Le canon de la Bible chrétienne. Sa formation et sa signification

Qu’est-ce que la Bible chrétienne? Quels livres en font partie? Qui a décidé cela et pourquoi? Pourrait on ajouter ou retrancher des livres à la Bible chrétienne? Pour répondre à ces questions, je propose la démarche suivante

Le canon de la Bible chrétienne

Sa formation et sa signification

Jean Duhaime, Université de Montréal

(Exposé présenté à un groupe de dialogue entre juifs et chrétiens au Temple Emanu-el-Beth Sholom de Montréal le 27 mai 2009. Jean Duhaime est professeur d’interprétation biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal).

 

Qu’est-ce que la Bible chrétienne? Quels livres en font partie? Qui a décidé cela et pourquoi? Pourrait on ajouter ou retrancher des livres à la Bible chrétienne? Pour répondre à ces questions, je propose la démarche suivante : 1) après avoir précisé le contenu de la Bible chrétienne par rapport à celui de la Bible juive, 2) je réfléchis sur le processus canonique, 3) je rappelle l’histoire de la formation du canon chrétien et 4) j’en dégage la signification pour les Églises chrétiennes et pour le dialogue judéo-chrétien.

1. LE CONTENU DE LA BIBLE CHRÉTIENNE

La Bible chrétienne comporte deux parties, appelées traditionnellement l’Ancien et le Nouveau Testament. Par égard pour le judaïsme, on parle de plus en plus de Premier et de Second Testament. Le Premier Testament est commun à l’ensemble des Églises chrétiennes et correspond aux 24 livres de la Bible juive (ou 22 en comptant ensemble Juges / Ruth, Jérémie / Lamentations):

LA BIBLE JUIVE (Tanakh, Miqra)

I. Torah (Pentateuque)
  1. Bereshit (Genèse)
  2. Shemot (Exode)
  3. Vayiqra (Lévitique)
  4. Bamidbar (Nombres)
  5. Devarim (Deutéronome)
     
 
II. Neviim (Prophètes)

a. Neviim rishonim (Premiers prophètes)
b. Neviim aharonim (Derniers prophètes)
 

 
  1. Yehoshoua (Josué)
  2. Shoftim (Juges)
  3. Shemouel (I et II Samuel)
  4. Melakhim (I et II Rois)
  5. Yeshayahou (Isaïe)
  6. Yrmeyahou (Jérémie)
  7. Yehezqel (Ézéchiel)
  8. Trei Assar (Les Douze)
    Hoshéa (Osée)
    Yoël (Joël)
    Amos (Amos)
    Ovadia (Abdias)
    Yona (Jonas)
    Mikha (Michée)
    Nahoum (Nahum)
    Havaqouq (Habacuc)
    Tsephania (Sophonie)
    Haggaï (Aggée)
    Zekharia (Zacharie)
    Malakhi (Malachie)

     
 
III. Ketouvim (Écrits)
  1. Tehilim (Louanges / Psaumes)
  2. Mishlei (Proverbes)
  3. Iyov (Job)
  4. Shir Hashirim (Cantique des cantiques)
  5. Routh (Ruth)
  6. Eikha (Lamentations)
  7. Qohelet (Ecclésiaste)
  8. Esther (Esther)
  9. Daniel (Daniel)
  10. Ezra – Nekhem’ya (Esdras – Néhémie)
  11. Divrei Hayamim (I-II Chroniques)
     
 

Ces livres sont comptés différemment, par ex. en séparant chacun des « Douze » petits prophètes. On aboutit ainsi à un total de 39 livres communs aux catholiques, aux protestants, aux anglicans et aux orthodoxes. Les catholiques y ajoutent quelques suppléments aux livres d’Esther et de Daniel et 7 livres («deutérocanoniques» ou «apocryphes») qui circulaient dans le judaïsme avant la fixation du canon de la Bible hébraïque, ce qui donne un total de 46. Il y a encore quelques ajouts dans les canons bibliques des Églises orthodoxes. De plus la séquence des livres varie. Les chrétiens ont généralement adopté un ordre apparenté à celui de la traduction grecque des Septante (suivi par la version latine de Jérôme) qui regroupe les livres 4 sections (Pentateuque, livres historiques, livres poétiques et sapientiaux, livres prophétiques) au lieu des trois de la Bible hébraïque (Torah ou Pentateuque, Prophètes, autres Écrits). Le Second Testament comporte 27 livres, généralement admis par l’ensemble des Églises chrétiennes, répartis en 4 sections également. La Bible chrétienne se présente comme suit:

 

LA BIBLE CHRÉTIENNE
(ordre selon la Bible de Jérusalem; d’après VanderKam et Flint 2002, p. 157-162)
 

 
Les livres soulignés figurent dans un autre groupe dans Bible juive. Les livres du Premier Testament en gras italique sont propres aux catholiques et aux grecs orthodoxes. Les livres suivis de la mention Sup comportent des suppléments (grecs) adoptés par les catholiques et les grecs orthodoxes, mais non par les protestants et les anglicans. Les sections en italique et entre parenthèses sont propres aux grecs orthodoxes. Les canons d’autres églises (orthodoxe slave, éthiopienne, etc.) comportent quelques livres supplémentaires.
 

