La prière pour la conversion des Juifs réapparaîtra-t-elle?

Le 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI publiait une Lettre apostolique en forme de Motu Proprio intitulée, d’après ses premiers mots latins « Summorum Pontificum » (document # 1). Dans cette lettre, le pape autorise et règle l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme promulguée en 1970, à la suite du concile Vatican II, par le pape Paul VI.

La prière pour la conversion des Juifs réapparaîtra-t-elle?

Dossier sur le Motu Proprio « Summorum Pontificum »

préparé par Jean Duhaime

Introduction

Le 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI publiait une Lettre apostolique en forme de Motu Proprio intitulée, d’après ses premiers mots latins « Summorum Pontificum » (document # 1). Dans cette lettre, le pape autorise et règle l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme promulguée en 1970, à la suite du concile Vatican II, par le pape Paul VI.

La rumeur de la publication de cette lettre, confirmée le 30 mars 2007 par le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d’État du Saint-Siège, a soulevé de inquiétudes dans les milieux de dialogue entre juifs et chrétiens. Ces inquiétudes se sont exprimées en particulier dans une Déclaration du groupe de discussion « Juifs et chrétiens » du Comité central des catholiques allemands parue le 4 avril 2007 (document # 2).

Ces inquiétudes portaient principalement, mais non exclusivement, sur le rituel du Vendredi-Saint qui contient une prière traditionnelle pour les Juifs, dont le pape Jean XXIII a fait rayer en 1959 l’expression tristement célèbre « Oremus et pro perfidis Judaeis » devenue en français « Prions aussi pour les Juifs perfides ». La prière du missel latin de 1962 se lit comme suit :

« Prions aussi pour les Juifs, afin que Dieu notre Seigneur enlève de leur coeur le voile qui les empêche de reconnaître notre Seigneur Jésus-Christ.

Prions : Dieu éternel et tout-puissant, vous ne refusez jamais votre miséricorde, même aux Juifs; entendez les prières que nous offrons pour l’aveuglement de ce peuple, afin qu’il reconnaisse la lumière de votre Vérité, qui est le Christ, et soit délivré de ses ténèbres. Nous vous le demandons par le même Jésus-Christ … »

Plusieurs expressions de cette prière contredisent le respect exprimé à l’égard des Juifs par le paragraphe 4 de la Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II promulguée en 1965.

La publication de Summorum Pontificum a donné lieu à de nombreux articles et commentaires. Le document # 3 en résume quelques-uns.

Ces trois documents permettront, espérons-le, de mieux comprendre les enjeux de Summorum Pontificum pour le dialogue entre Juifs et chrétiens et de suivre l’évolution de ce dossier.


Document # 1

Motu Proprio « Summorum Pontificum » (7 juillet 2007)

Les Souverains Pontifes ont toujours veillé jusqu"à nos jours à ce que l"Eglise du Christ offre à la divine Majesté un culte digne, à la louange et à la gloire de son nom et pour le bien de toute sa sainte Eglise.

Depuis des temps immémoriaux et aussi à l"avenir, le principe à observer est que chaque Eglise particulière doit être en accord avec l"Eglise universelle, non seulement quant à la doctrine de la foi et aux signes sacramentels, mais aussi quant aux usages reçus universellement de la tradition apostolique ininterrompue, qui sont à observer non seulement pour éviter des erreurs, mais pour transmettre l"intégrité de la foi, parce que la Lex Orandi de l"Eglise correspond à sa Lex Credendi (note 1).

