«Le Seigneur est mon berger.»

Le Psaume 23, «Le Seigneur est mon berger», est l'un des plus connus de la Bible. Apprécié aussi bien à cause de sa simplicité que de sa profondeur, il est utilisé depuis des siècles par les Juifs et par les Chrétiens, autant dans la dévotion personnelle que dans la prière liturgique.

«Le Seigneur est mon berger.»

Le Psaume 23, «Le Seigneur est mon berger», est l'un des plus connus de la Bible. Apprécié aussi bien à cause de sa simplicité que de sa profondeur, il est utilisé depuis des siècles par les Juifs et par les Chrétiens, autant dans la dévotion personnelle que dans la prière liturgique. Pourtant les uns et les autres ne le lisent pas de la même manière. Le 20 janvier 2010, à l'occasion de la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, un colloque sur le Psaume 23 s'est tenu à l'Université de Strasbourg. Trois conférenciers y ont proposés diverses interprétations juives et chrétiennes de ce psaume à un auditoire de plusieurs centaines de personnes. L'événement était organisé conjointement par l'Église catholique d'Alsace, l'Union des Églises Protestantes d'Alsace-Lorraine et le Consistoire Israélite du Bas-Rhin, avec la participation des Facultés de théologie catholique et protestante de Strasbourg, de l'Amitié Judéo-Chrétienne de Strasbourg et de l'Association Charles Péguy. Nous reproduisons ici l'essentiel des trois exposés*. 

Interprétation juive du Psaume 23

par René Gutman, Grand rabbin de Strasbourg

Le Psaume 23 est un psaume très court de six versets et qui pourtant a fait couler beaucoup d’encre. Dans le cadre de ce bref exposé, je ne puis résumer que très sommairement, dans leurs grandes lignes, les interprétations que la tradition juive a données de ce psaume.

D’abord quelques mots sur le contexte dans lequel on situe en général, ce psaume c’est-à-dire parmi les Psaumes 23 à 28, où l’on reprend le même titre «À David» (le-David) et où réapparaît, comme ici, le thème de l’entrée dans le sanctuaire. Je m’écarterai volontairement de la dimension individuelle de ce Psaume qui «creuse» l’expérience clamée, du fond de son désespoir, par le suppliant du Psaume 22,2 «Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné?», ou celle du Psaume 5,9 où le roi David demande «Éternel, dirige-moi dans ta justice à cause de mes adversaires», verset auquel auquel fait écho ici le v. 3, «Il restaure mon âme, me dirige dans les sentiers de la justice».

Certes, le psalmiste passe du discours sur Dieu à la 3e personne du singulier (v. 1-3) à l’apostrophe à la 2e: «Je ne craindrai aucun mal, car tu seras avec moi» (v. 4). La rencontre autour de la table dressée entre le Berger et son hôte et l’espoir individuel du roi David, comme dans les Psaume 27 et 92, de retourner dans la maison de Dieu sont tout à fait parlants. J’y reviendrai. Mais je ne résiste pas à la Tradition rabbinique du Midrach, suivant la tradition plus ancienne du Targoum qui ouvre sa paraphrase araméenne en privilégiant la dimension collective du Psaume.

Un psaume à propos du peuple d’Israël

Pour cette tradition, le Psaume 23 parle du peuple d’Israël. Dieu est son berger. Il a comblé tous ses besoins dans le désert. C’est ce que dit le Midrach qui, sur «Je ne manquerai de rien» (v. 1), décrit l’infinie générosité de Dieu envers les Israélites dans le désert, «ces 40 ans où votre Dieu», est-il dit en Deutéronome 2,7, «a été avec vous et que rien ne vous a manqué» ( «lo hassarta» , comme ici «lo èhessar» ). Ces 40 ans, c’est-à-dire la période entière, puisqu’au dernier jour dans 40 ans Dieu était aussi généreux qu’au premier! Rabbi Né’hémia dit: «Ils n’ont manqué de rien. Ils n’avaient qu’un mot à dire et leur souhait se trouvait immédiatement exaucé. Ils pouvaient en effet, ajoute ce midrach, donner le goût qu’ils souhaitaient à la manne qui tombait. Ce sont ici «les vertes prairies» où Dieu a fait camper son peuple (v. 2).

