Le supersessionnisme: l’admettre et s’en occuper plutôt que d’en débattre ou de le nier

1. Introduction

Malgré la bonne volonté qui sous-tend de nombreuses tentatives de nier les aspects supersessionnistes du Nouveau Testament et de la théologie chrétienne ultérieure, l’intention ne conduit pas toujours à une exégèse convaincante ou à des politiques acceptables. Après avoir examiné quelques définitions du terme «supersessionnisme» et divers moyens utilisés par les chercheurs pour disculper le Nouveau Testament de cette accusation, je me tourne vers l’imbrication du supersessionnisme avec les politiques identitaires. L’essai se termine par l’étude d’un cas type suggérant l’inévitabilité du supersessionisme et un plaidoyer pour aller au-delà du repérage et/ou de la négation du problème.

2. Définitions et disculpations

Terrence Donaldson définit le supersessionisme comme «désignant les revendications chrétiennes traditionnelles selon lesquelles l’Église a remplacé Israël dans les desseins divins et a hérité de tout ce qui était positif dans la tradition d’Israël» (Donaldson 2016, p. 2). Jesper Svartvik, contribuant à l’entrée «Supersessionism» sur le site internet Biblical Odyssee de la Society of Biblical Literature, propose «l’idée influente que les Chrétiens (le peuple de la «nouvelle alliance») ont remplacé les Juifs (le peuple de l’«ancienne alliance») en tant que peuple de Dieu» (Svartvik 2011). Dans son essai de 2020, «Supersessionism», dans l’Encyclopedia of Jewish–Christian Relations, R. Kendall Soulen note: «Depuis le début des années 1970, le terme supersessionnisme s’est progressivement répandu parmi les chercheurs anglophones comme un terme quasi technique qui identifie ce qu’ils considèrent comme une représentation inadéquate ou problématique de la relation de l’Église au peuple juif, selon lequelle l’Église a pris la place du peuple juif en tant que peuple de Dieu, l’ancienne alliance de Dieu avec les Juifs étant maintenant révoquée ou interrompue» (Soulen 2019).

Ces définitions, bien qu’elles comportent des nuances, contiennent toutes l’idée que le supersessionisme implique que les Chrétiens remplacent les Juifs en tant que communauté de l’alliance. De manière pratique, on pourrait parler d’une «théologie du remplacement», un terme parfois utilisé comme synonyme de supersessionisme. La théologie du remplacement prétend que les disciples de Jésus ont remplacé «l’Israël selon la chair» comme ceux qui sont dans une relation juste avec Dieu parce qu’ils ont correctement suivi le plan divin en suivant le Christ.

Ce remplacement prend différentes formes. Par exemple, Soulen définit le «supersessionnisme punitif» comme l’affirmation selon laquelle Dieu punit Israël pour ses divers péchés, y compris le rejet de Jésus, en révoquant son statut de partenaire d’alliance et en le transférant à l’Église (Soulen 1996)[1]. Le «supersessionnisme économique» prétend que les pratiques de l’Église remplacent et améliorent les rituels juifs: le baptême remplace la circoncision, l’eucharistie remplace le sacrifice du Temple, l’orientation universelle de l’Église remplace l’identité ethno-nationale des Juifs, et ainsi de suite. Si les idées de «remplacer» et d’«améliorer» sonnent mieux que celle de «révocation», ces deux formes de supersessionnisme relèguent la tradition juive, considérée comme antérieure, au rang de fossile.

La question de savoir si ces formes de supersessionnisme se trouvent dans le Nouveau Testament lui-même et non dans sa réception reste débattue. Terrence Donaldson affirme que le terme de supersessionnisme «est le plus immédiatement applicable dans une situation où le ‘christianisme’ et le ‘judaïsme’ sont – ou sont perçus comme étant – des entités plus ou moins séparées et où l’Église est reconnue comme non juive» (Donaldson 2016, p. 7). Son exemple est le Dialogue de Justin avec Tryphon le Juif. Cette approche atténue nettement, ou même élimine, les tendances supersessionnistes dans le Nouveau Testament. Un document de 1987 sur les relations judéo-chrétiennes, produit par l’Église presbytérienne des États-Unis, promeut une perspective similaire. La PC (USA) propose ceci: «Au cours du deuxième siècle de l’ère commune, une opinion appelée ‘supersessionisme’, fondée sur la lecture de certains textes bibliques et nourrie par la controverse, a commencé à prendre forme. Au début du troisième siècle, cet enseignement selon lequel l’Église chrétienne avait supplanté les Juifs en tant que peuple élu de Dieu est devenu la conception orthodoxe de la relation de Dieu à l’Église. Ce point de vue a influencé la compréhension de l’Église concernant la relation de Dieu avec les Juifs et a permis à l’Église de considérer les Juifs sous un jour défavorable» (PC [USA] 1987). L’expression «fondée sur la lecture de certains textes bibliques» élude la question de savoir si le texte lui-même est coupable.

Le texte du Nouveau Testament, à certains endroits, peut être considéré comme impliquant un supersessionisme punitif et économique. Bien qu’il existe une posture théorique selon laquelle tout le sens vient de l’interprète, éviter de déterminer si un texte est antisémite, raciste, sexiste, etc. me semble être une manière d’effacer l’auteur et donc un geste de colonisation de la part du lecteur. Les textes ne sont pas innocents. Matthieu dépeint Jésus non seulement comme un nouveau Moïse, mais aussi comme un nouvel Israël. Comme l’affirme Nicholas Schaser, «l’Évangile de Matthieu, en particulier, présente la vie de Jésus comme l’histoire biblique d’Israël revisitée, de sorte qu’à la fin du récit de Matthieu, ce qui est arrivé à Israël arrive aussi à Jésus» (Schaser 2017, p. 1). Jésus, le nouvel Israël, descend en Égypte à l’initiative de Joseph, fils de Jacob, revient d’Égypte et vit une sorte d’Exode, le Jourdain tenant lieu de mer Rouge. Jésus, le nouvel Israël, entre dans le désert pour affronter la tentation, mais là où Israël échoue en adorant le veau d’or, le nouvel Israël, Jésus, insiste: «Retire-toi, Satan! car il est écrit: «C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte» (Matthieu 4,10 citant Deutéronome 6,13). En tant qu’incarnation d’Israël, Jésus menace ensuite de rendre superflus ses compatriotes juifs, l’Israël charnel. Pour Matthieu, la «lumière des nations» (Isaïe 46,2; 49,6) n’est pas Israël, mais les disciples de Jésus, qui sont «la lumière du monde» (Matthieu 5,14). La lumière qu’ils reçoivent vient de Jésus. Quant aux «Juifs», pour Matthieu, les «Juifs» (oi Ioudaioi) sont ceux qui prétendent que les disciples de Jésus ont volé son corps (Matthieu 28,15, un verset stratégiquement placé avant la grande consigne de 28,19 de «faire des disciples de tous les Gentils», (panta ta ethne). Ils peuvent également être considérés comme «tout le peuple» (pas ho laos) qui demande la crucifixion de Jésus (27,25). Enfin, la parabole des méchants locataires (21,33-44) dépeint les locataires comme tuant le «fils» et l’«héritier» et, en conséquence, Jésus proclame que «le royaume de Dieu vous sera enlevé et donné à un peuple (ethnos) qui produira les fruits du royaume» (21,43). Étant donné que la parabole s’adresse aux  «grands prêtres et aux pharisiens» (21,45, une combinaison étrange), certains commentateurs ont affirmé que l’alliance avec Israël (les Juifs) demeure et que la critique ne concerne que les dirigeants. Le problème de cette lecture est qu’Israël (les Juifs) a choisi de suivre ces dirigeants, et en particulier les Pharisiens.