PREMIER TESTAMENT

 
I. Pentateuque Genèse; Exode; Lévitique; Nombres; Deutéronome
II. Livres historiquesJosué; Juges; Ruth; I et II Samuel; I et II Rois; I et II Chroniques; Esdras; Néhémie; Tobie; Judith; EstherSup; I et II Maccabées (III Maccabées)
III. Livres poétiques et sapientiaux Psaumes (Psaume 151; Prière de Manassé); Proverbes; Job; Cantique des cantiques; Qohélet; Sagesse; Siracide
IV. Livres prophétiques Isaïe; Jérémie; Lamentations; Baruch; Ézéchiel; DanielSup; Osée; Joël; Amos; Abdias; Jonas; Michée; Nahum; Habacuc; Sophonie; Aggée; Zacharie; Malachie
 

SECOND TESTAMENT

 
I. ÉvangilesMatthieu; Marc; Luc; Jean
II. Actes des Apôtres 
IIIa. Épîtres de Paulaux Romains; I et II aux Corinthiens; aux Galates; aux Éphésiens; aux Philippiens; aux Colossiens; I et II aux Thessaloniciens; I et II à Timothée; à Tite; à Philémon; aux Hébreux
IIIb. Épîtres «catholiques»de Jacques; I et II Pierre; I, II et III Jean; Jude
IV. Livre «prophétique»Apocalypse de Jean

2. LE PROCESSUS CANONIQUE

Le mot canon (en hébreu qane, en grec kanôn) désigne dans la Bible la tige des épis de blé vus en songe par le pharaon (Gn 41,5.22). Ézéchiel désigne par ce mot une canne pour mesurer les dimensions du futur temple, aperçu en vision: «Or voici que le Temple était entouré de tous côtés par un mur extérieur. L’homme tenait dans la main une canne à mesurer, de six coudées d’une coudée plus un palme. Il mesura l’épaisseur de la construction: une canne, et sa hauteur: une canne» (Éz 40,5).

 

Dans le Second Testament, le canon, c’est la règle de conduite signifiée à Paul par sa mission aux Corinthiens: «Pour nous, nous n’irons pas nous glorifier hors de mesure, mais nous prendrons comme mesure la règle même que Dieu nous a assignée pour mesure: celle d’être arrivés jusqu’à vous» (2 Co 10,13; voir v.15 16). C’est encore la norme de la croix et de la création nouvelle qui remplace l’ancienne loi concrétisée dans la circoncision (Ga 6,16). Chez les Pères de l’Église et dans les anciens conciles, il s’agit également des règles de la foi (1 Clém 7,2) ou des décisions des synodes.

Athanase d’Alexandrie est sans doute le premier Père de l’Église qui a utilisé clairement le mot canon pour désigner une liste de livres bibliques. Les livres ainsi nommés sont ceux qu’il considère comme inspirés de Dieu et ayant de ce fait autorité dans l’Église. Dans sa Lettre festale 39, écrite en 367, il donne la liste des 22 livres du Premier Testament (selon le calcul de la tradition juive), puis celle du Second et ajoute: «Ce sont là les sources du salut... par eux seuls la doctrine de la piété peut être annoncée; que personne ne leur ajoute ni ne leur enlève quoi que ce fût» (cité par Trublet 1990, p. 124).

Les écrits canoniques sont donc des écrits sont régulateurs et normatifs pour la foi et la pratique: «L’idée qu’exprime le mot ‘canon’ (est) ... qu’un écrit ou un groupe d’écrits a acquis pour la foi et la vie, l’autorité d’une règle ou d’une norme, dont la valeur astreignante doit être reconnue partout de façon définitive» (Campenhausen 1971, p. 6).

On se demande parfois qui a canonisé les Écritures. On pense alors à la décision officielle d’une instance supérieure, l’Église par exemple, qui aurait établi un jour la liste des livres qui font autorité chez elle. La réalité n’est pas si simple. L’idée de canon recouvre en effet un long processus s’étendant à travers l’histoire d’Israël et de l’Église primitive. Les Écritures ne sont pas devenues saintes quand on les a déclarées telles. Elles tirent leur caractère sacré de leur vie même dans la communauté de foi. On s’est transmis des traditions sur les patriarches et sur l’Exode, des paroles de prophètes et de sages, des paroles de Jésus, des récits et des enseignements sur lui, des lettres d’apôtres, avec la conviction qu’il y avait là des traces importantes de la présence et de l’action de Dieu. Avant même d’atteindre leur forme définitive ces traditions permettaient déjà à la communauté croyante de préciser ses origines et son identité, d’interpréter son présent et de se donner des règles de conduite. Leur « canonisation » qui intervient après coup est la proclamation d’un état de fait: «L’Église accepte ces livres dans son canon parce qu’elle les considère comme inspirés, comme parole de Dieu. L’inspiration est une qualité interne du livre; l’acceptation externe du livre dans le canon n’ajoute rien à cette valeur interne, elle est la reconnaissance par le peuple de Dieu de sa valeur normative» (Vogels 2001, p. 232).

