Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal prend position sur le jeu
Jean Duhaime
En juin 2005, Loto-Québec, la Société du Gouvernement du Québec qui gère les loteries publiques et les casinos, a annoncé son intention de relocaliser le Casino de Montréal plus près du centre-ville. La Direction de santé publique pour l’ile de Montréal a attiré l’attention sur les effets négatifs potentiels cette relocalisation. Ce projet a également soulevé des inquiétudes parmi plusieurs groupes et suscité une réflexion sur les activités de jeu en général. À leur réunion du 23 janvier 2006, les membres du Dialogue judéo-chrétien de Montréal ont invité M. Serge Chevalier de l"Agence de la santé et des services sociaux de Montréal à leur présenter les principales conclusions d"une étude sur le jeu compulsif chez les Québécois, rendue publique le 21 février 2006. Profondément préoccupés par cette question, les membres du Dialogue judéo-chrétien de Montréal ont élaboré une déclaration sur le jeu. Bien qu"elle ait été faite dans un contexte particulier, cette déclaration touche un problème auquel toutes les sociétés modernes sont confrontées. C"est pourquoi nous la présentons aux lecteurs de JCRelations.net
Selon le Dr Victor Goldbloom, qui présentait M. Serge Chevalier aux membres du Dialogue, le problème du jeu compulsif est une importante source de préoccupation dans les communautés juives, chrétiennes et dans la société en général. La société contemporaine et les gouvernements ont développé une véritable dépendance au jeu comme source de revenu d"appoint pour réaliser divers projets, sans considérer le coût social élevé qu"une telle pratique entraîne.
Serge Chevalier explique que le jeu existe depuis longtemps dans la culture québécoise. Les gens jouent pour diverses raisons (pour rêver, échapper à la banalité du quotidien, etc.). Cela n"est pas un problème en soi, mais, au-delà d"un certain seuil, cela peut devenir problématique. Quand les choses tournent mal, les joueurs compulsifs commencent à avoir de véritables difficultés: on constate des problèmes de santé, du stress, des insomnies, etc. Cela génère également des problèmes sociaux. Le comportement des joueurs compulsifs a un impact sur leur famille, leurs amis, etc. Ils vont chercher à dissimuler leurs activités, commencer à mentir aux membres de leur famille et de leur entourage, perdre des sommes importantes, manquer des rendez-vous, s"absenter du travail, etc. Ils en viennent de cette façon à perdre l"appui de leurs proches.
Au Québec, environ 4 personnes sur 5 (81%) jouent occasionnellement: 17% de la population joue au Casino, tandis que 8% utilise des terminaux vidéo de loterie (TVL). Environ 6% des personnes qui jouent au Casino ont un problème de jeu; ils sont responsables de 43% de tout l"argent qui y est dépensé. 14% des joueurs de TVL ont des problèmes de jeu et sont responsables de 69% des dépenses faite à ce genre de jeu. Les hommes représentent 51 % des joueurs, mais 70% des personnes ayant des problèmes de jeu. Les jeunes adultes et les gens moins scolarisés sont moins à risque. Les personnes de langue maternelle autre que le Français représentent 14% des joueurs, mais 21% de ceux qui ont des problèmes, Les personnes à plus faible revenu ont également davantage de problèmes.
Comment peut-on résoudre les problèmes relies au jeu? La prohibition ne fonctionne pas. La prévention peut consister à réduire l"accès aux appareils (moins de TVL, placés dans des endroits moins accessibles; réduction de la durée d"accès; réduction de l"accès financier ou symbolique), réduction de l"accès aux jeux plus à risque, etc. Le traitement des problèmes de jeu serait similaire à celui des problèmes d"alcool.
Réagissant à cette présentation, des membres on souligné comment ils trouvaient désolante l"ambiance au Casino. Personne ne semble heureux, sauf la rare personne qui frappe le gros lot! Selon un des participants, le gouvernement perd toute crédibilité quand il engage des personnes dont la fonction est d"élaborer des jeux qui rendront délibérément des gens dépendants au jeu. Le gouvernement ne devrait pas se rendre lui-même dépendant… Nous avons été éduqués avec l"idée que c"est par le travail qu"on peut obtenir quelque chose; le jeu, supporté par le gouvernement, est une négation de cette idée.
S. Chevalier note que la part de rêve associée au jeu est importante. Nous devons considérer le jeu de manière nuancée. "Gratter" une carte pour gagner un prix ne pose pas vraiment problème, car cela ne met en jeu que de petits montants. Certaines salles de bingo sont comme des clubs sociaux; cela n"est pas très inquiétant. Les loteries, avec leurs grands prix, font appel au rêve, au pouvoir de l"argent, etc. Au Casino, il y aussi le fait qu"on est traité comme une personne importante. Il y a des personnes qui vont au Casino pour vivre une émotion forte. Mais il y en a d"autres qui s"y rendent pour oublier leurs problèmes; ce sont ces personnes qui vont éventuellement développer un problème de jeu.