Pour Matthieu, les avantages de l’alliance accordés aux Juifs peuvent être considérés comme ayant été transférés aux disciples de Jésus, Juifs et Gentils, mais désormais considérés comme faisant partie de l’ekklesia, l’assemblée réunie au nom de Jésus, et non de la synagogue, qui, pour Matthieu, est étrangère à la communauté de l’alliance autour de Jésus; les synagogues sont «leurs synagogues» (Levine 2011). Ekklesia est la traduction de yahad dans la Septante et peut donc être considéré comme s’inscrivant toujours dans un contexte judaïque. Cependant, l’importation littéraire de l’Évangile distingue les synagogues (où les Juifs se rassemblent) et l’ekklesia de la nouvelle communauté formée autour de Jésus.

Dans l’Évangile de Jean (8,12), Jésus se proclame «la lumière du monde». Pour Jean, Jésus est aussi le nouveau Temple, de même que le nouveau lieu de ce qui avait été le sacrifice du Temple. Il est «l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde» (1,29 cf. 1,36), et le rôle du Temple est transféré au «temple de son corps» (2,21). En ce qui concerne la communauté de l’alliance, Jean n’utilise le terme «Israélite» qu’une seule fois, à propos de Nathanaël, «vraiment un Israélite en qui il n’y a pas de tromperie» (1,47), et cet Israélite est destiné à être un disciple de Jésus. Quant aux «Juifs» (oi Ioudaioi), ils sont «enfants du diable» (Jean 8,44). Le titre de l’étude d’Adele Reinhartz sur Jean résume bien la vision des Juifs dans le quatrième évangile: Cast out of the Covenant: Jews and Anti-Judaism in the Gospel of John [Chassés de l’alliance: Juifs et anti-judaïsme dans l’Évangile de Jean] (Reinhartz 2018).

L’Épître aux Hébreux, bien qu’il focalise l’attention non pas sur le Temple de Jérusalem mais sur le sanctuaire du désert, évolue vers le supersessionnisme. On prétend parfois que les textes du Nouveau Testament qui célèbrent la valeur de ce qu’on a appelé l’Ancien Testament excluent le supersessionnisme; mais cela ne tient pas. Reconnaître une Écriture antécédente comme étant précieuse n’est pas l’équivalent de reconnaître comme encore valable l’alliance avec les Juifs qui, tout en tenant les mêmes textes pour sacrés, ne suivent pas Jésus (Levine et Brettler 2020). Pour l’épitre aux Hébreux, Jésus est meilleur que le sacerdoce, le culte sacrificiel et diverses autres alliances, et donc il les remplace. L’auteur applique même à Jésus l’image eschatologique de la nouvelle alliance de Jérémie 31 à Jésus et il conclut: «En parlant d’une ‘nouvelle alliance’, il a rendu la première obsolète. Et ce qui est obsolète et vieillit disparaîtra bientôt» (Hébreux 8,13). Il est vrai que cette obsolescence n’a pas encore eu lieu, et il est vrai aussi que l’eschatologie juive, suivant Jérémie 31, peut s’accommoder d’une obsolescence similaire de la Torah antérieure. Cependant, il y a une différence entre reconnaître qu’à l’âge messianique certaines pratiques ne sont plus nécessaires et affirmer à l’âge messianique que Jésus est le remplaçant de ces pratiques.

Dans les lettres deutéro-pauliniennes, les Juifs sont aussi écartés du rôle de partenaire de l’alliance entre Dieu et Israël (c’est-à-dire l’Israël selon la chair). On y considère par exemple, le corps juif de Jésus comme le lieu de la réconciliation entre Juifs et Païens – ainsi dans Éphésiens 2,16, Colossiens 1,20 et surtout Colossiens 1,22: «Voici qu’à présent il vous a réconciliés dans son corps chair par la mort». Ce faisant, on n’a dès lors plus besoin d’Israël selon la chair. Dans ce nouveau corps, la composante du judaïsme n’est plus reconnaissable (Buell 2005).

Enfin, le Nouveau Testament s’affaire aussi à remplacer les croyances païennes. L’auteur du livre des Actes, après avoir insulté les habitants d’Athènes en les décrivant comme des gens qui «n'avaient d'autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés», présente le discours de Paul devant l’Aréopage (la «colline de Mars»). L’apôtre félicite (à la blague ou non, selon le ton employé) son auditoire athénien d’être «extrêmement religieux», puis il dit avoir remarqué leur autel dédié «à un dieu inconnu» (Actes 17,23). Paul explique qu’il peut identifier cette divinité, le «Seigneur du ciel et de la terre» (Actes 17,24). Le propos est supersessionniste: l’autel au dieu inconnu désigne le Dieu d’Israël.

Ironiquement, alors que pendant des siècles les lecteurs ont compris que Paul adhérait au supersessionnisme, au moins dans ses variations économiques et punitives, il ne fait ni l’un ni l’autre, du moins dans son Épître aux Romains, et plusieurs commentateurs anciens l’ont noté (Gager 2015). En Romains 11,29, Paul insiste sur le fait que «les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables»; en Romains 11,26a il assure à ses lecteurs que «tout Israël sera sauvé », Israël signifiant ici «les Juifs ethniques», comme le confirme la citation qu’il ajoute en 11,26b, «selon qu’il est écrit : ‘De Sion viendra le libérateur, il bannira l’impiété de Jacob’» (paraphrase d’Isaïe 59,20).

