Combattre la resurgence de l’antisémitisme en France

En réponse au discours du Président du Conseil représentatif des institutions juives de France lors du 34e Dîner annuel du CRIF, le 20 février 2019, le Président français Emmanuel Macron a indiqué comment la République entend combattre la resurgene de l’antisémitisme. Voici les extraits les plus significatifs de son discours.

Depuis plusieurs années - et la situation s’est encore aggravée ces dernières semaines - notre pays, comme d’ailleurs l’ensemble de l’Europe et la quasi-totalité des démocraties occidentales, est confronté à une résurgence de l’antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. (…) Face à cette situation inacceptable, il serait faux de dire que nous n’avons rien fait. Nous avons condamné beaucoup, adopté des plans, souvent depuis des années et des années, voté des lois parfois. Mais nous n’avons pas su agir efficacement. (…) Le temps est donc venu des actes tranchants, concrets.

Antisémitisme et antisionisme

Je l’ai dit lors du 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. C’est pourquoi je confirme que la France (…) mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. Il ne s’agit pas de modifier le code pénal, encore moins d’empêcher ceux qui veulent critiquer (…) la politique israélienne de le faire, non. Ni de revenir sur des sujets que nous connaissons et qui sont ceux de la politique internationale - et sur ce sujet la position française est connue et l’année dernière nous en avions débattu. Il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d’Israël la négation même de l’existence d’Israël. La haine des Juifs la plus primaire.

De la même manière, il n’y aura aucune complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS plusieurs fois condamnées en France et qui le seront à nouveau.

Regarder la réalité en face

Oui, à côté, malheureusement, de l’antisémitisme traditionnel se déploie un antisémitisme fondé sur un islamisme radical.

Oui, cette idéologie gangrène certains de nos quartiers au point d’être contraints à un insupportable exode intérieur. Eh oui, c’est à une reconquête républicaine de ces territoires que nous devons nous atteler. Ce que nous faisons quand nous créons des postes de policiers et de gendarmes dans 45 d’entre eux, en multipliant l’implication de tous les services de l’État, de l’Éducation Nationale, de l’ensemble des fonctionnaires, et en y déployant, de manière méthodique, un plan de lutte contre la radicalisation. Et en cette matière, ne cédons en rien non plus à l’opposition bloc à bloc dans laquelle certains voudraient enfermer la société française. Une religion contre l’autre. Une stigmatisation contre l’autre. Non. La République protège tous les citoyens, toutes les consciences, toutes les paroles, et elle ne peut accepter, en aucun cas, qu’au nom d’une religion déformée ou d’une philosophique quelle qu’elle soit le pire soit commis, parce que c’est la République, parce que c’est notre liberté.

Traquer et punir les coupables d’actes antisémites

Rien n’est plus insupportable pour les victimes que l’absence de sanctions. Rien n’est plus incompréhensible pour nos concitoyens que le sentiment du «tout est permis», qui anime les semeurs de haine et qui sapent l’autorité de l’État. J’appelle, pour ce faire, quelle que soit, parfois, la lassitude, je le sais, toutes les victimes d’actes antisémites à porter plainte dès qu’elles sont insultées ou attaquées. Qu’elles soient assurées que tout est mis en œuvre pour les accompagner dans leurs démarches, depuis la formation de nos policiers et nos gendarmes pour les accueillir et les écouter, jusqu’à la possibilité de porter plainte en ligne, qui vient d’être votée avec l’adoption de la Loi Justice. Elle doit s’appliquer dans les meilleurs délais. Sur ce sujet, nous étions habitués, il faut bien le dire, à des pratiques incertaines; des plaintes qui n’étaient pas toujours prises; des complexités. Les choses ont maintenant été simplifiées dans le Droit. Elles doivent s’appliquer dans les faits. Elles supposent que rien ne soit accepté et qu’aucune habitude en quelque sorte ne soit prise. Tout est mis en œuvre aussi pour recueillir les preuves. Des équipes spécialisées d’enquêteurs et de gendarmes seront créées sur tous les territoires, sur la base de ce qui a été commencée à Aix-en-Provence, en partenariat avec la Fondation du Camp des Milles.

Vous avez ensuite, Monsieur le Président, évoqué l’antisémitisme improprement appelé virtuel. Il n’a de virtuel que le nom. Il y a dans cette haine sans visage, qui se croit délivrée de tout droit, les prémices de la haine qui, ensuite, sort dans rue et commet le pire. Ce poison lent qui conduit près de deux Français sur cinq, s’informant principalement via les réseaux sociaux, à croire en un complot sioniste mondial. Celui-ci aussi, nous devons le combattre avec force et clarté. D’ores et déjà, nous avons entamé un travail avec des plateformes comme Facebook qui a choisi la France pour lancer un fonds doté d’un million d’euros en faveur du civisme et contre la haine, et qui a accepté la présence en son sein de régulateurs et juristes français pour améliorer certaines pratiques.

