Le lien de la mémoire

Un recueil de textes intitulé The Bond of Memory – Polish Christians in Dialogue with Jews and Judaism[1], a été remis aux participants du congrès international de l’Amitié internationale judéo-chrétienne (ICCJ) tenu à Cracovie du 3 au 6 juillet 2011. On y présente les réalisations les plus marquantes du dialogue entre Juifs et Chrétiens en Pologne. Nous proposons ici la traduction française de trois textes de ce recueil, portant sur la Journée du judaïsme dans l’Église catholique, le Comité des évêques polonais pour le dialogue avec le judaïsme, le Centre de dialogue et de prière d’Oswiecim.

Anna Pawlikowska, Zbigniew Nosowski : La Journée du judaïsme dans l’Église catholique. Les racines juives de la foi chrétienne


Zbigniew Nosowski: Le comité des évêques polonais pour un dialogue avec le judaïsme. Solidarité avec le peuple d’Israël


Maciej Müller, Tygodnik Powszechny: Le Centre de dialogue et de prière. La bonté au seuil d’Auschwitz

 


La Journée du judaïsme dans l’Église catholique

Les racines juives de la foi chrétienne

Anna Pawlikowska, Zbigniew Nosowski

L’idée d’une Journée du judaïsme a d’abord jailli dans l’esprit de l’archevêque Stanislaw Gadecki. Vice-président de l’épiscopat polonais, Mgr Gadecki se souvient de la division ouverte qu’a engendrée cette idée au cours d’une séance de la conférence des évêques polonais. Certains craignaient, explique-t-il, une judaïsation du christianisme!

La proposition a tout de même été approuvée et, depuis 1998, l’Église catholique de Pologne observe officiellement, le 17 janvier, la Journée du judaïsme, en souvenir des racines juives de la foi chrétienne. La proclamation de la Journée du judaïsme en Pologne marquait une initiative avant-gardiste en Europe, n’ayant pour seul précédent qu’une proclamation semblable de la conférence des évêques italiens.

Le 17 janvier tombe la veille de l’ouverture de la Semaine de prières pour l’unité des chrétiens. Le choix de cette date par les évêques catholiques est tout à fait significatif – il invite toutes les Églises chrétiennes à rechercher les racines de leur identité et de leur unité dans la foi juive.

Chaque année, le Comité épiscopal pour le dialogue avec le judaïsme se donne une devise spéciale, tirée de la Bible et de l’enseignement de l’Église, comme thème de réflexion. La maxime choisie  en 1998, l’année inaugurale, était un reflet important de l’idée d’une Journée du judaïsme dans l’Église catholique: «Quiconque rencontre Jésus-Christ rencontre le judaïsme ». Il s’agit d’une citation de Jean-Paul II, tirée de son allocution de novembre 1980 à Mayence.

L’un des sièges épiscopaux catholiques de Pologne est choisi chaque année comme site des activités nationales. Jusqu’ici, les cérémonies principales ont eu lieu à Varsovie (1998), Wroclaw (1999), Cracovie (2000), Lodz (2001), Lublin (2002), Bialystok (2003), Poznan (2004), Katowice (2004), Kielce (2005), Gdansk (2007) et Zamosc (2008). Chaque Journée du judaïsme est différente et est un reflet de la ville où elle se tient. Elle prend parfois la forme d’une activité unique comme une discussion avec un groupe d’experts suivie d’une messe. Parfois aussi elle devient un festival qui s’étend sur plusieurs jours et qui comprend non seulement des prières mais aussi des ateliers pour les jeunes, des marches vers des endroits associés à la présence juive dans la ville, des concerts, des expositions, des films, et des représentations théâtrales.

La Journée du judaïsme a produit un fruit intéressant, spécifiquement polonais : une Journée spéciale de l’islam, tenue pour la première fois en 2001. La date choisie dans ce cas-là est le 26 janvier, le jour suivant la conclusion de la semaine consacrée à l’œcuménisme chrétien.

La taille réduite de la communauté juive dans la Pologne actuelle pose certains problèmes pour les organisateurs de la Journée du judaïsme. Certes, l’objectif de cette activité est la transformation interne de l’Église, mais l’une des dimensions importantes est également la rencontre des Juifs. Nombreux sont les Polonais catholiques d’aujourd’hui qui n’ont jamais eu la chance de faire la connaissance d’un Juif. Fait intéressant, les participants juifs à la Journée du judaïsme ne comprennent pas seulement ceux qui considèrent le dialogue avec les chrétiens comme essentiel, mais aussi des adhérents de courants traditionnels pour qui le dialogue n’est pas indispensable. Même ceux-là, toutefois, considèrent la Journée du judaïsme comme une bonne occasion de présenter  la foi et les perspectives du judaïsme.