D’autre part, il y a le texte antérieur, difficile, de 1 Thessaloniciens 2,14b-16, qui semble s’orienter vers la théologie du remplacement. Paul décrit les Juifs (Ioudaoi) – ou les Judéens, selon le contexte  – comme ceux qui «ont mis à mort Jésus le Seigneur et les prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes quand ils nous empêchent de prêcher aux Païens pour leur salut, mettant ainsi en tout temps le comble à leur péché; et elle est tombée sur eux, la colère, pour en finir» (eis telos)». Ce passage peut être une interpolation, mais j’en doute.

Ces exemples et d’autres sont bien connus des lecteurs qui étudient les questions de l’antijudaïsme et du supersessionisme dans le Nouveau Testament. Je les cite ici pour montrer pourquoi les Chrétiens ont cru pendant des siècles que «les Juifs» avaient perdu leur statut de partenaires d’alliance, que ce soit pour avoir rejeté le message de Jésus, pour l’avoir tué, ou pour être des enfants du diable et n’avoir en fait jamais été en relation d’alliance. Plutôt que les exégètes, ce seront donc les théologiens, soucieux que Dieu ne soit pas perçu comme infidèle à ses promesses anciennes, qui devront présenter les arguments contre le supersessionnisme.

Divers arguments historico-critiques, qui restent tous spéculatifs, atténuent la portée supersessionniste de tels passages. Par exemple, les affirmations selon lesquelles Jean et Matthieu reflètent des débats entre Juifs et ne peuvent donc pas être supersessionnistes sont sans valeur, car, premièrement, nous ne savons pas si l’un ou l’autre évangéliste s’adressait à des personnes qui se considéraient comme «juives» (j’en doute) et, deuxièmement, les débats entre Juifs n’excluent pas le supersessionnisme.

Un autre argument, que j’ai déjà employé (Levine 2021, p. 150), est que dans le Nouveau Testament, il n’y a «pas de révocation claire de la promesse de la Terre, ou de l’alliance avec le peuple juif». Aucun de ces textes ne mentionne explicitement la révocation de l’alliance, même on chosit de les lire en ce sens.

On peut aussi considérer comme autre manière d’atténuer le supersessionisme l’observation correcte de Soulen selon laquelle les universitaires ont élargi la portée du terme et s’en servent pour désigner «toute revendication selon laquelle une communauté religieuse est supérieure à une autre»; en conséquence, le terme « risque de perdre son utilité diagnostique» étant donné que «beaucoup, sinon la plupart des revendications de vérité religieuse sembleraient impliquer le supersessionisme» (Soulen 2019). Ainsi, le judaïsme rabbinique peut être considéré comme supplantant et remplaçant le judaïsme sacerdotal. Les Pirqé Avot commencent ainsi: «Moïse a reçu la Torah au Sinaï et l’a transmise à Josué, Josué aux anciens, et les anciens aux prophètes, les prophètes l’ont transmise aux hommes de la grande assemblée» (Avot 1.1). La liste se poursuit avec l’ Hasmonéen Simon ben Chetah (Avot 1.8-9), les célèbres Hillel et Chammai (1.12-15), Rabban Gamliel (1.16) et, dans Avot 2, jusqu’au troisième siècle de notre ère avec Rabban (Rabbi Judah ha-Nassi) et son fils. Les prêtres ne font pas partie de cette tradition, et le judaïsme rabbinique remplace donc la tradition sacerdotale.

Toutes les religions, je le soupçonne, ont des tendances au supersessionisme. Toutes avancent, bien que de diverses manières, qu’elles ont amélioré une tradition antérieure ou rivale, et la plupart d’entre elles soutiennent que si elles ont raison, les groupes rivaux doivent avoir tort ou, du moins, être déficients. Plutôt que de considérer cette définition élargie comme un problème, je préfère renverser l’argument et voir cette définition élargie comme une bonne entrée en matière pour reconnaître que le christianisme a ses propres tendances supersessionnistes. Les Chrétiens en ont, les Juifs en ont, nous en avons tous. Cependant, nous pouvons gérer ces tendances de manière moins nuisible et peut-être même utile.

Par exemple, David Novak trouve que le supersessionisme, en tant que perspective interne au judaïsme ou interne au christianisme aide à s’autodéfinir; il explique aux initiés pourquoi leur tradition est importante, voire pourquoi elle est plus importante que d’autres traditions. De manière bienveillante, un mouvement supersessioniste peut affirmer que d’autres mouvements ont des enseignements qui sont vrais ou dignes d’être lus. Ils peuvent prétendre que d’autres mouvements doivent être honorés parce qu’ils cherchent à gravir la même montagne (que ces autres mouvements pensent qu’ils gravissent la même montagne est une autre question). Les groupes minorisés, comme l’étaient les disciples de Jésus, dans les contextes païens et juifs du premier et du deuxième siècle, ont pu trouver qu’une perspective supersessioniste était utile dans le processus d’autodéfinition et de maintien de leur identité, malgré la critique de la majorité à leur endroit.

En complément du supersessionnisme «interne», Novak propose deux autres  catégories. Tout d’abord, il parle de «‘l’horizon eschatologique’ du supersessionnisme doux» ou, selon ma reformulation, simplement du «supersessionnisme eschatologique». Cette forme apparaît dans l’opinion chrétienne classique selon laquelle, à la Parousie, lorsque Jésus reviendra, les Juifs le reconnaîtront. On retrouve des traces de cette idée dans Romains 9–11, où Paul décrit un endurcissement temporaire imposé par Dieu aux Juifs, afin que tous les Gentils puissent entendre et accepter la bonne nouvelle de Jésus. Alors, dit Paul, «tout Israël sera sauvé» (Romains 11,26). Paul ne parle pas d’un système à deux voies, où les Juifs sont «sauvés» en vertu de l’alliance sinaïtique ou abrahamique et les Gentils sont «sauvés» par la foi au Christ (Gaston 1987; Gager 1983; pour une critique, voir Donaldson 2006; Novenson 2022); pour Paul, le Christ a une portée universelle. En outre, pour Paul, «Israël» désigne ici ses compatriotes juifs.

Luc participe à ce supersessionnisme eschatologique en prévoyant que les Juifs accueilleront Jésus à la Parousie. Pour Luc, il n’y a pas d’«entrée triomphale» dans la mesure où Jérusalem n’accueille pas Jésus comme le fils de David revendiquant son trône. Dans le récit de Luc, ce n’est pas le «peuple» qui accueille Jésus, mais seulement ses «disciples» qui louent Dieu pour les actes de puissance qu’ils ont vus (Kinman 1999). Jérusalem est représentée par les Pharisiens, dans leur dernière apparition dans l’Évangile, qui conseillent à Jésus: «Maître, ordonne à tes disciples de s’arrêter » (Luc 19,39). Alors que chez Matthieu (21,9) et Marc (11,9) la foule cite le Psaume 118,26, «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur», à l’entrée de Jésus dans la ville, Luc place cette citation sur les lèvres de Jésus, et ce, bien avant son arrivée à Jérusalem. Après s’être lamenté sur la ville, Jésus dit aux foules: «Voyez, votre maison va vous être laissée. Oui, je vous le dis, vous ne me verrez pas jusqu’à [ce qu’arrive le jour où] vous direz: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur» (Luc 13,35; Oliver 2021).