Parmi les Pontifes qui ont eu ce soin se distingue le nom de saint Grégoire le Grand qui fut attentif à transmettre aux nouveaux peuples de l"Europe tant la foi catholique que les trésors du culte et de la culture accumulés par les Romains au cours des siècles précédents. Il ordonna de déterminer et de conserver la forme de la liturgie sacrée, aussi bien du sacrifice de la Messe que de l"office divin, telle qu"elle était célébrée à Rome. Il encouragea vivement les moines et les moniales qui, vivant sous la règle de saint Benoît, firent partout resplendir par leur vie, en même temps que l"annonce de l"Evangile, cette très salutaire manière de vivre de la règle, à ne rien mettre au-dessus de l"œuvre de Dieu. Ainsi, la liturgie selon les coutumes de Rome féconda non seulement la foi et la piété mais aussi la culture de nombreux peuples. C"est un fait en tout cas que la liturgie latine de l"Eglise sous ses diverses formes, au cours des siècles de l"ère chrétienne, a été un stimulant pour la vie spirituelle d"innombrables saints et qu"elle a affermi beaucoup de peuples par la religion et fécondé leur piété.

Au cours des siècles, beaucoup d"autres Pontifes romains se sont particulièrement employés à ce que la liturgie accomplisse plus efficacement cette tâche ; parmi eux se distingue Pie V, qui, avec un grand zèle pastoral, suivant l"exhortation du Concile de Trente, renouvela tout le culte de l"Eglise, fit éditer des livres liturgiques corrigés et réformés selon la volonté des Pères, et les donna à l"Eglise latine pour son usage.

Parmi les livres liturgiques du rite romain, la première place revient évidemment au Missel romain, qui se répandit dans la ville de Rome puis, les siècles suivants, prit peu à peu des formes qui ont des similitudes avec la forme en vigueur dans les générations récentes.

C"est le même objectif qu"ont poursuivi les Pontifes romains au cours des siècles suivants en assurant la mise à jour des rites et des livres liturgiques ou en les précisant, et ensuite, depuis le début de ce siècle, en entreprenant une réforme plus générale (note 2). Ainsi firent mes prédécesseurs Clément VIII, Urbain VIII, Pie X (note 3), Benoît XV et Jean XXIII.

Plus récemment, le Concile Vatican II exprima le désir que l"observance et le respect dus au culte divin soient de nouveau réformés et adaptés aux nécessités de notre temps. Poussé par ce désir, mon prédécesseur Paul VI approuva en 1970 des livres liturgiques restaurés et partiellement rénovés de l"Eglise latine; ceux-ci, traduits partout dans le monde en de nombreuses langues modernes, ont été accueillis avec plaisir par les évêques comme par les prêtres et les fidèles. Jean-Paul II reconnut la troisième édition type du Missel romain. Ainsi, les Pontifes romains se sont employés à ce que cet édifice liturgique, pour ainsi dire, apparaisse de nouveau dans la splendeur de sa dignité et de son harmonie (note 4).

Dans certaines régions, toutefois, de nombreux fidèles se sont attachés et continuent à être attachés avec un tel amour et une telle passion aux formes liturgiques précédentes, qui avaient profondément imprégné leur culture et leur esprit, que Jean-Paul II, poussé par la sollicitude pastorale pour ces fidèles, accorda en 1984, par un indult spécial Quattuor Abhinc Annos de la Congrégation pour le Culte divin, la faculté d"utiliser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII; puis de nouveau en 1988, par la Lettre apostolique Ecclesia Dei en forme de Motu Proprio, Jean-Paul II exhorta les Evêques à utiliser largement et généreusement cette faculté en faveur de tous les fidèles qui en feraient la demande.

Les prières instantes de ces fidèles ayant déjà été longuement pesées par mon prédécesseur Jean-Paul II, ayant moi-même entendu les Cardinaux au consistoire qui s"est tenu le 23 mars 2006, tout bien considéré, après avoir invoqué l"Esprit Saint et l"aide de Dieu, par la présente Lettre apostolique je décide ce qui suit:

Art. 1. Le Missel romain promulgué par Paul VI est l"expression ordinaire de la Lex Orandi de l"Eglise catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par Pie V et réédité par Jean XXIII doit être considéré comme l"expression extraordinaire de la même Lex Orandi de l"Eglise et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la Lex Orandi de l"Eglise n"induisent aucune division de la Lex Credendi de l"Eglise; ce sont en effet deux mises en œuvre de l"unique rite romain.

