Jérusalem, ville unique

Agnès Tichit,
Jérusalem, ville unique.

Paris : Éditions de l'Atelier, 2002. 124 p., cartes. 13,70€.
EAN 9782708236189.

Le propos de cet ouvrage, paru en 2002, mais toujours d’actualité, est «essentiellement centré sur le Temple de Jérusalem en fonction des époques qui ont marqué l’histoire de la Bible» (p. 9). Les six premiers chapitres retracent l’histoire de la ville et du Temple. Les deux suivants présentent le rapport que Jésus (chap. 7) et les premiers chrétiens (chap. 8) entretiennent avec Temple et la ville, tandis que le dernier fait le pont «De la Bible à nous» (chap. 9).

Le chapitre 1, « Des origines à l’époque de Canaan », offre d’abord une description du relief, « façonné par les trois vallées du Cédron, du Tyropoeon et du Hinnom » (p. 11) et signale la plus ancienne occupation du site, au 4e millénaire avant notre ère, avant d’évoquer les premières mentions de Jérusalem dans des textes d’excécration égyptiens et dans la correspondnce de Tell el-Amarna. Les sources bibliques relatives à cette époque, «dont il convient cependant de relativiser la portée historique» (p. 15-16) se trouvent: en Genèse 14 qui évoque la rencontre d’Abraham avec Melkisédeq, roi de Salem; en Josué 10,1-27 et Juges 1,1-7, où Jérusalem est une étape de l’invasion de Canaan; et en Juges 19,10-11 et 1 Chroniques 11,4 sous le nom de Jébus, d’après le nom de sa population cananéenne.

Le chapitre 2 couvre l’époque du premier Temple. David conquiert Jérusalem vers 1000 avant notre ère (2 Samuel 5,6-12), d’une manière qui reste encore inexpliquée, pour en faire la capitale d’un royaume unifiant les tribus du sud et du nord; il y installe l’arche d’alliance qui en affirme destin religieux. Il revient à Salomon (vers 970-933 a.n.è.) de construire le Temple, que «la Bible décrit par le menu détail, mais sans grande clarté» (p. 22; voir 1 Rois 6,1-38; 7,13-51). La ville sera sauvée des assauts de l’Assyrie au 8e s. a.n.è. grâce aux travaux de défense effectués par Ézéchias (716-687 a.n.è) auquel on attribue notamment la construction d’un canal amenant les eaux de la source de Gihon à l’intérieur des murs de la ville (2 Rois 20,20). La ville ne résistera pas aux attaques du babylonien Nabuchodonosor qui prend la ville une première fois en 597 a.n.è et lui donne le coup fatal en 587, détruisant la ville, le palais royal et le Temple, et déportant sa population.

Le chapitre 3 nous introduit dans «L’époque du second Temple», inaugurée par l’Édit de Cyrus (537 a.n.è) qui autorise le retour des exilés et la reconstruction du Temple, achevée en 515 a.n.è. (Esdras 1,2-4; 6,3-5). Les remparts seront relevés sous Néhémie (445-433 a.n.è.), qui procède également à une réoganisation religieuse et sociale (Néhémie 5; 6,15; 11,1-2; 13,15-29). La mission du scribe Esdras, que l’on situerait un peu plus tard (398 a.n.è. d’après Esdras 7,7) consiste à favoriser un nouveau retour d’exilés, à veiller à la reprise du culte et à «proclamer la Loi de Dieu comme loi d’État (Esdras 7,13-26; Néhémie 8). «Dans ce contexte», conclut A. Tichit, «Jérusalem retrouve sa fonction de centre spirituel des juifs » (p. 37).

La purification du second Temple à la période hellénistique est le sujet  du chapitre 4. Suite à l’expansion de l’empire grec grace aux conquêtes d’Alexandre le Grand, Jérusalem est gouvernée par ses héritiers, d’abord  les Ptolémées d’Égypte, puis les Séleucides de Syrie. L’un de ceux-ci, Antiochus IV Épiphane force l’hellénisation de la ville en 167 a.n.è. en interdisant les pratiques identitaires et religieuses juives (chabbat, cacherout, circoncision) et en profanant le Temple par l’installation d’une statue de Zeus. La révolte menée par les Maccabées conduit à la purification du Temple par Judas Maccabée en 164 a.n.è. et à l’instauration de la fête de la Dédicace (Hanoukkah; voir 1 Maccabées 3,10 – 4,61; 2 Maccabées 8,1 – 10,8). Au cours des décennies suivantes, les frères et descendants de Judas relèvent les murs de la ville et instaurent la dynastie des Hasmonéens.