Deuxièmement, Novak fait une distinction entre le supersessionnisme «doux» ou «minimal» et le supersessionnisme «dur». Pour Novak, le supersessionnisme doux «réfère à la croyance d’une communauté qu’elle est supérieure, à certains égards essentiels, à d’autres communautés religieuses, mais ne leur refuse pas toute valeur salvifique» (Novak 2019; cf. Novak 1992). Selon lui, une telle approche est «une croyance acceptable et même nécessaire pour le judaïsme et le christianisme». À l’inverse, il juge inacceptable le supersessionnisme dur, qui refuse toute valeur sotériologique à tout autre groupe. Novak trouve de tels points de vue inacceptables dans les milieux chrétiens, comme chez les Catholiques qui rejettent Nostra Aetate, mais aussi dans les milieux juifs qui «identifient le christianisme aux pratiques païennes ou idolâtres que le judaïsme a surmontées» (Novak 2019; voir aussi Ben-Johanan 2022).

La réponse à la question de savoir pourquoi le supersessionnisme dur est «inacceptable» doit être justifiée plutôt que présupposée. On peut le considérer comme inapproprié dans une culture qui privilégie la conversation interconfessionnelle plutôt que l’isolationnisme ou même l’esprit de clocher, mais qu’il soit théologiquement inacceptable est une autre question. Novak note que «pour les supersessionnistes purs et durs, la seule option pour les Juifs est la conversion au christianisme. Cela signifie l’abandon du judaïsme». Je comprends pourquoi cette option est (évidemment) inacceptable pour les Juifs. Je comprends moins bien pourquoi elle serait inacceptable pour les Chrétiens. Un Chrétien pourrait conclure que le judaïsme trouve sa raison d’être dans le christianisme.

Il semble que pour Novak, au moins un des problèmes du supersessionnisme dur est qu’il exclut le dialogue judéo-chrétien. Cependant, la raison d’être d’un tel dialogue, que les supersessionnistes durs rejettent aussi bien du côté juif que du côté chrétien, est encore une autre question. Pour Novak, l’une des raisons du dialogue est d’affronter un troisième groupe pernicieux: «Depuis une cinquantaine d’années, Juifs et Chrétiens ont dû affronter un ennemi commun, le laïcisme militant, dont la position anti-chrétienne implique un rejet public de l’aspect le plus juif du christianisme». Le problème, à mon avis, se situe au niveau du «militant» plutôt que du «laïciste».

Pour ceux qui se trouvent du côté plus libéral des spectres religieux et politiques, je pense qu’il y a une autre réponse à la question de savoir pourquoi le supersessionnisme dur doit être rejeté. Le supersessionnisme dur échoue au test actuel du multiculturalisme, qui valorise l’altérité auto-identifiée de l’autre. C’est pourquoi ce n’est qu’après la Shoah que les questions concernant le supersessionisme ont gagné en importance dans les études théologiques et ecclésiologiques. La discussion est rendue nécessaire non seulement par la question théologique de savoir comment l’Église doit évaluer les promesses divines faites aux Juifs, et non seulement par la question ecclésiologique de savoir si les Juifs qui s’affilient à des communautés chrétiennes peuvent continuer à s’engager dans des pratiques juives telles que la circoncision rituelle, la cacherout et l’observation du chabbat le samedi (et du jour du Seigneur le dimanche). La discussion se fait nécessairement pour des raisons éthiques: comment les Chrétiens vont-ils évaluer la contribution des enseignements de l’Église et des actions des membres individuels de l’Église aux idées et aux actions nazies?

Tandis que plusieurs passages du Nouveau Testament peuvent être interprétés comme allant à l’encontre du supersessionnisme en insistant sur le fait que l’alliance avec le peuple juif est toujours valable, d’autres vont dans le sens de la théologie du remplacement. La même remarque vaut, mutatis mutandis, pour les commentaires rabbiniques et post-rabbiniques concernant les Chrétiens. Il serait peut-être préférable pour les relations judéo-chrétiennes que chaque groupe admette que ses textes sont supersessionistes en de nombreux endroits, plutôt que de se livrer à une gymnastique exégétique pour que les textes disent le contraire. La théologie et l’éthique, plutôt que l’exégèse historico-critique, constituent la meilleure approche pour traiter les enseignements supersessionnistes.

3. Supersessionnisme et politique identitaire

Les Chrétiens, dans l’ensemble, ont cru que l’alliance était passée d’Israël selon la chair à l’Église; les Juifs croyaient que ce n’était pas le cas. Le supersessionnisme était plus présumé que débattu. Les débats et les persécutions ne portaient pas tant sur le statut de l’alliance que sur l’incarnation, l’eucharistie, le Talmud, l’accomplissement des prophéties par Jésus, etc. Le supersessionnisme n’était pas non plus le principal motif des attaques contre les communautés juives, de Constantin à l’inquisition, en passant par les accusations de meurtre rituel dans les ghettos, etc. Les persécutions contre les Juifs n’étaient pas fondées principalement sur l’idée que l’Église avait remplacé les Juifs. Elles étaient fondées sur l’opinion des Chrétiens concernant le refus des Juifs de confesser la foi chrétienne, sur l’idée que les Juifs étaient des enfants du diable, qu’ils cherchaient à saper l’enseignement chrétien, qu’ils avaient d’autres interprétations des livres bibliques, que le Talmud blasphémait Jésus, sur les rumeurs selon lesquelles les Juifs tuaient les Chrétiens pour se servir de leur sang, sur le simple fait de la persistance des Juifs, etc. Cependant, le supersessionnisme a certainement facilité la promotion d’un tel enseignement par les Chrétiens. Nous devons donc nous demander pourquoi le supersessionisme plutôt que ces autres sujets, fait l’objet d’une telle attention aujourd’hui.

Chaque groupe a adopté une position supersessioniste – parfois douce, mais plus souvent dure – à propos de l’autre et contre lui. Si le supersessionisme est intéressant aujourd’hui, ce n’est pas seulement et, je pense, pas principalement à cause de l’exégèse ou de la théologie. Le supersessionnisme est intéressant en raison de l’éthique et, actuellement, des politiques identitaires. Voici sept raisons (un bon nombre biblique) pour lesquelles le supersessionisme est intéressant aujourd’hui.

