Un pionnier canadien du dialogue entre juifs et chrétiens,

In Memoriam

Un pionnier canadien du dialogue entre juifs et chrétiens,

le Père Stéphane VALIQUETTE, s.j. (1912 – 2004)

A Montréal (Québec), le 23 juin 2004, décédait un pionner canadien du dialogue entre juifs et chrétiens, le Père Stéphane Valiquette, jésuite. À partir d’une Chronologie autobiographique rédigée en 1981 et d’un cahier manuscrit intitulé Mémoires judéo-chrétiens d’un jésuite canadien publié par le P. Valiquette en 1990, son confrère le P. Rémi Potvin a rédigé une note biographique. En hommage au P. Valiquette, nous reproduisons ici, sous forme condensée les extraits qui se rapportent plus directement au dialogue entre juifs et chrétiens. L’adaptation a été réalisée par Jean Duhaime, président du Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal.

Stéphane, septième enfant d’une famille de seize, est né le 14 octobre 1912, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de Montréal où son père tenait une épicerie-boucherie. Après des études primaires à l’Académie Saint-Jean-Baptiste, il fit six années d’études classiques au collège Sainte-Marie, puis entra au noviciat des Jésuites à Sault-au-Récollet en septembre 1931. Il poursuivit des études en lettres et en théologie et fut ordonné prêtre le 13 août 1944. Il fit carrière principalement dans l’enseignement, les activités oecuméniques et le dialogue entre juifs et chrétiens, surtout à Montréal, Saint-Boniface et Sudbury. Son engagement dans le dialogue entre juifs et chrétiens peut être réparti en six périodes différentes.

1. Les premiers contacts

Le dialogue entre juifs et chrétiens a toujours été important dans la carrière de Stéphane Valiquette. Cette « activité apostolique » avait manifestement sa préférence. Il faut dire qu’elle l’a occupé toute sa vie. Il a raconté plusieurs fois comment, encore gamin, il était entré en contact avec des juifs à l’épicerie de son père et comment il avait été amené à remplir la charge de « shabbat goy »: éteindre les cierges et les lumières à la synagogue après l’office du vendredi soir, et comment, en faisant la livraison à domicile, il s’était peu à peu instruit des pratiques juives.

Au juvénat, mis au courant de son intérêt pour la question, le recteur Léonide Bégin lui remet des documents qu’il vient de recevoir sur l’archiconfrérie de prières pour la conversion d’Israël et lui demande de présenter à l’Académie des missions une communication sur la conversion des juifs. Il l’invite en outre à préparer le plan d’un exposé sur la question, que novices et juvénistes pourraient utiliser pour une de leurs classes de catéchisme dans les écoles. Ces demandes de son recteur ne font que confirmer le jeune Stéphane dans une vocation qu’il croit découvrir en lui. Au scolasticat, il recrute pour l’archiconfrérie. Il écrit dans Le Messager du Sacré-Cœur.

En deuxième année de philosophie, il obtient du recteur Émile Papillon l’autorisation d’aller rencontrer le secrétaire du Congrès juif canadien. Peu après, Joseph Paré le met en contact avec le rabbin de la synagogue Emanu-El de Westmount. En 1939, pendant sa régence, il est invité par le Supérieur du Grand Séminaire de Montréal à s’adresser aux trois cents grands séminaristes. Il y fait vive impression, si bien qu’il sera réinvité quatre autres fois dans les années qui suivent. En théologie, il fait son mémoire de licence sur le judaïsme libéral ou réformé. L’année de son ordination, la Ligue missionnaire des étudiants lui demande de préparer un numéro de sa revue Rayonner sur la conversion d’Israël.

En 1947, alors qu’il est directeur de L’entraide et du Centre pédagogique, il fait instance auprès de Mgr Joseph Charbonneau, archevêque de Montréal, pour qu’il fasse venir dans son diocèse les religieuses de Notre-Dame-de-Sion et il s’occupe lui-même de les accueillir. La même année, à la demande du Comité Saint-Paul pour la conversion des juifs dont il fait partie, il publie un cahier de seize pages intitulé Le clergé et les juifs, qui reproduit la correspondance entre le comité et un dénommé Joseph Ménard, éditeur du Goglu, antisémite notoire. Toujours en 1947, la Délégation apostolique lui demande d’écrire, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort de Benoît XV, un article faisant état des préoccupations de ce pape pour l’avenir de la Palestine. Le quotidien Le Droit d’Ottawa, en date du 27 octobre 1947, publie sur quatre colonnes l’article en question.

