Une décision de l’UNESCO sur la Vieille ville de Jérusalem soulève la controverse

Le Conseil exécutif de l’UNESCO a adopté en avril 2016 une décision sur la Vieille ville de Jérusalem qui a soulevé la colère des autorités israéliennes et du monde juif. La controverse a été particulièrement vive en France, pays qui a souscrit à cette résolution. Pour la présidente de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France cette décision atteint non seulement le peuple juif dans sa foi, mais également l’ensemble des chrétiens.

Une décision dénonçant Israël

Au cours de sa 199e session (Paris, 4-15 avril 2016), le Conseil exécutif de l’UNESCO a adopté une décision concernant la « Palestine occupée » (décision no 19)[1]. Cette décision, affirme-t-on, vise « entre autres, à sauvegarder le patrimoine culturel palestinien et le caractère distinctif de Jérusalem-Est » (par. 3), secteur occupé par Israël depuis 1967. Elle a été adoptée par 33 voix pour, dont celles de la France et de l’Espagne, 6 voix contre (Allemagne, États-Unis d’Amérique, etc.) et 17 abstentions. Les représentants du Ghana et du Turkménistan étaient absents lors du vote.

La première partie de la décision (19.I) dénonce principalement « le refus d’Israël de mettre en œuvre les précédentes décisions de l’UNESCO concernant Jérusalem » et proteste contre les actions d’Israël, qualifié quatorze fois de « Puissance occupante », en rapport avec « la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif et ses environs » (19.I.A), notamment les travaux effectués à l’un de ses principaux points d’accès, « la Rampe des Magrhébins » (19.I.B), et réclame à nouveau la mise en œuvre de missions de suivi réactif (19.I.C).

La décision « condamne fermement les agressions israéliennes et les mesures illégales limitant la liberté de culte et l’accès des musulmans au site sacré de la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif » (par. 8), « déplore vivement les irruptions persistantes d’extrémistes de la droite israélienne et de forces en uniforme sur le site de la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif » (par. 9), «  dénonce vivement les agressions constantes commises par les Israéliens contre les civils, y compris des cheikhs et des prêtres » (par. 10).

Elle mentionne également « l’installation de fausses tombes juives » dans des cimetières musulmans et « la violation que représente la conversion persistante de nombreux vestiges islamiques et byzantins en soi-disant bains rituels juifs ou lieux de prière juifs » (par. 14). Elle proteste aussi contre la mise en œuvre de divers projets de  construction par Israël et son obstruction à des travaux de rénovation de biens musulmans (par. 14).

La « Rampe des Maghrébins » fait l’objet d’une section particulière de la décision. On y « réprouve le fait qu’Israël persiste à prendre des mesures et des décisions unilatérales », à son sujet, entre autres  « la création imposée d’une nouvelle plate-forme de prière juive » au sud de la rampe, « sur la Place Al-Buraq (‘place du Mur occidental’) et « les travaux et fouilles intrusifs dans et autour » de cette voie d’accès pour laquelle on souhaite la réalisation d’un projet différent (par. 20-22).

Dans la section finale de la première partie, on regrette « le refus persistant d’Israël d’agir en conformité avec les décisions de l’UNESCO » (par. 27) et on invite la directrice générale de l’organisme « à prendre les mesures nécessaires pour que la mission de suivi réactif de l’UNESCO puisse avoir lieu » (par. 28). On demande également un rapport d’ordre technique concernant la Rampe des Maghrébins (p. 29). Il est enfin décidé d’inscrire cette question et les autres points traités dans la décision no 19 à l’ordre du jour de la prochaine session du Conseil exécutif (par. 40).

Une « réécriture de l’histoire »

La réaction des autorités israéliennes ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué émis le 16 avril[2], le premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il s’agissait d’une « autre décision absurde de l'ONU ». Il reproche particulièrement à l’UNESCO d’ignorer « le lien unique et historique du judaïsme au Mont du Temple, sur lequel deux temples (successifs) ont existé pendant mille ans et vers lequel tous les Juifs du monde prient depuis des milliers d'années ». Il considère que, ce faisant, l'ONU « réécrit une partie essentielle de l'histoire humaine ». Dans la foulée de cette déclaration, il a proposé d’organiser une conférence sur l’histoire du judaïsme pour le personnel des Nations unies, proposition rapidement rejetée par l’organisme.