Premièrement, de nombreux Chrétiens ont pris conscience que diverses formes de supersessionnisme sont sous-jacentes à la haine des Juifs, et que cette haine peut se transformer, et s’est trop souvent transformée, en meurtre de Juifs. Alors que les arguments contre le supersessionisme du Nouveau Testament peuvent ne pas passer l’épreuve de l’exégèse – lire dans le texte une opposition au supersessionisme est un choix exégétique, par exemple, en favorisant Romains 9–11 plutôt que Jean 8 – les théologiens chrétiens ont ressenti le besoin de prendre en considération la façon dont les revendications chrétiennes ont réduit, sinon rejeté, la viabilité du judaïsme. Soulen cite Franklin Littell: «Enseigner que, selon la providence divine, un peuple a terminé  sa mission, qu’il a été relégué dans les limbes de l’histoire, a des implications meurtrières, dont les meurtriers tireront les conséquences en temps voulu» (Littell 1975, p. 2). Techniquement, ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé partout. Augustin ne pensait pas que la mission du peuple juif était terminée; sa mission incluait le témoignage et la souffrance. Le supersessionnisme a contribué aux horreurs, mais il n’en était pas la cause principale.

Deuxièmement, la discussion sur la permanence de l’alliance avec Israël soulève nécessairement des questions d’ethnocentrisme et, par extension, de racisme. Par exemple, les Juifs se définissent généralement comme un peuple (hébreu: am) ayant une langue commune (l’hébreu), des ancêtres (patriarches et matriarches; l’appartenance est principalement, mais pas exclusivement, basée sur la descendance), une terre (la terre d’Israël) et une éthique (Tanakh/Talmud, diversement interprétés) et pas seulement comme une communauté unie par la foi (voir Batnitzky 2011; Gottlieb 2011)[2]. Les Chrétiens qui affirment que le peuple juif a un statut spécial en tant que communauté d’alliance devront déterminer comment les Juifs, qui insistent pour conserver une identité juive (diversement définie), s’intègrent dans une organisation qui, depuis des siècles, se considère comme proclamant non seulement «qu’il n’y a ni Juif ni Grec» (Galates 3,28), mais aussi que «dans sa chair, il a fait des deux groupes un seul et a abattu le mur de séparation, c’est-à-dire l’hostilité entre nous. Il a aboli la loi, avec ses commandements et ses ordonnances, afin de créer en lui une seule humanité nouvelle, à la place des deux, et faisant ainsi la paix, et de réconcilier les deux groupes avec Dieu en un seul corps [ou de nous réconcilier tous les deux en un seul corps pour Dieu] par la croix» (Éphésiens 2,14b-16a).

Cette question de la présence juive non seulement à l’extérieur de l’Église mais aussi à l’intérieur du «corps du Christ» est devenue plus pressante en raison de la sophistication exégétique et théologique croissante des arguments offerts par les branches du judaïsme messianique qui cherchent à être reconnues non pas comme des «Chrétiens» mais comme des disciples juifs du Christ. Les Églises qui se contentaient d’un supersessionnisme eschatologique, et même les congrégations qui avaient évité une mission auprès des Juifs, doivent maintenant s’adresser à des Juifs qui acceptent la seigneurie de Jésus non pas à l’eschaton, mais aujourd’hui, et qui insistent aussi pour conserver la pratique juive (Kinzer 2015).

Troisièmement, le supersessionisme chrétien ou la théologie du remplacement présume, sous diverses formes, que les privilèges et les responsabilités qu’Israël/les Juifs avaient ont été transférés aux disciples de Jésus. Dans cette reconfiguration, l’Église devient le nouveau «peuple élu» ou, comme le dit 1 Pierre 2,9 à son auditoire qui suit Jésus, «Mais vous êtes une race élue (genos eklekton), un sacerdoce royal, une nation sainte, le peuple de Dieu, afin que vous puissiez proclamer les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière». Cette vision d’une «race élue» entre nécessairement dans les catégories de l’ethnocentrisme et, de manière anachronique, du racisme. Les Chrétiens devront déterminer si ce langage de «l’élection» conserve une quelconque valeur, que ce soit pour leur vision des juifs ou pour leur auto-identification.

Quatrièmement, les Églises qui mettent l’accent sur l’appartenance fondée sur la foi, sur un point d’entrée avec le baptême et sur un manque d’intérêt complémentaire pour la patrie peuvent se demander pourquoi un groupe ethnique devrait être «choisi» ou considéré comme possédant des promesses d’alliance spéciales (Nelson 2021). Le questionnement est particulièrement aigu lorsque les promesses incluent celle de la terre d’Israël. Alors que certains Chrétiens adoptent diverses formes de «sionisme chrétien», d’autres considèrent que les Juifs, définis implicitement ou explicitement comme une religion plutôt que comme un groupe ethnique ou un peuple, revendiquent à tort une patrie. Les Évangéliques, qui soutiennent que les promesses faites aux Juifs incluent la terre d’Israël et que ces promesses se réalisent avec l’État juif, sont en désaccord avec les Protestants libéraux qui considèrent les Israéliens comme des colons (une définition étrange, puisqu’ils ne sont envoyés par aucun État pour s’installer et qu’ils retournent dans leur patrie) et avec d’autres qui, parce qu’ils appuient l’autodétermination des Palestiniens et s’opposent à une législation sectaire, soutiennent qu’il ne devrait pas y avoir du tout d’État israélien en tant qu’État juif (discussion dans Nelson et Gizzi 2021).

Cinquièmement, les communions chrétiennes qui ressentent le besoin de s’attaquer au supersessionnisme sont, je le soupçonne, principalement composées d’individus de culture majoritaire. Les organismes ecclésiastiques minoritaires de l’Occident ainsi que les Églises des régions où il y a peu ou pas de Juifs, où l’on fait peu ou pas de distinction entre les Juifs en tant que peuple et l’État d’Israël, où il n’y a pas de mémoire culturelle de la Shoah et où les Juifs sont considérés comme «blancs», sont peut-être plus susceptibles de s’approprier l’identité de l’ancien Israël et d’être moins préoccupés par ce que la plupart des Juifs et de nombreux non-Juifs considèrent comme de l’antisémitisme. Ainsi, il se peut que le traitement du supersessionnisme chrétien soit considéré par certains Chrétiens comme une question de «privilège blanc» (voir Badiel 2021).

Sixièmement, la discussion sur le supersessionisme a des implications sur la manière dont les Chrétiens doivent comprendre l’identité juive de Jésus. Si les Chrétiens considèrent que l’identité juive de Jésus est accidentelle, non pertinente ou qu’elle sert de substitut à d’autres identités minorisées (Jésus en tant que Noir, queer, etc.), alors, par extension, les Juifs en tant que Juifs deviennent eux aussi non pertinents. Cet argument prend deux formes: l’une concernant le corps même de Jésus et l’autre concernant sa particularité juive.