Avec le chapitre 5, on passe à l’époque romaine et au règne d’Hérode le Grand (37-4 a.n.è.) auquel on doit l’expansion de la muraille de la ville, l’aménagement de lieux publics (théâtre, stade) et surtout l’agrandissement et l’embellissement du Temple, dont il aurait doublé l’esplanade. La mention d’une pierre d’époque hérodienne découverte dans l’angle sud-ouest de cette esplanade et portant l’inscription « Pour l’endroit de la sonnerie de la trompette pour [annoncer]… » sert de transition à un brève présentation des fêtes de pèlerinage au Temple pour Pessah, Chavouot et Soukkot. Durant la période de troubles qui suit  la mort d’Hérode, on assiste à plusieurs soulèvements contre l’occupant, dont la grande révolte années 66-70, matée par une importante campagne militaire se soldant par la chute de Jérusalem la destruction du second Temple en 70. Au terme d’une deuxième révolte, menée par le charismatique Bar Kokhba de 132 à 135, les juifs sont interdits de séjour à Jésusalem.

La disparition du Temple entraine profonde réorganisation de la vie juive, décrite au chapitre 6. La vie liturgique d’Israël «garde l’orientation vers Jérusalem et son Temple» (p. 63), mais par la mémoire: on attribue alors aux actes de bonté une valeur expiatoire équivalente, voire supérieure, à celle des sacrifices et on considère la prière comme un «service» du coeur» correspondant au «service de l’autel». La «bénédiction de la rédemption» qui termine le récit de la Pâque exprime l’espoir de la reconstruction de Jérusalem et de la restauration du culte. Cette attente, souligne A. Tichit, est diversément interprétée dans les courants du judaïsme contemporain. Le repentir, important particulièrement durant les dix jours entre la fête de Ro’ch ha-Chanah (le nouvel an juif) et le Yom Kippour (Jour du Pardon) «fournit une réponse au problème du pardon des péchés» (p. 65), tout comme l’étude de la Torah, entre autres des textes concernant les divers types de sacrifices qui se déroulaient au Temple. Enfin, à travers une vie spirituelle intense, le corps même du fidèle devient un sanctuaire de sainteté, «en référence au Temple de Jérusalem, dont la réalité ne peut se perdre» (p. 73).

Le chapitre 7, «Jésus à l’ombre du Temple», présente le Temple comme «le lieu de l’affrontement ultime» (p. 76), du choix pour ou contre la personne de Jésus, anticipé par la parole du vieillard Syméon lors de la présentation de Jésus au Temple (Luc 2,34). Si l’action prophétique de Jésus s’amorce en Galilée, elle culmine à Jérusalem où il est perçu comme un non-conformiste «à première vue assez proche des zélotes» (p. 78) et une menace pour les autorités religieuses. La purification du Temple est considérée comme le geste décisif de Jésus. Il a suscité diverses interprétations en raison de son ambiguïté: émeute à la zélote, manifestation d’indignation contre l’exploitation des pauvres, geste prophétique en faveur d’un culte purifié… Quoiqu’il en soit, ce geste provocateur aurait poussé les autorités sadducéennes à vouloir éliminer Jésus. Dans les évangilses synoptiques, cet épisode est suivi d’une prophétie annonçant la destruction du Temple (Matthieu 24,1-3; Marc 13,1-4, Luc 21,5-7). Dans l’évangile de Jean, la destruction du Temple et sa reconstruction en trois jours deviennent une métaphore de la mort et de la résurrection du Christ, dont le corps est assimilé au Temple, lieu de proximité de la présence divine (Jean 2,17-22). Aussi, après la résurrection, les disciples «pouvaient-ils désormais, en Jésus-Christ, faire mémoire de la maison de sanctification collective»… (p. 86).

