Autorités académiques,
Chers étudiants,
Amis,
C’est pour moi un immense honneur et une responsabilité encore plus grande d’être devant vous aujourd’hui. Je ne viens pas en expert des affaires géopolitiques, ni en universitaire spécialisé dans les relations internationales, mais en pasteur: un témoin issu de l’expérience vécue de la Terre Sainte. Je suis ici pour tenter de donner une voix au cri silencieux d’une terre qui saigne encore, mais qui demeure pleine d’espérance. En tant que pasteur, j’ai à cœur de prendre la parole.
Je n’entends pas revenir sur les événements de ces deux dernières années, que chacun a pu suivre dans les médias. Aujourd’hui, alors que la phase aiguë du conflit semble derrière nous – même si tout reste à reconstruire, les infrastructures, mais plus encore l’humanité et la confiance – nous disposons peut-être d’un espace intérieur plus grand qu’auparavant pour tenter de comprendre ce que cet affrontement armé a changé de manière décisive, et comment il a transformé non seulement nos perceptions personnelles et les relations entre les communautés.
Si je devais résumer la condition humaine en Terre Sainte au cours de ces mois par une seule image, ce serait celle-ci: une douleur incapable de reconnaître la douleur des autres. Le cœur, submergé et déchiré par sa propre souffrance, ne trouve plus le moindre espace pour accueillir celle d’autrui. Chacun se vit comme une victime, la seule victime, dans ce tsunami d’hostilité.
Dans ce paysage de ruines, tant matérielles que morales, la récente trêve nous a offert un répit précaire, mais pas la sérénité. La fin des hostilités ne signifie pas le début de la réconciliation. Les blessures sont trop profondes.
Alors, par où recommencer? Quel langage employer, quand tous les mots semblent usés? Vers quel horizon tourner notre regard, lorsque la fumée des explosions obscurcit le ciel depuis si longtemps?
Telle est la question qui m’anime aujourd’hui. Je vous invite à parcourir un chemin qui part de l’âpre réalité d’une terre meurtrie et s’élève vers une vocation éternelle. Un voyage dont le phare et la boussole sont le symbole le plus puissant et le plus contradictoire de l’histoire humaine: Jérusalem.
Je ne m’attarderai pas sur les enjeux ni sur les responsabilités politiques. Non que je les redoute: j’ai déjà exprimé mon opinion à ce sujet, et il n’est guère nécessaire d’y revenir. Mais ce lieu prestigieux invite à d’autres réflexions et j’essaierai de les élever le plus possible. Mon intention est plutôt d’effleurer la réalité, d’interroger une idée, un rêve, une vocation inscrite au cœur même de la Révélation.
1.0 La réalité - Les décombres du présent
Tout d'abord, comme je l'ai dit, il faut prendre conscience de la situation actuelle: dans les relations communautaires, dans les perspectives sociales et politiques, et dans la vie religieuse dont l'influence sur la société civile en Terre Sainte demeure déterminante. Depuis le 7 octobre 2023, nous sommes plongés dans une mer de sang et de feu. Nous avons été confrontés à la mort, à la destruction, au ressentiment et au désir de vengeance. Avec l'aide de Dieu, nous avons essayé d'être un pont et de garder vivante une étincelle d'espoir. Aujourd'hui, le cessez-le-feu a certes apporté des scènes de joie, mais une joie teintée d'un profond scepticisme, car nous savons que le véritable défi ne fait que commencer.
La crise a fragilisé des années de dialogue interreligieux acharné, qui peine à reprendre. Elle a d’abord détruit l'illusion de solutions rapides à la question israélo-palestinienne et à la paix.
Elle a ensuite fracturé les communautés, enfermant chacun dans sa propre douleur, sa colère et sa déception. Enfin, elle a érodé la confiance que les populations accordaient à leurs dirigeants politiques.
Dans un premier temps, je m’attarderai brièvement sur ces trois points, tout en gardant à l'esprit qu'il existe d'autres enjeux tout aussi importants, tels que le rôle de la communauté internationale et des organismes multilatéraux, la pertinence et l'efficacité actuelles des conventions internationales, et bien d’autres encore.
Ensuite, à partir de l'image de la Jérusalem de l'Apocalypse, j'essaierai d'identifier des perspectives et de préciser notre vocation de chrétiens.
1.1 Dialogue interreligieux
La haine profonde, ainsi que l'opposition politique et militaire, sont des réalités indéniables. Mais il existe également une forme de «conflit spirituel», si je puis m’exprimer ainsi. Je ne m’engagerai pas ici dans des débats théologiques ou spirituels, pourtant riches et nécessaires par ailleurs. Je ne fais pas référence à la lutte entre le bien et le mal, comme si le bien était d'un côté et le mal de l'autre, comme beaucoup l'ont souvent prétendu durant ce conflit.
Cependant, l'hostilité radicale et ses conséquences – la mort et la douleur, dont les images ont circulé dans le monde entier – posent un défi immense à la vie spirituelle de la Terre Sainte, et perturbent ceux qui perçoivent l'histoire du monde et de ses peuples comme le reflet de la présence de Dieu. De tels événements ne peuvent laisser indifférents ceux qui se soucient de la vie spirituelle. En Terre Sainte, la foi et la religion sont déterminantes pour l'existence des différentes communautés: chrétiennes, musulmanes et juives. Dès lors, une question s’impose: dans ce conflit à l’impact dévastateur sur tous, quel a été le rôle de la foi et de la religion?