Le corps de Jésus est, pour le canon du Nouveau Testament, malléable, qu’il soit lié à l’«Église» (Éphésiens 5,23 ; Colossiens 1,18.24), à l’agneau immolé ou au guerrier (Apocalypse). Le corps malléable peut devenir un hybride ou autre chose qu’un corps marqué par des frontières: il n’est plus seulement mâle mais aussi femelle, en ce qu’il donne naissance à l’Église par le sang et l’eau (Jean 19); il n’est plus chair mais aussi un type d’esprit, en ce qu’il traverse les murs (Jean 20). C’est un corps, mais il n’est lié par aucun repère. La question de savoir si la circoncision, que Luc 2,21 rapporte de manière quelque peu oblique (Luc dit: « Après huit jours, il était temps de circoncire l’enfant»; Luc ne rapporte pas réellement la circoncision) était visible sur le corps de Jésus ressuscité reste un sujet de débat (Jacobs 2012), et l’Église catholique romaine a aboli la «fête de la circoncision» en 1960. Si les féministes chrétiennes veulent prétendre que le corps masculin de Jésus n’est pas pertinent, alors pour les théologiens de prétendre que le corps juif a un sens en tant que marqueur de sa judéité, alors les arguments sont au mieux incohérents.

Septièmement, la question du corps juif de Jésus dépasse les catégories de genre pour s’étendre aux catégories d’identification contextuelle, comme l’illustre Jesus in Asia de R.S. Sugirtharajah (Sugirtharajah 2018)[3]. Jésus devient, dans l’imaginaire chrétien, ce que des Chrétiens particuliers, ancrés dans leur époque et leur lieu, ont besoin qu’il soit. Dans la plupart des cas, son identité juive est généralement ignorée. Parfois, elle est instrumentalisée d’une manière que les Juifs, d’hier et d’aujourd’hui, pourraient ne pas reconnaître. Par exemple, Brian Bantum voit le Christ comme un «mulâtre», un hybride de divin et d’humain, mais aussi un mulâtre en termes d’ancêtres gentils (par exemple, l’«impure» Ruth (Bantum 2010) comme l’indique la généalogie de Matthieu. Le problème ici, outre l’idée de l’hybridité qui ne permet pas d’être à la fois pleinement humain et pleinement divin, est que les Juifs, à l’époque de Jésus, ne se définissaient pas simplement comme des personnes nées uniquement dans la tradition. Les gens pouvaient se convertir au judaïsme et, pour la majorité des Juifs, ils se voyaient alors accorder tous les droits des personnes nées dans le système. Ainsi, la présence de Gentils dans la liste des ancêtres de Jésus établie par Matthieu ne rend pas les descendants non-Juifs. Les Juifs reconnaissaient les personnages cités – Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée – comme des membres de la communauté. Ruth incarne la convertie. En d’autres termes, les Juifs de l’époque de Jésus n’auraient pas considéré que Jésus était en quelque sorte un «moins bon» Juif en raison de ses ancêtres gentils[4]. L’argument, qui fait partie du mythe de la Galilée des Gentils (Chancey 2002), a un intérêt post-colonial, car il permet à divers groupes de s’identifier à Jésus. Cette identification se fait au détriment de son identité juive. Par extension, si son identité juive n’est pas pertinente, le disciple de Jésus n’a aucune raison de considérer l’identité juive de quiconque comme ayant une quelconque implication dans l’alliance. On trouve maintenant un contrepoint utile à ce point de vue dans l’étude de Barbara Meyer Jesus the Jew in Christian Memory (Meyer 2020).

L’idée d’un «peuple élu» a aujourd’hui un arrière-plan. Les prétentions chrétiennes d’avoir universalisé cette notion présument que l’universel est toujours meilleur que le particulier. Mais c’est un argument avancé par une majorité aux dépens d’une minorité. C’est également un exemple de privilège.

4. Peut-on reconnaître le supersessionnisme quand on le voit ? Le cas type des Méthodistes unis

Les Chrétiens peuvent prétendre et ont prétendu que l’Église est le «nouvel Israël» et le «véritable Israël». Il a même été avancé que Matthieu fait la même affirmation (Trilling 1964). Lorsqu’un Chrétien s’identifie aujourd’hui à la libération de l’esclavage de l’ancien Israël, s’agit-il pour lui de faire partie d’un «nouvel» ou «véritable» Israël? S’agit-il d’une cooptation culturelle ou d’un emprunt respectueux? Étant donné que l’Église a décidé de conserver les Écritures d’Israël plutôt que de s’en débarrasser, comment éviter le supersessionnisme lorsque les Chrétiens se réintroduisent dans l’histoire juive? Une première étape consiste à reconnaître que ce matériel antérieur est l’histoire juive. Les Juifs, à leur tour, font bien de reconnaître que l’«Ancien Testament» (qui n’est pas la même chose que le Tanakh) fait partie du canon chrétien (Levine et Brettler 2020).

Les exemples suivants, qui modélisent ce que je considère comme un supersessionnisme doux, montrent à quel point l’idée de l’Église comme le Nouvel Israël est ancrée dans l’imaginaire chrétien. Pourtant, la question de savoir si ces exemples sont des formes de supersessionnisme reste ouverte, et cette question même montre combien le sujet est difficile.

Le Book of Resolutions de 2016 de l’United Methodist Church (UMC) présente les affirmations suivantes, bien intentionnées mais vagues et peut-être théologiquement incohérentes :

«Comme Chrétiens, nous croyons fermement que Jésus a été envoyé par Dieu en tant que Christ pour racheter toute l’humanité et qu’en Christ, l’alliance biblique a été radicalement renouvelée. Si la tradition ecclésiale a enseigné que le christianisme a supplanté le judaïsme en tant que ‘nouvel Israël’, nous ne croyons pas que les relations d’alliance antérieures aient été invalidées ou que Dieu ait abandonné les partenaires juifs de l’alliance.

Nous croyons que, de même que Dieu est fermement fidèle à l’alliance biblique en Jésus-Christ, de même Dieu est fermement fidèle à l’alliance biblique avec le peuple juif, et aucune de ces relations d’alliance n’est invalidée par l’autre. De plus, nous sommes mystérieusement liés les uns aux autres par nos relations d’alliance avec le Dieu unique et Créateur de nous tous. L’alliance que Dieu a établie avec le peuple juif par l’intermédiaire d’Abraham, de Moïse et d’autres personnes se poursuit car il s’agit d’une alliance éternelle. Paul proclame que le don et l’appel de Dieu aux Juifs sont irrévocables (Romains 11,29). Ainsi, nous croyons que le peuple juif continue à être en relation d’alliance avec Dieu» (UMC 2016).

