L'ONU commémmore la Shoah

Plus d'une trentaine de personnalités dont une dizaine de ministres des affaires étrangères ont pris la parole à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies pour rendre hommage aux victimes des tortionnaires nazis et exhorter la communauté internationale à tirer les leçons de ce qui s'est passé à Auschwitz, au cours d'une session historique organisée le 24 janvier 2005 pour commémorer le 60e anniversaire de la libération des camps.

L'ONU commémmore la Shoah

New York 24 janvier 2005 (Service des nouvelles de l"Organisation des Nations Unies) - Plus d"une trentaine de personnalités dont une dizaine de ministres des affaires étrangères ont pris la parole à l"Assemblée générale de l"Organisation des Nations Unies pour rendre hommage aux victimes des tortionnaires nazis et exhorter la communauté internationale à tirer les leçons de ce qui s"est passé à Auschwitz, au cours d"une session historique organisée le 24 janvier 2005 pour commémorer le 60e anniversaire de la libération des camps.

« Les génocides du Cambodge et du Rwanda n"auraient jamais dû avoir lieu, et ce qui se passe au Darfour, dans l"indifférence générale, ne devrait pas se produire. Le monde ne tirera donc jamais les enseignements de ce qui s"est passé à Auschwitz et dans les autres camps de la mort ? », a demandé aujourd"hui Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix et rescapé des camps de concentration nazis, à la tribune de l"Assemblée générale qui commémorait pour la première fois de son histoire la libération des camps d"extermination nazis.

« Nous savons que pour les morts, il est trop tard. Pour eux, abandonnés de Dieu et trahis par l"humanité, la victoire est venue trop tard. Mais il n"est pas trop tard pour les enfants d"aujourd"hui, les nôtres et les vôtres. C"est pour eux seuls que nous témoignons », a poursuivi l"écrivain et défenseur des droits de l"homme.

« Depuis l"Holocauste, le monde a échoué, à sa grande honte, à empêcher ou arrêter d"autres génocides, comme par exemple au Cambodge, au Rwanda et dans l"ex- Yougoslavie », a déclaré pour sa part M. Kofi Annan, Secrétaire général de l"ONU à l"ouverture de la session extraordinaire de l"Assemblée générale.

Le Secrétaire a par ailleurs voulu attirer l"attention de la communauté internationale sur « les choses terribles qui se passent aujourd"hui au Darfour » et appelé le Conseil sécurité « à décider des actions à mener à l"encontre des auteurs des violations des droits de l"homme » dans cette région du Soudan, sur la base du rapport de la Commission d"enquête qui lui sera transmis le 1er février et qui déterminera si des actes de génocide ont été commis.

« Si le devoir de mémoire constitue un rempart indispensable contre la tentation de l"oubli, il doit aussi nous porter vers l"avenir. Nos consciences et notre monde ne devraient plus jamais s"accommoder de l"arbitraire qui frappe aveuglément des vies innocentes en raison de leurs différences », a estimé de son côté Jean Ping, Ministre des affaires étrangères de la République gabonaise et Président de la 59e session de l"Assemblée générale et Président élu de la 28e session extraordinaire commémorant le 60e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis.

« Parce que le monde s"enrichit de nos différences et parce que le droit inaliénable à la vie est l"une des valeurs universelles qui fondent notre humanité, le devoir de mémoire doit s"accompagner aussi du devoir de solidarité », a ajouté le président de l"Assemblée générale. M. Silvan Shalom, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères d"Israël, a appelé le monde à voir ce que les rescapés des camps de la mort ont pu créer après leur libération. On ne peut que s"émerveiller devant la créativité de ceux qui ont échappé à la mort, a-t-il dit. Ceci amène à se poser la question de savoir ce que tous ceux qui sont morts, c"est-à-dire des millions de personnes, auraient pu apporter au genre humain. Nous sommes toujours en deuil aujourd"hui, a dit M. Shalom. Chaque fibre de notre peuple ressent leur absence. Chaque famille ressent cette peine, y compris la mienne, a dit le Ministre des affaires étrangères d"Israël, en indiquant que de nombreux membres de sa famille avaient péri dans l"holocauste.

L"holocauste a incité le monde à rétablir le foyer du peuple Juif, sur sa terre ancienne, a-t-il indiqué. Dans sa Déclaration d"indépendance, Israël affirme que « l"holocauste, qui massacra des millions de Juifs en Europe, a démontré l"urgence du rétablissement de l"État juif. Cet État devrait résoudre la question des Juifs, qui n"ont pas de foyer national, en ouvrant ses portes à tous les Juifs et en leur donnant un statut égal à celui des autres membres de la famille des nations ». Depuis sa création, a précisé M. Shalom, Israël a offert un refuge à tous les Juifs victimes de persécutions à travers le monde. En nous réunissant ici aujourd"hui, nous honorons les victimes de l"holocauste et rendons hommage aux survivants, tout en remerciant leurs libérateurs. La décennie qui s"est écoulée a vu naître des tentatives visant à nier l"holocauste, s"est-il cependant inquiété. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il y a des gens qui voudraient effacer de l"histoire la mort de six millions de Juifs. Y a-t-il quelque chose de plus horrible que la destruction systématique d"un peuple; la destruction des livres saints des Juifs de Vienne, de Francfort, de Tunisie ou de Libye; le vol de leur dignité, de leur cheveux, et de leurs dents, pour en faire du savon et réduire des êtres humains à de simples matricules? Oui, a dit M. Shalom, il peut y avoir quelque chose de bien pire: nier cette histoire et vouloir enlever aux victimes et à leurs enfants la légitimité de leur souffrance et de leur deuil. Nier l"holocauste, ce n"est pas seulement violer les victimes et abuser les survivants. C"est aussi priver le monde des leçons qu"il devrait retenir, et qui sont aussi importantes aujourd"hui qu"il y a 60 ans, a-t-il conclu.