Le chef du parti « Yesh Atid », Yair Lapid a pour sa part adressé une lettre à la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, qualifiant la décision de « tentative disgracieuse de réécrire l’histoire et la réalité »[3]. « Cette résolution constitue une intervention totalement irresponsable, dans l’un des endroits les plus complexes du Proche-Orient. L’UNESCO se fait une fierté de promouvoir la tolérance, le dialogue interreligieux et interculturel; mais elle adopte des résolutions qui effacent le peuple juif du récit historique ».

De son côté, le directeur général du ministère des affaires étrangères d’Israël, Dore Gold, a écrit aux 33 pays qui ont voté en faveur de la décision[4]. Sa lettre associe cette décision à « une tendance inquiétante qui cherche à nier les liens profonds du peuple juif et de l’État d’Israël avec leur capitale historique ». Dore note également que l’expression « Mont du Temple » a été radiée du texte et remplacée par une simple référence à « la mosquée al-Aqsa » et au « Haram al-Sharif ». Et il poursuit : « Même le Mur occidental, le site le plus sacré du peuple juif après le Mont du Temple, est désigné par l'UNESCO entre guillemets, comme si cette expression ne faisait pas partie de l’usage courant » ; on lui préfère l’appellation « Place Al-Buraq » privilégiant ainsi exclusivement la tradition islamique. D’autres aspects de la tradition juive sont également présentées comme fictifs dans cette décision qui parle de « fausses tombes juives » et de « soi-disant bains rituels juifs ». Dore considère enfin que cette décision, « loin de reconnaître et d’appuyer le principe vital du respect mutuel entre les traditions de foi et entre les peuples, […] ne sert qu’à l’affaiblir ».

Controverse en France

Le soutien de la France à la décision de l’UNESCO a soulevé la controverse. Le 18 avril, Roger Cukierman, président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) a adressé au président de la République un courrier de protestation sur le vote de la France, dans laquelle il relaie les propos du premier ministre israélien[5]. Il dénonce « une négation délibérée de l'histoire » qui « ignore le lien historique du judaïsme avec Jérusalem, capitale spirituelle du Peuple Juif ». Il a également fait part de son désaccord à la directrice générale de l’UNESCO.

Dans un communiqué qui fait référence au projet de décision de l’UNESCO, daté du 11 avril, le président du Consistoire, Joël Mergui, y voit essentiellement une manœuvre de délégitimation d’Israël et une manifestation d’antisémitisme, « un kidnapping culturel, cultuel et historique ». Il se demande si le représentant français qui a voté pour cette résolution réalise que « sans histoire juive à Jérusalem, le Christianisme se trouve amputé de ses origines historiques et spirituelles tout autant que l’Islam ? »[6]

Une vive réaction est aussi venue du Grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui a interpellé à ce sujet, le 21 avril, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et lui a exprimé « sa vive désapprobation » du vote de la France[7]. Le Grand rabbin s’est également exprimé dans un texte publié dans Le Figaro du 9 mai[8] : « […] le responsable religieux français que je suis, ne peut demeurer silencieux devant une telle atteinte à la foi de nombre de fidèles, qui ont accompagné la destinée du Temple de Jérusalem, de Salomon le bâtisseur à Jésus chassant les marchands ». Il estime qu’il y a là « injure à ce que nous rapportent les textes sacrés, la Bible et ses 867 mentions de Jérusalem, comme les Évangiles, mais aussi à l’Histoire. D’innombrables voyageurs […] témoignent, s’il en était besoin, de l’enracinement ancestral du judaïsme dans ces lieux. »

D’autres dénonciations de cette « réécriture de l’histoire selon l’islam » sont aussi venues de personnalités juives telles que le philosophe Smhuel Trignano. Celui-ci la considère comme la manifestation d’une « dimension théologique propre à l'islam dans son ensemble qui voit dans le Coran le livre originel de la révélation de sorte que les livres judéo-chrétiens ne peuvent être que sa falsification »[9].

En réponse à de telles réactions, le gouvernement français a cherché à calmer le jeu. Dans un courrier au président du CRIF, le président François Hollande a d’abord assuré « que rien dans le vote de la France ne doit être interprété comme une remise en cause de la présence et de l’histoire juive »[10]. Il y affirme également que « la position de la France sur la question de Jérusalem est claire et ne varie pas: c’est la défense de la liberté d’accès et de culte à Jérusalem, ville fondamentale pour les trois grandes religions monothéistes ». Le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault a repris les mêmes propos devant les députés, précisant que « la France a voté ce texte avec d’autres pays européens pour marquer son attachement au maintien du statu quo sur les lieux saints à Jérusalem ».