Le progrès social nous a amenés à une conscience toujours plus claire des valeurs essentielles de la vie civile. Le monde se reconnaît de plus en plus en quelques mots communs à tous : justice, égalité, paix et dignité de chaque être humain, pour ne citer que ceux-ci. Les organisations internationales, après les tragédies du XXe siècle, ont produit des documents importants sur les relations entre les peuples, même en temps de conflit, établissant des lois et des conventions internationales très claires. Le dialogue interreligieux a également produit de beaux documents sur la fraternité humaine, le fait d'être tous enfants de Dieu et la nécessité de travailler ensemble pour le respect des droits de l'homme. Ce sont là les fruits d'une démarche que je considère comme spirituelle, en particulier la dernière, qui, pour des raisons évidentes, m’est la plus chère.
Et pourtant, dans le contexte actuel, tout cela semble avoir perdu son sens. Il semble que les paroles de l'Esprit, au sens que je viens de mentionner, n'aient eu aucune influence sur les décisions qui ont été prises. Il semble que les gens n'aient été mus que par un ressentiment mutuel aveugle, et que cela fut le principal critère de leurs choix.
Il faut aussi reconnaître une absence frappante dans ce conflit: la voix des chefs religieux. À quelques exceptions près, notamment ces derniers mois, nous n’avons guère entendu de déclarations, de réflexions ou de prières de leur part qui se distinguent de celles des dirigeants politiques ou sociaux. On a plutôt l’impression que chacun s’exprime exclusivement au nom de sa propre communauté – les juifs avec les juifs, les musulmans avec les musulmans, les chrétiens avec les chrétiens – renforçant son discours, souvent contre les autres.
Pendant le conflit, il était – et il reste – difficile, par exemple, d'organiser des rencontres interreligieuses, du moins publiquement. Les chefs religieux juifs, musulmans et chrétiens ne peuvent pas se rencontrer, même pour exprimer leurs divergences d'opinion. Les relations interreligieuses, autrefois considérées comme établies, semblent aujourd'hui suspendues. Chacun se sent trahi, incompris, sans défense ni soutien.
Au cours des derniers mois, je me suis souvent demandé si la foi en Dieu était vraiment à la source de la pensée et de la conscience personnelles, si elle créait parmi nous, croyants, une compréhension partagée – au moins sur certaines questions centrales de la vie sociale – ou bien alors si notre pensée était bâtie et fondée sur quelque chose d'autre. En d'autres termes, je me demande si, dans mes actions et mes paroles, je crains davantage Dieu ou les réactions des gens, des politiciens et des médias. Quand je m'adresse à ma communauté, ai-je le courage d’exercer la parêsia (l’autorité), et de proposer une vraie direction spirituelle? Est-ce que j'ouvre de nouveaux horizons, ou est-ce que je mesure chaque mot pour ne froisser personne? Les prophètes de la Bible ne sont-ils que des souvenirs du passé, ou un exemple pour notre rôle aujourd'hui?
Cette question n’est pas anodine. En ces temps de douleur et de la confusion, et compte tenu de l’importance publique de la religion, il est essentiel de se demander si, et comment, la foi peut guider nos communautés en les invitant à un auto-examen sans complaisance. La foi doit être une source de réconfort et de soutien, mais aussi, en un sens, une force de défi. Si la foi se nourrit d’une expérience de la transcendance, elle doit aussi conduire la pensée à transcender le moment présent et à ouvrir les frontières de l'esprit et du cœur en se dépassant. Les croyants peuvent certes canaliser leur colère et leur douleur dans la prière, mais ils doivent aussi lever le regard et reconnaître que Dieu les appelle ultimement à se tourner vers les autres, qui sont créés à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Ce conflit marque également un tournant dans le dialogue interreligieux, qui ne peut plus continuer comme avant, du moins entre chrétiens, musulmans et juifs. Chaque communauté religieuse a eu le sentiment de ne pas être soutenue, voire de se heurter à l'opposition des autres. Les vagues d’antisémitisme à travers le monde ont conduit les communautés juives à reprocher aux chrétiens leur manque de soutien. Les communautés islamiques se sont senties visées par l'islamophobie. Les chrétiens ont été accusés par presque tout le monde, y compris par leurs propres coreligionnaires. En bref, à quelques exceptions près, en ce moment de vérité, nous n’avons pas été capables de nous comprendre ou de prononcer une parole commune faisant autorité.
Dans le passé, j'ai déclaré – ce qui a suscité une certaine controverse – que le 7 octobre et la guerre de Gaza ont balayé des années de dialogue interreligieux. Aujourd'hui, je suis moins catégorique. Nous le constatons également dans le contexte des différentes célébrations marquant le 60e anniversaire du document «Nostra Aetate». Le 7 octobre et la guerre de Gaza ont effectivement marqué un tournant dans nos relations, mais ils n'ont pas effacé des années de dialogue interreligieux. À mes yeux, ils ont plutôt clos une étape importante du chemin parcouru ensemble. Nous ne pouvons plus nous contenter d’évaluer ce qui a été accompli ou non dans notre passé commun. Il nous faut repartir de nos expériences actuelles et aborder les thèmes centraux pour nos communautés respectives: la relation entre la religion et la politique, les différentes interprétations de l'Écriture, les concepts de personne, de droits et de dignité, l'identité personnelle et collective – en somme, des questions qui relient directement la sphère religieuse à la vie civile et sociale de nos communautés.