Il est donc permis de célébrer le sacrifice de la Messe suivant l"édition type du Missel romain promulgué par Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la liturgie de l"Eglise. Mais les conditions établies par les documents précédents Quattuor Abhinc Annos et Ecclesia Dei pour l"usage de ce Missel sont remplacées par ce qui suit:

Art. 2. Aux Messes célébrées sans peuple, tout prêtre catholique de rite latin, qu"il soit séculier ou religieux, peut utiliser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII ou le Missel romain promulgué en 1970 par Paul VI, et cela quel que soit le jour, sauf le Triduum sacré. Pour célébrer ainsi selon l"un ou l"autre missel, le prêtre n"a besoin d"aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son Ordinaire.

Art. 3. Si des communautés d"Instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie apostolique de droit pontifical ou de droit diocésain désirent, pour la célébration conventuelle ou communautaire, célébrer dans leurs oratoires propres la Messe selon l"édition du Missel romain promulguée en 1962, cela leur est permis. Si une communauté particulière ou tout l"Institut ou Société veut avoir de telles célébrations souvent ou habituellement ou de façon permanente, cette façon de faire doit être déterminée par les Supérieurs majeurs selon les règles du droit et les lois et statuts particuliers.

Art. 4. Aux célébrations de la Messe dont il est question ci-dessus à l"art. 2 peuvent être admis, en observant les règles du droit, des fidèles qui le demandent spontanément.

Art. 5, § 1. Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962. Il appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l"Evêque selon les normes du canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l"unité de toute l"Eglise.

Art. 5, § 2. La célébration selon le Missel de Jean XXIII peut avoir lieu les jours ordinaires; mais les dimanches et les jours de fêtes, une Messe sous cette forme peut aussi être célébrée.

Art. 5, § 3. Le Curé peut aussi autoriser aux fidèles ou au prêtre qui le demandent, la célébration sous cette forme extraordinaire dans des cas particuliers comme des mariages, des funérailles ou des célébrations occasionnelles, par exemple des pèlerinages.

Art. 5, § 4. Les prêtres utilisant le Missel de Jean XXIII doivent être idoines et non empêchés par le droit.

Art. 5, § 5. Dans les églises qui ne sont ni paroissiales ni conventuelles, il appartient au Recteur de l"église d"autoriser ce qui est indiqué ci-dessus.

Art. 6. Dans les Messes selon le Missel de Jean XXIII célébrées avec le peuple, les lectures peuvent aussi être proclamées en langue vernaculaire, utilisant des éditions reconnues par le Siège apostolique.

Art. 7. Si un groupe de fidèles laïcs dont il est question à l"article 5 § 1 n"obtient pas du curé ce qu"ils lui ont demandé, ils en informeront l"Evêque diocésain. L"Evêque est instamment prié d"exaucer leur désir. S"il ne peut pas pourvoir à cette forme de célébration, il en sera référé à la Commission pontificale Ecclesia Dei.

Art. 8. L"Evêque qui souhaite pourvoir à une telle demande de fidèles laïcs, mais qui, pour différentes raisons, en est empêché, peut en référer à la Commission pontificale Ecclesia Dei, qui lui fournira conseil et aide.

Art. 9, § 1. De même, le curé, tout bien considéré, peut concéder l"utilisation du rituel ancien pour l"administration des sacrements du baptême, du mariage, de la pénitence et de l"onction des Malades, s"il juge que le bien des âmes le réclame.

Art. 9, § 2. Aux Ordinaires est accordée la faculté de célébrer le sacrement de la confirmation en utilisant le Pontifical romain ancien, s"il juge que le bien des âmes le réclame.

Art. 9, § 3. Tout clerc dans les ordres sacrés a le droit d"utiliser aussi le Bréviaire romain promulgué par Jean XXIII en 1962.

Art. 10. S"il le juge opportun, l"Ordinaire du lieu a le droit d"ériger une paroisse personnelle au titre du canon 518, pour les célébrations selon la forme ancienne du rite romain, ou de nommer soit un recteur soit un chapelain, en observant les règles du droit.