La déclaration ne décrit pas quelle «alliance biblique» (avec Noé, Abraham, Moïse, ou/et David) est devenue «radicalement nouvelle» ou quels sont les éléments «radicalement nouveaux». En outre, la déclaration n’abandonne pas réellement la vision de l’Église comme le «nouvel Israël» ou l’affirmation selon laquelle «le christianisme a supplanté Israël». La déclaration reconnaît les utilisations antérieures de l’expression «nouvel Israël» mais ne précise pas si les Méthodistes d’aujourd’hui peuvent, ou doivent, revendiquer ce titre.

Si le texte s’est prononcé contre l’idée d’un «nouvel Israël», le message n’a pas été reçu par les autorités ecclésiastiques. Sur la page «ResourceUMC», l’évêque Christian Alsted explique qu’Actes 15–16 indique comment «la maison d’Israël reconstruite était l’Église, le nouvel Israël, et l’Église englobait tous les peuples» (Alsted 2019). La promotion de l’universalisme par rapport au particularisme sous-tend la citation, qui fait l’impasse sur le particularisme de l’exclusivité sotériologique chrétienne. De même, sur la page de sa faculté à la Saint Paul School of Theology, le Dr. Israel Kamudzandu, professeur associé d’études du Nouveau Testament et d’interprétation biblique, titulaire de la chaire Linsey P. Pherigo et ancien de l’UMC, explique comment «la lettre de Paul aux Romains a été une source d’intérêt et de motivation pour moi avec son appel à un «Nouvel Israël», ou une nation divine» (Kamudzandu 2021). Ces exemples ne sont que deux parmi de nombreux autres que l’on peut facilement trouver en faisant une recherche sur Google avec les mots «United Methodist» et «New Israel». Le même exercice fonctionne pour une variété d’autres dénominations, et mes commentaires ici sur ce que le clergé méthodiste uni dit, malgré les textes de prises de position, peuvent être étendus à d’autres dénominations également. L’idée que l’Église est le «nouvel Israël» est suffisamment ancrée dans le langage de l’Église, illustrée par un évêque et un professeur de séminaire, pour qu’elle prévale indépendamment des déclarations officielles.

De plus, le texte de l’UMC ne précise pas si les Juifs ont un statut particulier; apparemment, puisqu’il indique que le salut passe par Jésus, qui rend tout «radicalement nouveau», et puisqu’il n’interdit pas d’évangéliser les Juifs (il interdit la coercition), le statut du Juif (d’être en relation d’alliance) n’existe que de nom. Pour les Méthodistes, les Juifs ne sont pas des enfants du diable, mais le Méthodiste local, après avoir lu cette déclaration, pourrait bien, et devrait, étant donné l’enseignement chrétien, trouver que le baptême et l’eucharistie sont plus importants que la circoncision et le séder, et qu’ils les remplacent.

Pour les Chrétiens et les autres groupes qui revendiquent un certain attachement à l’histoire de l’ancien Israël, la théologie du remplacement fait simplement partie de la culture; elle n’est pas destinée à être malveillante et, dans la plupart des cas, elle n’est pas reconnue. Les membres des Églises minoritaires qui se lisent eux-mêmes dans l’histoire de l’Exode n’élaborent pas, pour autant que je sache, une épistémologie par laquelle ils remplacent les Juifs. Il se peut qu’ils ne connaissent aucun Juif, ou qu’ils ne s’intéressent pas à l’histoire juive. Par exemple, dès le XIXe siècle, des communions diverses et variées de Noirs se considéraient comme les «vrais Juifs» qui échappent à l’esclavage pour retrouver la liberté, se retrouvent en diaspora et seront la nouvelle lumière pour les nations (Chireau et Deutch 2000; Chireau 2000). Savoir s’ils connaissaient de vrais Juifs est une autre question.

D’autre part, le fait que les Chrétiens se revendiquent comme le «nouvel Israël» ou le «nouveau peuple de Dieu» n’invalide pas nécessairement un rôle continu pour les Juifs, en tant que Juifs, l’ancien Israël. Même le célèbre Nostra Aetate de Vatican II, le document qui a provoqué un changement radical dans la vision catholique romaine des Juifs et du judaïsme en niant que tous les Juifs portent la responsabilité de la mort de Jésus et en affirmant que toutes les religions ont des réponses appropriées à la recherche du divin dans le cœur humain, utilise ce langage du nouveau et de l’ancien. Le paragraphe 4 de Nostra Aetate comprend l’affirmation suivante: «S’il est vrai que l’Église est le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. (…) En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs.» Le patrimoine est partagé par l’ancien et le nouveau peuple. C’est un bon début.

5. Réflexion

Le supersessionnisme, dur et mou, est là pour rester; il est un marqueur de la pensée juive et chrétienne. Si pour les Chrétiens, la question de savoir comment les Juifs se situent par rapport aux alliances avec Abraham, Moïse et le peuple juif, et David sont des sujets de discussion théologique, pour les Juifs, les réponses à ces mêmes questions ont été des questions, littéralement, de vie et de mort. Le supersessionnisme suscite l’intérêt aujourd’hui parce que les Chrétiens réagissent à la complicité de leurs coreligionnaires dans la Shoah. Au fur et à mesure que les questions de privilège blanc et de racisme, d’appropriation culturelle et d’universalisme chrétien prennent de l’importance, je soupçonne que l’intérêt des Chrétiens pour le supersessionisme par rapport aux Juifs sera de moins en moins important.

Je soupçonne que les préoccupations juives à propos du supersessionisme chrétien seront de plus en plus considérées comme des demandes spéciales. On prétendra plutôt,  probablement, sur la base d’affirmations telles que «Dieu ne montre aucune partialité» (Actes 10,4), que les Juifs ne devraient pas être considérés comme ayant un statut spécial dans l’alliance. L’attention croissante portée à l’expansion des colonies israéliennes se traduira par un déni de plus en plus grand de la promesse de la terre dans l’alliance. Nous pouvons déjà observer cette évolution dans la tendance des journalistes et des romanciers à identifier Jésus comme un «Palestinien» (Levine 2007; Sternthal 2020). L’utilisation de l’imagerie de l’Exode par les Églises chrétiennes, associée à la représentation de Marie, de Jésus et d’autres personnages du Nouveau Testament comme étant à l’image de l’artiste, ignorera de plus en plus toute identité juive de Jésus. Alors que le monde abhorre l’appropriation culturelle, et que les plus éveillés d’entre nous seraient horrifiés aujourd’hui si, par exemple, les Sharks de West Side Story n’étaient pas joués par des Latinos, peu se soucieraient que des personnages juifs soient joués par des non-Juifs blancs (Ivry 2021). Nous avons vu comment l’emploi facile de l’expression «nouvel Israël» dans le discours chrétien peut suggérer une démarche supersessionniste, même si elle n’est pas voulue.