Michael Schudrich, le grand rabbin de Pologne, attache une grande importance à la Journée du judaïsme. Il est heureux de se déplacer d’un bout à l’autre de la Pologne pour participer chaque année à l’événement. Il estime que l’introduction officielle de la Journée du judaïsme a été encourageante pour les Catholiques qui voulaient organiser cet événement, mais ne se sentaient pas appuyés «d’en haut». Il souligne que la tradition de la Journée du judaïsme se poursuit dans la plupart des villes qui ont servi de foyer des célébrations nationales. Il en est ainsi dans les diocèses de Poznan, Cracovie, Lublin, Gdansk et Wroclaw, qui observent la Journée du judaïsme chaque année, sur des échelles et de façons variées. Il y a également des endroits tels que Plock, qui n’ont jamais accueilli les activités principales, mais qui organisent néanmoins des activités locales pour marquer la Journée du judaïsme chaque année.

L’intellectuel juif Stanislaw Krajewski, professeur de philosophie à l’université de Varsovie et coprésident juif du Conseil polonais des chrétiens et des Juifs, n’a presque jamais raté une célébration nationale. Il voit dans la Journée du judaïsme un exemple des énormes changements qu’a connus l’Église après le Concile Vatican II: «Il n’y a pas si longtemps », souligne-t-il, «une telle initiative aurait été absolument impensable».

Paradoxalement, ce sont les promoteurs catholiques du dialogue entre Chrétiens et Juifs en Pologne qui expriment le plus souvent des appréhensions. Ils estiment que l’engagement envers la Journée du judaïsme en Pologne est mitigé. D’une part, le fait que les activités nationales aient lieu dans une ville différente à chaque année signifie une participation d’un plus grand nombre de diocèses; d’autre part, quelques observateurs notent que certains diocèses font comme si cela ne les concernait pas.

Les organisateurs de la Journée du judaïsme se plaignent que des prêtres de la base se réfugient souvent derrière un mur d’indifférence. Les organisateurs préparent des documents pastoraux chaque année et les distribuent à toutes les paroisses, mais peu de prêtres les utilisent. Les médias montrent plus d’intérêt envers la Journée du judaïsme, qui offre souvent des occasions de capter des photos saisissantes d’évêques et de rabbins côte à côte, surtout lorsqu’ils affichent manifestement une entente cordiale. Même une image de ce genre peut faire une différence dans l’esprit des catholiques.

Stanislaw Krajewski résume : «Un grand nombre de rencontres vraiment riches ont lieu dans diverses villes polonaises le 17 janvier. En dépit des critiques justifiées et des appréhensions, le nombre d’activités et de participants est une source de joie».

Mais qu’en est-il de la peur d’une «judaïsation du christianisme»? Cette crainte a des racines profondes dans l’histoire du Christianisme. Selon le Fr. Lukasz Kamykowski, un théologien de Cracovie, elle prend sa source dans «la tension entre les Juifs et les Grecs», c’est-à-dire entre les deux mondes différents qui ont formé les premières communautés chrétiennes. Pendant des siècles, les Catholiques ont construit leur identité par opposition aux Juifs. Les choses ont changé définitivement lorsque le Concile Vatican II (1962-1965) a rappelé aux Catholiques qu’en «scrutant le mystère de l’Église», ils aboutissaient à une découverte du Judaïsme. La «judaïsation du christianisme» n’est donc ni plus ni moins que le retour à une conscience des sources vivantes dont se nourrit continuellement l’Église.

Le Catholicisme polonais s’est développé, après la Deuxième Guerre mondiale et l’Holocauste, dans un contexte «exempt de dialogue». Jamais auparavant dans son histoire la population polonaise n’avait été aussi ethniquement et confessionnellement homogène. Le dialogue de l’Église polonaise avec le Judaïsme a donc été, dans une large mesure, un échange de l’Église avec elle-même, ou avec sa propre mémoire. La communauté juive a connu un regain de vie au cours des dernières années et elle assume un rôle de plus en plus actif dans ce dialogue. Cela ne change rien au fait que la Journée du judaïsme a pour objectif essentiel de «renforcer et d’enrichir la conscience de nos racines chrétiennes, qui puisent à la source de la révélation de l’Ancien Testament», souligne Monseigneur Mieczyslaw Cislo, président actuel du comité des évêques polonais pour le dialogue avec le judaïsme.