À partir de cette expérience, nous devons recommencer, conscients que les religions ont un rôle de guide important, et que le dialogue entre nous doit faire un pas en avant important, en partant de nos incompréhensions, de nos différences et de nos blessures.
Et cela ne doit pas être fait par seule nécessité, mais par amour. Car, malgré nos différences, nous nous aimons les uns les autres, et nous voulons que cet amour trouve une expression concrète dans notre vie et celle de nos communautés. S'aimer ne signifie pas forcément avoir les mêmes opinions, mais savoir les exprimer et les apprécier, se respecter et s'accueillir.
1.2 Le langage de la politique
La politique a joué et continuera de jouer le rôle principal dans cette crise, tant au niveau local qu'international. Toutefois, comme annoncé, ce n’est pas ce sujet que j’aborderai ici. Je souhaite plutôt aborder un autre aspect, tout aussi directement lié, à savoir le rapport entre le langage politique des dernières années et la catastrophe humaine et sociale que nous vivons aujourd’hui.
Le sujet n’est pas totalement nouveau, mais peut-être n'a-t-il jamais été exploré en profondeur dans notre contexte. Au cours des derniers mois, on a beaucoup parlé de l'inhumanité de ce conflit, d’actes dont les images ont montrée toute la bestialité. Derrière ces images qui en disent plus que des millions de mots et dont l’atrocité et la douleur qu’elles évoquent nous laissent sans voix, se cachent des situations réelles, concrètes et tangibles. Ce qui s'est passé dans le sud d'Israël le 7 octobre et ce qui s'est passé à Gaza – avec des conséquences durables a porté profondément atteinte à notre sens de l'humanité et au respect de la personne. J'ai rencontré des gens, des Israéliens et des Palestiniens, touchés par ces événements: en colère, mais également profondément blessés, humiliés, incapables de comprendre, perdus, mais aussi en besoin de paroles de proximité, d'empathie et de compréhension.
J'ai réalisé combien il est nécessaire, non seulement de s'assurer que nos institutions assument leurs responsabilité, mais aussi que nous soyons présents avec des paroles d'encouragement, et plus encore, de direction et d'orientation, dans un contexte de perte et de désorientation totale. Aux images de douleur et de haine, nous devons répondre par des images et des paroles d'espérance et de lumière.
Pourtant, ce n'est pas ce que nous avons vu, bien au contraire. La politique des dernières années n’a cessé de répandre librement et abondamment des mots de haine, de mépris et de rejet de l'autre. Les ministres et les autorités politiques d'un côté, les dirigeants de mouvements et d'organisations sociales de l'autre, qui attisent la haine ou la violence et méprisent la valeur de la vie de l'autre, n'ont pas constitué – et ne constituent toujours pas – un aspect mineur du paysage politique actuel: ils jouent un rôle décisif en empêchant certains choix politiques et en nuisant aux perspectives de paix et de stabilité. Quel avenir peuvent espérer construire un politicien qui propage l'hostilité et les idées suprémacistes ou un dirigeant qui se réjouit de la mort d’autrui?
Quel sens cela a-t-il de parler de perspectives de paix, de chemins de réconciliation, de rencontres, de dialogues ou de solutions politiques durables pour des peuples destinés à coexister, quel que soit le régime politique, si, au niveau local le slogan dominant est: «Je suis, et il n'y a pas d'autre que moi!» (Is 47,10)? Nous avons souvent été les témoins de cette attitude de rejet, émanant des deux camps, dans de nombreuses manifestations à travers le monde.
A la suite de ce constat, j'ai évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'un changement de leadership politique.
Les organisations multilatérales, très affaiblies par ce conflit, sont souvent restées paralysées, incapables de s'accorder sur les mots et le langage à adopter dans leurs déclarations.
En bref, il faut avoir le courage de dire ce que l'on pense, mais aussi de réfléchir à ce que l'on dit, en étant conscient que les mots façonnent la pensée, la culture et les orientations. Ceux qui ont une responsabilité publique ont non seulement le devoir de guider leurs communautés avec un langage approprié – un langage qui peut exprimer des sentiments et des perceptions partagés –, mais également celui d’orienter la pensée en limitant s’il le faut la propagation de la haine et de la méfiance qui prolifèrent souvent dans les médias. Il ne faut pas se contenter de suivre le courant, il faut savoir comment le diriger, quitte à être incompris et isolé.
Préserver le sens de l’humanité, surtout dans le langage, est essentiel — que ce soit en privé, en public ou sur les réseaux sociaux, qui influencent puissamment l’opinion publique sans permettre d’approfondir les réalités complexes que nous vivons.
Le langage construit l'opinion et la pensée; il peut nourrir l'espoir, mais aussi le ressentiment. La nécessité de rester humain, de respecter la dignité, le droit à la vie et à la justice de chacun, en un mot l'humanité, commence avec le langage.
