L’ICCJ réunit ses pays membres à Frankfort (26-30 juin 2022)

Après deux étés sans rencontres physiques, le Conseil International des Chrétiens et des Juifs (ICCJ) a réuni les délégués des organisations membres à Frankfort du 26 au 30 juin 2022 pour refaire le lien des uns avec les autres, retrouver la rencontre face à face, les échanges et la convivialité qui nous ont tant manqué.

Les pays membres d’Amérique Latine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis d’Amérique, Israël et la plupart des pays européens ont envoyé des délégués. La France était représentée par Jean-Dominique Durand, président de l’A.J.C.F., et par le père Thierry Vernet.

La réunion, conçue en fait comme une réunion de famille, a débuté par un événement solennel et festif: l’attribution du prix Seelisberg à Amy-Jill Levine, professeure émérite de l’université Vanderbilt aux Etats-Unis, spécialiste des Études Bibliques, et auteure de nombreux ouvrages dont le maintenant réputé Nouveau Testament Annoté par des Juifs qu’elle a codirigé avec Marc Brettler[1]. Le prix Seelisberg a été créé cette année, conjointement par l’ICCJ et Le Centre de Théologie Interculturelle et d’études des Religions de l’université de Salzbourg. Le prof. Gregor Maria Hoff et Liliane Apotheker ont présidé cette cérémonie et l’assistance a pu profiter de la grande érudition et de l’extraordinaire sens de l’humour de Amy-Jill Levine. Sa contribution sera publiée sur le site de l’ICCJ (https://www.iccj.org).

Le prof. Phil Cunningham a décrit le parcours hors du commun de la lauréate, que tout semblait destiner à la recherche biblique, lors d’une allocution très élogieuse qui sera publiée également sur le même site. Cette occasion solennelle a suscité une ambiance chaleureuse dont nous avons tous bénéficié tout au long de la réunion.

Le programme de la rencontre a mis à l’honneur des thématiques aussi importantes que d’actualité telles que l’antisémitisme, la sécularisation de la société, l’opportunité de décupler les conférences virtuelles, et aussi les difficultés rencontrées par tous dans nos travaux pendant la pandémie et depuis. Ces sujets ont été traités en ateliers, animés par des experts qui ont apporté le contenu initial afin de permettre la discussion et l’analyse des thèmes proposés.

Nos délégués ont ainsi pu apprendre que dans nombre de pays l’antisémitisme s’est aggravé en raison de la recrudescence des théories du complot. Dans certains pays la lutte contre l’antisémitisme se heurte de manière frontale à la perception sociétale et politique du conflit israélo-palestinien. Quelquefois, et on aimerait que cela ne soit que quelquefois, cette tension qui peut devenir extrême fait que le dialogue se grippe et qu’une conversation éclairée devient très difficile voire impossible. Faut-il ajouter qu’aucune des deux causes n’est réellement aidée par ce dialogue cerné par la méconnaissance, l’ignorance et l’incompréhension. Cette question de l’antisémitisme, qui reflue 75 ans après Seelisberg, nécessite sans doute à nouveau une réflexion approfondie et les définitions récentes proposées par la l'IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) et la déclaration de Jérusalem (The Jerusalem Declaration on Antisemitism / JDA) sont susceptibles de nous aider à mieux comprendre et donc mieux combattre ce danger persistant.

Un autre sujet, la sécularisation de la société qui est un fait marquant de notre temps, entraîne des effets positifs dont nous ne voudrions en aucun cas être privés. Comme l’a dit le révérend Friedhelm Pieper elle a donné des droits aux minorités, pas que religieuses d’ailleurs, et elle nous a appris la tolérance envers d’autres communautés. Mais nous avons maintenant du mal à avoir foi dans le progrès constant de l’humanité, et certaines valeurs éthiques nous semblent en recul. C’est une perception très subjective et peut-être transitoire et par ailleurs le besoin de spiritualité s’affirme dorénavant souvent en dehors des institutions religieuses. Que devient le dialogue judéo-chrétien dans tout cela?

Il est difficile pour nous de convaincre en dehors de nos sphères habituelles. Le manque de culture biblique freine la pénétration de nos idées et empêche une bonne connaissance des avancées de la recherche théologique. Ce sont des difficultés auxquelles il nous faut réfléchir et trouver des remèdes sous peine de voir se restreindre encore notre audience. Répandre la culture biblique par tous les moyens, montrer l’humanisme de nos Écritures même en dehors d’une perspective croyante, serait peut-être une voie d’accès pour un plus grand nombre.

