Le pape François à la communauté juive de Slovaquie: «Vos souffrances sont nos souffrances»

Au cours d’une rencontre avec la communauté juive de Slovaquie, à Bratislava le 13 septembre 2021, le pape François a rappelé les souffrances endurées par les juifs slovaques pendant l’Holocauste et il a encouragé les juifs et les chrétiens à s’unir pour condamner la violence et l’antisémitisme. Compte rendu de la rencontre et discours du pape François.

Le pape François a rencontré environ 180 membres de la communauté juive sur la place Rybné, qui se trouve juste au nord du Danube, dans le quartier de la vieille ville de Bratislava. Cette place faisait partie de l’ancien quartier juif de la ville.

La première mention de la communauté juive dans la ville remonte à 1251. En 1930, 15 000 Juifs vivaient à Bratislava, qui comptait alors une population totale de 120 000 habitants. À la fin des années 1930, la communauté est menacée par des émeutes antisémites et des attaques contre des synagogues. L’État slovaque, créé en mars 1939, a également introduit des mesures discriminatoires à l’encontre de la minorité juive.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, presque tous les Juifs de Bratislava ont été déportés dans des camps de concentration ou des camps de travail. Environ 11 500 des plus de 15 000 Juifs vivant alors dans la ville ont été assassinés pendant l’Holocauste. Aujourd’hui, Bratislava compte la plus grande communauté juive de Slovaquie, soit environ 500 personnes.

La rencontre de la place Rybné se déroulait tout près du Mémorial de l’Holocauste, érigé en 1996 sur le site d’une synagogue détruite en 1969. Sur le mur noir, gravé d’une silhouette de la synagogue, sont inscrits les mots hébreu et slovaque pour «se souvenir»: «Zachor» et «Pamätaj».

Deux témoignages

Après un mot de bienvenue de M. Richard Duda, Président de l’Union centrale des communauté juives de Slovaquie, le pape François a entendu le témoignage de l’un des quelque 3 500 survivants de l’Holocauste en Slovaquie, le professeur Tomáš Lang, âgé de 79 ans.

Né en mai 1942, M. Lang a été sauvé de l’Holocauste par des infirmières qui l’ont caché, lui et d’autres enfants, dans une salle d’hôpital après la mort de son père au combat en Ukraine et de sa mère lors d’une marche de la mort en Allemagne. Les infirmières ont écrit les noms de maladies infectieuses sur les portes des salles pour dissuader les hommes armés d’entrer. L’hôpital a ensuite été bombardé et seuls 15 enfants et une infirmière ont survécu.

M. Lang, qui a déclaré être marié depuis 55 ans, avoir deux enfants et six petits-enfants, a expliqué qu’il avait toujours regretté de ne pas pouvoir retrouver l’infirmière pour la remercier. «Je suis de la génération qui a survécu grâce à des gens courageux qui n’ont pas capitulé face au mal et qui, au péril de leur vie, nous ont cachés jusqu’à la libération», a-t-il déclaré. «Depuis 20 ans, je me consacre à l’histoire de la Shoah dans le sud de la Slovaquie. J’écris un mémento pour l’avenir, afin que le passé ne se reproduise plus jamais.»

Une religieuse ursuline, Sœur Samuela, a également pris la parole lors de l’événement. Elle a rappelé de plusieurs cas où, durant la guerre, sa congrégation a réussi à cacher des enfants et des adultes juifs en Slovaquie, leur sauvant la vie. «Nous sommes reconnaissants que nos sœurs – qui ont perçu le caractère sacré de chaque être humain, créé à l’image de Dieu – aient eu la grâce de faire quelque chose pour sauver la vie de ces personnes», a-t-elle ajouté.

Discours du pape François

Le pape François s’est ensuite adressé à l’assemblée, se faisant solidaire des souffrances de la communauté juive et invitant juifs et chrétiens à condamner toute violence et toute forme d’antisémitisme, et à vivre en frères qui se respectent, s’aiment et collaborent. Voici le texte de son discours.

«Chers frères et sœurs, bonsoir!

Je vous remercie pour vos paroles de bienvenue et pour les témoignages que vous avez donnés. Je suis ici en pèlerin pour toucher ce lieu et en être touché. La place où nous nous trouvons est très significative pour votre communauté. Elle maintient vivant le souvenir d’un riche passé: pendant des siècles elle a fait partie du quartier juif. Le célèbre rabbin Chatam Sofer a travaillé ici. Il y avait là une synagogue, juste à côté de la Cathédrale du Couronnement. L’architecture, comme cela a été dit, signifiait la cohabitation pacifique des deux communautés, symbole rare et d’une grande portée évocatrice, signe merveilleux d’unité au nom du Dieu de nos pères. Comme beaucoup d’entre eux, je ressens ici moi aussi le besoin d’ “enlever mes sandales”, parce que je me trouve dans un lieu béni par la fraternité des hommes au nom du Très-Haut.

