Le pèlerinage du Pape François et les relations judéo-chrétiennes

Le Pape François a effectué un pèlerinage en Terre Sainte du 24 au 26 mai 2014 à l’occasion du 50e anniversaire de la rencontre à Jérusalem entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Au cours de la dernière journée de son pèlerinage, le Pape François a visité le Grand Mufti de Jérusalem, s’est recueilli au Mur Occidental et au mémorial Yad Vashem. Il a également fait des visites de courtoisie aux deux Grands Rabbins et au Président d’Israël. Compte rendu de ces rencontres chargées de sens pour les relations entre juifs, chrétiens et musulmans.*

Au Grand Mufti de Jérusalem: "Oeuvrons pour la justice et la paix!"

Tôt dans la matinée, le Pape François s’est rendu sur l'esplanade des mosquées, qui occupe une partie du site de l'ancien Temple. Troisième lieu saint de l'Islam, cet espace renferme la mosquée al-Aqsa et le dôme du Rocher, devant lequel il a été accueilli par le Grand Mufti Muhammad Ahmad-Husayn, le Président du Conseil suprême musulman, la plus haute autorité de Jérusalem et de Palestine. Après la visite du monument, le Saint-Père s'est adressé aux représentants de l'Islam:

"Mettant mes pas dans ceux de mes prédécesseurs, et en particulier dans le sillage lumineux du voyage de Paul VI, il y a cinquante ans, le premier d’un pape en Terre Sainte, j’ai vivement désiré venir en pèlerin visiter les lieux qui ont vu la présence terrestre de Jésus-Christ. Mais mon pèlerinage ne serait pas complet s’il ne prévoyait pas aussi la rencontre avec les personnes et les communautés qui vivent ici, et donc je suis particulièrement heureux de me retrouver avec vous, chers amis musulmans."

"Ma pensée va à Abraham, en qui musulmans, chrétiens et juifs reconnaissent, chacun de façon différente, un père dans la foi et un grand exemple à imiter. Il se fit pèlerin, laissant son propre peuple, sa propre maison, pour entreprendre l'aventure spirituelle à laquelle Dieu l’appelait."

"Le pèlerin est une personne qui se fait pauvre, qui se met en route, est tendu vers un but grand et désiré, vit de l’espérance d’une promesse reçue. Telle fut la condition d’Abraham, ce devrait être aussi notre attitude spirituelle. Nous ne pouvons jamais nous estimer auto-suffisants, maîtres de notre vie. Nous ne pouvons nous limiter à rester fermés, sûrs de nos convictions. Devant le mystère de Dieu, nous sommes tous pauvres, nous sentons que nous devons être prêts à sortir de nous-mêmes, dociles à l’appel que Dieu nous adresse, ouverts à l’avenir que lui veut construire pour nous."

"Dans notre pèlerinage terrestre, nous ne sommes pas seuls car nous croisons le chemin d’autres frères. Parfois nous partageons avec eux un bout de chemin, parfois nous vivons ensemble une étape qui nous donne du courage. Telle est la rencontre d’aujourd’hui, et je la vis avec une particulière gratitude: C’est une halte commune heureuse, rendue possible par votre hospitalité, dans ce pèlerinage qu’est notre vie et celle de nos communautés. Nous vivons une communication et un échange fraternels qui peuvent nous donner du réconfort et nous offrir de nouvelles forces pour affronter les défis communs qui se présentent à nous."

"Nous ne pouvons oublier que le pèlerinage d’Abraham a été aussi un appel à la justice: Dieu l’a voulu témoin de son agir et son imitateur. Nous aussi nous voudrions être témoins de l’agir de Dieu dans le monde et pour cela, justement dans notre rencontre, nous entendons résonner en profondeur l’appel à être artisans de paix et de justice, à demander ces dons dans la prière et à apprendre d’en-haut la miséricorde, la grandeur d’âme, la compassion."

"Chers amis, de ce lieu saint, je lance un appel pressant à toutes les personnes et aux communautés qui se reconnaissent en Abraham: Respectons-nous et aimons-nous les uns les autres comme des frères et des sœurs. Apprenons à comprendre la douleur de l’autre. Que personne n’instrumentalise par la violence le Nom de Dieu. Oeuvrons donc ensemble pour la justice et pour la paix!".

Au Mur Occidental et à Yad Vashem: "Adam, où es-tu?"