Art. 11. La Commission pontificale Ecclesia Dei, érigée par le Pape Jean-Paul II en 1988 5, continue à exercer sa mission. Cette commission aura la forme, la charge et les normes que le Pontife romain lui-même voudra lui attribuer.

Art. 12. Cette commission, outre les facultés dont elle jouit déjà, exercera l"autorité du Saint-Siège, veillant à l"observance et à l"application de ces dispositions.

Tout ce que j"ai établi par la présente Lettre apostolique en forme de Motu Proprio, j"ordonne que cela ait une valeur pleine et stable, et soit observé à compter du 14 septembre de cette année, nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 7 juillet de l"an du Seigneur 2007, en la troisième année de mon pontificat ".

Notes:
    • Ordonnancement général du Missel romain, 3 éd., 2002, n. 397. 
    • Jean-Paul II, Lett. ap.: Vicesimus Quintus Annus, 4 décembre 1988, n. 3: AAS 81 (1989), 899.
    • Ibid.
    • Pie X, Lett. ap. sous forme de Motu Proprio: Abhinc Duos Annos, 23 octobre 1913: AAS 5 (1913), 449-450; cfr. Jean-Paul II, Lett. ap.: Vicesimus Quintus Annus, n. 3: AAS 81 (1989), 899.
    • Cfr Jean-Paul II, Lett.ap. sous forme de Motu Proprio: Ecclesia Dei, 2 juillet 1988, n. 6: AAS 80 (1988), 1498.

[Texte latin original disponible à http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/motu_proprio/documents/hf_ben-xvi_motu-proprio_20070707_summorum-pontificum_lt.html

Traduction française (non officielle) publiée par le Service de presse du Vatican (VIS) le 7 juillet 2007].

Document # 2

Déclaration du groupe de discussion « Juifs et chrétiens »

du Comité central des catholiques allemands (4 avril 2007)

Le rétablissement du rite tridentin risque de perturber

les relations entre chrétiens et Juifs

Le 31 mars 2007, le Secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Tarcisio Bertone, confirmait les rumeurs voulant que le pape publie bientôt un Motu Proprio autorisant de manière plus générale les prêtres à célébrer la messe dans sa version pré-conciliaire, celle du missel romain de 1962. Une telle autorisation n’est accordée actuellement que de façon limitée, par une permission spéciale d’un évêque local, en vertu d’un indult des évêques allemands. Au cours de leur assemblée plénière de l’automne 2006, ceux-ci ont établi que les rumeurs d’un intérêt croissant envers une pratique élargie du rite tridentin étaient sans fondement. Il n’était pas question de réadmettre de manière généralisée le rite de célébration pré-conciliaire. Mais ces rumeurs font état d’un désir dont les motivations sous-jacentes méritent une analyse approfondie.

Le groupe de discussion « Juifs et chrétiens » du Comité central des catholiques allemands, composé actuellement de 16 catholiques et de 14 Juifs, a formulé à l’unanimité des objections sérieuses contre la perspective d’un rétablissement du rite tridentin :

Le Missale Romanum de 1962 contient l’Intercession du Vendredi-Saint « pour la conversion des Juifs » (pro conversione Iudaeorum). Ce rite, certes, ne fait plus état d’un comportement « perfide » (perfidus) des Juifs, ni de leur « perfidie » (perfidia), mais l’Intercession du Vendredi-Saint exprime autrement la perspective globale [dégradante] de ce texte, utilisé dans la liturgie du Vendredi-Saint depuis le Moyen-Âge. L’intercession parle de l’« aveuglement » (obcaecatio) du peuple juif et souligne que ce peuple marche dans « les ténèbres » (tenebrae). Voilà qui contredit de manière frappante les affirmations du chapitre 4 de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate :

« Scrutant le mystère de l"Église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée Abraham.

[…] selon l"Apôtre [Paul], les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l"appel sont sans repentance (Cf. Romains 11,28-29; Concile Vatian II, Constitution Dogmatique Lumen Gentium, AAS 57, 1965, p. 20.).