Un langage violent et agressif, empreint de haine, de mépris, de rejet et d'exclusion, n’a jamais été un détail secondaire dans ce conflit. La déshumanisation de l'autre, quel ce soit son camp, est une forme de violence qui qui en justifie d’autres, sous des formes variées et dans des contextes multiples.
Il faut reconnaître que ce phénomène ne date pas du 7 octobre. Combien de fois, ces dernières années, avons-nous dû éviter, dans un certain contexte, l’usage de certains mots qui étaient courants et banals dans un autre contexte, et vice versa? Chaque camp, israélien et palestinien, avait son propre vocabulaire et son propre récit, différents et indépendants l’un de l'autre, qui ne se rencontraient pas, mis à part dans quelques cercles restreints.
Il est donc nécessaire d’avoir le courage d’adopter un langage inclusif, même dans les oppositions ou les conflits les plus violents. Ce langage doit maintenir fermement le sens de l’humanité, car, quels que soient les actes qui peuvent nous défigurer, nous restons tous des êtres créés à l’image de Dieu.
En public comme en privé, dans les médias, les synagogues, les églises et les mosquées, il nous faut oser utiliser des mots qui ouvrent des horizons, plutôt que d’inciter à la violence ou au rejet. N’est-ce pas là, en définitive, la plus grande contribution que l’Église peut apporter dans notre situation actuelle: offrir un langage capable de faire advenir un monde nouveau, encore invisible certes, mais déjà pressenti à l’horizon?
Même les universités, qui devraient encourager la pensée critique, sont devenues parfois des lieux d'intolérance morale. L'histoire européenne nous a déjà montré les risques de la quête de la pureté: le mal naît aussi de l'incapacité à penser et à questionner. Aujourd'hui, le vrai danger est de considérer la pensée critique et le doute comme une faiblesse.
Les centres culturels, comme celui-ci, jouent un rôle clé: ils doivent contribuer à élaborer un langage et une pensée qui respectent les droits des individus et des communautés, aident à interpréter la réalité et participent à sa construction. Ils doivent proposer des parcours éducatifs qui permettent de comprendre les grands changements en cours, plutôt que de les subir passivement. Une politique sans vision, sans réflexion fondée sur un sens commun de l'humanité et de l'appartenance, sans respect de sa propre dignité et de celle des autres, ne peut qu'apporter la ruine, comme nous l'avons vu.
1.3 L'expérience vécue des communautés
Ces dernières années, les communautés israélienne et palestinienne ont traversé une crise interne sans précédent, qui a profondément ébranlé leur confiance en la possibilité d'un changement et même l'espoir d'un avenir politique stable et pacifié. Un sentiment généralisé de dépression et de lassitude, que le cessez-le-feu n'a pas dissipé, persiste. La libération des otages a soulagé la communauté israélienne, mais elle n'a pas résolu la crise politique du pays, qui semble de plus en plus divisé sur la question de l'identité nationale.
Si les Israéliens ont connu un certain soulagement après la libération des otages, la situation des Palestiniens est tout autre. À Gaza, tout est détruit et il n'y a pas de vision claire pour l'avenir, qu’il s’agisse de la reconstruction ou de la gouvernance. En Cisjordanie, les conditions ne cessent de se dégrader, avec des attaques incessantes de la part des colons qui ne respectent ni la loi ni la vie de la population locale. Aucune amélioration ne se profile.
Ce contexte, aggravé par les horreurs du conflit, a renforcé les sentiments de méfiance, d’abandon et de désespoir. L’hostilité et le rejet entre Israéliens et Palestiniens ne font que s’intensifier.
Je dois le souligner: sans un leadership politique et religieux capable d'orienter leurs populations respectives dans une nouvelle direction, il sera difficile de trouver une issue.
Nous devrons tout reconstruire – pas seulement des maisons, mais aussi la confiance. Pour y parvenir, les mots «justice», «vérité», «pardon» et «réconciliation» doivent cesser d'être de simples aspirations pour redevenir des réalités vécues.
Mais comment reconstruire l'âme d'un peuple? Il faut un modèle. Il faut une idée forte. Ici, la foi ne peut plus se limiter à une consolation privée: elle doit devenir un prisme prophétique pour interpréter et orienter l'histoire.
Je crois qu’ après la dévastation humaine, sociale et religieuse que ce conflit a causée, le temps à venir doit être consacré à la reconstruction. Les universités regorgent d'analyses politiques, les tribunaux internationaux instruisent les plaintes et les parlements sont remplis de débats.
Il est maintenant nécessaire de définir les critères et de poser les fondements de la reconstruction, de redéfinir notre vocation ecclésiale. Je voudrais le faire en utilisant l'image de la Jérusalem des deux derniers chapitres du livre de l'Apocalypse. Cette image m'est chère, notamment parce que je suis l'évêque de Jérusalem. Je crois qu'elle exprime très bien ce que doit être la vocation de l'Église aujourd'hui, dans notre contexte spécifique.
2.0 La vocation - Le rêve de Dieu appelé Jérusalem
La Bible s’ouvre sur un jardin, l'Éden, mais se clôt sur une ville: la nouvelle Jérusalem. Cette progression n'est pas anodine, elle est révélatrice. L'aboutissement de l'histoire humaine n'est pas un retour à l'innocence primordiale, mais une admission dans une communauté mature, complexe et réconciliée – une ville.