Il faut donc concevoir la canonisation des Écritures comme un processus complexe, qui a supposé des décisions dans le cours même de l’élaboration et de la détermination des Écritures: «La formation du canon n’a pas été la validation extrinsèque tardive d’un corpus d’écrits, mais a impliqué une série de décisions qui ont affecté en profondeur la forme même des livres» (Childs 1979, p. 59). Ces décisions se sont souvent prises lors de changements importants au plan culturel ou politique.

Par exemple, au cours de leur sédentarisation et de leur unification, les tribus d’Israël auraient conservé les traditions sur les migrations des ancêtres et sur l’événement de l’Exode. Même si ces traditions ne correspondaient plus à la situation nouvelle, elles étaient indispensables pour préserver l’identité d’Israël au milieu des populations cananéennes et réaffirmer sa relation exclusive avec son Dieu. Lorsque cette crise fut surmontée, les traditions qui avaient permis de la traverser ont acquis encore plus d’autorité, car il paraissait très vraisemblable qu’elles pourraient opérer de la même façon dans d’autres situations. On se tournera vers elles au moment de la crise assyrienne du 8e siècle a.n.è. aussi bien que lors de la période dramatique de l’Exil, au 6e siècle a.n.è. en les réinterprétant à chaque fois. On a préservé et réinterprété également le message des prophètes comme l’acquis de la sagesse ou de la prière traditionnelle.

Le même processus se déroule dans l’Église primitive: la rupture avec le judaïsme, la rencontre avec le monde grec, la gnose et les religions à mystères, les premières persécutions, etc. sont autant de situations nouvelles donnant lieu à des décisions concernant le canon, avant même qu’on puisse parler d’un corpus canonique définitif: «Un canon commence à prendre forme d’abord et surtout parce qu’une question d’autorité et d’identité se pose et il commence à devenir immuable ou fixe un peu plus tard quand la question d’identité est pour l’essentiel réglée» (Sanders 1975, p. 120).

3. LE CANON CHRETIEN

A. Le Premier Testament

Avant la mise par écrit et la constitution d’un Second Testament, la Bible des chrétiens était celle des juifs, la Loi, les Prophètes et d’autres Écrits dont les contours n’étaient pas encore complètement délimités. Les textes de Qumrân parlent souvent du « Livre de Moïse » (4Q MMT C 20-21), ou des «livres de la Loi » et des « livres des prophètes» (CD 7,15-18; voir 1QS 1,1-3). La division tripartite de la Bible juive est attestée par le traducteur grec du livre du Siracide qui introduit le travail de son ancêtres comme suit: «... mon aïeul Jésus, après s’être appliqué avec persévérance à la lecture de la Loi, des Prophètes et des autres livres des ancêtres et y avoir acquis une grande maîtrise, en est venu, lui aussi, à écrire quelque chose sur des sujets d’enseignement et de sagesse (Si, prol. v. 7-12; voir v. 24-25). Flavius Josèphe y fait également référence lorsqu’il parle des 22 livres « qui comprennent tout ce qui s’est passé qui nous regarde depuis le commencement du monde jusqu’à cette heure, et auxquels on est obligé d’ajouter foi. Cinq sont de Moïse [...]. Les prophètes postérieurs à Moïse écrivirent l’histoire des événements de leur temps en treize livres [...] Les quatre autres livres contiennent des hymnes et des cantiques à Dieu et des préceptes pour la conduite du peuple» (Contre Apion I, 37-43 cité par Trublet 1990, p. 120). Mais ni la liste des livres de ni leur séquence n’est encore arrêtée et les premiers chrétiens, plus ou moins contemporains de Flavius Josèphe utilisent aussi d’autres livres que ceux qui seront par retenus dans le canon définitif de la Bible juive.

Par ailleurs, dans le judaïsme de l’époque, les livres saints sont interprétés de plusieurs manières par des groupes différents, comme celui de Qumrân, les sadducéens, les samaritains, les pharisiens, etc. Jésus et surtout ses disciples développent leur propre lecture, dans une perspective d’accomplissement « messianique ». Les évangélistes, Matthieu et Luc surtout, exploitent systématiquement cette veine. Ainsi, selon Luc, Jésus inaugure sa mission en proclamant accompli un oracle d’Isaïe: «Il vint à Nazara où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit: ‘L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur.’ Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire: ‘Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture’ (Lc 4, 16-21). Plus loin, Jésus ressuscité se manifeste aux disciples d’Emmaüs et leur explique les Écritures de la même façon: «[...] commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait (Lc 24,27).