Après sa visite aux Autorités musulmanes de Jérusalem, le Pape François est descendu au Mur Occidental, lieu de prière fondamental pour les Juifs. Accompagné du rabbin en charge du sanctuaire, il s'est recueilli avant de glisser un papier dans un interstice de la muraille, comme l'avaient fait Jean-Paul II et Benoît XVI. Le Saint-Père a confié avoir copié le Pater en espagnol, comme il l'avait appris de sa mère. Il a également donné une longue accolade à ses deux compagnons de voyage, le rabbin Abraham Skorka, recteur du Séminaire rabbinique latino-américain de Buenos Aires et l’imam Omar Abboud, président musulman de l'Institut pour le Dialogue Interreligieux de la capitale argentine.

Ensuite, le Pape François a gagné le Mont Herzl. Avant de parvenir au cimetière national du Mont Herzl, il a fait un détour pour se recueillir brièvement devant la plaque commémorant les victimes du terrorisme. Au cimetière national, il a honoré la tombe de Theodore Herzl, le fondateur du Mouvement Sioniste (1897), comme c’est maintenant la coutume lors des visites officielles en Israël.

Peu après, le Pape François s'est rendu au Mémorial Yad Vashem, construit en 1953 pour commémorer les victimes de la Shoah. En présence du Président Shimon Peres et du rabbin président de la fondation du Yad Vashem, il a ravivé la flamme du souvenir et déposé une couronne de fleurs. Puis il a proposé une réflexion sur la souffrance humaine et les structures du péché:

" 'Adam, où es-tu?' (voir Genèse 3, 9) Où es-tu, homme? En ce lieu, mémorial de la Shoah, nous entendons résonner cette question de Dieu: 'Adam, où es-tu?' Dans cette question il y a toute la douleur du Père qui a perdu son fils. Connaissant le risque de la liberté, le Père savait que le fils aurait pu se perdre. Mais peut-être, pas même le Père ne pouvait imaginer une telle chute, un tel abîme! Ce cri 'Où te trouves-tu?' ici, en face de la tragédie incommensurable de l’Holocauste, résonne comme une voix qui se perd dans un abîme sans fond."

"Homme, qui es-tu? Je ne te reconnais plus. Qui es-tu, homme? Qu’es-tu devenu? De quelle horreur as-tu été capable? Qu’est-ce qui t’a fait tomber si bas? Ce n’est pas la poussière du sol, dont tu es issu. La poussière du sol est une chose bonne, œuvre de mes mains. Ce n’est pas l’haleine de vie que j’ai insufflée dans tes narines. Ce souffle vient de moi, c’est une chose très bonne (voir Genèse 2, 7). Non, cet abîme ne peut pas être seulement ton œuvre, l’œuvre de tes mains, de ton cœur. Qui t’a corrompu? Qui t’a défiguré? Qui t’a inoculé la présomption de t’accaparer le bien et le mal? Qui t’a convaincu que tu étais dieu? Non seulement tu as torturé et tué tes frères, mais encore tu les as offerts en sacrifice à toi-même, parce que tu t’es érigé en dieu. Aujourd’hui, nous revenons écouter ici la voix de Dieu: 'Adam, où es-tu?'"

"Du sol s’élève un gémissement étouffé: Prends pitié de nous, Seigneur. À toi, Seigneur notre Dieu, la justice, à nous le déshonneur au visage, la honte (voir Baruch 1, 15). Un mal jamais survenu auparavant sous le ciel s’est abattu sur nous (voir Baruch 2, 2)."

"Maintenant, Seigneur, écoute notre prière, écoute notre supplication, sauve-nous par ta miséricorde. Sauve-nous de cette monstruosité. Seigneur tout-puissant, une âme dans l’angoisse crie vers toi. Écoute, Seigneur, prends pitié. Nous avons péché contre toi. Tu règnes pour toujours (voir Baruch 3, 1-2)."

"Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie."

"Jamais plus, Seigneur, jamais plus! 'Adam, où es-tu?' "

"Nous voici, Seigneur, avec la honte de ce que l’homme, créé à ton image et à ta ressemblance, a été capable de faire. Souviens-toi de nous dans ta miséricorde".

Après cette méditation, le Pape s'est entretenu avec quelques survivants de la Shoah et a signé le livre d'or du Mémorial, après y avoir écrit: "Avec la honte de ce que l'homme, créé à l'image de Dieu, a été capable de faire. Avec la honte de ce que l'homme ait pu se faire maître du mal. Avec la honte de ce que l'homme, se croyant Dieu, ait pu sacrifier ses semblables. Jamais plus cela, jamais plus!"

