paix et d"ouverture aux autres. Elles ne sont pas intrinsèquement conflictuelles. Une véritable découverte de Dieu ne peut pas se faire sans une découverte de l"autre. Lorsqu"il y a un conflit c"est qu"il y a un enjeu différent. Le cas du Proche-Orient est évident à ce propos: il y a une terre pour deux peuples et trois religions.

 

 

 

Il est urgent de développer le dialogue à plusieurs niveaux : institutionnel, entre les représentants des religions, et individuel, entre les personnes. Si les responsables seuls discutent sur leurs traditions respectives, le résultat des rencontres inter religieuses sera limité. Il faut sensibiliser l"homme de la rue à la dimension authentique du dialogue et à ses répercussions sur la vie quotidienne.

 

 

 

Un dialogue authentique n"exige pas l"abandon de son identité ni le sacrifice de ses convictions profondes. Au contraire. Si le dialogue aboutit à un mélange syncrétique il n"a pas atteint son but. Une tradition juive veut que tout homme soit le sanctuaire de l"Esprit de Dieu, car en lui une étincelle divine est cachée. Or, dans le sanctuaire de Jérusalem il y avait la menorah, le chandelier à sept branches. Tout homme porte sur sa figure sept ouvertures, les yeux, le nez, les oreilles et la bouche. Pour qu"un dialogue soit possible il faut que ce chandelier soit allumé, il faut commencer par faire un sourire à l"autre. Un sourire ne coûte pas grand chose, amis il est capable de changer la relation à l"autre.

 

 

 

Il faut rappeler avec urgence aux hommes politiques que les responsables religieux ont une grande place à jouer dans le dialogue. Pour que leur médiation soit possible, il ne faut pas attendre que le conflit ait atteint une trop grande gravité. Les éducateurs authentiques de toute religion ne remplissent leur mission que s"ils ouvrent les esprits à la découverte et au respect de l"autre. Au choc des civilisations de Huntington, il faut opposer le choc et l"admiration de la découverte de l"autre: "A coup sûr c"est l"os de mes os et la chair de ma chair"