Pour les premiers chrétiens, le Premier Testament apparaît alors comme une vaste prophétie christologique «qui fait comprendre le sens intérieur de l’histoire du Christ et sa signification pour le salut» (Campenhausen 1971, p. 44). Ainsi le Premier Testament fournit à l’Église primitive une clé de compréhension du mystère du salut advenu en Jésus. Elle lui donne en même temps un langage, un univers symbolique qui lui permet d’exprimer la densité de ce mystère en présentant Jésus comme nouvel Adam, nouveau Moïse, nouvel Elie, fils de David et Messie, grand prêtre, sagesse de Dieu, etc. Certains discours des Actes (Ac 2,14 36; etc.), le début de l’épître aux Hébreux (He 1) et d’autres passages du Second Testament illustrent bien ce phénomène.

Ainsi l’apôtre Pierre, affirme que David, dans le Psaume 16, avait annoncé la résurrection de Jésus: «Dieu l’a ressuscité, le délivrant des affres de l’Hadès. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir ; car David dit à son sujet : ‘Je voyais sans cesse le Seigneur devant moi, car il est à ma droite, pour que je ne vacille pas. Aussi mon cœur s’est-il réjoui et ma langue a-t-elle jubilé; ma chair elle-même reposera dans l’espérance que tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès et ne laisseras pas ton saint voir la corruption. Tu m’as fait connaître des chemins de vie, tu me rempliras de joie en ta présence.’ Frères, il est permis de vous le dire en toute assurance: le patriarche David est mort et a été enseveli, et son tombeau est encore aujourd’hui parmi nous. Mais comme il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône un descendant de son sang, il a vu d’avance et annoncé la résurrection du Christ qui, en effet, n’a pas été abandonné à l’Hadès, et dont la chair n’a pas vu la corruption: Dieu l’a ressuscité, ce Jésus; nous en sommes tous témoins» (Ac 2,24-32).

B. Le Second Testament

Au début du christianisme, l’enseignement était transmis oralement «par ceux qui avaient été avec lui», ses apôtres (voir Ac 2,21-22). Mais, à la fois à cause de l’expansion du christianisme et de la disparition des premiers témoins, on commença à mettre par écrit certaines de ces traditions. Pour les besoins de l’évangélisation, de la catéchèse et de la liturgie, on compila d’abord de petites collections de paroles de Jésus et de récits le concernant. Puis apparurent des écrits plus développés, les Évangiles, qui rapportent la vie et l’enseignement de Jésus tel qu’interprétés par ses premiers disciples. On recueillit aussi des souvenirs de l’évangélisation des premières communautés chrétiennes en Judée, en Samarie, et dans l’empire romain (voir Ac 1,8). De même, les lettres de Paul aux communautés qu’il avait fondées ou qu’il se proposait de visiter furent conservées et transmises d’une église à l’autre. Quelques auteurs ont également imité le style de prophètes pour exhorter les chrétiens, sur un ton apocalyptique, à tenir bon devant la persécution et leur annoncer un monde nouveau débarrassé des forces du mal. Un nouveau corpus d’écrits reconnus comme importants pour refléter l’expérience chrétienne s’est ainsi constitué progressivement.

La deuxième lettre de Pierre, rédigée probablement au début du 2e s., témoigne de l’existence d’un corpus de lettres de Paul qu’il met sur le même pied que «les autres Écritures». L’auteur, en évoquant le Jour de Dieu, écrit: «Ce sont de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera. C’est pourquoi, très chers, en attendant, mettez votre zèle à être sans tache et sans reproche, pour être trouvés en paix. Tenez la longanimité de notre Seigneur pour salutaire, comme notre cher frère Paul vous l’a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. Il le fait d’ailleurs dans toutes les lettres où il parle de ces questions. Il s’y rencontre des points obscurs, que les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens - comme d’ailleurs les autres Écritures - pour leur propre perdition» (2 Pi 3,13-16).

C. Les limites du canon

Vers les années 140, un important chef d’Église du nom de Marcion développe une interprétation particulière du christianisme qui l’amène à rejeter le Dieu de Moïse et de l’Écriture juive, le Dieu de «ce monde» qui serait différent du Dieu véritable, celui de Jésus. Il faudrait donc, selon lui, écarter de la tradition chrétienne l’ensemble des écrits juifs qui ne sont pas d’authentiques paroles de Dieu, de même que tous les éléments juifs contenus dans les écrits chrétiens. Marcion rejeta l’ensemble de la Bible hébraïque et ne retint que l’Évangile de Luc un recueil mutilé de dix lettres de Paul pour l’usage des communautés sous son influence. Il semble cependant que ses disciples n’aient pas vraiment considéré cette liste comme un canon biblique fermé (voir McDonald 2008, p. 324-333).

