«Quand cela sera terminé, comment voulons-nous que le monde soit?» Compte rendu du colloque de l’ICCJ (20 au 23 juin 2021)

Après une année d’interruption pour cause de pandémie, le Conseil International des Chrétiens et des Juifs (ICCJ) a organisé sa rencontre annuelle de manière virtuelle. Ce format, utilisé pour la première fois, a influencé la conception et le contenu du colloque.

Le dimanche 20 juin nous a permis de nous retrouver autour d’un programme interactif qui a duré 14 heures sans interruption, permettant ainsi d’inclure tous les fuseaux horaires. Nous avons fait le tour du monde, du moins celui des 34 pays membres.

«Si pas maintenant, quand?»

La journée a débuté en Australie et en Nouvelle-Zélande avec des présentations détaillées des activités de nos organisations sur place. Une première conférence a réuni Emmanuel Nathan, un théologien catholique australien et Leah Shakdiel, israélienne, rabbin et militante pour la paix avec pour sujet: «Si pas maintenant, quand? Réflexions sur notre tâche commune de réparer le monde». Les deux intervenants ont proposé des initiatives concrètes.

Emmanuel Nathan a parlé des relations avec les populations premières en Australie et du racisme qu’elles subissent encore, des conséquences désastreuses de notre comportement pour la planète et de la question urgente d’une distribution équitable des vaccins pendant la pandémie.

Il a évoqué la nécessité d’approfondir le dialogue théologique, un dialogue qui, quand il est sincère et profond, est un peu comme une étude comparative des religions, permettant de voir que personne ne détient la vérité à lui tout seul. Notre dialogue peut également servir d’incubateur pour les autres dialogues qui s’imposent à nous. Le dialogue entre Juifs et Chrétiens a bien évidemment une singularité, mais arriverons-nous à transmettre cela à la génération montante? Ce n’est pas certain. Au moins pourrons-nous contribuer à d’autres dialogues par notre expérience, notre savoir-faire. Le Dr Nathan voit cette crise comme une invitation à améliorer nos actions.

Léah Shakdiel, parlant depuis Yeruham, une petite ville du Neguev, a suggéré deux réflexions, l’une positive et l’autre plus perturbante.

Nous avons compris, selon elle, que notre orgueil était déplacé, que les accomplissements extraordinaires de la modernité n’avaient pas empêché l’avènement de cette crise sanitaire, et que nous avions à retrouver notre humilité devant Dieu et devant la nature. À son avis, il faut répondre à cela en réduisant nos attentes matérielles et nous fixer des objectifs plus réalistes.

Mais, a-t-elle remarqué, nous n’avons pas appris à partager: à voir au-delà de l’intérêt d’un groupe spécifique, à réduire l’écart entre les populations aisées et les autres, à empêcher la violence urbaine, la violence entre Israéliens Juifs et Arabes, à vacciner la population palestinienne.

Elle a appelé avec courage et détermination les dirigeants religieux et les leaders spirituels à se montrer plus justes dans leurs engagements. L’année prochaine est une année de Shemitah, une année sabbatique dans le calendrier hébraïque, l’occasion de mettre à bas notre orgueil et de décupler nos engagements.

Ces deux interventions étaient situées dans un contexte géographique et même politique précis. Elles permettaient de saisir la texture très différente de la situation en Australie et en Israël, mais aussi de trouver dans les réponses données et dans la manière de poser les questions une détermination identique à rassembler les gens autour d’un projet responsable envers tous les êtres humains.

«Particularité et Singularité: qu’avons-nous appris de la pandémie?»

Une deuxième conférence a réuni Michael Ipgrave, un évêque anglican, et Noam Marans, un rabbin américain avec pour thème: «Particularité et Singularité: qu’avons-nous appris de la pandémie?»

Michael Ipgrave a remarqué que le Judaïsme a toujours respecté des règles strictes, que ces règles avaient longtemps été perçues par les Chrétiens comme un légalisme asséchant, mais que maintenant tout le monde avait pu constater que des consignes appliquées strictement permettaient de sauver des vies. De même, l’importance du foyer, si caractéristique du Judaïsme, est maintenant mieux appréciée par tous comme lieu de culte possible où se vit la liturgie quand on ne peut pas se rendre à l’église.