2. Comité Saint-Paul, Centre Ratisbonne, Conseil Canadien des Chrétiens et des Juifs

Le 7 mars 1951, Mgr Paul-Émile Léger, nommé archevêque de Montréal, demande au Comité Saint-Paul de réorganiser la Commission d’apostolat auprès des non-catholiques. Lui-même en assume la présidence. Stéphane Valiquette y est chargé plus spécialement de l’apostolat auprès des juifs. Pour répondre à ce mandat de l’archevêque, Stéphane fonde, en 1951, avec l’aide des religieuses de Notre-Dame-de-Sion, le Centre Ratisbonne, qui se propose un double objectif: faire connaître les juifs à l’Église et faire connaître l’Église aux juifs. Des entretiens à l’émission Radio Sacré-Cœur, des conférences à la Ligue des Anciens retraitants, aux Chevaliers de Colomb, au Club Richelieu, au Club du vendredi, des prédications aux messes paroissiales visent à réaliser le premier de ces objectifs et à recueillir des fonds. Dans le même but, Stéphane publie une brochure de 32 pages: Israël tout entier sera sauvé. Il organise des séances de projection du film: « Maître après Dieu », comme moyen d’éducation contre l’anti-sémitisme.

Informé du travail qu’il accomplissait en vue d’aider les catholiques à mieux connaître les juifs, l’État d’Israël, au début de 1953, invite Stéphane à y faire un séjour de trois mois, toutes dépenses payées. Au retour, faisant escale à Rome, il remet un mémoire au cardinal Eugène Tisserant. De retour au pays, il y poursuit ses conférences et d’autres activités rattachées à son ministère auprès des juifs: il parraine des réfugiés, lance une souscription pour aider les clarisses de Terre sainte, se fait le promoteur de la « Semaine de la fraternité », etc.

En 1954, avec l’approbation du Cardinal Léger et du Provincial Gérard Goulet, Stéphane Valiquette organise le premier bureau permanent au Québec du Conseil canadien des chrétiens et les juifs (CCCJ). On imagine le nombre de démarches, et des plus délicates, qu’un tel projet pouvait exiger. Hélas! Suite à des directives venues de Rome, le Cardinal et le Provincial reviennent sur leur parole et lui demandent, dès l’année suivante, de se retirer du CCCJ.

3. Ministères divers

Préfet de discipline au collège de Saint-Boniface, il y organise la « Semaine de la fraternité ». Invité par une synagogue de Winnipeg, il participe à une session sur le Talmud et ses parallèles dans les Évangiles. Commentateur de la messe radiodiffusée, il en profite pour aider les catholiques à mieux comprendre les textes de l’Ancien Testament et à les accueillir avec plus de sympathie. Transféré à Sudbury, il y poursuit des activités semblables.

Après Vatican II, devenu lui-même directeur-adjoint du Centre œcuménique, Stéphane Valiquette s’engage dans la présentation des Orientations et suggestions pour l’application de Nostra Aetate, promulgué le 1 décembre 1974 par la Commission romaine pour les relations religieuses avec le judaïsme. Il rédige un texte qui paraît dans le Prions en Église, alors tiré à 200 000 exemplaires, et il expédie à tous les rabbins de Montréal une copie du document romain avec un commentaire du Rabbi Allan Langner paru dans le Montreal Star. Dans L’Église canadienne du 15 juin 1978, il publie une analyse du texte. Ce qui lui vaut une invitation à faire l’Homélie sur le document durant le service sabbatique de la synagogue Emanu-El et de participer à un échange sur les sujets avec deux rabbins devant un groupe de prêtres et de rabbis. En décembre 1984, il obtient du comité de rédaction de la revue Œcuménisme de présenter un numéro entier sur le dialogue judéo-chrétien dans le monde. Deux autres articles sur le sujet paraissent dans L’Église canadienne et un dans La Presse.

4. Le Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal

Mgr Paul Grégoire, au début de 1971, confie à Stéphane l’établissement d’un dialogue judéo-chrétien dans son diocèse. Stéphane fait les démarches nécessaires, et le projet, assumé conjointement dès l’origine par le diocèse catholique romain de Montréal et le Conseil rabbinique du Grand Montréal, prend le nom de Dialogue judéo-chrétien de Montréal (DJCM). D’autres confessions chrétiennes se joignent bientôt au groupe initial. Le rabbin Langner et Stéphane Valiquette en furent les co-présidents de 1971 à 1977. Lieu d’intervention, de réflexion, de communication, le DJCM est aussi agent d’intervention, dont il est malheureusement impossible de relater ici les nombreuses activités. Comme toujours, Stéphane y joue un rôle de premier plan, comme instigateur, organisateur ou acteur. Retenons seulement ce qu’il en dira lui-même plus tard: « Si je jette un coup d’œil rétrospectif sur les vingt ans du Dialogue judéo-chrétien à Montréal, je crois que cette expérience de relations fraternelles entre judaïsme et christianisme aura été la plus consolante et la plus fertile que j’aie vécue durant mes cinquante années d’engagement dans le dialogue judéo-chrétien1. »