En réaction à cette position, plusieurs Églises ont réaffirmé la valeur des écrits juifs, interprétés dans une perspective messianique, et d’un ensemble d’écrits chrétiens anciens, qui circulaient depuis longtemps dans les communautés et qui, à leur point de vue, transmettaient fidèlement le témoignage apostolique tel qu’il était encore connu par la prédication orale. Au tournant du 2e siècle, Irénée cite expressément en les considérant comme normatifs, des textes chrétiens qui seront intégrés dans le Deuxième Testament (les Écrits du Seigneur ou plus simplement les Écrits ou l’Écriture, dans sa terminologie). Il défend notamment, avec des arguments qui nous paraissent étranges aujourd’hui, la pertinence d’avoir quatre Évangiles et quatre seulement, pour l’Église: «Il n’est pas possible que les Évangiles soient en nombre supérieur ou inférieur à ce qu’ils sont. Car de même qu’il y a quatre parties du monde dans lesquelles nous vivons, et quatre vents principaux, puisque l’Église est répandue partout à travers le monde et que le fondement de l’Église est l’Évangile et l’esprit de vie, il est convenable, qu’elle soit dotée de quatre piliers, soufflant l’immortalité de tous les côtés et vivifiant les humains» (Contre les hérésies, III/11, 8-9 cité par McDonald 2008, p. 291).

Vers la fin du 2e siècle, le canon du Second Testament est encore en expansion. Jusqu’où cela pouvait-il aller? De nouveaux écrits, à caractère apocalyptique commençaient à circuler. Ce fut le cas notamment dans les cercles montanistes, en Phrygie, dans le dernier quart du siècle. Le montanisme est un mouvement de réveil à caractère prophétique. Son instigateur, Montan, se réclame du Paraclet promis (Jn 14,16). Il annonce que la fin du monde et le retour du Christ sont imminents. Il faut se repentir et être prêt au martyre pour participer au renouvellement du monde, dont la Phrygie est désormais le centre.

Pour répliquer à ce mouvement et à la prolifération des livres qui véhiculent cette nouvelle révélation, l’Église en vient à expliciter les principes qui fixent les limites de son canon. Il apparaît alors de plus en plus clairement que la foi chrétienne doit prendre sa norme dans le christianisme primitif. L’époque apostolique doit être considérée comme une époque privilégiée, celle des événements uniques et déterminants qui ont donné naissance à l’Église et ont structuré son identité. Les écrits ne provenant pas de la période des Apôtres ou ne reflétant pas leur témoignage sont donc à écarter.

Ce principe permettra non seulement d’éliminer les écrits «hérétiques» du canon chrétien, mais aussi d’autres écrits qui, malgré leur «orthodoxie» ne se rattachent pas à la période apostolique. C’est ce qui ressort d’une liste comme celle qu’on appelle le canon de Muratori (texte dans Vallin 1990, p. 233-234). Cette liste de livres du Second Testaments qu’on date généralement de la fin du 2e siècle (mais qui pourrait être du 3e ou du 4e s.) exclut des lettres attribuées à Paul par les disciples de Marcion, mais aussi un ouvrage «orthodoxe», Le Pasteur d’Hermas parce que cet écrit est trop récent: «Hermas ne vit plus dans le ‘siècle apostolique’, il n’est plus le représentant de l’époque classique, et dès lors il n’a pas sa place dans un canon qui rassemble les documents de ce temps des origines et les rend normatifs. Le ‘christianisme primitif’ appartient définitivement au passé et ne doit pas être prolongé. Tel est le principe par lequel le nouveau canon est défini et délimité (Campenhausen 1971, p. 220).

En résumé, selon McDonald (2008, p. 401-422), les principaux critères de sélection des livres du Second Testament, à l’époque des Pères de l’Église, auraient été les suivants:

1. L’apostolicité. On aurait retenu des écrits considérés comme rédigés par des apôtres ou attribués à eux ou reflétant leur enseignement.

2. L’orthodoxie. Pour être accepté, un écrit devait refléter la «règle de foi» de l’Église, c’est-à-dire la tradition transmise par les apôtres aux évêques. Un écrit attribué à un apôtre mais non orthodoxe n’était pas admissible. 3. L’antiquité. Un écrit de la génération des apôtres avait plus de chances d’être inclus (Ainsi on exclusion du Pasteur d’Hermas, malgré son orthodoxie).

4. L’usage. On aurait reconnu des écrits largement répandus et utilisés dans plusieurs églises (Eusèbe)

5. L’adaptabilité. L’Église aurait canonisé des écrits susceptibles d’inspirer de nouvelles générations.

6. L’inspiration. L’acceptation d’un écrit par l’Église aurait été une reconnaissance de son inspiration. Mais, selon McDonald, il s’agirait plutôt d’un corollaire que d’un critère, puisque les premiers chrétiens reconnaissaient que l’action de l’Esprit ne se limitait pas à ces écrits.