Dans son édition du 12 mai, le journal La Croix signale que le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve « a regretté » devant les Amis du CRIF, « le vote de la France en faveur d’une résolution ‘mal rédigée’ »[11]. De l’avis du premier ministre Manuel Valls, « ce vote aurait dû être évité », rapporte le même article. En réponse à une question au Sénat, le premier ministre a en effet affirmé à propos de la décision de l’UNESCO: « […] nier la présence de l’histoire juive à Jérusalem n’a aucun sens. Quand on veut traiter d’un tel sujet, en quelque lieu que ce soit, il faut choisir ses mots avec beaucoup d’intelligence. En l’occurrence, tel n’a pas été le cas. Cette résolution de l’UNESCO, qui n’est pas nouvelle, contient des formulations malencontreuses, maladroites et blessantes. […] Quand il s’agit de Jérusalem, de cette cité unique au monde, de cette ville du Livre où sont représentés les trois monothéismes, il faut faire preuve de la plus grande clarté. Nous avons eu l’occasion de nous exprimer. Ce vote, cette erreur sont derrière nous[12]. »

De son côté, la directrice générale de l’UNESCO s’est manifestée dès les premières réactions dans un communiqué daté du 17 avril, cherchant, de manière diplomatique, à clarifier l’objectif de la résolution et à la recadrer dans une perspective d’ouverture aux trois religions monothéistes. Elle écrit : « Jérusalem est une terre sainte des trois religions monothéistes, un lieu de dialogue pour tous les juifs, chrétiens et musulmans, et rien ne devrait être entrepris qui puisse en modifier l'intégrité et l'authenticité». Jérusalem, précise-t-elle, « est une mosaïque de cultures et de peuples, dont l'histoire a façonné l'histoire de l'humanité tout entière »[13].

Quelques jours plus tard, elle reprenait ces propos dans la réponse adressée au président du CRIF et elle ajoutait : « Je voudrais aussi réitérer ce que j'ai déjà affirmé à plusieurs reprises, cette Organisation ne devrait pas être politisée. En ma qualité de directrice générale de l'UNESCO, j'ai pris position fermement afin d'éviter par tous les moyens possibles d'enflammer davantage la situation au Moyen-Orient, et plus particulièrement autour de la Vieille Ville de Jérusalem et ses remparts, un bien inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. »[14]

Invitation à la réflexion

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France s’est penchée sur cette affaire et a publié un bref communiqué sur son site internet[15]. Sa présidente, Jacqueline Cuche, y souligne l’importance, pour les juifs comme pour les chrétiens, du lien millénaire du peuple juif au « Mont du Temple », lien qui ne devrait pas être occulté « au profit du seul Islam » :

« L’Amitié Judéo-Chrétienne de France suit avec préoccupation l’affaire des résolutions votées à l’UNESCO le 15 avril dernier. Bien qu’il ne soit pas nié de façon explicite, le lien du judaïsme avec le Mont du Temple y disparaît au profit du seul Islam. Cette vision, qui participe d’une lecture négationniste de l’histoire du peuple juif, atteint non seulement ce dernier dans sa foi mais aussi l’ensemble des chrétiens. C’est pourquoi l’Amitié Judéo-Chrétienne de France entreprend actuellement des démarches auprès de diverses personnalités religieuses pour que soit réaffirmé avec force le lien du peuple juif avec le Mont du Temple et Jérusalem, un lien qui depuis 2000 ans, à cause du Juif Jésus, concerne également les chrétiens, comme l’attestent on ne peut plus clairement leurs Écritures. »

L’une des personnalités religieuses qui a répondu  à cet appel est l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, qui adressait le 18 mai une lettre de soutien au président du CRIF[16]. « Ayant pris connaissance du texte voté récemment à l’UNESCO », écrit-il, « laissez-moi vous dire mon incompréhension et ma tristesse face à de telles déclarations qui oblitèrent totalement les lieux et les noms des Lieux Saints Juifs à Jérusalem. Je me suis rendu moi-même à plusieurs reprises au Mur du Kotel avec nombre de pèlerins. Une telle déclaration ne peut en rien contribuer à faire progresser la Paix qui ne peut s'établir sans reconnaître et respecter les Lieux Saints des uns et des autres. »

Au moment de rédiger ce texte, le Conseil international des chrétiens et des juifs (ICCJ) n’a pas encore réagi officiellement à la controverse soulevée par la décision de l’UNESCO. Selon une source bien informée, son président souhaite inviter ses membres à prendre connaissance de la décision de l’UNESCO et à approfondir leur réflexion sur la signification du Temple pour les trois religions monothéistes.