Onze années de pratique de la Journée du judaïsme ont donné naissance à un patrimoine intellectuel considérable, qui pourrait alimenter des recherches théologiques plus approfondies. Déjà, les transcriptions des discussions des représentants catholiques et juifs, les réflexions systématiques des théologiens et les efforts importants, mais souvent méconnus, déployés par des experts dans de nombreux domaines, ont pris une telle dimension qu’ils commencent à attirer l’attention de l’Église polonaise dans son ensemble. Un jour, peut-être, ces travaux serviront de référence pour tous les Catholiques de Pologne.

 


 

Le comité des évêques polonais pour un dialogue avec le judaïsme

Solidarité avec le peuple d’Israël

Zbigniew Nosowski

C’est dans les cercles intellectuels laïcs qu’ont pris naissance les attitudes favorisant l’ouverture et le dialogue avec les Juifs et le judaïsme, qui se manifestent chez les Catholiques polonais. Cependant, vu la structure de l’Église, le dialogue entre Catholiques et Juifs est devenu officiel uniquement lorsque la hiérarchie s’y est engagée. En Pologne, ce processus s’est amorcé il y a plus de vingt ans.

La sous-commission de l’épiscopat polonais pour un dialogue avec le judaïsme a été créée en 1986. Son premier président était Mgr Henryk Muszynski, un bibliste exceptionnel qui était alors évêque auxiliaire du diocèse de Chelmno et qui est maintenant archevêque métropolitain de Gniezno. La sous-commission s’est réunie pour la première fois à Varsovie le 13 mai 1986 – un mois exactement après la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome. À la fin de 1987, la sous-commission a été promue au rang d’une commission.

Mgr Stanislaw Gadecki, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Gniezno, est devenu président de la commission en 1994. Gadecki, le successeur de Muszynski trié sur le volet, est également bibliste. L’épiscopat polonais a connu une restructuration en 1996. La commission a été transformée en un Comité pour le dialogue avec le judaïsme, et elle déploie ses activités dans le cadre du Conseil pour le dialogue religieux. Stanislaw Gadecki, maintenant archevêque de Poznan et vice-président de la Conférence des évêques polonais, est devenu président à la fois du Comité et du Conseil.

D’autres changements de personnes sont survenus en 2006. Mgr Mieczyslav Cislo est devenu à la fois président du Conseil pour le dialogue religieux et président du Comité pour le dialogue avec le judaïsme. À titre d’évêque auxiliaire de Lublin, il a une grande expérience du développement intensif du dialogue entre les Chrétiens et les Juifs.

Le premier événement officiel de grande envergure incarnant le dialogue entre les chrétiens et les Juifs en Pologne a été un colloque théologique international tenu à Cracovie et Tyniec, en avril 1988. À cette occasion, un rabbin a prononcé un discours officiel dans le palais de l’archevêque de Cracovie pour la première fois dans l’histoire. Cette conférence était organisée conjointement par la Commission des évêques polonais pour le dialogue avec le judaïsme et la Ligue anti-diffamation des États-Unis.

La tenue d’un séminaire spécial pour les théologiens polonais au Spertus College of Judaica à Chicago, durant l’été de 1989, a marqué une autre étape importante. Vingt-deux prêtres polonais y ont passé six semaines à étudier le dialogue interreligieux ainsi que les doctrines et l’éthique du judaïsme. Le coordonnateur polonais était le père Waldemar Chrostowski, qui par la suite est devenu l’organisateur du colloque annuel sur l’Église, les Juifs et le judaïsme à l’Académie théologique catholique à Varsovie.

La Commission (devenue par la suite le Comité) des évêques polonais pour le dialogue avec le judaïsme a joué un rôle important à certains moments de tensions, y compris le conflit entourant le couvent des carmélites de Oswiecim ou l’érection des croix dans la gravière près d’Auschwitz. Les membres de la Commission ont eu recours à leurs perceptions de la sensibilité juive pour orienter leur conduite de ce dossier et aider à résoudre le conflit.