Il faudra encore un peu de temps avant d’arriver à une liste définitive. Origène s’intéresse à la question au début du 3e siècle et note les accords et divergences entre les églises: il sépare les livres «admis partout», les «inauthentiques» et un groupe «mixte» (voir Campenhausen 1971, p. 278). Un siècle plus tard, Eusèbe de Césarée se voit confier la tâche de fournir à l’empereur récemment converti cinquante copies de l’Écriture; à cette occasion il dresse un inventaire à peu près identique à celui d’Origène. La diffusion de ce corpus dans l’empire a probablement contribué grandement à la stabilisation du canon. Le décret attribué au pape Damase (382; voir Dumeige 1992, p. 75-76) et les conciles d’Hippone (393) et de Carthage (397), auxquels assiste Augustin (354-430), sanctionnent un canon du Second Testament composé des 27 livres qu’il comporte encore aujourd’hui; ils reconnaissent aussi les deutéro canoniques du Premier Testament. Mais cette opinion n’est pas unanime : Jérôme (342-420), par exemple, n’attribue pas la même valeur aux deutéro-canoniques (voir McDonald 2008, p. 205).

La question refait surface au 16e s., lors de la Réformation protestante. Luther (1483-1546), qui est en rupture avec Rome, accorde une autorité absolue à l’Écriture par rapport à la tradition de l’Église. Dans le Premier Testament, il reconnaît une réelle valeur seulement aux écrits qui font partie de la Bible juive; c’est pourquoi il reporte les deutérocanoniques à la fin de sa traduction allemande de la Bible (achevée en 1534). Il les considère comme « bons à lire » plutôt que comme écrits inspirés. Luther instaure aussi une hiérarchie dans les écrits du Second Testament, en distinguant trois groupes selon leur importance doctrinale: les «privilégiés», des écrits «ordinaires» et des écrits « méprisés ». En réponse aux prises de positions de Luther, le concile de Trente, réuni pour contrer la Réformation, adopte un décret sur la réception des livres sacrés (1546). La liste est introduite comme suit: «[...] le saint concile, suivant l’exemple des pères orthodoxes, reçoit et vénère avec le même sentiment de piété et le même respect tous les livres, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, puisque Dieu est l’unique auteur de l’un et de l’autre...» (Dumeige 1975, p. 80-82). Cette liste, qui se veut définitive, est reprise dans le Catéchisme de l’Église catholique publié sous Jean-Paul II en 1992 (No 120).

4. LA SIGNIFICATION DU CANON CHRÉTIEN

A. Pour les Églises chrétiennes

Comme on le constate le problème du canon des Écritures est d’abord un problème de communauté croyante; ce n’est donc pas une question qu’on peut trancher à partir d’une règle absolue, qui puisse mettre tout le monde d’accord indépendamment de son appartenance à une communauté de foi. Le canon chrétien des Écritures part du Christ et des Apôtres et y réfère comme norme. Le Premier Testament est accueilli par la tradition chrétienne à partir de la lecture que Jésus et les Apôtres en ont faite, une lecture prophétique, une lecture du dépassement et de l’accomplissement. Les écrits du Nouveau Testament s’imposent, pour leur part à titre de reflet du témoignage authentique rendu au Christ par les Apôtres. C’est de là qu’ils tirent leur «caractère normatif», comme le rappelle P. Grelot: «Ce caractère englobe toutes les étapes de leur mise en forme et de leur rédaction. En effet, c’est pour jouer un rôle ‘régulateur’ qu’ils ont été produits et conservés dans la ‘tradition porteuse’, avant d’être incorporés à des ensembles plus vastes. On peut parler à ce sujet de canonicité active [...] attestée par l’usage que les églises ont fait des textes. C’est en effet grâce à eux qu’elles purent vérifier constamment, d’une part, la solidité des enseignements reçus et transmis, et d’autre part, la fidélité de leur vie communautaire à l’Évangile annoncé par le envoyés du Christ ressuscité. Du même coup, ces textes leur fournissaient le principe d’interprétation qui rendait possible la lecture chrétienne des écrits hérités du judaïsme» (Grelot, 1973, p. 152).

La norme véritable est la foi de l’Église primitive, portée par la Tradition et cristallisée par l’Écriture. Pour les chrétiens, la Bible préserve des témoignages sur la rencontre de Dieu et des hommes, amorcée de longue date dans le peuple d’Israël et culminant en Jésus. Ce témoignage reconnaît la qualité exceptionnelle et la dignité propre du segment de l’histoire humaine où s’est matérialisée cette rencontre et plus particulièrement à la période du passage de Jésus qui lui donne sa pleine densité. Le canon permet de préserver ce témoignage dans son intégrité, sans corruption ou mutilation comme celle de Marcion et de le délimiter devant le foisonnement d’autres écrits comme ceux des disciples de Montan. Le canon des Écritures est clos par que les événements fondateurs du christianisme sont uniques, parce qu’ils ne se répéteront pas.

Il est clos aussi parce que les Églises chrétiennes perdraient leur identité si elles coupaient les ponts avec les lectures de ces événements proposés dans l’Église primitive ou si elles les contredisaient radicalement: «Dans la Bible, l’Église primitive a exprimé la conscience qu’elle prenait de son être religieux, c’est à dire de son union à Dieu (révélation); à un certain moment, elle a jugé que l’essentiel était dit, elle s’est reconnue dans un corpus déterminé d’ouvrages issus de son sein, et ces ouvrages devinrent pour elle sacrés, canoniques. D’autres ouvrages pourraient par la suite s’ajouter à cela, les commenter, les compléter. Mais ils ne pourraient jamais les contredire, ils ne pourraient même pas leur ajouter de complément substantiel» (Lapointe 1967, p. 149).