Le gouvernement québécois est devenu dépendant au jeu, parce que cela génère des revenus qui sont utilisés pour financer divers projets. Le gouvernement prétend avoir besoin de ces dollars. Ce qui est inacceptable, toutefois, c"est que cette forme de taxation cible les personnes les plus vulnérables de notre société. Les chèques d"aide sociale sont largement dépensés en jeux; cela ne laisse parfois rien pour la nourriture, le vêtement, etc. Comme pasteurs et responsables religieux les membres du Dialogue cherchent à promouvoir des valeurs éthiques et religieuses; il faut faire preuve de compréhension et de sympathie à l"endroit des personnes qui sont devenues dépendantes du jeu. Mais il est nécessaire également de faire part au gouvernement des préoccupations que portent les membres du Dialogue et de l"encourager à adopter une attitude plus responsable.
Suite à cet échange, un comité du Dialogue a élaboré la déclaration suivante, qui exprime la position du groupe sur cette question.
Déclaration du Dialogue judéo-chrétien de Montréal sur le jeu
Le jeu, comme élément de politique publique, doit préoccuper tous les citoyens. Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal, qui réunit des personnes de foi qui sentent l’obligation de promouvoir la justice, d’aimer la miséricorde et de marcher humblement avec Dieu, exprime sur cette base ses préoccupations par rapport au rôle du jeu dans le contexte social du Québec et du Canada d’aujourd’hui.
Le gouvernement du Québec obtient des revenus non négligeables de joueurs qui ne sont pas des visiteurs de l’extérieur, qui ne sont pas bien nantis et qui sont des citoyens locaux qui ne devraient pas se permettre de mettre en jeu leurs modestes ressources. Nous nous opposons à l’exploitation de citoyens vulnérables qui, s’ils sont séduits par le jeu, peuvent être des sources de problèmes pour eux-mêmes, pour leur famille et pour la société.
La solidarité communautaire et entre voisins est à risque lorsque le gouvernement exploite ses citoyens en les exposant aux dangers du jeu pathologique, notamment ceux des terminaux vidéo de loterie. Le jeu à l’internet risque lui aussi de miner l’intégrité de la communauté et de provoquer des comportements antisociaux.
La répartition équitable des ressources au nom de la justice sociale est une mesure de la qualité d’une société. Le coût de la justice sociale doit être équitablement porté par l’ensemble des citoyens, pas de façon particulière par les joueurs.
Le jeu ne crée que relativement peu d’emplois par rapport aux dollars dépensés. Il étouffe l’accumulation de capital individuel, et contribue ainsi au développement d’une sous-classe sociale.
Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal demande donc aux gouvernements :
- d’établir des normes nationales pour l’évaluation du jeu, et de l’utilisation du jeu pour des fins charitables, y compris les aspects économiques, légaux et sociaux;
- suivant de telles normes, d’entreprendre un examen public et indépendant des impacts sociaux, légaux et économiques des jeux légaux et illégaux, et du jeu utilisé pour des fins charitables; et de faire des recommandations pour une bonne politique publique, en portant une attention particulière au jeu électronique et au contrôle efficace de l’industrie du jeu;
- d’établir une formule unique pour la fourniture de renseignements sur le jeu, et sur les revenus générés par le jeu, et de publier ces renseignements de façon transparente au moins une fois par année;
- de procéder à une évaluation indépendante des commissions provinciales et territoriales qui gèrent l’industrie du jeu, avec une attention particulière à la transparence, à l’imputabilité des processus décisionnels, à la qualité de la gouvernance et à la distribution des revenus générés par le jeu, le rapport devant être rendu public;
- de mettre un moratoire sur toute expansion de ce secteur, y compris la relocalisation du Casino de Montréal, jusqu’à ce qu’une évaluation transparente et indépendante ait été complétée de façon adéquate et rendue publique;
- de bannir au Québec les terminaux vidéo de loterie et les machines à sous à l’extérieur des casinos; et d"établir un calendrier ferme pour l’enlèvement des terminaux vidéo de loterie et des machines à sous déjà autorisés;
- de tenir de vraies audiences publiques sur tout projet de création, d’expansion ou de relocalisation d’un établissement de jeux.
Pour de plus amples informations, on peut communiquer avec le Dr. Victor C. Goldbloom (goldbloom(at)citenet.net).