« Nous ne pouvons que rendre humblement hommage à toutes les victimes du règne de terreur du régime national-socialiste et nous nous inclinons profondément en signe de deuil », a déclaré Joshka Fischer, ministre des affaires étrangères de la République fédérale d"Allemagne.

« La responsabilité de l"Allemagne dans la Shoah lui donne des obligations particulières envers l"État d"Israël (…). Le droit d"Israël à exister et la sécurité de ses citoyens ne seront jamais négociables et la diplomatie allemande s"attachera toujours à les faire respecter (...). L"Allemagne et Israël célèbrent aujourd"hui le 40e anniversaire de l"établissement de leurs relations diplomatiques », a souligné le ministre allemand.

Michel Barnier, ministre des affaires étrangères de la France, a rappelé que dans son pays une partie de l"appareil d"État avait collaboré à la barbarie nazie et appelé au devoir de mémoire mais aussi de vigilance. « La libération des camps est celle de toute l"humanité et toute l"humanité doit se souvenir, rester vigilante, intransigeante, face à l"antisémitisme, face à toutes les formes de racisme », a-t-il souligné.

Le ministre français a également énuméré les espoirs concrétisés depuis 60 ans, citant les immenses développements du droit international, l"exemplaire démocratie allemande ou encore la création de l"État d"Israël. Il a cependant constaté l"ampleur des promesses non tenues, des engagements ignorés, des civils massacrés, notamment au Rwanda.

« Que cette commémoration nous rappelle le serment que chacun de nos Etats a fait en adhérant à cette organisation et aux principes de sa Charte : préserver les générations du fléau de la guerre, proclamer notre foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l"égalité des droits de l"homme et des femmes », a exhorté le ministre français.

Mgr Celestino Migliore, Nonce Apostolique, Observateur du Saint-Siège, a déclaré que la Shoah était l"un des chapitres les plus sombres du XXe siècle. Le Pape Jean-Paul II a dit, durant sa visite à Auschwitz, que nous devrions laisser les cris du peuple juif martyr changer l"esprit humain pour le meilleur, a dit l"Observateur du Saint-Siège. La communauté internationale doit tirer les conclusions qui s"imposent de l"holocauste et de la Déclaration universelle des droits de l"homme. Les camps de concentration nazis ont été un rappel qui doit nous rendre humbles et nous faire prendre conscience de « l"inhumanité de l"homme envers l"homme », a conclu Mgr Migliore.

« Plus jamais ça » ont scandé, à la tribune de l"Assemblée générale, la plupart des orateurs. Nombre d"entre eux ont cependant déploré que les enseignements de l"holocauste n"aient pas été tirés. Le monde a été témoin de nombreuses atrocités depuis Auschwitz, a notamment déploré le Ministre des affaires étrangères du Canada, en citant les génocides du Cambodge de la Bosnie-Herzégovine, du Rwanda et du Darfour. Dans le cadre de sa réforme, l"ONU doit disposer d"un système d"alerte avancée en vue de prévenir les actes de génocide, a proposé le représentant du Rwanda, qui a par ailleurs réclamé plus de moyens pour le Conseiller spécial du Secrétaire général chargé de la prévention des génocides. De nombreux intervenants se sont par ailleurs félicités de la création de la Cour pénale internationale, qui doit permettre de traduire en justice les auteurs d"actes de génocide.

Outre les orateurs cités, ont également pris la parole le représentant spécial du Président de la Pologne, le Commissaire aux droits de l"homme de la Fédération de Russie, le Secrétaire adjoint à la défense des États-Unis, le Président du Sénat de l"Italie, les Ministres des affaires étrangères du Luxembourg, de l"Arménie, de l"ancienne République yougoslave de Macédoine, ainsi que les représentants du Royaume-Uni, de la Norvège, de l"Autriche, de la Hongrie, des Pays-Bas, de la Guinée, de l"Afghanistan, de la Bulgarie, du Honduras, du Portugal, de la Chine, de la Jordanie, du Tadjikistan, du Panama, du Bélarus, de la République-Unie de Tanzanie, de la République de Corée, du Brésil, du Japon, de la Roumanie, de l"Argentine, du Bénin, de la Turquie, de l"Australie, du Venezuela, du Kenya, de la Nouvelle-Zélande.