Dans la vision du livre de l'Apocalypse, Jérusalem n'est pas une utopie mais un modèle d'existence. Elle représente la manière dont les chrétiens sont appelés à habiter le monde. Explorons ses caractérisiques qui éclairent notre vocation actuelle en tant qu'Église de Terre Sainte – et peut-être au-delà.
2.1 Une ville avec un ciel ouvert (Apocalypse 21,1)
Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle; Car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus. (Apocalypse 21,1)
La première chose que Jean voit n'est pas la ville, mais son ciel. «Un nouveau ciel». Jérusalem possède un ciel, ce qui pourrait paraître évident, mais ne l'est pas.
Babylone, son antagoniste, est décrite dans les moindres détails: ses fleuves, ses déserts, ses abîmes. Pourtant, jamais son ciel n'est mentionné. C'est une cité sans ciel, autrement dit sans Dieu, une ville enfermée dans un horizon purement humain, condamnée à la ruine.
Jérusalem, en revanche, a non seulement un ciel, mais un ciel particulier: un ciel «nouveau». Pourquoi est-ce nouveau? Ce n'est pas la première fois que Jean parle du ciel. Au chapitre 4, après les lettres aux sept églises, les visions commencent par une annonce: le voyant voit qu'une porte est ouverte dans le ciel (Apocalypse 4,1).
Le ciel est nouveau fondamentalement parce qu'il est ouvert, et il est ouvert parce que le Fils de l'homme est descendu du ciel et est remonté au ciel (cf. Jean 1,51). Ce ciel est nouveau parce qu'en retournant aux cieux après la résurrection, le Seigneur glorieux entraîne avec lui toute l'humanité: le ciel nouveau est déjà peuplé. Là où apparaît un ciel nouveau, émerge aussi une nouvelle terre (Apocalypse 21,1) et une cité nouvelle (Apocalypse 21,2).
Cette vision de l'Apocalypse présente une Jérusalem marquée par une totale nouveauté de vie: «les premières choses ont passé... Voici, c'est moi qui fais toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21,4-5).
Cette description magnifique de l'identité de Jérusalem nous rappelle que pour édifier la cité et tisser des relations entre nos communautés, nous devons avant tout cultiver la conscience de la présence divine, par la foi. Dieu ne saurait être exclu. Jérusalem possède un ciel, elle est habitée par la présence de Dieu. La question de Jérusalem ne se réduit pas à des frontières politiques ou des accords techniques. Nous devons reconnaître que l'essence même de la ville sainte et de la Terre Sainte en général, est d'être le lieu de la révélation de Dieu, le lieu où les religions trouvent leur maison spirituelle. De nombreux accords précédents sur Jérusalem ont échoué, et les futurs sont voués au même sort si les sensibilités religieuses et spirituelles des communautés qui en font partie – juives, musulmanes et chrétiennes – ne sont pas prises en compte équitablement. Jérusalem doit être avant tout une maison de prière pour tous les peuples. Nous avons vraiment besoin de quelque chose de nouveau, besoin de dépasser les statu quo figés, de construire de nouveaux modèles de vie et de relations, là où la foi commune en Dieu devient une occasion de rencontre et non d'exclusion en nous ouvrant au ciel et au monde, et où tous les croyants se sentent appelés à conduire l'humanité vers Dieu.
Aucun projet de paix en Terre Sainte ne peut faire abstraction de la dimension verticale, de la conscience que cette terre est avant tout le lieu de la Révélation.
2.2 Une ville qui descend (Apocalypse 21,2.10)
Et j'ai vu la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel d'auprès de Dieu, préparée comme une épouse parée pour son époux... Et dans l'esprit, il m'emporta sur une grande et haute montagne et me fit voir la ville sainte de Jérusalem, descendant du ciel d'auprès de Dieu. (Apocalypse 21,2.10)
Jérusalem ne s'élève pas fièrement vers le ciel; elle descend. Jean la voit descendre deux fois. Il ne s'agit pas d'un événement unique, mais de l’expression de sa nature même. Ce mouvement descendant n'est pas quelque chose qui s'est produit une fois pour toutes, mais un mode d'existence. C'est une ville qui se reçoit continuellement de Dieu. Sa vie n'est pas une conquête mais un don. Jean utilise les images bibliques d'une mariée se parant pour l'époux et d'une tente où Dieu habite. C'est donc une ville appelée à vivre dans une profonde intimité avec le Seigneur, mais aussi à être, comme la tente biblique, un lieu de rencontre entre Dieu et l'humanité.
C'est un avertissement crucial pour les institutions religieuses: sans une «descente du ciel» continue, sans puiser humblement à la source de la relation avec Dieu, la religion risque de dépérir. Sans cette «descente du ciel» permanente — c’est-à-dire sans enraciner constamment leur manière de penser dans la relation avec Dieu et sans se nourrir sans cesse de Sa Parole —, les religions risquent de se transformer en forteresses closes plutôt qu’en cités accueillantes, ouvertes au monde. Recevoir continuellement de Dieu la force et la perspective n'est pas donné une fois pour toutes; cela nécessite une tension spirituelle permanente.