Ainsi, au v. 3, «il restaure mon âme» signifie que Dieu ne conduit pas son Troupeau inconsidérément en le poussant rapidement d’un pâturage à l’autre; au contraire, il le mène tout doucement pour ne jamais exténuer ses brebis. «Il me dirige vers les sentiers de la justice», ce sont les nuées de gloire qui entoureraient les Hébreux et aplanissaient la route devant eux –dit encore le Midrash– abaissant les montagnes et relevant les gorges profondes afin que les enfants d’Israël puissent suivre une route droite exempte de détours ou d’obstacles.

«Dussé-je suivre la sombre vallée de la mort» (v. 4). Si l’exégèse classique y voit les taches épaisses ou l’ombre de la mort, en opposition au séjour dans le Temple dans lequel David se fraye son chemin, la Tradition rabbinique revient sur cette assistance de Dieu à son peuple, en se fondant sur le livre de Jérémie (2,6) à propos du «pays de sécheresse et d’ombres mortelles» où le verset s’applique au désert de l’Exode, pays aride et obscur que Dieu a fait traverser à Israël, alors que personne ne le parcourt. L’expression rappelle aussi le Psaume 44,20 qui lui aussi évoque l’Exode, quand Israël était recouvert «des ombres de la mort». La Tradition orale, le Targoum déjà, voit aussi dans le désert le paradigme de l’Exil.

À propos du début du v. 5, «Tu dresses la table devant moi», le Midrach dit «que ces paroles s’adressent aux nations qui ont vu Israël fuir l’Égypte et s’engager dans le désert». Ils ont alors raillé: «Ce peuple va certainement périr dans le désert.» Le Psalmiste rapporte leurs propos: «Dieu peut-il préparer une table pour eux dans le désert?» (Ps 78,19)

Sans doute, Il a frappé un rocher et les eaux ont jailli, des torrents se sont précipités. Mais pourra-t-il aussi donner du pain? Sera-t-il capable d’apprêter de la viande à son peuple? Que fait Dieu? Il les a entourés de nuages protecteurs et il est tombé tant de manne qu’elle s’est accumulée jusque bien haut dans le ciel, pour que les peuples la voient. Et au moment où Israël a commencé à manger, il a offert sa louange à Dieu en disant: «Tu dresses la Table devant moi à la face de mes ennemis.»

«Tu parfumes d’huile ma tête, ma coupe déborde» (v. 5). En se basant sur le sens littéral du verbe dachén, «imprégner de graisse», le Midrach comprend la première expression comme une référence aux oiseaux succulents que Dieu a envoyés à son peuple au désert. Cela symbolise encore les bienfaits divins, tout comme la coupe royale, allusion, dit encore le Midrach, aux eaux qui s’élancaient librement, perpétuellement, du puits de Myriam.

«Le bonheur et la grâce m’accompagneront ma vie durant» (v. 6). Ces termes décrivent le profond souci de Dieu pour le bien-être spirituel du peuple juif, qui se manifeste par l’effort divin de lui enseigner ses voies. Le «bien» et la «grâce» sont deux dimensions de l’être qui doivent devenir un mode de vie constant et irréversible, une seconde nature qui ne laisserait place à aucune défaillance. «Et j’habiterai de longs jours dans la Maison de l’Éternel» (v. 6): sans répit et quasiment comme un otage, par la mission qui lui est confiée, le peuple juif continue sa route à travers sa recherche du bien et de la grâce.

Un psaume à propos de David

Certes il existe une autre tradition exégétique – une chaîne rabbinique – qui attribue tout ce psaume au roi David. David se sentait comme un agneau qui n’a aucune raison de se faire du souci pour son salut parce qu’il sait que son berger, Dieu, prendra soin de ses besoins. Il y raconte toutes les étapes de sa vie, lorsqu’il était lui-même berger dans le désert avant de devenir roi. Il commence donc à raconter sa vie solitaire et se voit comme un berger qui habite les vertes prairies. Il reconnaît Dieu comme le Pasteur providentiel. Ces années furent les plus belles de sa vie, lorsque solitaire il s’isolait avec Dieu tout en lui chantant des Psaumes, avant que les responsabilités du pouvoir ne s’abattent sur lui, l’empêchant de vivre cet état de grâce et de solitude avec Dieu. Après cette période, tout roi qu’il est, David se nomme lui-même dans les Psaumes, «pauvre et misérable».