Les fruits à long terme les plus importants des travaux de la Commission comprennent l’introduction de la Journée du judaïsme, dont nous traitons ailleurs, et les documents officiels de l’Église polonaise sur les relations avec les Juifs et le judaïsme. En 1990, la Commission a préparé une lettre pastorale officielle de la Conférence de l’épiscopat sur les relations entre les Catholiques et les Juifs, qui devait être publiée lors du 25e anniversaire de la déclaration Nostrae aetate du Concile Vatican II, déclaration qui fait date dans l’histoire. La lettre a été lue dans les églises de Pologne le 20 juin 1990.

C’est la partie historique de la lettre qui a attiré surtout l’attention de la population. Les évêques écrivent qu’ils «regrettent particulièrement les actions de Catholiques qui ont contribué à la mort des Juifs. Ces actions demeureront toujours un affront à la conscience, y compris dans sa dimension publique. Si même un seul Chrétien était en mesure d’aider un Juif en danger, mais ne lui a pas tendu une main secourable, ou même a contribué à sa mort, cette faute nous oblige à implorer le pardon de nos frères et sœurs juifs». L’élément théologique était toutefois important également. Les évêques affirment que «Dieu n’a jamais retiré son élection du peuple juif, mais a toujours continué de leur prodiguer son amour», et ils appellent à un resserrement des liens avec les Juifs d’aujourd’hui: «Il est important pour nous d’apprendre à vivre et à apprécier les valeurs religieuses des Juifs et des Chrétiens de la façon même dont les Juifs et les Chrétiens les vivent aujourd’hu».

La lettre publiée par le Conseil des évêques polonais pour le dialogue religieux, marquant la grande année du Jubilé, l’an 2000, constitue un autre document important. D’autant plus important qu’il a obtenu l’approbation de l’ensemble de la conférence épiscopale polonaise en août 2000. La lettre renvoie à la notion de l’examen de conscience de l’Église, proposée par le pape Jean-Paul II. Dans un esprit de «purification de la mémoire et de réconciliation», les évêques mentionnent les paroles du primat de la Pologne, le cardinal Joseph Glemp, qui avait demandé publiquement à Dieu, quelques mois plus tôt, le «pardon pour les attitudes de ceux parmi nous qui ont manqué de respect à l’égard des gens d’autres confessions ou qui ont toléré l’antisémitisme». La lettre affirme que «si des Polonais ont fait preuve d’une noble attitude en sauvant de nombreux Juifs, notre peuple a aussi péché au temps de l’Holocauste en manifestant de l’indifférence ou de l’hostilité envers les Juifs».

Au cours des dernières années, le Comité des évêques polonais pour le dialogue avec le judaïsme a aidé régulièrement à l’organisation de séminaires à l’Institut commémoratif Yad Vashem à Jérusalem pour des prêtres polonais. Le père Tomasz Adamczyk, secrétaire du comité et coordonnateur polonais pour ces échanges, note que les prêtres intéressés ne manquent pas. «Et il s’agit de tout autre chose qu’un pèlerinage en Terre Sainte, puisque le programme du séminaire exige un engagement intensif de la part des participants».

«Il faut faire tout ce qui est possible pour reconstruire et renforcer la solidarité chrétienne avec le peuple d’Israël», soulignaient les évêques polonais dans leur lettre de l’an 2000. Tout n’a pas été fait, assurément. Mais beaucoup de choses ont déjà été réalisées, et la commission spéciale des évêques pour un dialogue avec le judaïsme a contribué de manière indéniable au travail de réconciliation.

 


 

Le Centre de dialogue et de prière

La bonté au seuil d’Auschwitz

Maciej Müller, Tygodnik Powszechny[2]

Devant la tragédie de Auschwitz, y a-t-il place pour le dialogue et la prière? En 1992, le cardinal Franciszek Macharski, alors métropolitain de Cracovie, décide de répondre positivement à cette question. À la suite de consultations tenues auprès de nombreux évêques européens et représentants d’organismes juifs, il fonde un centre d’information, de rencontres, de dialogue, d’éducation et de prière à Oswiecim. Cette institution prend en 1998 son nom actuel et devient le Centre de dialogue et de prière.

Les responsables du Centre illustrent personnellement l’orientation de l’organisme vers le dialogue et la collaboration. Le directeur, le père Jan Nowak, appartient au diocèse de Cracovie alors que le directeur de la programmation, le père Manfred Deselaers, est un théologien allemand du diocèse d’Aix-la-Chapelle (Aachen) qui a vécu en Pologne pendant 18 ans, consacrant sa vie à la réconciliation des Allemands, des Juifs et des Polonais. Ils ont pris pour devise une citation du penseur juif Joshua Abraham Heschel: «Les mots de nos prières sont différents, mais nos larmes sont les mêmes». Ils ont inscrit également sur la page d’accueil du Centre des paroles prononcées par Jean-Paul II au site d’Auschwitz-Birkenau: «Quand nous sommes ici, aussi différents que nous puissions être en tant qu'individus ou peuples, nous ne pouvons pas échapper au désir de reconnaître chacun comme un frère.»