J’avais dit l’année dernière, devant vous, sur ce sujet, ma volonté de porter un projet exigeant au niveau européen. Un travail a été fait pour le rendre possible, et vous l’avez évoqué, le rapport de madame Avia et de messieurs Taieb et Amellal à cet égard. Proposer des choses concrètes. Le combat européen doit se poursuivre mais il est trop lent, et nous ne pouvons plus attendre. C’est pourquoi la Député Laetitia Aavia déposera, dès les mois de mai, c’est-à-dire dès la première fenêtre parlementaire possible, au Parlement, une proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet reprenant les propositions de ce rapport. Nous devons, à ce titre, nous inspirer de ce que nous voisins allemands ont su faire, de manière efficace et pragmatique. Apporter des sanctions judiciaires, pénales et pécuniaires; appeler la responsabilité des individus, comme des plateformes. Il s’agira de mettre fin aux stratégies d’éviction déployées par des sites étrangers qui, changeant régulièrement de serveurs, sont aujourd’hui très difficiles à bloquer. Dans ce contexte, la question de l’anonymat sera évidemment posée. Elle est, trop souvent, le masque des lâches. Et derrière chaque pseudonyme, il y a un nom, un visage, une identité.

Faut-il interdire partout sur Internet l’anonymat? Je pense que nous pourrions aller par cette voie à quelques égards vers le pire. Il faudra donc y réfléchir à deux fois. Par contre, ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est que parce qu’il y a l’anonymat, le contenu ne soit pas retiré dans les meilleurs délais, que l’identité ne soit pas recherchée et ne soit pas donnée. Il y a aujourd’hui encore des plateformes comme Twitter, pour citer les mauvais exemples, qui attend des semaines, quand ça ne l’est des mois, pour donner les identifiants qui permettent d’aller lancer les procédures judiciaires contre ceux qui ont appelé à la haine, au meurtre; qui, parfois, prend des jours, des semaines pour retirer des contenus ainsi identifiés. Ce que ce texte portera donc, ce sont des dispositions claires imposant le retrait dans les meilleurs délais de tous les contenus appelant à la haine et mettant en œuvre toutes les techniques permettant de repérer l’identité dans les meilleurs délais et enfin appelant à la responsabilité, y compris sur le plan juridique, les dites plateformes. Il nous faut adopter nos sanctions à la société numérique; nous donner les moyens aussi de pouvoir interdire la présence sur un réseau social de personnes coupables de propos racistes et antisémites, comme on interdit les Hooligans dans les stades, ou à tout le moins faire en sorte que les condamnations pour actes racistes et antisémites soient publiées pour ceux s’en rendant coupables.

La honte sur ces sujets d’urgence doit changer de camp. Elle ne doit plus ronger les victimes. Elle doit accabler les agresseurs. Enfin, parce que la période met en cause ce que nous sommes, la France doit aussi tracer des nouvelles lignes rouges et nous le ferons par des mesures concrètes et des décisions que la loi permet aujourd’hui de prendre. C’est pourquoi j’ai aussi demandé au Ministre de l’Intérieur d’engager des procédures visant à dissoudre des associations ou groupements qui, par leurs comportements, nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente: Bastion social, Blood & Honour Hexagone et Combat 18 pour commencer.

Éduquer

Il ne faut jamais perdre de vue le temps long de l’éducation, de la culture, de l’élévation morale et spirituelle de tous, car ce que nous vivons aujourd’hui dans notre société, dans notre pays, dit beaucoup de nos propres échecs passés. De ce que nous avons laissé s’installer subrepticement, de ce que nous n’avons plus voulu dénoncer, de ce que parfois, nous avons peut-être oublié de dire. Si l’histoire a montré que la connaissance n’était jamais un antidote contre la haine, nous savons que l’ignorance, à coup sûr, est un fertile terreau, toujours. Nos instituteurs, nos professeurs font preuve d’un engagement exemplaire, pour enseigner la mémoire de l’Holocauste, et sont relayés admirablement par des institutions comme la Fondation pour la mémoire de la Shoah ou le Mémorial de la Shoah. Le ministre de l’Éducation nationale s’est tôt engagé dans cette lutte pour lever, vous l’avez rappelé, Monsieur le président, toutes les ambiguïtés qui avaient pu exister, former davantage, être plus exigeant encore. Et à ce titre, l’État soutiendra encore davantage qu’il ne le fait le Mémorial de la Shoah. La DILCRAH[1] apporte aujourd’hui une aide. Elle sera significativement augmentée par le Premier Ministre, dans les prochaines semaines.