Dès que David quitte son rôle de berger et sa solitude («dans de vertes prairies… dans les eaux paisibles» v. 2), l’aventure de la vie commence. Elle le mène à la cour du roi Saül où il dit parfois simuler la folie pour échapper à la colère, puis se battre avec Goliath («en face de mes ennemis» v. 5), pour enfin se marier avec la fille de Saül et devenir roi lui-même. Et malgré le fait que sa «coupe déborde» (v. 5), il ne cesse de rappeler cette expérience du berger solitaire qu’il était dans son monologue avec Dieu. Iil n’oublie pas sa vocation première: lorsqu’il proclame «il restaure mon âme» (v. 3), il dit son espoir de quitter ses prérogatives royales pour ne faire qu’habiter dans la maison de l’Éternel à jamais et se retrouver dans une «solitude à deux» avec l’Éternel: «L’Éternel est mon Berger» (v. 1).

Les rabbins et l’exégèse chrétienne du Psaume 23

Selon le Midrach, ce psaume peut donc s’interpréter soit en fonction du peuple d’Israël, soit en fonction de David. Mais l’exégèse rabbinique a surtout favorisé le première interprétation et a abandonné le sens littéral, davidique, de ce psaume. L’une des raisons de ce choix pourrait être la place que le Psaume 23 a prise dans l’exégèse patristique.

En effet, dès le premier siècle, le Psaume 23 était chanté par les nouveaux baptisés avant de recevoir l’eucharistie. Origène voyait déjà dans «la table» et «la coupe» du v. 5 une allusion au corps et au sang de Jésus. Cette interprétation sacramentelle est devenue classique dans la tradition chrétienne et elle se retrouve jusque dans la décoration des baptistères du 4e au 6e siècle montrant un Pasteur entouré de ses brebis près d’une source vive.

L’interprétation chrétienne a généré de nombreuses autres différences d’interprétation par rapport à l’exégèse rabbinique. Elles sont parfois fondées sur l’hébreu lui-même. Par exemple, l’expression hébraïque nafchi yechouvév (v. 3) signifie pour les rabbins «il restaure mon âme», tandis qu’un Père de l’Église comme Eusèbe de Césarée comprend le verbe au sens de «convertir» («il a converti mon âme»). De même «les eaux paisibles» (v. 2) deviennent le saint Baptême qui efface le fardeau des péchés, «et tu as oint ma tête d’huile» (v. 5) évoque l’onction sacramentelle, «ton bâton et ton appui» (v. 4) sont identifiés à la croix du Christ et la «Maison de l’Éternel» (v. 6) à l’Église.

C’est vraisemblablement en réaction à l’utilisation du psaume 23 dans la liturgie pascale et dans la catéchèse sacramentelle chrétienne que les rabbins ont délaissé l’interprétation individuelle le rapportant à David et ont préféré le voir comme le miroir de l’expérience d’Israël avec son Dieu.


La réception chrétienne du Psaume 23 en images et en traductions

par Régine Hunziker-Rodewald, professeure à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

Dans les réflexions qui suivent, je propose d’explorer quelques représentations iconographiques et quelques traductions qui témoignent à leur manière de la réception du Ps 23 dans la tradition chrétienne, notamment d’un point de vue protestant.

Deux représentations du Bon Berger

 

 

 
 

 
 

Le Berger protecteur
Méreau utilisé à Montauban, XVIIIe s.1

 
 

Le Berger en compagnie de ses brebis
Catacombe de Domitille, Rome, IVe s2

 

A gauche nous voyons un méreau, une marque de reconnaissance des protestants qui était utilisée pendant la période nommée «du Désert» de la fin du 17e jusqu’à la fin du 18e siècle. De telles marques étaient distribuées par les pasteurs ou les Anciens dans les paroisses et servaient comme laissez-passer pour la Cène.

Un sujet assez répandu sur ces méreaux c’est le Bon Berger. Il est représenté par le Christ, par un ange ou par un berger (comme ici) qui est entouré par – et ceci est frappant – de très petites brebis. L’inscription qui souvent accompagne ce sujet, au verso du méreau, est une citation de Luc 12,32: «Ne crains point, petit troupeau». Sur notre image, ce troupeau est menacé par un oiseau gigantesque qui est tenu en échec par le berger également très grand et fort qui annonce la Bonne Nouvelle par sa corne. Le thème est la protection des impuissants contre le mal. On comprend facilement cette mise d’accent dans une époque de persécution. J’aborde encore un petit détail significatif: les bottes du berger bien accentuées qui font allusion aux «missionnaires bottés» de l’époque.