Mettre des limites au temps de travail, ce que fait le Shabbat, est mieux compris maintenant que la vie professionnelle de la plupart d’entre nous s’est installée physiquement dans nos lieux de vie. Bref, nous avons appris à mieux comprendre le Judaïsme dans sa spécificité, et nous pouvons espérer que cela aura des effets bénéfiques et surtout durables sur le dialogue entre Juifs et Chrétiens, disait M. Ipgrave.

L’universalité du Christianisme trouve son origine dans un milieu très spécifique et particulariste. Il ne faut donc plus voir Jésus comme un libérateur spirituel en opposition à son milieu d’origine.

Le rabbin Noam Marans a, avant tout, souligné que le Judaïsme a toujours accentué l’aspect positif du particularisme. Être juif, c’est appartenir à un peuple spécifique avec une religion tout aussi spécifique. Cette appartenance traverse à la fois la nation, le peuple, la diaspora et Israël. La mission juive sur terre est de faire ce qui est juste et ce qui est droit, afin de réaliser la promesse faite à Abraham, par qui seront bénies les nations. Les onze premiers chapitres de la Torah sont universels, c’est une histoire de l’humanité, pas une histoire spécifique, en l’occurrence juive. Abraham plaide d’ailleurs pour Sodome et Gomorrhe. C’est là tout le sens que le rabbin Marans donne à la notion de particularité au service de l’universel. La pandémie nous a appris que nos vies sont liées de manière inextricable, et nous tirons le même enseignement de la crise écologique. Tous les peuples sont donc responsables les uns des autres. Le rabbin Marans a appelé tous les Juifs à réaliser véritablement leur potentiel universel, à mettre leur particularisme au service de cet universel, le premier ne suffisant pas, le second étant indispensable.

Journée portes ouvertes

Pendant le temps écoulé entre ces deux conférences, nous avons pu participer en direct à un temps de méditation depuis Abu Gosh avec le frère Louis-Marie Coudray et à des interventions sur des sujets précis: depuis Toronto avec Norman Tobias sur Jules Isaac, depuis l’Allemagne avec Katharina von Kellenbach à propos de la signification véritable de l’espoir quand il n’est pas déni du danger mais affirmation de survie, et, depuis Buenos Aires avec Martha di Antueno, sur le besoin de plus de dialogue pour plus de fraternité. Le rabbin David Rosen, président d’honneur de l’ICCJ, a abordé le sujet de l’écologie et l’évêque Munib Younan a appelé à prier pour la paix à Jérusalem.

Une émission-débat réunissant des femmes de cinq pays différents nous a permis de percevoir comment des femmes conciliant à la fois leur vie professionnelle et leur vie familiale ont vécu cette pandémie et les confinements successifs qui en ont résulté. Des respirations musicales, une évocation émouvante de la journée mondiale des réfugiés par Eva Schulz-Jander, réfugiée elle-même dans les années quarante et qui ne l’a jamais oublié, une séance de bibliologie qui nous a initiés à un accès créatif et vivant à la lecture biblique, et des moments plus légers comme une visite guidée de la maison de la famille Buber (aujourd’hui le siège de l’ICCJ), deux séances de quizz avec des questions portant sur le dialogue judéo-chrétien sous tous ses aspects et une vente aux enchères en ligne, ont réuni un public qui est resté présent pendant presque 14 heures d’affilée.

«Des Psaumes à l’époque du Covid, une prière qui nous humanise»

Tel était le sujet choisi par le Professeur Mary Boys depuis New York et le rabbin Dahlia Marx, professeure de liturgie à Jérusalem. Le Psaume 23 a semblé être le plus approprié pour décrire ce que nous avons ressenti pendant de ce temps de la pandémie. La traversée du «val d’ombremort», cette vallée sombre et angoissante dans laquelle nous avons séjourné, est suivie maintenant par l’espoir suscité par l’arrivée des vaccins que nous devons au dévouement et au génie de la communauté scientifique. Mary Boys a appelé à un renouveau de l’esprit humain «informé par notre vécu durant cette pandémie, une conscience accrue de nos limites en tant qu’humains nous poussant à repenser comment nous sommes devant D.»

Bien que nos interprétations juive et chrétienne des psaumes diffèrent beaucoup, nous partageons néanmoins le sentiment d’une commune humanité et de notre mortalité. Les Psaumes sont, comme l’a souligné Dahlia Marx, notre prière humaine qui dit toutes nos émotions.

