Choisir les mots justes, un devoir moral pour la paix au Moyen-Orient

Depuis le 7 octobre 2023, des confusions lexicales alimentent dangereusement l’antisémitisme, alertent le président de l’Amitié judéo-chrétienne de France, Jean-Dominique Durand et Christophe Le Sourt, directeur du Service national des relations avec le judaïsme à la Conférence des évêques de France. Nous reproduisons ici leur appel à la responsabilité du 7 oct. 2024, toujours d‘actualité.

Dans un texte de 1944, Albert Camus, qui avait l’exigence de la vérité, écrivait: «Nos paroles nous engagent et nous devons leur être fidèles. Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde».

Il précisait que travailler sur le langage n’est pas «un exercice byzantin sur des motifs de grammaire, mais une interrogation profonde qui ne se sépare pas de la souffrance des hommes». Et c’est peu de dire qu’il y a beaucoup de souffrances actuellement.

Comment ne pas penser, en particulier, aux actuels drames au Moyen Orient, en Israël, à Gaza, au Liban. Si la guerre est toujours cruelle, ces conflits le sont particulièrement. Les reportages attestent de la très grande dureté des bombardements et des combats qui font de nombreuses victimes civiles palestiniennes et libanaises, pour lesquelles tout un chacun éprouve une profonde compassion. Avec le pape François, ainsi que de nombreux responsables religieux et de leaders politiques, on ne peut que réclamer la libération de tous les otages et l’arrêt des combats afin de préparer une indispensable paix.

Encore faut-il ne pas oublier comment ces guerres ont été déclenchées. Ces jours-ci, nous commémorons les massacres commis, par le Hamas, le 7 octobre 2023. Était visée une population civile entière sans distinction ni d’âge, ni de sexe, ni de nationalité. Avec un acharnement particulier contre les femmes. Des actes d’une barbarie inouïe qui furent filmés et exaltés par leurs auteurs eux-mêmes. Leurs vidéos en témoignent, ce ne sont pas des «Israéliens» qu’ils tuaient mais des «Juifs».

Mesurons, également, que cet enchaînement de violence n’est pas sans graves répercussions dans le monde entier. Parmi celles-ci, il y a la montée vertigineuse de l’antisémitisme en France. Samedi 24 août dernier, un homme a perpétré un attentat contre la synagogue de La Grande Motte. Sur les images de vidéosurveillance, on le voit, armé, bouteilles remplies d’essence à la main et portant un keffieh ainsi qu’un drapeau palestinien. Il est impossible de ne pas faire le lien avec certains discours radicaux qui ont cours depuis plusieurs mois.

Suite aux attaques terroristes du 7 octobre, nous assistons à un basculement sémantique, lequel a connu un phénomène d’accélération et d’amplification lors des dernières campagnes électorales. On observe des retournements radicaux des termes évoquant la Shoah. Nous entendons, par exemple, les mots «génocide» et «extermination» martelés, assenés, scandés par certains leaders politiques, puis très largement relayés sur les réseaux sociaux en les retournant contre les Israéliens et implicitement contre tous les Juifs. Les mots ont un sens, et chacun porte un poids particulier, surtout lorsqu’ils touchent à la souffrance d’un peuple. Dans son beau livre Comment, ça va pas ? Conversations après le 7 octobre, Delphine Horvilleur le rappelle: «Donner des noms aux choses, c’est prendre en partie la responsabilité de ce qu’ils deviennent».

Oui, les mots ont un sens et, en cette occurrence, un sens juridique précis. Edgar Faure, procureur général adjoint Français au tribunal international de Nuremberg, a montré comment le régime nazi du IIIe Reich avait mis en place «un véritable service public criminel». De la sorte, le mot génocide recouvre une terrifiante réalité que le futur président du Conseil définissait ainsi, dès 1947: «un État a décidé et annoncé, sous l’autorité de son responsable suprême, qu’un certain groupe humain devait être exterminé, autant que possible dans sa totalité, les vieux, les femmes et les nourrissons inclus, décision que cet État a ensuite appliquée avec tous les moyens qui étaient à disposition». La seule motivation étant l’inextinguible haine des Juifs.

Ajoutons, que nous avons un tel renversement complet des mots, que les terroristes qui ont assassiné, dans des conditions abominables, deviendraient des résistants. Précisément, cette année, nous commémorons la libération de la France, il y a quatre-vingts ans. La résistance au nazisme est souvent évoquée. Or, jamais aucun groupe de résistants n’a détruit un village. Ils se sont toujours attaqués à des militaires ou à des miliciens. La résistance a combattu la tyrannie, et le terrorisme est une expression de la tyrannie. Un individu qui massacre des femmes et des enfants, après les avoir torturés, n’est pas un héros. C’est un lâche.

Notre temps est celui d’une confusion lexicale générale où les mots les plus simples sont renversés. Hélas, certains médias y contribuent par manque de culture historique, tandis que certains responsables politiques, eux, le font par calculs dans une perspective électoraliste. On détourne les mots de leur signification fondamentale de telle façon que la spécificité de la Shoah soit niée et que les Juifs deviennent collectivement coupables de crimes renvoyant à une inhumanité supposée. Or, les mots expriment des idées, qui elles-mêmes peuvent devenir des actes.

Ainsi se développe une agressivité tellement décomplexée que les sociologues parlent d’un «antisémitisme d’atmosphère», qui bascule dans un «antisémitisme de faits» comme le dit Haïm Korsia. Plus que jamais, surtout dans un contexte aussi douloureux, s’astreindre à choisir les mots justes, s’extraire de la tentation du «repli de la raison» est un devoir moral, ainsi qu’une responsabilité aussi bien spirituelle que civique, pour le bien commun de la cité, et la préservation d’une société apaisée.

Remarques de l’éditeur

Jean-Dominique DURAND est historien, président de l'Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF).
Christophe LE SOURT est prêtre, directeur du Service national des relations avec le judaïsme à la Conférence des évêques de France (SNRJ).

Source: Amitié Judéo-Chrétienne de France. Texte paru dans FigaroVox/Tribune, 7 octobre 2024.