Le contexte historique de la deuxième représentation du Bon Berger, à droite, est également celui de la persécution, mais, dans les catacombes, un autre moment existentiel dramatique: la mort.

À Rome, au cours des premiers siècles chrétiens, on trouve souvent dans les catacombes l’image du Bon Berger appliquée en couleurs au plafond ou au mur. Il est très jeune ce Bon Berger et il s’attache au type du Hermès de la mythologie grecque. Hermès est le patron des bergers qui lui-même porte l’habit d’un berger. L’entourage est idyllique. Dans les mythes grecs, Hermès a, entre autres, la fonction de diriger les âmes vers l’au-delà, c’est pourquoi il est nommé en grec psychopompos, ce qui veut dire «le guide des âmes». Cela a un sens dans les catacombes qui, à l’époque, étaient considérées comme des «dortoirs» provisoires en attendant la résurrection.

Le type du Bon Berger à droite qui, dans les catacombes, est identifié avec le Christ, n’est pas d’abord celui qui protège contre le mal. Ce type du Bon Berger est celui qui est et qui reste à côté des siens, qui les accompagne, qui les porte même sur ses épaules. Sa houlette n’est qu’une canne de balade. Et les brebis, en comparaison avec celles sur le méreau à gauche, cherchent la présence du Bon Pasteur, elles s’approchent et tendent leur cou vers lui avec confiance. Le thème de l’image à droite est principalement la proximité familière dans le contexte de la mort.

Je résume: du point de vue de la thématique, nous apercevons sur ces images, d’une part, la protection de ceux qui, eux-mêmes, n’ont aucune puissance, et nous constatons d’autre part, la proximité, pour ainsi dire, physique et durable même dans la mort. Les deux thèmes ne s’excluent pas forcément, mais ils manifestent la mise en scène d’une certaine priorité thématique, et ceci en correspondance avec un contexte historique et une situation existentielle particulière.

Avec ces deux images, nous nous retrouvons dans le domaine de l’histoire de la réception de la Bible. Ce domaine est caractérisé par les facteurs de l’ adaptation, de l’ actualisation et de l’ application des objets bibliques à un milieu de vie postérieur, aussi bien dans le christianisme ancien que dans celui de la Réformation. Mais ce procédé d’adaptation, d’actualisation et d’application se réalise déjà dans la Bible elle-même.

Deux traductions du Psaume 23

Deux traductions du Psaume 23 peuvent illustrer ce phénomène de réception. La première est faite sur l’hébreu, selon le texte transmis par la tradition massorétique.

 

 

Psaume. De David
 

 
 

I

 
 

1 Le SEIGNEUR est mon berger,  
2 Dans de verts pâturages,  
vers des eaux de repos,  
 

 
 

  je ne manque de rien.
  il me fait coucher,
  il me mène. 
 

 
 

3 Ma vie il restaure, il me conduit sur des sentiers de justice, à cause de son nom.
 

 
 

II

 
 

4 Même si je marchais dans une vallée de ténèbres,  
car tu serais avec moi,  
5 Tu dresserais devant moi une table,  
après avoir enduit d’huile ma tête,  
 

 
 

  je ne craindrais aucun mal,
  ton bâton et ton appui, ils me réconforteraient.
  face à mes adversaires,
  ma coupe déborderait.
 
 

 
 

III

 
 

6 Uniquement bonté et gentillesse me poursuivront  
et je reviendrai à la maison du SEIGNEUR 
 

 
 

  tous les jours de ma vie,
  au long de mes jours 
 

 

 

Le texte est structuré en demi-versets, avec une irrégularité au verset 3. En plus, le texte est divisé en trois parties (I, II et III) qui correspondent à trois étapes dans la lecture. En plus, chacune des deux premiers parties comportent un niveau métaphorique et un niveau concret (v. 1-2 et 3 ; v. 4 et 5).

On commence au présent (I). L’auteur ou, comme le titre le prétend, David, décrit une situation idéale, qui est bien établie. Le seigneur est mon berger, je ne manque de rien, il me fait coucher, il me mène, il restaure et il conduit (v. 1-3). Tous les verbes sont au présent, ce qui signifie: «Celui qui parle va bien.»