2.3 Une ville sans temple (Apocalypse 21,22)
Je n'ai vu aucun temple dans la ville, car son temple est le Seigneur, Dieu, le Tout-Puissant et l'Agneau. (Apocalypse 21,22)
Ainsi, Dieu envisage une ville dans laquelle il vivra au milieu des êtres humains. Dans l'Ancien Testament, la présence de Dieu était garantie par le temple, le lieu où Il résidait et où les hommes pouvaient Le rencontrer.
La vision johannique de Jérusalem dans l'Apocalypse introduit une innovation majeure, particulièrement évidente quand on la confronte au texte d'Ézéchiel (ch. 40–48) qui décrit précisément le Temple comme lieu central de la présence divine: «Dès lors, le nom de la ville sera: Le Seigneur est là» (Ézéchiel 48,35).
L'Apocalypse rompt radicalement avec cette conception. Jean y déclare: «Je n'ai vu aucun temple». Dans cette cité divine, le sacré n'est plus circonscrit. La frontière entre sacré et profane disparaît. Dieu ne réside plus dans une construction, mais dans une relation: «Le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l'Agneau». Il n'existe plus de lieu où Dieu serait présent et d'autres où Il serait absent, plus d'endroit où Il écouterait et d'autres où Il resterait sourd. Cela signifie également qu’il ne s’agit pas d’un lieu où certains seraient inclus et d’autres exclus. Tous sont admis, précisément parce qu'il n'y a plus de séparation. Dans Ézéchiel, l'accès au temple était réservé aux prêtres, et tout était organisé selon une classification très rigide. Dans la nouvelle Jérusalem, tout le monde peut entrer: hommes et femmes, enfants, libres et esclaves, bien-portants et malades.
Dans la nouvelle Jérusalem, il n'y a pas de lieux à posséder, seulement des relations à édifier. Message crucial dans notre contexte marqué par les conflits territoriaux, la définition des frontières et l'exclusion mutuelle. L'occupation des espaces semble être notre principale préoccupation. Il semble que pour exister ou être entendu, il faut posséder des biens, occuper des territoires, justifier sa présence par la propriété. Sans espace, point de légitimité. À tous les niveaux – frontières, lieux saints, propriété – tout semble reposer sur la possession. Tout semble tourner autour de la question des espaces, devenus le seul critère d'interprétation des perspectives politiques et sociales. Nous avons vu où cela nous a menés. Peut-être serait-il nécessaire de repenser ces critères.
Nous ne devons pas être naïfs. Les frontières restent indispensables pour délimiter nos espaces vitaux. Mais elles ne doivent pas devenir des instruments de division. Nous avons la capacité – et le devoir – de trouver des moyens de coexister, en respectant les lieux de chacun, et pour les espaces partagés, de tracer des voies de concorde qui honorent l'histoire et les sensibilités de tous. Le Dieu de la Jérusalem céleste ne s'approprie pas d'espaces ni n'érige de barrières. Personne n'est exclu. Il s'ensuit qu'on ne saurait invoquer Dieu pour légitimer des exclusions.
Ce n'est pas une petite leçon, surtout à une époque où règne un langage de rejet, complètement différente, où l'on conteste à l'autre ses lieux, son histoire, voire son existence. Ce message important représente une révolution copernicienne.
2.4 Une ville illuminée par une lampe (Apocalypse 21,23)
Et la ville n'a pas besoin du soleil ou de la lune pour briller sur elle, car la gloire de Dieu est sa lumière, et sa lampe est l'Agneau (Apocalypse 21,23).
Et il n'y aura plus de nuit; ils n'ont besoin ni de la lumière de la lampe ni du soleil, car le Seigneur Dieu sera leur lumière (Apocalypse 22,5).
Nous avons vu qu'il n'y avait pas de temple dans cette ville; mais alors où est Dieu? Comment habite-t-il à Jérusalem? Où le rencontre-t-on? La présence de Dieu dans la ville n'est ni pesante ni écrasante; elle n'occupe pas l'espace, elle n'attire pas l'attention par sa grandeur. Dieu n’est pas un monument qui domine la cité, mais une lampe qui l’éclaire.
Dieu est présent comme une lumière. Il est présent comme une nouvelle façon de voir, et donc de vivre; Il illumine les relations, la vie et toutes choses.
Dieu est cette lumière pascale qui révèle la vie là où nos yeux ne perçoivent que la mort. Il nous invite à repenser l'avenir de la ville au-delà des critères étroits de possession des espaces, des frontières et de la propriété. Nous devons sortir de cette perspective claustrophobique. La lumière n'est pas possédée; elle est accueillie et diffusée.
2.5 Une ville dont les portes sont toujours ouvertes (Apocalypse 21,25)
Il a une grande et haute muraille avec douze portes, et aux portes douze anges, et sur les portes sont inscrits les noms des douze tribus des Israélites...
