Visite du pape François à la Grande synagogue de Rome

Marchant sur les traces de ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI, le pape François s’est rendu à la Grande synagogue de Rome, le dimanche 17 janvier 2016, à l’occasion de la « Journée du dialogue entre catholiques et juifs » en Italie.

Le pape a d’abord déposé des roses blanches au mémorial de la déportation des juifs de Rome par les nazis en 1943. Il a ensuite été accueilli à la synagogue par  la présidente de la communauté juive de Rome, Mme Ruth Dureghello, par le président de l’Union des communautés juives d’Italie (UCEI), Me Renzo Gattegna, et par le grand rabbin de Rome, Riccardo Shmuel Di Segni, qui ont pris la parole tour à tour devant un auditoire de 1 500 personnes.

Mme Dureghello a rappelé deux déclarations précédentes du pape François qui l’ont particulièrement touchée. D’abord, en recevant une délégation de la communauté juive de Rome, le pape a affirmé, le 11 octobre 2013, qu’ « un chrétien ne peut pas être antisémite »[2]. De même, lors d’une rencontre avec le Président du Congrès juif mondial il y a quelques mois, il a indiqué que si « attaquer des juifs est de l’antisémitisme, s’en prendre directement à l’État d’Israël est aussi de l’antisémitisme »[3] .

Dénonçant les attentats terroristes perpétrés au nom de Dieu en Europe et au Proche-Orient, surtout au cours des derniers mois, la présidente de la communauté a affirmé que, pour les juifs et les catholiques, « la foi ne génère pas la haine, la foi ne répand pas le sang, mais elle recherche plutôt le dialogue ». L’accueil et le respect réciproque fondent aujourd’hui entre eux une convivialité qu’elle a souhaité voir se développer également avec l’Islam et les musulmans « qui partagent avec nous la responsabilité d’améliorer le monde dans lequel nous vivons ».

Dans son intervention, Me Gattegna a exprimé sa satisfaction devant la transformation des relations entre juifs et catholiques depuis la proclamation de la déclaration Nostra Aetate. Ce changement majeur est cependant trop peu connu du grand public auprès duquel circulent encore, au sujet des juifs, « des propos empreints d’un mépris qui offense et qui blesse ».

Sur le plan international, chrétiens et juifs sont aujourd’hui confrontés à « des ennemis impitoyables, violents et intolérants, qui utilisent le nom de D. pour semer la terreur en commettant les crimes les plus atroces contre l’humanité ». Face à cette situation, le salut ne se trouve que « dans la formation d’une forte coalition, basé sur le partage de valeurs éthiques séculaires telles que le respect de la vie et la recherche de la paix », en cheminant ensemble tant dans « le respect de la diversité » que la conscience « des nombreuses valeurs, des principes et des espoirs qui nous unissent ».

Le grand rabbin Di Segni s’est réjoui de cette troisième visite d’un pape à la Grande synagogue de Rome. Il a fait remarquer qu’elle s’inscrit pour l’Église au début d’une année de jubilé, une institution qui a son origine dans la Bible hébraïque et qui fait partie du patrimoine commun des juifs et ces chrétiens. Dans la Bible, le jubilé, tout comme l’année sabbatique, propose « une refondation de la société sur la base de la dignité, de l’égalité et de la liberté ». Ce modèle, où sont associées étroitement la miséricorde de Dieu et sa justice, est encore valable aujourd’hui.

Le rabbin a interprété la visite du pape comme un signal de continuité avec le geste du pape Jean-Paul II qui a voulu ainsi marquer concrètement « la rupture avec un passé de mépris vis-à-vis du judaïsme ». Mais c’est aussi un signal d’urgence devant la guerre et le terrorisme qui s’appuient sur le fanatisme religieux : « Au contraire, une rencontre pacifique entre des communautés religieuses différentes, comme celle qui a lieu aujourd’hui à Rome, est un signal très fort d’opposition à l’invasion et aux abus des violences religieuses ». Il a encouragé juifs et chrétiens à avoir confiance à leurs valeurs communes et à continuer de les affirmer conjointement.

Se présentant comme l’évêque de Rome, le pape François a utilisé l’image choisie par Jean-Paul II des « frères aînés dans la foi », soulignant le lien « indissoluble » entre juifs et chrétiens. S’appuyant sur la déclaration conciliaire Nostra Aetate, il a réitéré le « oui » de l’Église « à la redécouverte des racines juives du christianisme » et son « non » sans équivoque « à toute forme d’antisémitisme », de même que sa « condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent ». Il a aussi confirmé que « tout en professant le salut à travers la foi en Christ, l’Église reconnaît l’irrévocabilité de l’Ancienne Alliance et l’amour constant et fidèle de Dieu pour Israël ».

Il a souhaité une plus grande collaboration face aux grands défis actuels, particulièrement celui de « l’écologie intégrale », et appelé à « renforcer notre engagement en faveur de la paix et de la justice ». Il a exprimé sa conviction que « ni la violence ni la mort n’auront le dernier mot devant Dieu, qui est le Dieu de l’amour et de la vie ». Le pape a ensuite évoqué la déportation des juifs de Rome et la Shoah, en saluant spécialement les survivants présents et en invitant à ne jamais oublier les larmes des victimes juives de cette « idéologie » qui prétendait « remplacer Dieu par l’homme ». Pour le pape, la Shoah impose d’être désormais « extrêmement vigilants pour pouvoir intervenir à temps dans la défense de la dignité humaine et de la paix ».

Le discours du pape a été suivi d’un échange de cadeaux. Le grand rabbin a offert au pape un tableau de George De Canino représentant une menorah, figurée comme un arbre à sept branches, et un calice. Le pape a remis au grand rabbin un manuscrit de cinq feuillets d’un commentaire juridique du Lévitique, d’origine yéménite (Codice Vaticano ebr. 700, XIVe s.).

La rencontre s’est achevée par le chant du Ani Maamin (« Je crois »), la profession de foi si souvent chantée par les juifs assassinés dans les camps d’extermination nazis. Le pape l’a écoutée avec recueillement. Il a ensuite eu un entretien privé avec le grand rabbin.

L’original italien des interventions de Mme Dureghello, de Me Gattegna et du grand rabbin Di Segni est disponible sur le site Moked[4] et celui du discours du pape François sur le site du Vatican, où l’on trouve également sa traduction en plusieurs langues de même que la vidéo et des photos de l’événement[5]. La version française officielle du discours du pape François est reproduite sur Relations judéo-chrétiennes[6].