Après ce premier passage, nous avançons vers un second, introduit par «même si» (II). Avec ces deux petits mots, nous sommes confrontés à une restriction concessive. Le «même si», au début du v. 4, a une fonction d’avertissement: «Attention!» Car on se trouve, comme lecteur, face à un changement de mode d’expression, à une construction hypothétique: «Même si je marchais». Cette restriction sera immédiatement enlevée par plusieurs déclarations de foi: «Je ne craindrais aucun mal, tu serais avec moi, ton bâton et ton appui me réconforteraient, tu dresserais, ma coupe déborderait» (v. 4-5).

Celui qui parle dans le Psaume 23 affirme sa conviction que le berger ne le quittera jamais et, en plus, qu’il le protégera par son bâton et par sa houlette. Voilà, l’accentuation du texte hébraïque: la protection.

Dans le dernier passage (III), le psalmiste quitte la construction hypothétique et formule deux confessions qui s’inscrivent à la fois dans le présent et dans un futur encore ouvert: «… tous les jours de ma vie» (encore à venir), «… au long de mes jours» (v. 6). Au lieu des adversaires, le psalmiste ne se voit poursuivi que par bonté et gentillesse.

En résumé, dans le texte hébreu du Psaume 23, on rencontre quelqu’un, David comme figure exemplaire, qui parle d’un bon présent, qui exclut d’avoir peur de toute calamité imaginée et qui veut revenir régulièrement au Temple. Il a fait l’expérience du mal, c’est pourquoi il est plein de reconnaissance, et il promet d’exprimer sa gratitude régulièrement au culte.

Petit détail important pour la suite de notre réflexion: au v. 4, le mot hébreu tsalmavet est rendu par «ténèbres» et non pas par «ombre de mort». Des termes composés - comme par exemple l’allemand Todesschatten - n’existent pas dans les langues sémitiques. Métaphoriquement, le terme hébreu peut se référer à la mort ou à l’enfer, mais pas littéralement: tsalmavet ce sont des ténèbres profondes.

Voici une deuxième traduction qui correspond à celle de la version grecque du Psaume 23, celle de la Bible d’Alexandrie qu’on appelle aussi la Septante. Dans cette Bible, il porte le numéro 22, comme dans plusieurs recueils liturgiques chrétiens postérieurs.

 

 

Un psaume, relatif à David
 

 
 

I

 
 

1 Le Seigneur me paît, 
2 Dans un endroit de verdure fraîche, 
près de l’eau de calme 
 

 
 

 et rien ne me manquera.
 là, il m’a installé,
 il m’a soigné.

 
 

3 Mon âme il l’a ramenée, il m’a mené sur des sentiers de justice à cause de son nom.
 

 
 

II

 
 

4 Car même si je vais dans l’ombre de la mort, 
parce que toi, tu es avec moi, 
5 Tu as préparé une table devant moi 
tu as oint d’huile ma tête, 

 

 
 

 je ne craindrai pas de mal,
  ton bâton et ta houlette, ils m’ont encouragé.
  face à ceux qui m’affligent,
  et ta coupe était enivrante au mieux.

 

 
 

III

 
 

6 Et ta charité me suivra  
et ma demeure sera dans la maison du Seigneur  
 

 
 

 tous les jours de ma vie,
 dans la longueur des jours.
 

 

 

Ici, la structure est un peu différente. On reconnaît encore une fois les trois parties. En lisant la première, on commence par le présent, «le Seigneur me paît», puis on continue par le futur, «rien ne me manquera» (v. 1), et finalement, le psalmiste se réfère à un passé où il a été installé, soigné, où son âme était ramenée et il était mené sur des sentiers de justice (v. 2-3).

Cette même suite de références temporelles apparaît dans la deuxième partie, avec de légères variantes. On commence par le présent, «même si je vais»; puis, on continue par le futur, «je ne craindrai pas de mal» (v. 4) ; et finalement, après un autre présent, on arrive à un passé évoqué par «ils m’ ont encouragé, tu as préparé, tu as oint, ta coupe était enivrante» (v. 5).

On voit donc que, dans la version grecque, les deux premières parties du psaume sont en parallèle. La situation visée par les mots «car même si» (v. 4) correspond à un événement au présent: « je vais dans l’ombre de la mort». Le psalmiste fonde sa confiance sur le fait que Dieu a déjà, par avance, assuré sa protection: « tu as préparé … tu as oint» (v. 5).

La troisième partie du psaume se rapporte au futur: «Et ta charité me suivra tous les jours de ma vie, et ma demeure sera dans la maison du Seigneur dans la longueur des jours» (v. 6).