De ce point de vue, la Révélation portée par l’Écriture est définitive. Cela signifie t il pour autant que Dieu a cessé de parler et que le canon constitue en quelque sorte le «musée» de la Révélation? C’est plutôt le contraire. En attirant notre attention vers les événements fondateurs, le canon des Écritures nous interpelle. En nous montrant comment Dieu a parlé aux gens d’autrefois, il nous invite à l’entendre parler encore dans nos vies: «Le caractère définitif (de la révélation) en Jésus ne signifierait pas alors que ‘la révélation a maintenant cessé’. Il signifierait plutôt que les traditions qui le concernent, dans leur forme classique et reçue, deviennent maintenant le cadre dans lequel tout nouvel événement peut être perçu et compris. (Barr 1973, p. 122). Ce canon fermé est un modèle et un miroir, un cadre de référence. Il nous ouvre les yeux et les oreilles à l’œuvre actuelle de Dieu dans le monde; de cette manière nous pouvons y collaborer de façon plus lucide.

B. Pour le dialogue judéo-chrétien

Dans une étude parue en 2001 et intitulée Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne, la Commission biblique pontificale s’est penché sur la réception du Premier Testament et sur son interprétation par les chrétiens. Dans la préface du document, le cardinal Joseph Ratzinger, l’actuel Benoît XVI, décrit ainsi les enjeux en cause: «Dans son travail, la Commission Biblique ne pouvait pas faire abstraction de notre contexte actuel, où le choc de la Shoah a mis toute la question dans une autre lumière. Deux problèmes principaux se posent: les chrétiens peuvent-ils, après tout ce qui est arrivé, avoir encore tranquillement la prétention d’être des héritiers légitimes de la Bible d’Israël? Ont-ils le droit de continuer à proposer une interprétation chrétienne de cette Bible ou ne doivent-ils pas plutôt renoncer avec respect et humilité à une prétention qui, à la lumière de ce qui est arrivé, doit apparaître comme une usurpation? La deuxième question se rattache à la première: la façon dont le Nouveau Testament lui-même présente les Juifs et le peuple juif n’a-t-elle pas contribué à créer une hostilité contre le peuple juif, qui a fourni un appui à l’idéologie de ceux qui voulaient anéantir Israël? La Commission s’est posé ces deux questions. Il est clair qu’un rejet de l’Ancien Testament de la part des chrétiens, non seulement, comme on l’a indiqué ci-dessus, abolirait le christianisme lui-même, mais en outre ne pourrait pas favoriser la relation positive entre les chrétiens et les Juifs, car ils perdraient précisément le fondement commun. Mais ce qui doit résulter de ce qui s’est passé, c’est un nouveau respect pour l’interprétation juive de l’Ancien Testament. [...]. Je pense que ces analyses seront de grande utilité pour la poursuite du dialogue judéo-chrétien, ainsi que pour la formation intérieure de la conscience de soi chrétienne».

La Commission réaffirme que les Saintes Écritures du peuple juif constituent une partie fondamentale de la Bible chrétienne: «L’Église [...] a accueilli comme inspirés par Dieu tous les écrits contenus dans la Bible hébraïque ainsi que dans la Bible grecque. Le nom d’«Ancien Testament», donné à cet ensemble d’écrits, est une expression forgée par l’apôtre Paul pour désigner les écrits attribués à Moïse (cf. 2 Co 3,14-15). Son sens a été élargi, dès la fin du IIe siècle, pour l’appliquer à d’autres Écritures du peuple juif, en hébreu, araméen ou grec.» (No 2). Elle ajoute plus loin: «Les écrits du Nouveau Testament reconnaissent que les Écritures du peuple juif ont une valeur permanente de révélation divine. Ils se situent dans un rapport positif à leur égard, les considérant comme la base sur laquelle eux-mêmes s’appuient. En conséquence, l’Église a toujours maintenu que les Écritures du peuple juif font partie intégrante de la Bible chrétienne» (No 8).

Cependant juifs et chrétiens ont développé une interprétation ou une «herméneutique» différente de ces écrits: «Pour tous les courants du judaïsme de la période correspondant à la formation du canon, la Loi était au centre. En effet, en elle se trouvent les institutions essentielles révélées par Dieu lui-même et chargées de gouverner la vie religieuse, morale, juridique et politique de la nation juive après l’exil. Le recueil des prophètes contient des paroles divinement inspirées, transmises par les prophètes reconnus comme authentiques, mais pas de loi pouvant servir de base aux institutions. Sous cet aspect il est de second rang. Les «Écrits» ne sont composés ni de lois ni de paroles prophétiques et occupent par conséquent un troisième rang. Cette perspective herméneutique n’a pas été reprise par les communautés chrétiennes, à l’exception peut-être de milieux judéo-chrétiens [...]. La tendance générale, dans le Nouveau Testament, est de donner plus d’importance aux textes prophétiques, compris comme annonçant le mystère du Christ. [...] Ce qui distingue le christianisme primitif [...] est la conviction que les promesses prophétiques eschatologiques ne sont plus à considérer simplement comme objet d’espérance pour l’avenir, car leur accomplissement a déjà commencé en Jésus de Nazareth, le Christ. C’est de lui que les Écritures du peuple juif parlent en dernier ressort, quelle que soit leur extension, et c’est à sa lumière qu’elles doivent être lues pour être pleinement comprises» (No 11).