À Frankfort nous avons pu faire l’expérience d’un atelier «Bibliologue». Il s’agit d’une séance pendant laquelle, guidés par un animateur spécialisé dans la méthode, les participants entendent la lecture d’un court texte biblique et une mise en situation comme si eux-mêmes se trouvaient dans la situation décrite dans le texte. Notre groupe a lu quelques versets du passage de la Mer des Joncs et nous avons été emmenés à nous demander si nous aurions eu le courage de partir, d’avancer et de ne pas avoir de regrets. Cette lecture rend le texte très vivant, nous révèle pour une part à nous-mêmes et si on le souhaite permet d’aborder des perceptions différentes selon que l’on soit Juif ou Chrétien sans toutefois aborder l’herméneutique. Les textes sont généralement choisis dans l’Ancien Testament pour ce type de groupe mixte et une thématique est proposée. Ici il s’agissait de l’exil et de l’appartenance. Cette méthode très développée dans certains pays ne prétend pas remplacer l’étude des Écritures ou une lecture liturgique, mais propose un partage direct sans fondamentalisme par le biais d’une mise en situation.

Un autre atelier fut consacré au dialogue à trois (Juifs, Chrétiens, Musulmans) qui s’impose à nous comme une nécessité, en tout cas dans un certain nombre de pays. Comment le développer sans que cela soit au détriment du dialogue judéo-chrétien qui est quelquefois perçu comme moins urgent, voire dépassé? Des membres du Forum Abrahamique International (IAF), une antenne de l’ICCJ, présents à notre réunion, le Prof. Reuven Firestone et Dr. Morteza Rezazadeh ont animé cette discussion avec un sens accru de leur responsabilité et en tenant compte de la nécessité de poursuivre le dialogue judéo-chrétien qui est loin d’avoir atteint tous ses objectifs, tout en développant le trialogue dans une dimension universelle.

Nous avons visité deux lieux très intéressants à Frankfort. L’école Lichtigfeld permet à des jeunes juifs et des jeunes chrétiens de faire tout leur parcours scolaire dans le même établissement. Cette école est de fait une école juive, strictement cachère d’ailleurs, mais ouverte à tous ceux qui désirent y poursuivre leur scolarité. Nous avons pu nous entretenir avec plusieurs élèves, visiter les salles de classe avec eux et apprendre d’eux-mêmes comment ils vivent cette mise en commun. De fait, ils la vivent de la manière la plus naturelle du monde, sans aucune animosité, sans difficulté apparente et comme un enrichissement mutuel. On se prend à rêver: si c’est possible en Allemagne pourquoi cela ne le serait-il pas ailleurs?

Nous avons visité également une maison de retraite de la Fondation Budge présentant la même exemplarité, cuisine cachère pour tous, un rabbin et une révérende à l’aumônerie très actifs tous les deux vu l’âge des pensionnaires. Cela semblait moins simple et moins naturel qu’à l’école pour des raisons que l’on peut comprendre, mais la volonté de maintenir un climat apaisant dans ce lieu était édifiante.

Quelques visites plus touristiques nous ont permis de croiser la trajectoire de Luther et de Rachi sur la route pour Heppenheim, siège de la maison de Martin Buber et des bureaux de l’ICCJ où s’est tenue notre assemblée générale. Celle-ci a démontré l’engagement et la vivacité de nos organisations membres qui ont abordé plusieurs thèmes. Nous avons évoqué l’importance du trialogue, la possibilité d’accroître le nombre de partages régionaux, la nécessité d’assurer la relève, l’importance de reprendre les colloques annuels tout en continuant les conférences virtuelles et éventuellement de maintenir les rencontres comme celles de Frankfort une fois de temps en temps, peut-être au rythme des années sabbatiques. Le conseil exécutif de l’ICCJ a donc un cahier de charges bien rempli pour la durée de son mandat.

Ajoutons que pour la première fois nous avons eu le plaisir d’avoir parmi nous une génération montante de jeunes théologiens pour qui le dialogue est une évidence, tout simplement. Cette présence prometteuse et la force de l’engagement de tous sont une source d’espoir pour l’avenir de l’ICCJ.

Nous devons cette réunion réussie à A. Adelmann, secrétaire générale de l’ICCJ, à son équipe à Heppenheim et aux membres du Conseil Exécutif de l’ICCJ. Qu’ils trouvent ici l’expression de notre vive reconnaissance!

[1] Amy-Jill Levine and Marc Zvi Brettler. The Jewish Annotated New Testament: New Revised Standard Version Bible Translation. Second edition, fully revised and expandeded. Oxford: Oxford University Press, 2017.

Remarques de l’éditeur

Compte rendu généreusement transmis par la direction de la revue Sens, qui en publiera la version imprimée dans un prochain numéro et en a autorisé la publication électronique par Relations judéo-chrétiennes, avec l’accord de l’auteure.