Ce qui est différent dans cette version, c’est le terme utilisé au v. 4 à la place des «ténèbres». En grec c’est clairement «l’ombre de la mort». Correspondant à cette expression et à ce sujet, on trouve dans la dernière phrase (v. 6) l’attente d’une demeure permanente dans la maison du Seigneur et pas seulement la promesse d’y retourner régulièrement comme on l’a lu dans la traduction du texte hébreu. C’est donc, dans la tradition grecque, une attente qui porte vers l’au-delà des limites de la vie, une idée qui est présente au moins dans deux autres psaumes (Ps 49,16 ; 73,23-24).

Pour conclure, je reprends encore une fois les thèmes des deux images présentées au début de cet exposé: la protection et la proximité. Toutes les deux reflétaient une situation de danger de vie. Dans le Psaume 49, on trouve au verset 15 l’idée suivante: «Ils sont parqués aux enfers comme des brebis; la Mort les mène paître». La Mort est le berger des défunts qui la suivent comme des brebis. Et tout d’un coup, on comprend l’orientation stratégique de la confession: C’est le Seigneur qui est mon berger et nul autre, certainement pas la mort. Car, écoute: le Seigneur est un et c’est lui le berger, dans cette vie et, selon la tradition grecque, même après.


Le Psaume 23 (22) dans la tradition catholique

par Raymond Kuntzmann, professeur émérite de Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg

La lecture de ce psaume ramène à mon esprit un petit événement de mon existence. Jeune vicaire, j’assurai le culte d’une paroisse d’été en Bretagne, et ma chorale privilégiait, allez savoir pourquoi, le chant du Ps. 23 comme entrée pour l’eucharistie. À la fin d’une messe, une dame élégante vint à la sacristie pour se plaindre: «Mon Père, à force de chanter ce psaume, vous allez faire de nous des moutons qui broutent !»

Depuis ce temps-là, ce psaume me poursuit: nous invite-t-il essentiellement à brouter, fut-ce devant le Seigneur? Voici quelques pensées de l’exégète de métier et du catholique célébrant que je suis, sous la forme de flashes, compte tenu des limites de cette intervention.

La traduction liturgique du Psaume 23

Voici tout d’abord le texte du Psaume 23 tel que les Catholiques le prient ou le chantent dans leur démarche centrale, la liturgie.

1. Le Seigneur est mon berger: je ne manque de rien.


2. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles


3. et me fait revivre;

Il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.


4. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,

Car tu es avec moi: ton bâton me guide et me rassure.


5. Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis;

Tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.


6. Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie;

J’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.

La traduction liturgique de ce psaume, comme celle des autres, suit un texte latin mis au point par saint Jérôme à partir de l’an 387 à Bethléem et dénommé le «Psautier gallican». Répandue en Gaule dès le 9e siècle, cette traduction est étendue à toute l’Eglise par le pape saint Pie V vers 1570.

Toutefois, une nouvelle traduction critique visant la clarté et la correction s’éloigne délibérément de ce texte traditionnel; elle est approuvée par le Pape Pie XII le 24 mars 1945. Oeuvre de six membres de l’Institut Pontifical Biblique, c’est elle que le Pape impose à l’Eglise par un décret qui s’intitule très justement In quotidianis precibus, «Pour les prières quotidiennes».

Le Psaume 23 usuel vient de cette traduction, qui respecte pour l’ensemble l’original hébreu, avec l’une ou l’autre insistance:

– Au v. 4, le texte hébreu parle de «ténèbres» et notre version, avec la traduction grecque ancienne, dit «ombre de la mort» et ajoute la parole rassurante «Car tu es avec moi».

– Au. v. 5, l’hébreu parle de la coupe qui «déborde» évitant la «coupe enivrante» de la Vulgate latine, qui suit un texte araméen possible.

– Au v. 6, enfin, en place de l’hébreu «je retournerai» (chavetî) qui fait songer à un vœu de pèlerin, notre texte liturgique propose «j’habiterai», d’après le grec «pour me faire demeurer (kai to katoikein me) en la maison du Seigneur».

Ces fidélités à la grande traduction grecque des Septante sont précieuses et orientent souterrainement la prière chrétienne du Psaume 23: là où, selon une interprétation courante, le psalmiste hébreu évoque la marche du retour d’exil (et les références à d’autres textes du Premier Testament vont en ce sens), la prière chrétienne installe déjà le fidèle dans la maison du Seigneur en tant qu’invité à son festin.