D’autres Psaumes ont retenu l’attention des deux conférencières: le Psaume 137 qui évoque l’exil auquel la pandémie nous a fait penser: comment chanter un chant pour l’Éternel quand on vit dans un état d’aliénation, et aussi le Psaume 27 qui nous aide à surmonter la peur qui nous habite encore. Ce qui est exprimé dans les Psaumes nous permet de trouver des mots pour toutes nos émotions. Cette étude partagée, qui était en quelque sorte un événement de clôture, a constitué un temps fort pour tous les participants. Au dire du modérateur de la session, le rabbin Shmuel Szteinhendler, nous y avons reçu comme un vaccin contre l’état dans lequel le Covid nous a plongés.

«Les jeunes comme levain d’une société pétrifiée»

De nombreux ateliers en plusieurs langues, certains en traductions simultanées, nous ont permis d’aborder de manière interactive des sujets très variés, tous passionnants. Organisés par des pays membres, des partenaires de l’ICCJ, des penseurs et des chercheurs, ils ont démontré le potentiel énorme d’une mise en commun internationale.

Le président de l’amitié judéo-chrétienne de France, Jean-Dominique Durand, avait confié à Gustave Dodart, membre du comité directeur, et aux jeunes de l’association Co-Exister l’organisation d’un atelier en français qui a été suivi par des jeunes et des moins jeunes de divers pays, pas tous francophones mais tous heureux de participer à un échange sur le thème: «Les jeunes comme levain d’une société pétrifiée». Des personnages bibliques furent présentés avec pour objectif d’établir des parallèles entre les difficultés qu’ils ont eux-mêmes éprouvées pour mener à bien leurs engagements, et celles que les jeunes d’aujourd’hui rencontrent. L’audace si nécessaire pour surmonter les blocages souvent imputables aux plus anciens, la nécessité de faire autrement et la reconnaissance de la légitimité de la parole de la nouvelle génération ont été évoquées à travers un parcours biblique rapide et passionnant.

Une première réussie

Ce colloque en ligne, une première pour l’ICCJ, s’est conclu par une Assemblée Générale qui a réuni un grand nombre de pays membres; un nouveau conseil a été élu pour trois ans[1]. La rencontre physique, le «Panim el Panim» qui est la rencontre des visages dans leur diversité intrinsèque, nous a cruellement manqué, mais nous étions peut-être plus conscients que jamais que nous sommes présents dans de nombreux pays et que notre force vient principalement de cette grande diversité de cultures que nous mettons au service d’une tâche commune: approfondir encore le travail théologique et assurer la diffusion de ses avancées.

Grâce aux nouvelles technologies, nous avons pu rejoindre plus de participants dans leurs pays d’origine, pas tous toujours en mesure de se rendre sur nos lieux de conférence physique. Cela était certainement très positif mais rien ne remplace la rencontre, les bavardages impromptus qui permettent de développer la confiance et d’approfondir l’amitié et le respect d’autrui.

Il faut espérer que les nouvelles expériences faites cette année perdurent à côté de notre modèle d’avant qui sera maintenu si les conditions sanitaires le permettent.

Nous devons cette belle réussite au comité organisateur qui n’a pas épargné sa peine et à l’équipe dévouée du siège à Heppenheim qui, sous la direction de Mme Anette Adelmann, la secrétaire générale de l’ICCJ, a accompli ce tour de force: une réalisation sans faille d’un premier colloque en ligne.

[1] [NDLR] Le nouveau Conseil de l’ICCJ se compose comme comme suit:
Présidente, Liliane Apotheker (France)
Premier Vice-Président, Dr Michael Trainor (Australie)
Second Vice-Président, Rabbin Samuel Szteinhendler (Chili)
Trésorier, Dr Abi Pitum (Allemagne)
Membres, Dr Pavol Bargár (République tchèque), Dr. Margaretha Hackermeier (Allemagne), Ophir Yarden (Israël)
Président sortant, Rév. Dr. Bo Sandahl (Suède).
L’Assemblée Générale (tenue le 27 juin) a également été l’occasion de décerner le titre de Président honoraire au Dr Philip Cunnigham (États-Unis d’Amérique).