Aux Grands Rabbins: "Notre amitie est un des fruits du concile"

La visite de courtoisie du pape François aux deux Grands Rabbins a eu lieu au siège du Grand Rabbinat d’Israël, le Centre Hechal Schlomo. Les grands rabbins Yona Metzger (ashkénaze) et Schlomo Amar (séfarade) avaient rencontré Benoît XVI lors de son pèlerinage de 2009.

Après un bref entretien privé, le Pape s'est adressé aux personnalités réunies à l'Hechal Schlomo, qu'il a remercié de leur chaleureux accueil, avant de rappeler que lorsqu'il était Archevêque de Buenos Aires il avait pu compter sur l'amitié de nombreux frères juifs:

"Ensemble nous avons organisé de fructueuses initiatives de rencontre et de dialogue, et j’ai vécu aussi avec eux des moments significatifs de partage sur le plan spirituel. Dans les premiers mois du pontificat j’ai pu recevoir diverses organisations et différents représentants du judaïsme mondial. Comme déjà pour mes prédécesseurs, ces demandes de rencontre sont nombreuses. Elles s’ajoutent à beaucoup d’initiatives qui ont lieu à l’échelle nationale ou locale, et tout cela montre le désir réciproque de mieux se connaître, de s’écouter, de construire des liens de fraternité authentique."

"Ce chemin d’amitié représente un des fruits de Vatican II, en particulier de la déclaration Nostra Aetate, qui a eu tant de poids et dont nous fêterons l’an prochain le cinquantième anniversaire. En réalité, je suis convaincu que tout ce qui est arrivé ces dernières décennies dans les relations entre juifs et catholiques a été un authentique don de Dieu, une des merveilles qu’il a accomplies, pour lesquelles nous sommes appelés à bénir son nom: 'Rendez grâce au Seigneur des Seigneurs, éternel est son amour. Lui seul a fait de grandes merveilles, éternel est son amour.' (Psaume 136, 3-4)."

"Un don de Dieu qui, toutefois, n’aurait pas pu se manifester sans l’engagement de très nombreuses personnes courageuses et généreuses, tant juives que chrétiennes. Je désire en particulier faire mention ici de l’importance qu’a eu le dialogue entre le Grand Rabbinat d’Israël et la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le Judaïsme. Un dialogue qui, inspiré par la visite du saint Pape Jean-Paul II en Terre Sainte, commença en 2002 et en est désormais à sa douzième année d’existence. J’aime penser, en référence au Bar Mitzvah de la tradition juive, qu’il est maintenant proche de l’âge adulte. J’ai confiance qu’il puisse continuer et qu’il a un avenir lumineux devant lui".

"Il ne s’agit pas seulement d’établir, sur un plan humain, des relations de respect réciproque. Nous sommes appelés, comme chrétiens et comme juifs, à nous interroger en profondeur sur la signification spirituelle du lien qui nous unit. Il s’agit d’un lien qui vient d’en-haut, qui dépasse notre volonté et qui demeure intact, malgré toutes les difficultés de relations malheureusement vécues au cours de l’histoire."

"Du côté catholique, il y a certainement l’intention de considérer pleinement le sens des racines juives de sa propre foi. J’ai confiance, avec votre aide, que se maintienne également du côté juif, et si possible s’accroisse, l’intérêt pour la connaissance du christianisme, également sur cette terre bénie où il reconnaît ses propres origines, et spécialement parmi les jeunes générations."

"La connaissance réciproque de notre patrimoine spirituel, l’appréciation pour ce que nous avons en commun et le respect devant ce qui nous divise, pourront servir de guide dans le développement futur de nos relations, que nous remettons entre les mains de Dieu. Ensemble nous pourrons donner une grande contribution à la cause de la paix. Ensemble nous pourrons témoigner, dans un monde en rapide transformation, la signification éternelle du plan divin de la création; ensemble nous pourrons contrer avec fermeté toute forme d’antisémitisme et les diverses autres formes de discrimination. Que le Seigneur nous aide à marcher avec confiance et force d’âme dans ses voies. Shalom!".

Au Président d'Israël: "Que Jérusalem soit la ville de la paix!" 

Le Pape François et le Président de l'État d’Israël, M. Shimon Peres, se sont rencontrés au palais présidentiel. Au cours de cette rencontre privée empreinte d'une grande cordialité, le Saint-Père a dit au Président qu'il souhaitait ajouter une béatitude de son imagination à celles existantes: "Bienheureux celui qui entre dans la maison d'un homme sage et bon", expliquant que c'est ainsi qu'il se sentait à cet instant.