Par la suite, cependant, le nom de Dieu a été déshonoré: dans la folie de la haine, durant la seconde guerre mondiale, plus de cent mille juifs slovaques ont été tués. Et puis, lorsqu’on a voulu effacer les traces de la communauté, la synagogue a été détruite. Il est écrit: «Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu» (Exode 20, 7). Le nom divin, c’est-à-dire sa réalité personnelle, est prononcé en vain lorsqu’on viole la dignité unique et irremplaçable de l’homme, parce que le pire blasphème que l’on puisse lui faire est de l’utiliser pour ses intérêts, au lieu de respecter et d’aimer les autres. Ici, devant l’histoire du peuple juif, marquée par cet affront tragique et indescriptible, nous avons honte de l’admettre: combien de fois le nom ineffable du Très-Haut a été utilisé pour commettre des actes indicibles d’inhumanité! Combien d’oppresseurs n’ont-ils pas déclaré: “Dieu est avec nous”; mais c’était eux qui n’étaient pas avec Dieu.

Chers frères et sœurs, votre histoire est notre histoire, vos souffrances sont nos souffrances. Pour certains parmi vous, ce Mémorial de la Shoah est l’unique lieu où vous pouvez honorer la mémoire de vos proches. Moi aussi, je m’unis à vous. Sur le Mémorial est inscrit en hébreu “Zachor”: “Souviens-toi !”. La mémoire ne peut et ne doit pas céder la place à l’oubli, parce qu’il ne pourra pas y avoir une aube de fraternité durable sans que l’on ait d’abord partagé et dissipé les obscurités de la nuit. La question du prophète résonne aussi pour nous: «Veilleur, où en est la nuit?» (Isaïe 21, 11). Voici venu pour nous le temps où on ne peut pas obscurcir l’image de Dieu qui resplendit dans l’homme. Aidons-nous en cela. Car, aujourd’hui encore, les vaines et fausses idoles, qui déshonorent le nom du Très-Haut, ne manquent pas. Ce sont celles du pouvoir et de l’argent qui prévalent sur la dignité de l’homme, de l’indifférence qui détourne le regard, des manipulations qui instrumentalisent la religion en en faisant une question de suprématie ou en la réduisant à l’insignifiance. Ce sont encore l’oubli du passé, l’ignorance qui justifie tout, la colère et la haine. Soyons unis – je le répète – dans la condamnation de toute violence, de toute forme d’antisémitisme, et dans notre engagement pour que l’image de Dieu, dans chaque créature humaine, ne soit pas profanée.

Mais cette place, chers frères et sœurs, est aussi un lieu où brille la lumière de l’espérance. Ici, chaque année, vous venez allumer la première lumière sur le candélabre de la Chanukiah. Ainsi, dans l’obscurité, apparaît le message que ce ne sont pas la destruction et la mort qui ont le dernier mot, mais le renouveau et la vie. Et si la synagogue de ce lieu a été démolie, la communauté est encore présente. Elle est vivante et ouverte au dialogue. Ici, nos histoires se rencontrent de nouveau. Ici, ensemble, nous affirmons devant Dieu la volonté de persévérer sur le chemin du rapprochement et de l’amitié.

A ce propos, je conserve vivant en moi le souvenir de la rencontre à Rome, en 2017, avec des représentants de vos communautés juives et chrétiennes. Je suis heureux que, par la suite, une Commission pour le dialogue avec l’Église catholique ait été instituée et que vous ayez publié ensemble d’importants documents. Il est bon de partager et de communiquer ce qui nous unit. Et il est bon de poursuivre, dans la vérité et avec sincérité, le parcours fraternel de purification de la mémoire pour guérir les blessures passées, et dans le souvenir du bien reçu et offert. Selon le Talmud, qui détruit un seul homme détruit le monde entier, et qui sauve un seul homme sauve le monde entier. Chacun compte, et ce que vous faites par votre précieux partage compte beaucoup. Je vous remercie pour les portes que vous avez ouvertes de part et d’autre.

Le monde a besoin de portes ouvertes. Ce sont des signes de bénédiction pour l’humanité. Au père Abraham Dieu dit: «En toi seront bénies toutes les familles de la terre» (Genèse 12, 3). C’est un refrain qui rythme les vies des pères (cf. Genèse 18, 18; 22, 18; 26, 4). À Jacob, c’est-à-dire Israël, Dieu dit: « Tes descendants seront nombreux comme la poussière du sol, vous vous répandrez à l’Orient et à l’Occident, au Nord et au Midi ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre» (Genèse 28, 14). Ici, sur cette terre slovaque, terre de rencontre entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, que la famille des fils d’Israël continue à cultiver cette vocation, l’appel à être signe de bénédiction pour toutes les familles de la terre. La bénédiction du Très-Haut se déverse sur nous lorsqu’il voit une famille de frères qui se respectent, s’aiment et collaborent. Que le Tout-Puissant vous bénisse, afin qu’au milieu de nombreuses discordes qui polluent notre monde vous puissiez toujours être, ensemble, des témoins de paix. Shalom

L’intervention du pape François a été suivies de la récitation du Kaddish et du chant El Mahle Rahamim, en mémoire des victimes de la Shoah. La visite de quatre jours du pape François en Slovaquie devait également le conduire dans les villes de Prešov, Košice et Šaštín avant son retour à Rome le 15 septembre.

Remarques de l’éditeur

Sources : Compte rendu de la rencontre librement adapté d’un article de Hannah Brockhaus publié par la Catholic News Agency, 13 Sept. 2021. Discours du pape François: Vatican.