La Commission réfléchit sur cette notion d’accomplissement, qui n’est pas «la simple réalisation de ce qui était écrit», mais qui «s’effectue d’une manière imprévisible» et «comporte un dépassement», une transformation (No 21). Le document ajoute que l’interprétation chrétienne est une interprétation rétrospective: «Lorsque le lecteur chrétien perçoit que le dynamisme interne de l’Ancien Testament trouve son aboutissement en Jésus, il s’agit d’une perception rétrospective, dont le point de départ ne se situe pas dans les textes comme tels, mais dans les événements du Nouveau Testament proclamés par la prédication apostolique. On ne doit donc pas dire que le Juif ne voit pas ce qui était annoncé dans les textes, mais que le chrétien, à la lumière du Christ et dans l’Esprit, découvre dans les textes un surplus de sens qui y était caché» (No 54).

La Commission s’interroge sur la légitimité de cette interprétation après la Shoah et se demande si les chrétiens devraient revenir à une lecture juive de la Bible? Elle répond par la négative; elle affirme cependant que «les chrétiens peuvent et doivent admettre que la lecture juive de la Bible est une lecture possible, qui se trouve en continuité avec les Saintes Écritures juives de l’époque du second Temple, une lecture analogue à la lecture chrétienne, laquelle s’est développée parallèlement. Chacune de ces deux lectures est solidaire de la vision de foi respective dont elle est un produit et une expression. Elles sont, par conséquent, irréductibles l’une à l’autre. Sur le plan concret de l’exégèse, les chrétiens peuvent, néanmoins, apprendre beaucoup de l’exégèse juive pratiquée depuis plus de deux mille ans et, de fait, ils ont appris beaucoup au cours de l’histoire. De leur côté, ils peuvent espérer que les Juifs pourront tirer profit, eux aussi, des recherches exégétiques chrétiennes» (No 55).

Le document se poursuit par un examen détaillé de neuf thèmes communs fondamentaux qui ont leur racines dans le Premier Testament et qui sont réinterprétés dans le Second: 1) La révélation de Dieu, 2) La personne humaine, 3) Dieu libérateur et sauveur, 4) L’élection d’Israël, 5) L’alliance, 6) La Loi, 7) La prière et le culte, Jérusalem et le temple, 8) Reproches et condamnations, 9) Les Promesses. À chaque fois, on s’efforce de démontrer la continuité d’un Testament à l’autre, mais aussi la discontinuité et la progression (ou la transformation).

Enfin, après avoir étudié la représentation des juifs dans le Second Testament, la Commission tire ses conclusions. J’en retiens surtout, et je fais miennes, les «orientations pastorales» pour le dialogue judéo-chrétien autour des écrits bibliques. Les auteurs rappellent que la déclaration Nostra Aetate encourageait «la connaissance et l’estime mutuelles» entre juifs et chrétiens et que celles-ci «naîtront surtout d’études bibliques et théologiques ainsi que d’un dialogue fraternel» (No 4). Ils invitent à cette étude en commun, tout en reconnaissant qu’elle pose des difficultés importantes: «Du fait que le Nouveau Testament est essentiellement une proclamation de l’accomplissement du dessein de Dieu en Jésus Christ, il se trouve en grave désaccord avec la grande majorité du peuple juif, qui ne croit pas à cet accomplissement. Le Nouveau Testament exprime donc à la fois son attachement à la révélation de l’Ancien Testament et son désaccord avec la Synagogue. Ce désaccord ne peut être qualifié d’ ‘antijudaïsme’, car il s’agit d’un désaccord au niveau de la croyance, source de controverses religieuses entre deux groupes humains qui, partageant la même base de foi dans l’Ancien Testament, se divisent ensuite sur la façon de concevoir le développement ultérieur de cette foi. Si profond qu’il soit, un tel dissentiment n’implique nullement une hostilité réciproque. L’exemple de Paul en Rm 9–11 montre qu’au contraire, une attitude de respect, d’estime et d’amour pour le peuple juif est la seule attitude vraiment chrétienne dans cette situation qui fait mystérieusement partie du dessein, tout positif, de Dieu. Le dialogue reste possible, puisque Juifs et chrétiens possèdent un riche patrimoine commun qui les unit, et il est grandement souhaitable, pour éliminer progressivement, d’un côté comme de l’autre, préjugés et incompréhensions, pour favoriser une meilleure connaissance du patrimoine commun et pour renforcer les liens mutuels» (No 87).

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