Ensuite, tous deux se sont dirigés vers le jardin du palais pour planter ensemble un olivier, symbole de la paix. Puis la rencontre publique a eu lieu, sur une estrade où les attendait une centaine d'enfants de diverses religions.

Après avoir remercié le Président Peres de son accueil, le Saint-Père s'est dit "heureux de pouvoir le rencontrer à nouveau ici à Jérusalem, ville qui abrite les lieux saints chers aux trois grandes religions qui adorent le Dieu qui a appelé Abraham. Les lieux saints ne sont pas des musées ou monuments pour touristes, mais des lieux où les communautés des croyants vivent leur foi, leur culture, leurs initiatives caritatives. Aussi doit-on perpétuellement les sauvegarder dans leur sacralité, protégeant ainsi non seulement l’héritage du passé mais aussi les personnes qui les fréquentent aujourd’hui et les fréquenteront dans l’avenir."

"Que Jérusalem soit vraiment la ville de la paix! Que resplendissent pleinement son identité et son caractère sacré, sa valeur religieuse et culturelle universelle, comme trésor pour toute l’humanité! Comme c’est beau quand les pèlerins et les résidents peuvent accéder librement aux lieux saints et participer aux célébrations!".

"Monsieur le Président, vous êtes connu comme un homme de paix et un artisan de paix, auquel j'exprime ma reconnaissance et mon admiration. La construction de la paix exige avant tout le respect pour la liberté et la dignité de chaque personne humaine, que juifs, chrétiens et musulmans croient également être créée par Dieu et destinée à la vie éternelle. A partir de ce point ferme que nous avons en commun, il est possible de poursuivre l’engagement pour une solution pacifique aux controverses et aux conflits. À cet égard, je renouvelle le souhait que soient évités de la part de tous des initiatives et des actes qui contredisent la volonté déclarée de parvenir à un véritable accord et qu’on ne se lasse pas de poursuivre la paix avec détermination et cohérence.

"Il faut repousser avec fermeté tout ce qui s’oppose à la recherche de la paix et d’une cohabitation respectueuse entre juifs, chrétiens et musulmans: le recours à la violence et au terrorisme, à tout genre de discrimination pour des motifs raciaux ou religieux, la prétention d’imposer son propre point de vue aux dépens des droits d’autrui, l’antisémitisme sous toutes ses formes possibles, tout comme la violence ou les manifestations d’intolérance contre des personnes ou des lieux de culte juifs, chrétiens et musulmans".

Le Saint-Père a aussi rappelé que dans l'État d’Israël "diverses communautés chrétiennes vivent et travaillent. Elles sont partie intégrante de la société et participent à part entière à ses affaires civiles, politiques et culturelles. Les fidèles chrétiens désirent apporter, à partir de leur propre identité, leur contribution au bien commun et à la construction de la paix, comme citoyens de plein droit qui, en rejetant tout extrémisme, s’engagent à être des artisans de réconciliation et de concorde. Leur présence et le respect de leurs droits, comme du reste des droits de toute autre dénomination religieuse et de toute minorité, sont la garantie d’un sain pluralisme et la preuve de la vitalité des valeurs démocratiques, de leur réel enracinement dans la praxis et dans le concret de la vie de l’État".

"Monsieur le Président, sachez que je prie pour vous et je sais que vous priez pour moi. Je vous assure de ma prière pour les institutions et pour tous les citoyens d’Israël. De manière particulière, j’assure de ma constante supplication à Dieu pour l’obtention de la paix et avec elle des biens inestimables qui lui sont étroitement liés, tels que la sécurité, la tranquillité de vie, la prospérité, et la meilleure de toutes, la fraternité. Je tourne enfin ma pensée vers tous ceux qui souffrent à cause des conséquences des crises encore ouvertes dans la région moyen-orientale, afin que, le plus tôt possible, ils soient soulagés de leurs peines grâce à un règlement honorable des conflits. Paix sur Israël et dans tout le Proche et Moyen Orient! Shalom!". 

Remarques de l’éditeur

* Adaptation par Jean Duhaime, d’après les dépêches du Service d’information du Vatican : http://www.vis.va.

Les discours du pape sont disponibles sur le site du Vatican :

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/travels/2014/outside/documents/papa-francesco-terra-santa-2014.html

Des vidéos sont également disponbiles sur le site de Radio-Vatican :

http://fr.radiovaticana.va