Aujourd’hui, la connaissance de la Shoah comme une – sinon «la» – tragédie humaine, s’estompe alors même que la popularité de l’imagerie et de l’idéologie nazies est en hausse. Au cours des décennies précédentes, les Chrétiens ont senti le besoin d’expliquer comment d’autres Chrétiens, en tant qu’individus et en tant que corps ecclésiaux, ont péché par commission et par omission contre les Juifs et d’autres groupes ciblés par les nazis et leurs alliés. Aujourd’hui, on se préoccupe moins du passé que du présent, et notre société présentiste ne s’intéresse pas aux péchés du passé (et pour les non-Européens, à ce que l’Europe a fait), mais aux péchés du présent, car elle porte davantage attention aux abus sexuels, à l’oppression raciste, aux privilèges, aux voix qui ne faisaient pas partie auparavant de la conversation nationale, etc. Les Juifs – et leurs souffrances causées en partie par les enseignements de l’Église – sont moins importants. D’où, une fois encore, l’impératif éthique: ignorer ce que l’enseignement ecclésial a dit des Juifs, c’est ignorer l’une des causes de ce qu’on a appelé la «haine la plus longue»[5].

Le supersessionnisme est un problème aux multiples tentacules. Le problème demeurera. Les théologiens en parleront et des articles seront écrits à son sujet. Rien ou presque ne changera. Une lecture plus précise de Paul du point de vue historique ou au moins une valorisation de Romains 11 par rapport à Galates et à 1 Thessaloniciens serait d’une aide énorme, mais je doute que ceux qui s’en tiennent aux lectures protestantes conservatrices, qui ont besoin de trouver quelque faute avec le judaïsme pour comprendre Paul et donc leur propre théologie, fassent de telles corrections. Dans le passé, lorsque les Chrétiens ont nié que les Juifs soient en relation d’alliance avec Dieu, il était beaucoup plus facile d’énoncer de multiples accusations négatives à leur endroit. Il en est résulté des conversions forcées, des croisades, la ghettoïsation, des pogroms et des camps de la mort. Pour des raisons théologiques et exégétiques, mais surtout pour des raisons pratiques, les Chrétiens ne peuvent se permettre d’ignorer le problème du supersessionisme.


Références

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[1] Les citations suivantes dans cette section sont tirées de l'article de Soulen dans l’Encyclopedia of Jewish-Christian Relations, sauf indication contraire. Soulen cite d’autres formes de supersessionnisme, notamment le supersessionnisme théologique (A. Roy Eckardt), le supersessionnisme dur et doux (David Novak), le supersessionnisme punitif et économique (Soulen, Vlach, cf. Karl Barth). Donaldson (2016, p. 8) soutient la «nécessité d’une typologie du supersessionnisme» qui inclut Israël in toto comme l’opposé binaire du vrai peuple de Dieu (ainsi Marcion); Israël comme contenant des opposés binaires en son sein depuis le début (Ignace d’Antioche, Justin Martyr, Épître de Barnabé); Israël comme entité ratée, rejetée par Dieu et remplacée par une Église formée principalement de Païens (Cyprien, peut-être Matthieu, peut-être Luc, peut-être Jean); Israël comme entité du passé, ayant eu un certain rôle préparatoire à jouer, mais maintenant remplacée par une Église dans laquelle les distinctions ethniques n’ont pas de signification fondamentale (Matthieu, Hébreux, Melito de Sardes); Israël comme succédé par le Christ, qui fournit le seul point de continuité entre l’Israël du passé et l’Église du présent (peut-être Galates, Matthieu); Israël comme succédé par un reste juif, supplanté par les Païens qui viennent remplacer les Juifs incrédules, et des variations sur ces thèmes, jusqu’à l’Israël plus positif, en dehors de l’Église, comme ayant une certaine validité théologique, dans la mesure où «tout Israël sera sauvé» par le Christ et où Israël et l’Église païenne sont des peuples coexistants, en relation avec Dieu par des alliances parallèles (Pseudo-Clémentines).
[2] L’identification des Juifs comme «une religion» selon les catégories des Lumières, s’est faite surtout avec Moses Mendelsohn (1729–1786). Voir Batnitzky (2011); pour les sources, voir see Gottlieb (2011).
[3] Au congrès annuel 2021 de la Society for Post-Supersessionist Theology, dont le thème était «Supersessionisme, nations et race», Willie Jennings, Daniel Lee et Gerald McDermott ont présenté des communications qui offrent d’intéressants exemples d’approches de théologie contextuelle prenant en compte l’identité juive de Jésus. Ces communications sont disponibles en ligne (https://www.spostst.org/).
[4] Pour un résumé et des critiques de Jésus contextualisés, voir par exemple Hesslein (2015), particulièrement le chapitre 3, “Jesus as Human Citizen”, p. 39–74.
[5] [NDT] Titre d’un livre de Robert Solomon Wistrich paru en 1991 (Antisemitism: the longest hatred. London, Thames Metuen).

Remarques de l’éditeur

Amy-Jill LEVINE enseigne à la Hartford International University for Religion and Peace où elle occupe le poste de «Rabbi Stanley M. Kessler Distinguished Professor of New Testament and Jewish Studies». Elle a publié de nombreux ouvrages dont The Misunderstood Jew: The Church and the Scandal of the Jewish Jesus (San Francisco: HarperSanFrancisco, 2006); Short Stories by Jesus: The Enigmatic Parables of a Controversial Rabbi (New York, NY: HarperOne, 2014) The Bible With and Without Jesus (avec Marc Z. Brettler; New York, NY: HarperCollins, 2017). Elle a co-édité avec Marc Z. Brettler The Jewish Annotated New Testament (Oxford: Oxford University Press, 2e éd. 2017); et avec Joseph Sievers, The Pharisees (Grand Rapids, Mich.: Eerdmans, 2021). Elle a reçu en 2022 le premier «Prix Seelisberg», créé pour honorer une personne ayant contribué à la compréhension entre Juifs et Chrétiens.

Source: Religions 2022, 13(2), 155; https://doi.org/10.3390/rel13020155. © 2022 par l’auteure. Titulaire de la licence MDPI, Bâle, Suisse. Traduit de l’anglais par Jean Duhaime pour Relations judéo-chrétiennes.

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