[…] les Juifs ne doivent pas […] être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n"enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l"Évangile et à l"esprit du Christ. »

Réactualiser le missel de 1962 avec l’intercession du Vendredi-Saint revient à occulter un important changement de paradigme théologique réalisé par la Concile; à ignorer, de fait, la nouvelle intelligence des relations entre l’Église et le judaïsme, fondée sur la Bible, et la nouvelle vision que l’Église a d’elle-même, dans cette optique. L’intercession traditionnelle du Vendredi Saint formulait tout de même une prière pour que les Juifs reconnaissent « Notre Seigneur Jésus-Christ, la lumière de la vérité ». La version révisée, post-conciliaire, traduit une perspective plus ouverte : elle reconnaît la voie du salut des Juifs, fondée sur les desseins de Dieu, tout en demandant que les Juifs « parviennent à la plénitude de la rédemption ».

Le missel romain pré-conciliaire est associé inséparablement à l’ancien lectionnaire. Sa séquence de quelque 60 formulaires pour la célébration de la messe du dimanche et des jours fériés ne comporte pas une lecture tirée de l’Ancien Testament pour chaque dimanche, sauf dans trois cas : Isaïe 60,1-6 à la fête de l’Épiphanie, Osée 6,1-6 et Exode 12,1-11 le Vendredi-Saint, de même que douze lectures de l’Ancien Testament pendant la liturgie de la Vigile pascale, nombre réduit à quatre à l’occasion de la refonte de 1951-1955 (Genèse 1; Exode 14, 24–15,1; Isaïe 4,2-6 et Deutéronome 31,22-30). Il s’agit là d’un exemple flagrant de marcionisme, une perspective qui dévalue le premier des deux volets de la Bible chrétienne – la Bible d’Israël – et le réduit à une portée insignifiante. En rejetant les positions de Marcion, l’Église n’avait-elle pas déjà au milieu du deuxième siècle marqué son accueil de l’Ancien Testament?

La théologie et la spiritualité de la Missa Tridentina, en ce qui concerne notamment la doctrine de l’Église, contredisent également une grande partie des avancées théologiques capitales de Vatican II, touchant notamment la relation unique entre l’Église et le judaïsme (voir Lumen Gentium, 16 et Nostra Aetate, 4). La demande de rétablissement du rite tridentin concerne de telles questions théologiques fondamentales et non pas réellement la célébration de la messe en latin, autorisée facilement, partout et en tout temps, en fonction du missel romain post-conciliaire (troisième édition, Rome 2002)!

Les incidences d’une restauration du missel tridentin sont bien évidentes : cette pratique mettrait fin de manière permanente au dialogue entre Juifs et catholiques amorcé au Concile Vatican II. Tant d’efforts personnels, tant de recherches théologiques déployés par les deux parties seraient intentionnellement saccagés.

Nous espérons que le pape Benoît XVI ne permettra pas que les relations entre chrétiens et Juifs soient ainsi compromises.

Bonn, Pâques/Pesach 2007

Pour le groupe de discussion « Juifs et chrétiens » du Comité central des catholiques allemands

Professeur Hanspeter Heinz, Augsbourg

Professeur Ernst-Ludwig Ehrlich, Bâle

[Texte allemand original disponible à http://www.zdk.de/pressemeldungen/meldung.php?id=402&page=

Traduction par Pierrot Lambert pour JCRelations.net]


Document # 3

Autour de la publication de Summorum Pontificum

L’agence ZENITH a mis en ligne le 5 juillet 2007 un article intitulé « De la prière pour le peuple juif le Vendredi saint ». Cet article retrace l’histoire de la prière pour les Juifs jusqu’en 1970. Il signale également les déclaration romaines récentes les plus importantes concernant les relations avec le judaïsme, notamment l’allocution du pape Benoît XVI à la synagogue de Cologne, dans laquelle il rappelait que la Déc.aration Nostra Aetate a constitué un tournant définitif pour la promotion du dialogue judéo-chrétien. L’article précise que l’expression « prions pour les juifs perfides » n’apparaît pas dans le missel de 1962 dont l’usage sera autorisé par le Motu Proprio du 7 juillet.

