Pour combattre l’antisémitisme, nous devons d’abord nous entendre sur une définition

La définition opérationnelle de l’antisémitisme proposée en 2016 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) est l’objet de controverses. On lui reproche de vouloir empêcher la critique à l’endroit des actions du gouvernement israélien et la promotion des droits des Palestiniens. L’envoyé spécial du Canada pour la lutte contre l’antisémitisme livre ici sa compréhension de cette définition.

Nous assistons actuellement à une résurgence de l'antisémitisme mondial – la plus ancienne, la plus longue, la plus durable et la plus virulente des haines. En effet, depuis ma nomination à titre d'envoyé spécial du Canada pour la préservation de la mémoire de l'Holocauste et la lutte contre l'antisémitisme en novembre 2020, j'ai été témoin de l'intégration, de la normalisation et de la légitimation croissantes de l'antisémitisme dans les cultures politique, populaire, universitaire, médiatique et du divertissement.

Afin de combattre cette montée inquiétante de l'antisémitisme, nous devons commencer par le définir. Comme l'antisémitisme ne connaît pas de frontières, il est important que les institutions canadiennes à tous les niveaux adoptent la même définition, afin de faciliter les efforts collectifs pour le combattre.

Il est important de noter qu'en 2022, les gouvernements et les institutions canadiennes ont continué à adopter la définition de l'antisémitisme la plus autorisée, la plus complète et la plus représentative qui existe aujourd'hui - la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA).

Les provinces de l'Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan ont toutes officiellement adopté cette définition en 2022, ainsi que la ville de Vancouver. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a également exprimé son soutien à l'utilisation de la définition dans cette province. Ces gouvernements se joignent à l'Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick, ainsi qu'au gouvernement du Canada, qui ont tous déjà adopté la définition.

La définition de l'IHRA est le résultat d'un processus décisionnel démocratique de 15 ans auquel ont participé des organismes intergouvernementaux, des gouvernements, des parlements, des universitaires et des dirigeants de la société civile. Elie Wiesel, survivant de l'Holocauste et lauréat du prix Nobel de la paix, a été l'un des principaux inspirateurs de la définition et l'un des principaux initiateurs d'un processus auquel j'ai eu le privilège de participer en tant que parlementaire et ministre de la Justice, et qui a finalement abouti à son approbation par l'IHRA - un organisme intergouvernemental composé de 35 pays - en 2016.

En tant que Canadiens, nous pouvons être fiers du lien étroit entre le Canada et ce processus d'adoption. La définition de l'IHRA est ancrée et tirée du Protocole d'Ottawa de 2010 sur la lutte contre l'antisémitisme, qui a été approuvé par chaque grand parti politique canadien et adopté à l'unanimité par le Parlement.

Elle s'inspire également des dispositions relatives aux droits à l'égalité et à la lutte contre la discrimination de la Charte canadienne des droits et libertés, reflétant, comme l'a dit Ahmed Shaheed, rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de croyance, "le prisme des droits de l'homme à travers lequel l'antisémitisme doit être considéré".

Il propose également une explication des différentes manifestations de l'antisémitisme qui existent aujourd'hui. L'antisémitisme traditionnel est la discrimination, l'agression et le déni des droits des Juifs à vivre en tant que membres égaux dans la société où ils vivent. Le nouvel antisémitisme est la discrimination, l'agression et la négation des droits des Juifs et de l'État d'Israël à vivre en tant que membres égaux de la famille des nations. Ce qui est commun à chaque forme d'antisémitisme, traditionnelle et nouvelle, c'est la discrimination.

La définition de l'IHRA fournit des exemples des deux formes d'antisémitisme. Les exemples concernant les formes plus anciennes comprennent les stéréotypes selon lesquels les Juifs contrôleraient les médias, les gouvernements mondiaux et l'économie. Les exemples de formes plus récentes comprennent le déni du droit du peuple juif à l'autodétermination et le fait de tenir les Juifs collectivement responsables des actions de l'État d'Israël.

Ces derniers exemples ont provoqué une certaine opposition, les opposants alléguant que la définition de l'IHRA étoufferait la critique des actions du gouvernement israélien, ainsi que la défense des droits de l'homme des Palestiniens. Cette affirmation est aussi trompeuse qu'elle est infondée.

En fait, la distinction entre ce qui est antisémite et ce qui ne l'est pas renforce et encourage la liberté d'expression et le dialogue pacifique. En particulier, la définition de l'IHRA indique explicitement que "des critiques à l'égard d'Israël similaires à celles formulées à l'égard de tout autre pays ne peuvent être considérées comme antisémites".

En conséquence, la définition sert à protéger les discours critiques à l'égard de la politique israélienne – ce que j'ai moi-même fait – tant qu'ils ne franchissent pas les frontières de l'antisémitisme. Inversement, cette définition permet de définir et de reconnaître l'antisémitisme authentique, tel que les exemples cités ci-dessus.

La définition de l'IHRA établit donc les paramètres d'un débat et d'un dialogue sains, démocratiques et tolérants. Elle favorise une communication non haineuse, et prévient à la fois les cas réels d'antisémitisme et l'étiquetage injuste de l'antisémitisme. Ce faisant, elle s'aligne sur les valeurs canadiennes d'égalité, de diversité et de droits de la personne.

Mon espoir pour 2023 est que les juridictions canadiennes qui n'ont pas encore adopté la définition de l'antisémitisme de l'IHRA le fassent, et que celles qui l'ont adoptée commencent à la mettre en œuvre et à l'utiliser. La définition de l'IHRA est une ressource indispensable pour aider à identifier, reconnaître et définir l'antisémitisme, et son adoption est la première étape essentielle de l'effort collectif du Canada pour combattre la vague montante de l'antisémitisme.

Remarques de l’éditeur

Irwin Cotler, ex-ministre de la justice et procureur général du Canada, est l'envoyé spécial du Canada pour la préservation de la mémoire de l'Holocauste et la lutte contre l'antisémitisme.

Source: Collaboration spéciale parue dans le National Post, 14 février 2023.