Le conte des deux cités: dialogue judéo-chrétien à Budapest et à Kecskemét

Le sol dans lequel le dialogue peut se développer peut être cultivé de plusieurs façons. Lors de notre conférence de 2018, nous avons appris la manière hongroise, et nous avons offert nos propres semences de connaissances à nos partenaires hongrois dans le dialogue.

L’hospitalité qui nous a été accordée à Budapest et à Kecskemét a été vraiment extraordinaire, c’est pourquoi je commence ce premier rapport sur la conférence 2018 de l’ICCJ en exprimant ma gratitude à tous ceux qui nous ont permis de nous sentir chez nous à Budapest et à Kecskemét.

Beaucoup d’entre nous sont sans doute arrivés en Hongrie sans savoir à quoi s’attendre. La Hongrie abrite une importante population juive selon les normes européennes, il y a de nombreuses églises de diverses affiliations, et il y a une petite population musulmane. La situation politique actuelle en Hongrie est inquiétante pour quiconque est engagé dans le dialogue interreligieux – cela doit être dit. Il est évident pour moi aujourd’hui que la façon dont les minorités hongroises traitent et ont traité les questions relatives à leur place dans la société hongroise a été d’essayer de se fondre dans la société hongroise. Elles se sont assimilés dans une large mesure, tout en essayant d’offrir à la société quelque chose qui puisse profiter à la majorité. Ce n’est pas du tout unique, cela se produit en plusieurs endroits. Cela dit, le processus d’intégration n’a pas seulement un effet sur la façon dont vous vous présentez dans la société, mais aussi sur la façon dont les autres vous perçoivent.

Nous avons commencé notre conférence le dimanche 24 juin par une séance d’ouverture stimulante, avec deux conférenciers d’honneur très appréciés, le cardinal Péter Erdö et la professeure Judith Frishman. Les deux orateurs ont fait référence au Livre de la Genèse lorsqu’ils ont parlé d’harmonie et d’incongruité, et la professeure Judith Frishman a relié les Écritures à une question moderne en établissant des parallèles entre la corruption de l’humanité à l’époque du déluge biblique et la corruption et la violence profondément troublantes qui ont été mises en lumière par le mouvement «Me Too». Quand les gens craignent l’interaction avec Dieu et avec l’autre, ils deviennent isolés de leur humanité. Et l’humanité est une condition préalable au dialogue. Le professeur Frishman a posé les deux questions suivantes: «Quelle est notre nature en tant qu’êtres humains, et quel genre d’êtres humains voulons-nous être?» Elle a ajouté que le judaïsme a introduit l’idée que l’humanité doit se créer et se renouveler. L’humanité a le choix, et c’est à nous, en tant qu’individus et communautés, de participer au renouveau de notre monde. Le dialogue signifie qu’on considère que l’avenir offre un potentiel d’amélioration, sans perdre de vue de ce qui a été dans le passé.

Se souvenir, a poursuivi la professeure Frishman, c’est important mais pas suffisant. Être en union, comme c’est le cas dans le partenariat entre juifs et chrétiens d’aujourd’hui, exige de nous que nous soyons actifs dans la poursuite du bien. La tragédie ne doit pas être accueillie avec résignation, a souligné la professeure Frishman. Considérer le mal comme le cours normal du monde peut nous lancer sur une voie trouble et cruelle. L’unité, un «être ensemble» sans renoncement à nos particularités respectives, c’est notre vocation et notre responsabilité.

Mgr János Székely, président catholique du Conseil hongrois des chrétiens et des juifs, l’une des deux organisations hongroises membres de l’ICCJ, a résumé l’essentiel de l’événement d’ouverture de la manière suivante: Dieu veut que nous, les êtres humains, créions l’unité, mais Dieu comprend aussi combien il est difficile de réaliser l’unité.

Mercredi, nous avons terminé notre conférence dans l’opéra de Kecskemét, un lieu magnifique où nous avons été invités et accueillis par la mairesse de la ville, Klaudia Szemereyné Pataki. Lors de la dernière séance plénière, Judy Banki, une vétérane du dialogue, a déclaré qu’elle a toujours été sceptique à l’égard d’une réconciliation qui exige l’abandon des particularités. Lorsque nous nous engageons dans le dialogue, soit au sein de notre propre communauté, soit avec des personnes d’autres confessions, voire sans appartenance religieuse, nous ne devons pas abuser du dialogue en imposant nos propres convictions à nos partenaires de dialogue. Tant que nous faisons de notre mieux pour utiliser un langage commun – ou du moins pour présenter à l’autre notre lexique de base - nous devons être assurés que nous sommes nécessaires au dialogue et à la (re)création continue de l’unité et de l’humanité en étant ce que nous sommes.

Lors de la séance d’ouverture du dimanche, la professeure Frishman a déclaré que se souvenir n’est pas suffisant. Judy Banki a conclu son intervention à Kecskemét, lors de la séance de clôture, en déclarant que s’inquiéter n’est pas suffisant. S’engager dans le dialogue, c’est faire savoir à l’autre que nous nous soucions de lui. Le révérend Dr Volker Haarmann a poursuivi en citant Abraham Joshua Heschel: Les actions enseignent. La ligne de démarcation, a poursuivi le Dr Haarmann, n’est plus entre les religions et les communautés, mais plutôt entre ceux qui recherchent la paix et ceux qui ne le font pas.

A mon avis, les sessions de Kecskemét ont été un événement marquant pour la raison suivante: plus de 60 personnes du milieu, avec peu ou pas d’expérience de l’ICCJ, se sont jointes à nos discussions. Nous avons tous rencontré notre autre pendant les ateliers. Certains d’entre nous ont rencontré un autre que nous connaissons bien, tandis que d’autres se sont lancés dans la création d’un nouveau partenariat. L’hospitalité, la générosité et la curiosité de nos hôtes et invités hongrois ont émis un puissant message sur le profond engagement des juifs, des chrétiens et des musulmans hongrois dans le dialogue et sur la fierté qu’ils éprouvent à l’égard de leurs communautés. Bien qu’il reste des défis politiques et des obstacles culturels occasionnels, nous avons élaboré un langage pour notre dialogue et nous avons échangé nos lexiques de base. C’est le terrain sur lequel nous continuerons à promouvoir le dialogue en Hongrie et ailleurs.

Remarques de l’éditeur

* Nike Snijders, responsable des communications de l’ICCJ.
Source: ICCJ. Traduit par Jean Duhaime pour Relations judéo-chrétiennes.On trouvera aussi sur le site de l’ICCJ les discours d’ouverture, communications, interventions et photos de la Conférence 2018 de l’ICCJ.