L’utilisation liturgique du Psaume 23

Les occasions de prière pour lesquelles le Psaume 23 est utilisé sont aisées à établir: il suffit de parcourir les livres de prière et de liturgie. En voici un relevé représentatif:

– Tout d’abord c’est un psaume à tout usage, si l’on peut dire: la confiance qu’il exprime s’adapte à bien des situations de prières privées ou publiques. Il en était ainsi du souvenir évoqué au début de cet exposé.

– Ce psaume parsème également la Prière des heures, encore appelée «bréviaire». J’ai relevé que l’usage du Psaume 23 occupe surtout les Nones, le petit office de l’après-midi.

– Plus impressionnante est l’utilisation liturgique proprement dite du Psaume 23. Il est généralement sollicité comme prière «graduelle», celle qui se chante après les premières lectures des liturgies de la Parole. C’est d’ailleurs l’un ou l’autre thème de ces lectures qui se développe généralement dans le psaume: (1) le mercredi de la 1ère semaine de l’Avent juste après la lecture d’Isaïe 25,6-20 (le festin que le Seigneur prépare sur sa sainte montagne); (2) le dimanche de la 2e semaine, à Nones, ainsi que le dimanche de la 4e semaine à la même heure; (3) le samedi de la 4e semaine du temps ordinaire, juste avant le récit de la multiplication des pains dans l’Évangile de Marc 6,30-34 qui montrent les foules semblables à des brebis sans berger; (4) le mercredi de la 20esemaine après la lecture de Tite 3,1-7 sur le bain du baptême; (5) enfin le lundi de la 5e semaine de Carême, sans lien apparent avec son contexte (histoire de Suzanne dans le Livre du prophète Daniel). Le Psaume 23 remplit à merveille sa fonction d’une prière prolongeant le texte saint qui vient d’être lu.

– Il est encore un dernier lieu où le Ps 23 trouve son insertion: la liturgie des sacrements, essentiellement le baptême et l’eucharistie. Nous y reviendrons.

Un psaume appliqué au Christ

Dans les prières et les rites chrétiens évoqués ci-haut, le Psaume 23, tiré de la Bible hébraïque se fonde sur la prière juive; mais il la déploie vers le mystère de Jésus Christ. C’est dans cette application qu’il faut voir la spécificité de la prière chrétienne et catholique du Psaume 23. Les chrétiens ont reçu ce psaume dans leur héritage, tout en orientant ses affirmations vers Jésus le Christ en qui, à leurs yeux, toute l’Écriture s’accomplit.

C’est le Ressuscité lui-même qui a ouvert le chemin de cette actualisation. Ainsi dit-il aux disciples d’Emmaüs: «Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire. Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait» (Luc 24,26-27). Et un peu plus loin, il dit encore à tous les disciples réunis: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j’étais encore avec vous: il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes» (Luc 24,44). Les Psaumes, bien que recouvrant sans doute cette troisième partie du Premier Testament qu’on nomme les Écrits, sont donc considérés comme des prophéties du mystère du Christ.

Cette orientation christologique a été favorisée, il faut le dire, par le peu de poids du contexte historique évoqué par les psaumes en général et le Psaume 23 en particulier: l’en-tête, «Psaume de David» (mizmor le-David), ne dit rien de très précis de l’histoire évoquée par le Psaume 23. On a débattu de cette absence d’horizon historique et la discussion reste ouverte. La prière attribuée à David fut donc disponible à bien des utilisations dans les situations chrétiennes.

L’orientation du Psaume 23 vers les sacrements du baptême et de l’eucharistie

Dans cette optique, l’orientation chrétienne actuelle du Psaume 23 vers l’eucharistie et vers le baptême s’explique aisément. Elle commence par les Évangiles eux-mêmes. Selon l’Évangile de Marc (6,30 et suivants) dans le cadre de la multiplication des pains, Jésus voit les foules fatiguées et en a pitié car «elles étaient comme des brebis sans berger», il les mène au repos, les fait asseoir sur l’herbe verte. Ces indications renvoient au Psaume 23 et mettent en relief Jésus comme berger-messie nourrissant les siens. L’évangile de Jean, par la parabole du Bon Berger (Jean 10), pousse plus loin cette identification. La parole est connue et on y vérifie facilement l’influence du Psaume 23.