La muraille de la ville a douze fondations, sur lesquelles sont les douze noms des douze apôtres de l'Agneau. (Apocalypse 21,12-14)
Une chose frappe par son apparente incongruité qui ferait croire à une erreur: les apôtres, qui dans l’histoire du salut viennent après les tribus d’Israël, sont ici les fondations de l’édifice, tandis que les 12 tribus d’Israël figurent sur les portes qui sont construites plus tard. Il eut été plus logique que les 12 tribus soient le fondement, et non les portes. C'est la singularité et la nouveauté de cette construction: dans le dessein de Dieu, ce qui est plus ancien n'est pas nécessairement le fondement. Dieu recrée l'histoire en établissant de nouvelles fondations, en rendant possible une nouvelle réalité. Pourtant, rien n'est jeté ou perdu; tout est nécessaire et tout trouve sa place au sein du nouveau bâtiment. Ainsi, Jérusalem devient l'accomplissement à la fois pour les douze tribus et pour les douze apôtres, et ce n'est qu'en elle que chacun peut trouver son sens et sa mission.
Cela soulève un point important qui concerne l'interprétation de l'histoire. Aujourd'hui, chacun a sa propre lecture de l'histoire, son propre récit des événements, souvent teinté de méfiance envers l’autre, perçu comme une menace – à tort ou à raison. Il est nécessaire de repenser les catégories de l'histoire, de la mémoire et, par conséquent, de la culpabilité, de la justice et du pardon, en reliant directement la sphère religieuse aux domaines moral, social et politique.
Une grande partie de la violence d'aujourd'hui provient de l'incapacité à reconsidérer de manière critique – ou, en termes religieux, à racheter – son propre récit historique. Nous le constatons aussi dans l'utilisation de terminologies différentes, dans les noms donnés aux lieux, qui racontent l'histoire de ces endroits de manières complètement différentes. Nous resterons toujours coincés sans une réinterprétation de notre propre histoire – non pour nier les faits du passé, mais pour ne plus les laisser déterminer les choix présents.
Ses portes ne seront jamais fermées le jour – et il n'y aura pas de nuit là-bas. (Apocalypse 21,25)
Les murs d'une ville sont construits pour se défendre. Mais ici, ils ne protègent rien. Ils définissent simplement un choix: qui veut vivre selon le style de la nouvelle Jérusalem, à la lumière de l’Agneau, et qui ne le veut pas. Il n'y a rien à défendre, seulement un mode de vie à proposer. «Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples» (Isaïe 56,7).
Les portes sont ouvertes dans les quatre directions, afin que quiconque, à tout moment, puisse entrer et participer à cette réalité nouvelle, où une nouvelle vie est possible pour tous, sans exclusion aucune. Tout le monde peut faire partie du peuple saint de Dieu. C'est une indication claire supplémentaire: personne ne peut avoir de monopole. La paix n’est pas imposée. Elle n'est pas le résultat d’une contrainte, mais le fruit d’un projet partagé, où chacun a sa place.
2.6 Une ville qui guérit les nations (Apocalypse 22,1-2)
Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire... Ils y apporteront la gloire et l'honneur des nations. (Apocalypse 21,24.26)
Non seulement les peuples ne sont pas perçus comme une menace, mais au contraire comme une source de richesse. C'est une innovation majeure: leur présence participe à la beauté de Jérusalem. Les canons de la beauté, de la sainteté et de la pureté sont complètement inversés: ce n'est pas le fait d’être préservé ni isolé qui définit ce qui est est beau, mais c’est ce qui est ouvert aux autres qui devient symbole de beauté. Jérusalem s'enrichit de ce qu'elle accueille.
Au début, nous avons vu que Jérusalem est construite à la mesure de ce qu'elle reçoit de Dieu; maintenant la vision est complète: Jérusalem s'enrichit de ce qu'elle reçoit des autres. Les deux dimensions vont de pair.
Cela semble accomplir la prophétie d'Isaïe (2,2-3):
« Toutes les nations afflueront vers lui. Beaucoup de peuples viendront et diront: Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob; afin qu'il nous enseigne ses voies et que nous marchions dans ses sentiers.»
La Terre Sainte n'est pas un microcosme clos sur lui-même. Elle entretient un lien indissoluble avec le monde entier, et réciproquement. C'est pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui pour parler d’elle – en raison de cette proximité historique, culturelle et religieuse avec ce qui se passe en Terre Sainte, la terre qui témoigne de l'histoire de la révélation et qui sert de paradigme aux dynamiques qui impliquent le monde entier. Le cœur du monde bat à Jérusalem. Les millions de pèlerins qui arrivent du monde entier dans la ville sainte en témoignent. Les pèlerins font partie de l'identité de la ville. Sans eux, comme nous pouvons malheureusement le constater ces jours-ci, la ville reste incomplète.
Les dirigeants locaux doivent toujours garder à l'esprit que ce qui se passe à Jérusalem affecte la vie de milliards de croyants dans le monde. Ce n'est pas seulement l'affaire privée de ceux qui ont la grâce de vivre dans ces lieux, ou la décision de l'une des différentes communautés qui la composent. Le monde a le devoir et le droit de s'y intéresser et d'intervenir. Jérusalem appartient à tout le monde, et personne ne peut revendiquer un monopole exclusif sur elle.
Un fleuve d’eau vive
Alors l'ange me montra le fleuve de l'eau de la vie, brillant comme du cristal, qui s’écoulait du trône de Dieu et de l'Agneau au milieu de la rue de la ville.