Les créateurs du Centre ont voulu édifier un lieu de réflexion, d’éducation, d’échanges d’idées et de prière pour toutes les personnes émues par ce qui s’est passé à Auschwitz. La maison s’appelle Centre de dialogue et de prière, mais souvent, comme les fondateurs l’écrivent sur leur site Web, «il est difficile de commencer ici par le dialogue ou la prière». C’est pourquoi ils invitent d’abord leurs visiteurs à visiter le mémorial, pour «écouter la voix de la terre d’Auschwitz». Cette rencontre concrète avec l’histoire touche chaque visiteur profondément. «Nous avons besoin de silence, de réflexion, de méditation, de temps pour voir l’invisible et pour entendre l’inaudible, et ainsi de commencer à avoir une petite idée de la blessure d’Auschwitz», souligne Deselaers, en expliquant l’idée du Centre.

Les relations interpersonnelles ont été détruites à Auschwitz. Seules les rencontres pourront guérir cette blessure. La tâche la plus importante – et la plus difficile – que doit assumer le Centre de dialogue et de prière consiste donc, comme le souligne le responsable du programme, à reconstruire «la confiance après Auschwitz». Pour que les cœurs s’ouvrent les uns aux autres, un «crédit» de confiance est essentiel. L’ouverture sans crainte, l’écoute mutuelle et le témoignage reposent sur la confiance.

Cet objectif de dialogue entre personnes de différentes confessions et nationalités ne saurait gommer les divergences, toutefois. Le principe directeur veut que «chacun parle de soi et non de l’autre». Comme l’explique Deselaers, «les Juifs ne parlent pas de l’antisémitisme des Polonais, ni les Allemands de ce que les Juifs font aux Palestiniens. Chacun parle de soi, et les autres doivent écouter et se montrer ouverts. Une telle pratique est très fructueuse.»

Le Centre tient des rencontres réunissant des anciens prisonniers chrétiens et juifs, des jeunes de la Pologne, de l’Allemagne et d’autres pays, de même que des professeurs, des prêtres et des rabbins. Une question ancienne conserve toute sa pertinence à l’ombre d’un camp de concentration: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» (Psaume 22,2)  Pour cette raison, le centre d’Oswiecim accueille également des retraites et des journées de réflexion religieuse. Le fait de se retrouver à Auschwitz joue un rôle important dans la démarche des participants. Cette expérience fait ressortir des questions sur Dieu, le mal, les vocations, la responsabilité, la culpabilité, le pardon et les relations entre Chrétiens et Juifs.

Les séminaires et les retraites qui se tiennent «au seuil d’Auschwitz» revêtent un caractère de plus en plus international et interconfessionnel. Au cours d’une retraite catholique de l’Avent en 2007, le professeur Stanislaw Krajecki a abordé l’attente du Messie dans une perspective juive. En septembre 2008, le Centre a tenu une conférence théologique où des professeurs d’Israël, d’Allemagne et de Pologne ont présenté des exposés sur la théologie après Auschwitz.

Des choses spéciales se produisent parfois pendant les retraites. Une Allemande qui visitait Auschwitz s’est mise à pleurer devant les ruines d’un four crématoire, tellement elle avait honte de voir que son pays avait commis de tels crimes. Un rabbin d’Israël qui se trouvait là l’a embrassée et l’a réconfortée. «À ce moment-là», dit Deselaers, «une nouvelle réalité interpersonnelle est née».

Il n’est pas impossible selon lui que le site du crime le plus affreux de l’histoire de l’humanité devienne une école de paix et de dialogue. Dans son livre Dialogue au seuil d’Auschwitz, il écrit que si Auschwitz a été possible, la bonté capable de conquérir Auschwitz doit aussi être possible.

 

[1]The Bound of Memory – Polish Christians in Dialogue with Jews and Judaism (ed. Zbigniew Nosowski; trad. W. Brand; Warsaw, Laboratorium WIEZI, 2008). Traduction française pour Relations judéo-chrétiennes par Pierrot Lambert.

[2] Centre de prière et de dialogue d’Oswiecim – http://cdim.pl/index.php