De façon plus large, cet événement attire aussi l’attention sur les difficultés de l’UNESCO à accomplir son mandat, particulièrement en zone de conflit et dans les territoires dont le statut est contesté, et à éviter une instrumentalisation de sa liste du « Patrimoine mondial ».

À propos de l’action de l’UNESCO à Jérusalem, Michael Dumper et Craig Larking observaient en 2012 que l’organisation doit « tracer une voie difficile entre deux extrêmes : il lui faut éviter d’être court-circuitée par les autorités israéliennes ou assimilées à elles, car elles ont tendance à souligner principalement la tradition historique juive; il lui faut éviter tout autant d’être rejetée ou manipulée par des groupes palestiniens qui cherchent à redresser le déséquilibre du pouvoir dans la ville, la protection du patrimoine devenant une autre forme et un autre moyen de résistance politique »[17].

Les deux chercheurs notaient également que l’UNESCO n’a actuellement aucun moyen de faire appliquer des règles ou d’implanter des politiques stratégiques sans la coopération du gouvernement israélien, qui n’endossera vraisemblablement aucune action qu’il percevrait comme minant le caractère juif de la ville ou ses revendications politique à son sujet »[18]. Ils soulignaient que le moment propice à une action efficace l’UNESCO à Jérusalem n’est peut-être pas encore venu, « un moment où le patrimoine culturel n’est pas seulement utilisé comme arme politique, mais devient l’assise d’une existence commune et d’une compréhension mutuelle »[19].

[1] Les décisions adoptées lors de la 199e session sont disponibles sur le site de l’UNESCO : http://unesdoc.unesco.org/images/0024/002446/244639f.pdf

[2]http://www.pmo.gov.il/English/MediaCenter/Spokesman/Pages/spokeUNESCO160416.aspx

[3]http://www.jpost.com/Israel-News/Politics-And-Diplomacy/Lapid-UNESCO-resolution-on-Temple-Mount-will-lead-to-death-of-more-innocents-451404

[4]http://mfa.gov.il/MFA/PressRoom/2016/Pages/Israels-response-to-the-anti-Israel-UNESCO-resolution-21-April-2016.aspx. Voir aussi : http://www.jpost.com/Israel-News/Foreign-Ministry-protests-countries-that-voted-for-UNESCO-resolution-451905

[5]http://www.crif.org/fr/communiquedepresse/%C3%A0-lunesco-la-france-vote-pour-une-n%C3%A9gation-d%C3%A9lib%C3%A9r%C3%A9e-de-lhistoire/60444

[6]http://www.consistoire.org/communiques/337.lan-prochain-a-jerusalem-ou-la-resolution-de-lunesco-du-11-avril-2016

[7] Rapporté sur le site de La Croix / Urbi et Orbi : http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/France/Le-grand-rabbin-France-interpelle-Jean-Marc-Ayrault-apres-resolution-Unesco-2016-04-21-1200755030

[8] Reproduits sur le site « le.monde.juif.info » : http://www.lemondejuif.info/2016/05/le-grand-rabbin-de-france-haim-korsia-pour-jerusalem-je-ne-me-tairai-point/

[9]http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/05/02/31002-20160502ARTFIG00135-quand-une-resolution-de-l-unesco-reecrit-l-histoire-de-jerusalem.php

[10] Voir : http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/France/Une-resolution-de-l-Unesco-sur-Jerusalem-brouille-les-relations-entre-le-Crif-et-Francois-Hollande-2016-05-11-1200759328

[11] Marie Verdier, « Pourquoi la décision de l'Unesco sur Jérusalem-Est suscite-t-elle la polémique ? » La Croix, vendredi 13 mai 2016, p. 10.

[12]http://www.senat.fr/questions/base/2016/qSEQ16050858G.html

[13]http://www.unesco.org/new/fr/media-services/single-view/news/unesco_director_general_calls_for_renewal_of_trust_in_middle_east/#.V0MDUeTvcZz

[14]http://www.crif.org/sites/default/fichiers/images/documents/CRIF_001.pdf

[15]http://ajcf.fr/communique-de-la-presidente-de-l-ajcf.html

[16] Disponible sur le site du CRIF : http://www.crif.org/sites/default/fichiers/images/documents/secretariatcrif.org_20160525_133934.pdf

[17] Michael Dumper et Craig Larkin, « The politics of heritage and limitations of international agency in contested cities : a study of the role of UNESCO in Jerusalem’s Old City », dans Review of International Studies 38 (2012) 25-52 (citation p. 42).

[18] Ibidem, p. 51.

[19] Ibidem, p. 52.