De chaque côté de la rivière se trouve l'arbre de vie avec ses douze sortes de fruits, produisant ses fruits chaque mois; et les feuilles de l'arbre servent à la guérison des nations. (Apocalypse 22:1-2)
La vocation de Jérusalem ne se limite pas à ses murs; elle ne s'achève pas en elle-même. Ce serait trop peu si Jérusalem n'était «que» tout ce que nous avons dit jusqu'à présent. De son cœur, où règne l'Agneau, jaillit une source d'eau vive, permettant la croissance d'un arbre de vie pour elle-même et pour le monde entier.
Jérusalem est une ville qui va de l’avant, c’est une ville appelée à porter du fruit pour l'humanité. Elle a une mission unique: «guérir les nations». Guérir de quoi? Le texte ne le précise pas. Il dit cependant que ce qui guérit, c'est le fait d'être en vie, de participer à la vie de Dieu.
La Terre Sainte aura besoin de guérison. Il faudra de longs chemins de guérison pour les nombreuses et très douloureuses blessures que ce conflit a produites dans la vie de toutes les communautés.
Guérir des blessures, de la haine, de la mémoire toxique – c'est sa tâche ultime et sublime.
3.0 Conclusion: Du symbole à l'histoire
Naturellement, beaucoup d'autres passages manquent à ma présentation, notamment ceux concernant le châtiment réservé à ceux qui refusent cette vision et choisissent de rester en dehors.
Je me suis concentré sur ce que je considère comme une image forte – une inspiration pour la communauté chrétienne de Jérusalem et sa vocation en ce moment historique.
Nous avons besoin, en effet, d'un point de référence idéal vers lequel revenir et dont nous pouvons nous inspirer pour notre réflexion. Chacun des passages que j'ai cités peut également avoir des implications politiques immédiates. L'identité religieuse de Jérusalem nous rappelle que ses problèmes ne peuvent être résolus uniquement dans un contexte politique. Les échecs du passé ont démontré la nécessité de tenir compte des différentes sensibilités religieuses.
La tente et l'épouse sont de belles images qui parlent d'intimité et de communion. Les différentes communautés de Jérusalem – juifs, musulmans et chrétiens – constituent ensemble son identité. L'intimité avec Dieu va de pair avec l'harmonie entre les communautés. Les barrières et les divisions entre les communautés sont un déni de l'intimité de chacune d’entre elles avec Dieu. Il est donc du devoir des responsables politiques et religieux de favoriser des relations toujours plus grandes entre les différentes communautés, qui malheureusement ne se connaissent pas bien.
Si elles ne préservent pas leur dimension spirituelle, les institutions religieuses se sclérosent; au lieu de favoriser la croissance de la foi, elles deviennent des obstacles à une véritable connaissance de Dieu.
La présence de l'Agneau, qui est la source de la lumière, met également en évidence l'un des éléments les plus douloureux de ce conflit et des précédents: les frontières, la terre, les propriétés, les lieux saints. Le texte biblique, cependant, ignore cet aspect. Il faudra donc trouver de nouveaux équilibres, où les propriétés, les lieux saints et les frontières ne soient pas considérés comme absolus ou intouchables. L'histoire et le conflit actuel ont douloureusement démontré l'échec de cette approche. Nous devons donc essayer d'identifier des solutions qui tiennent compte de la réalité du territoire et des besoins vitaux de chaque communauté, mais de manière différente du passé.
Nous ne pourrons pas faire tout cela sans une relecture sérieuse de l'histoire et une refonte des catégories de la mémoire, et par conséquent, sans des chemins de guérison et de pardon.
Ne nous leurrons pas en pensant que nous pouvons trouver des solutions seuls. Jérusalem appartient à tous, parce que tous sont nés en elle (Psaume 87,4). Dans ce contexte, la communauté internationale est appelée à faire sa part, plus qu'elle n'a pu le faire jusqu'à présent.
Nous devons maintenant nous redécouvrir en tant que communauté, retisser nos liens patiemment avec les juifs et les musulmans. Cela exigera un nouveau leadership, certes, mais plus encore, un langage inédit, des perspectives neuves, un fondement différent pour édifier les relations de demain. Nous ne serons pas capables de tout accomplir. Nous aurons toujours besoin de ce point de référence idéal, vers lequel revenir sans cesse. C’est avec lui, pas à pas, au cours d’un processus qui sera long, que nous pourrons remodeler nos relations.
Dieu a créé le monde avec la Parole. Nous créons les nôtres avec nos mots.
Telle sera la mission de l'Église de Jérusalem: repartir de cette image forte. La communauté chrétienne de Jérusalem, petite mais résiliente, est appelée à vivre, ici et maintenant, dans la réalité dramatique du conflit, à l’image de la Jérusalem céleste.
Être un pont, pas une barrière. Être une lumière pascale qui perce les ténèbres du ressentiment. Être une maison aux portes ouvertes, où l'autre est accueilli comme un cadeau, et non craint comme une menace. Être un instrument de guérison qui ne se lasse pas de panser les blessures.
Jérusalem, la ville terrestre, avec ses blessures, est appelée à devenir toujours plus un signe, un sacrement de cette Jérusalem qui descend de Dieu, riche en paix, ouverte à tous, et dont le seul but est de guérir le monde.
Merci.