5. Le Comité National de Liaison Tripartite

Mais il est un autre organisme, celui-là à l’échelle du Canada tout entier, dont il faut au moins dire quelques mots, puisque Stéphane a participé à sa fondation et y a travaillé pendant au moins dix ans. En 1974, le Congrès juif canadien (CJC) demande à la Conférence des évêques catholiques du Canada (CÉCC) de former un groupe de travail conjoint, comme il en existe un avec le Conseil canadien des Églises (CCE). Consulté, Stéphane propose plutôt un seul groupe de travail à trois: CJC, CÉCC, CCÉ. Sa proposition est acceptée et le « Comité national de liaison tripartite » (CNLT) voit le jour. Le CCCJ en devient membre associé peu après. Pour promouvoir le dialogue judéo-chrétien, le CNLT organise, à travers le Canada, des colloques publics sur des sujets d’intérêt commun. Stéphane fait accepter comme sujet du premier colloque: La qualité et la sainteté de la vie. On accepte également sa suggestion dans le choix du sujet du second colloque: La famille menacée. Après quelques années, le CNLT change de nom; il s’appelle maintenant le Comité canadien de relations entre chrétiens et juifs, en anglais: Canadian Christian Jewish Consultation.

En décembre 1989, financée par les trois corps fondateurs du CNLT, paraît la brochure, tirée à mille exemplaires: Pour se préparer au dialogue judéo-chrétien. Guide pour chrétiens, que Stéphane considère comme son testament spirituel après cinquante ans d’apostolat pour le rapprochement des chrétiens et des juifs. Ses relations avec les juifs se poursuivent néanmoins bien au-delà de cette date, en fait jusqu’à son départ pour l’infirmerie de Saint-Jérôme en 2000. Il continue, entre autres, un ministère qu’il avait commencé en 1951 et qui lui tient toujours à cœur: la préparation et la célébration de mariages mixtes, entre chrétiens de toute confession et non-chrétiens de toute allégeance: juifs, bien sûr, mais aussi bouddhistes, musulmans, hindous, etc. Muni des autorisations nécessaires, il aura célébré ou co-célébré à la synagogue durant sa vie quelque deux cent cinquante de ces mariages « œcuméniques », dont il a justifié la légitimité à plusieurs reprises2.

6. Reconnaissance

Le ministère de Stéphane Valiquette auprès des juifs a été reconnu et apprécié dans tous les milieux. De nombreux témoignages nous l’indiquent. Outre le Certificat de reconnaissance que lui décerne le Congrès juif canadien le 15 octobre 1980, et la médaille de Bon serviteur que lui remet le Conseil canadien des chrétiens et des juifs le 26 octobre 1988, des articles élogieux sont parus, à diverses époques de sa carrière dans des journaux et revues. À l’occasion de ses cinquante ans de vie religieuse, en 1981, Jules Béliveau, dans La Presse, et Denise Robillard, dans Le Devoir, lui rendent hommage. Le 15 août 1999, La Presse titre, à la une: Un jésuite au service des juifs, un long article accompagné d’une photo.

* * *

Au terme de cet inventaire, forcément sommaire, il convient de se rappeler que, pour Stéphane Valiquette, ce ministère n’aura jamais constitué un status officiel. Il l’aura accompli, pour ainsi dire, dans ses temps libres, ses temps de loisir, aussi incroyable que cela puisse paraître. Cela aura été pour lui une vocation de surcroît, qu’il a su intégrer aux fonctions, le plus souvent délicates et accaparantes, que ses supérieurs lui ont confiées. Il a sûrement reçu, à cette fin, une grâce spéciale.

Stéphane Valiquette s’est éteint le 23 juin 2004, en la vigile de la Saint-Jean-Baptiste, vers dix heures du soir, au moment où, par tout le territoire du Québec, à Sudbury et à Saint-Boniface, s’allumaient des feux de joie. Depuis lors, il partage la compagnie d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de leurs descendants et de chrétiens de toutes confessions qui célèbrent les louanges du Dieu unique.

Notes

  1. Mémoires... p. 66.
  2. Voir, par exemple, dans Œcuménisme 76 (déc. 1984), p. 31-33.