http://www.zenit.org/article-15791?l=french

Sur le site du Nouvel Observateur) en date du 9 juillet 2007, on fait état de l’inquiétude manifestée par le centre Simon Wiesentahl concernant la présence de la prière « pour la conversion des juifs » dans la messe en latin du Vendredi-Saint libéralisée par le pape. L’organisation aurait demandé au pape Benoît XVI « de déclarer ce texte contraire à l’enseigement actuel de l’Église ». L’article souligne qu’une note technique du Vatican, publiée le samedi 7 juillet, précise que la prière du missel en latin est celle de 1962, qui ne comporte plus le qualificatif « perfides » pour les Juifs, sans apparemment aborder directement la question de la prière pour la conversion des juifs comme telle.

(http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20070707.OBS5536/le_pape_benoit_xvi_a_retablila_messe_en_latin.html?idfx=RSS_international)

Sur le site de First Things, le 9 juillet 2007, Richard John Neuhaus, dans un texte intitulé « The Pope’s Liturgical Liberalism », fait état de la réaction du directeur national de l’Anti-Diffamation League, M. Abraham Foxman : au nom de l’organisme, ce dernier a déclaré que le Motu Proprio marque un retour en arrière, 40 ans après que le Concile Vatican II eût retiré de la liturgie du Vendredi-Saint les propos offensant pour les Juifs. Neuhaus réplique sur ce point précis : « S’il avait lu la lettre apostolique de Benoît XVI […] il saurait qu’elle dit explicitement que le Missel de 1970 sera le seul à être utilisé durant le Triduum de la Semaine Sainte, ce qui, bien sûr, inclut le Vendredi-Saint ». Cette réponse trop rapide ne vaut cependant que pour les « messes sans peuple » mentionnées à l’art. 2 du Motu Proprio.

(http://www.firstthings.com/onthesquare/?p=796)

Le journal La Croix rapportait le 18 juillet 2007 une dépêche de l’agence Ansa indiquant que le plus proche collaborateur du pape Benoît XVI, le cardinal Tarcisio Bertone, aurait suggéré, au cours d’une conférence de presse tenue le jour même, le retrait de la prière pour la conversion des juifs dans la messe en latin réhabilitée par le pape. A son avis, la suppression de cette prière « résoudrait tous les problèmes ».

(www.la-croix.com/afp.static/pages/070718172958.a9d9ux22.htm).

Finalement, la Commission du Vatican pour les relations religieuses avec les Juifs a émis le 23 juillet 2007 un communiqué sur le Motu Proprio. Ce communiqué se présente comme une réponse provisoire aux nombreuses demandes d’information reçues particulièrement concernant la liturgie du Vendredi-Saint. On distingue deux cas. En référence à l’art. 2, on explique que les « messes privées » ne sont pas autorisées durant le Triduum pascal et que, par conséquent, la question de l’usage du texte problématique ne se pose pas. La situation est différente, précise-t-on, pour les liturgies célébrées dans les communautés visées par l’art. 3, qui sont sous la juridiction de la Commission pontificale Ecclesia Dei (communautés d’Instituts de vie consacrée, etc.) : ces communautés utilisent le Missel de 1962 pour la liturgie du Vendredi-Saint et continueront de prier pour la conversion des Juifs… Cette question exige une sérieuse réflexion, poursuit le communiqué, et on s’attend à ce qu’une adaptation du Missel de 1962 soit requise. La Commission du Vatican pour les relations religieuses avec les Juifs s’engage à poursuivre ses efforts pour trouver une solution satisfaisante à ce problème. Le communiqué se termine par l’affirmation qu’il n’est aucunement dans l’intention du Vatican « de changer de quelque manière le contenu des enseignements de Nostra Aetate concernant les relations entre l’Église et le Peuple juif ».

(http://www.bc.edu/research/cjl/meta-elements/texts/cjrelations/topics/1962_missal.htm#Vatican)