La tâche de Nostra Aetate n’est pas encore achevée

Lors de la célébration du 60e anniversaire de Nostra Aetate, à Rome le 28 octobre 2025, Sarah Bernstein a partagé ce message d’espérance, de vérité et de responsabilité, évoquant la situation en Terre Sainte et l’urgence du dialogue même en des temps de douleur et d’incertitude.

Shalom, Salaam, Bonsoir.

C’était mon premier jour à l’université. J’entrai dans ma chambre et vis aussitôt un crucifix que ma colocataire avait accroché au mur. J’étais horrifiée. Moi, une jeune fille juive de 19 ans, devais dormir dans une chambre avec un crucifix? J’envisageai de changer de chambre; j’appelai ma mère, qui me dit: «Ça ira» — alors j’ai pris une profonde inspiration et j’ai appris à connaître Caroline, une fervente catholique. Notre amitié a dépassé mes peurs. Le dialogue commence par la relation, mais j’ai constaté que les liens qui survivent aux moments de crise sont ceux qu’on construit sur des conversations honnêtes, aussi difficiles soient-elles. Le travail consiste à affronter nos réactions les plus sensibles et instinctives, comme la menace que j’ai ressentie en voyant ce crucifix.

Nostra Aetate a constitué un appel courageux et révolutionnaire à affronter des perceptions négatives profondément ancrées concernant les autres religions. En tant que juive, je lui suis profondément reconnaissante. Les défis interreligieux paraissent parfois écrasants — mais Nostra Aetate nous a appris que le dialogue doit affronter les réalités brûlantes de notre temps, même si nous préférerions les éviter. En Israël-Palestine, cela signifie que nous devons aborder nos différences nationales aussi bien que religieuses. Nostra Aetate a souligné les racines juives de Jésus, Marie et des apôtres. Pour les chrétiens palestiniens d’aujourd’hui, le juif, c’est le soldat israélien qui les arrête et les fouille à un checkpoint. Le contexte change tout.

Depuis le 7 octobre 2023, le désespoir est une tentation constante. J’ai ressenti une profonde douleur pour ceux qui ont été tués ou pris en otage, l’angoisse devant la dévastation à Gaza et la honte face à l’aveuglement moral au sein de ma société. Je suis extrêmement préoccupée par la montée des attaques d’extrémistes juifs contre des chrétiens et des musulmans et contre leurs sites religieux. Elles trahissent les fondements mêmes de ce que nous sommes en tant que juifs. Elles sont injustifiables. Je suis également consternée par la montée mondiale de l’antisémitisme et de l’islamophobie. La tâche de Nostra Aetate n’est pas encore achevée.

Au Rossing Center for Education and Dialogue, notre équipe juive, chrétienne et musulmane réunit Israéliens et Palestiniens pour écouter, apprendre et guérir. Même durant cette terrible guerre, notre méthodologie «Guérir la haine» (“Healing Hatred”), fondée sur des outils de counselling spirituel, nous a aidés à maintenir le dialogue alors qu’il s’est effondré dans tant d’autres endroits du monde. Dans l’esprit de Nostra Aetate, nous faisons face aux perceptions profondément ancrées qui nous divisent. Chaque formation, qu’elle s’adresse à des responsables religieux ou à des éducateurs, chaque atelier où des adultes ou des enfants apprennent à respecter plutôt qu’à haïr, chaque expression d’empathie — ces gestes concrets transforment notre réalité. Comme l’a dit un participant: «On peut chercher Noël sur Google, mais on ne peut pas y chercher comment se faire un ami parmi ses ennemis.»

L’intellectuel palestinien Edward Said enseignait: «Là où règnent la cruauté et l’injustice, le désespoir est une forme de soumission.  Abandonner reviendrait à collaborer avec les ténèbres. Nous devons résister au désespoir — nous devons faire de l’espérance un impératif moral. L’espérance n’est pas seulement un sentiment. C’est une série d’actions — une décision quotidienne, consciente, de continuer à œuvrer pour le changement, même quand tout semble impossible. Pour moi, en tant que juive israélienne en 2025, telle est la leçon de Nostra Aetate.

Remarques de l’éditeur

Sarah Bernstein est directrice générale du Rossing Center for Education and Dialogue à Jérusalem. Née au Royaume-Uni, juriste de formation et médiatrice, Sarah travaille dans le domaine de la paix et de la coexistence depuis 2000, avec une spécialisation en dialogue interreligieux. Elle a obtenu un doctorat en Peace and Reconciliation Studies à Coventry University (Angleterre) pour une thèse intitulée Narratives of Belonging: Life Stories of Jewish-Israeli Women in Jerusalem (2011).

Source: Intervention lors de la célébration du 60e anniversaire de Nostra Aetate à Rome le 28 octobre 2025. Texte aimablement fourni par l’autrice. Une vidéo de sa présentation est disponible sur YouTube.