Aux trois premiers siècles chrétiens, le Psautier, surtout dans la traduction grecque des Septante, fut la source principale des prophéties utilisées par l’apologétique ou la pastorale. Un Père de l’Église, Diodore de Tarse (4e siècle), reste proche de la lecture juive: «Ce psaume est dit des Juifs de retour de Babylone», dit-il. «En effet, puisque, après que le roi Cyrus les eut laissé partir, ils ont retrouvé leur bien dans un grand état de prospérité» 3. Selon lui, donc, ce psaume doit être lu comme le «Nouvel Exode» en lien avec l’exil.

Cependant, l’essentiel des lectures patristiques applique le Psaume 23 au baptême et à l’eucharistie. Psaume baptismal par excellence (les «eaux du repos» données comme les eaux du baptême) ce psaume se trouve aujourd’hui lors des célébrations du catéchuménat (ultime préparation, 2e scrutin), puis au baptistère même, juste avant la bénédiction des eaux et le baptême proprement dit. Il est aussi utilisé lors de l’ordination des prêtres après une lecture tirée du livre des Nombres rappelant l’Esprit imposé aux anciens (Nombres 11,11-25).

À ces emplois codifiés, il faut ajouter le chant de ce psaume au gré des nombreuses eucharisties célébrées de par le monde et fondées sur de multiples associations déjà apparentes dans la littérature patristique.

Un Père de l’Église, Cassiodore (5e siècle), à la suite du grand Origène, présente le psalmiste comme un chrétien modèle, en détaillant les affirmations du Psaume 23 comme suit. Le «berger» est identifié à Jésus, les «eaux du repos» représentent le baptême et le «parfum» le don du Saint Esprit reçu». Les «prés d’herbe fraîche» sont l’Église du Christ, tandis que «l’ombre de la mort» et les «adversaires» renvoient aux hérétiques et aux schismatiques. La «table dressée» est celle du corps du Christ, la «coupe débordante», c’est le sang du Christ. Le passage des «ravins de la mort» signifie l’entrée dans la maison du Père pour la vie éternelle, et la «maison du Seigneur» est assimilée à la Jérusalem future4.

L’art chrétien a su également illustrer avec bonheur, telle une Bible visuelle, le thème du Bon Berger, à preuve la représentation du Bon Pasteur de la Catacombe de Domitille présentée par ma collègue. Le texte du début du Psaume 23, psaume de l’initiation chrétienne, se retrouve inscrit, lui, dans beaucoup de baptistères anciens (Latran, Naples, Ravenne, Vatican). Il faudrait encore mentionner les miniatures du Bon Pasteur dans les psautiers anciens et de nombreuses exploitations de la symbolique de ce psaume.

Prier le Psaume 23: un «être-avec»

Il est évident que les communautés catholiques contemporaines très familières du Psaume 23 ne donnent généralement pas, sauf incitation spécifique du maître de chœur, dans ces déploiements symboliques. Elles sont là pour prier, et leur chant dévoile une approche intime de Dieu, auteur de son bonheur, et de son Christ, président de sa table sainte.

Dans cette perspective la communauté actuelle acclame à la fois le Père créateur et le Christ son berger. Le Psaume est nettement divisé en deux parties: le Seigneur berger-guide et protecteur du fidèle (v. 2 à 4) et le Seigneur-hôte qui dresse la table pour son fidèle (v. 5-6). Le fil rouge qui sous-tend ces deux parties est une confiance sereine, pour ne pas dire enthousiaste quand le chant est bien enlevé.

Voilà qui explique le choix fréquent de ce psaume comme chant d’entrée: il ne nous fait pas brouter, mais nous établit comme un «être-avec» le Seigneur, d’une grande intimité, dans nos sacrements essentiels et dans la prière publique ou privée.

 

  1. Source: Musée virtuel du protestantisme français.
  2. Tiré de R. Hunziker-Rodewald, Hirt und Herde, Stuttgart, 2001, p. 228.
  3. Diodore de Tarse, «Commentaire sur le Psaume 22 (23)», traduction française dans «Le Seigneur est mon berger». Le Psaume 22 lu par les Pères, Paris, 2008, p. 47-52.
  4. Cassiodore, «Expositio in Psalmum 23», traduction d’après F. Bouet dans «Le Seigneur est mon berger». Le Psaumes 22 lu par les Pères, p. 79-91.

Remarques de l’éditeur

*Textes préparés pour la publication sur Relations Judéo-Chrétiennes par Paule-Renée Villeneuve et Jean Duhaime.