Ces instituteurs, ces professeurs sont encore trop souvent livrés à eux-mêmes, en particulier quand, dans ces quartiers gangrénés par l’islamisme radical, évoquer la Shoah, la situation au Proche-Orient, est parfois devenu impossible. Ces instituteurs, ces professeurs trouveront toujours la République à leurs côtés. Au niveau national, une équipe de réaction a été mise en place, qui leur apporte une solution en 24 heures, dès qu’une difficulté se fait jour. Dans chaque rectorat, des messages clairs ont été passés, pour que tout soit dit, le moindre problème, dès qu’il est observé. Mais trop souvent, nous avons vu aussi, dans ces quartiers de la République, ces dernières années, des enfants quitter l’école publique, disons-nous les choses franchement, pour aller vers des écoles privées sous contrat, quelle que soit, d’ailleurs, la confession, pour pouvoir changer de quartier, parce que quelque chose se passait, que l’enfant ou les parents eux-mêmes n’osaient pas dire. C’est pourquoi j’ai demandé au ministre de mettre en place des actions spécifiques et de procéder à un audit de tous les établissements marqués par le phénomène de déscolarisation des enfants de confession juive.

Quand une telle déscolarisation se passe, elle dit quelque chose. Parfois, de ce que nous ne voulions ou ne pouvions voir, de ce qui ne se disait plus. Au-delà, l’école doit jouer à plein son rôle de rempart républicain contre les préjugés et contre les haines, mais aussi contre ce qui en fait le lit, l’empire de l’immédiateté, le règne d’une forme de relativisme absolu. L’enseignement de la méthode scientifique, de la méthode historique, sera renforcé. Tous les enfants de France seront sensibilisés au temps long des grandes civilisations, ce temps long cher à Braudel, qui apporte le goût de la tolérance et de l’humanisme. Mais revenir à ces fondamentaux, au cœur de notre éducation, ce qui, parfois, avait été oublié. C’est aussi au cœur de l’éducation, se redonner les moyens de lutter contre ce qui, subrepticement, s’est installé, le «tout se vaut», l’immédiateté absolue, le relativisme qui corrompt tout. Mes chers amis, ce sont pour les actes, et il faudra en rendre compte, et j’en rendrai compte. C’est pour ça que ce soir, je voulais être devant vous. Parce que l’antisémitisme n’est pas le problème des Juifs. C’est le problème de la République.

C’est parce que ceux qui pensent que l’antisémitisme ne concernerait que quelques-uns, qu’une communauté dans la République, que ceux-là n’oublient jamais notre histoire, communiquent ce que nous sommes. L’antisémitisme, c’est tout simplement la haine de l’autre. Et d’ailleurs, regardez bien les formes qu’il prend. La haine du Juif, c’est tout à la fois la haine du communiste et du capitaliste, la haine des forces extérieures et de l’ennemi de l’intérieur. Ce sont toutes les haines additionnées. L’antisémitisme a pris tous les visages, s’est nourri de tous les extrêmes. Ce n’est la haine que d’un visage: celui de l’autre, et qui plus est, un autre qui nous ressemble. L’antisémitisme, c’est le problème de la République, parce qu’il est cette haine d’avant-garde, mais qui s’accompagne toujours du cortèges des autres haines auxquelles vous avez fait référence, et dans les temps où nous parlons, ce sont ces autres haines qui, derrière aussi, se réveillent: haine contre les musulmans, racisme sous toutes ses formes, racisme anti LGBT, toutes les formes de haines se réveillent avec, contre les élus, contre l’autorité, contre le parlementarisme, contre le sacré, les églises et toutes les religions, contre ce qui nous a fait. Oui, pour toutes ces raisons, l’antisémitisme, c’est la question de la République et de la France (…)

Nous ne nous habituerons jamais

Nous aurons toujours l’exigence de vérité, de liberté, de fraternité et d’intelligence qui est la seule réponse à cette barbarie. L’exigence du courage qui doit être notre mission. Celle des Républicains que nous sommes. Elle est plus lente, parfois moins visible. Parfois nous trébucherons, mais n’y cédons rien. (…) nous tiendrons, et à la fin, nous gagnerons. Vive la République, et vive la France.

Remarques de l’éditeur

Source : Site de l’Élysée. Sous-titres remaniés par la rédaction de Relations Judéo-Chrétiennes.