L’atttitude des premiers chrétiens par rapport au Temple est traitée au chapitre 8. Le récit de la Pentecôte  met en scène l’apôtre Pierre s’adressant à une foule de juifs venus à Jérusalem «de toutes les nations qui sont sous le ciel» (Actes 2,5) et faisant des convertis parmi eux. La communauté primitive continue de fréquenter le Temple et les apôtres y enseignent (Actes 2,46a; 3,1; 5,12.20-21.42). Mais ils se réunissent aussi à domicile pour la fraction du pain à la mémoire de Jésus (Actes 2,46b), d’où une certaine ambiguïté. Le diacre Étienne dénonce le Temple en affirmant que «le Très-Haut n’habite pas des demeures construites par la main des hommes» (Actes 7,48-50), un argumentaire que Paul reprendra dans son discours d’Athènes (Actes 17,24-25). Paul transpose par ailleurs la symbolique du Temple sur la communauté chrétienne, qu’il définit comme «le temple de Dieu», habité par l’Esprit (1 Corinthiens 3,16-17). Dans l’épitre aux Hébreux, l’imaginaire chrétien aspire à une Jérusalem céleste, «ville du Dieu vivant» (Hébreux 12,22). Dans l’Apocalypse, cette Jérusalem préexistante, descend d’auprès de Dieu: on n’y voit pas de Temple, «car son Temple, c’est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant, ainsi que l’agneau» (Apocalypse 21,9-27). Comme l’anticipait l’entretien de Jésus avec la Samaritaine, la spiritualité chrétienne évolue vers l’adoration en esprit et en vérité, abandonnant la référence à la Terre sainte et à la Jérusalem juive  (Jean 4,21).

Le dernier chapitre retrace l’histoire de Jérusalem depuis l’époque de sa transformation en Aelia Capitolina par l’empereur Hadrien après la deuxième grande révolte (132-135). Des temples romains s’élèvent alors dans la région du Golgotha et sur l’esplanade du Temple. Au début du 4e s., avec l’arrivée au pouvoir de Constantin et l’adoption du christianisme comme religion de l’empire romain, ils font place à des églises chrétiennes, dont on trouve une représentation sur la mosaïque de Madaba (6e s.). L’implantation musulmane, à partir de 638, conduira à la construction du Dôme du Rocher et de la mosquée al-Aqsa. Viennent ensuite les croisades, qui donneront à l’Église du Saint-Sépulchre sa physionomie actuelle, puis les dominations successives des Ayyoubides (12e-13e s.), des Mamelouks (13e-16e s.) et des Ottomans (16e-20e  s.). L’empire ottoman est démantelé après la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la Palestine passe sous mandat britanique. En1948, devant l’échec d’un projet de l’ONU qui aurait partagé la Palestine en un état juif et un état arabe et fait de Jérusalem une entité à part, David Ben Gourion proclame la naissance l’État d’Israël; cela provoque un affrontement avec les voisins arabes, dans lequel s’enracine le conflit israélo-palestinien qui dure encore. Le chapitre se termine par des textes d’Élie Wiesel, de Bernard Sabella et de Mohamed Arkoun qui expriment ce que que Jérusalem signifie pour eux.

Dans une trop courte conclusion, A. Tichit adresse, principalement aux juifs, chrétiens et musulmans, un souhait de paix sur Jérusalem, «cette ville au destin si particulier» (p. 117). «Pour hâter cette paix, puissions-nous vivre ensemble, à Jérusalem et ailleurs, en oeuvrant pour la justice par un apprentissage au quotidien de la vraie relation à Dieu et aux autres » (ibid.)

L’ouvrage est présenté de manière claire et abordable. L’exposé est illustré de quelques plans dessinés par l’auteure; il est enrichi par plusieurs encadrés qui offrent de judicieuses citations des Écritures juives et chrétiennes, d’auteurs juifs anciens (surtout Flavius Josèphe) et de textes rabbiniques, ainsi qu’une présentation sommaire de quelques éléments essentiels de la religion juive. Un tableau des repères archéologiques et historiques et une courte bibliographie complètent l’ensemle.

On y relève peu d’erreurs ou de points discutables. Notons toutefois une précision à apporter, au début du chapitre 7 où il est manifestement question de la version hérodienne du second Temple lorsqu’on parle d’un «chef-d’œuvre éphémère (trois-quart de siècle) et à nul autre pareil» (p. 75). Le rapprochement étroit entre Jésus et les zélotes dans le même chapitre (p. 77-79), force un peu trop les données des textes, par exemple en assimilant sans explication les deux «brigands» crucifiés avec Jésus à des zéloltes. On aimerait savoir sur quoi s’appuie l’affirmation que «les douze apôtres (…) ne peuvent recevoir les propos drastiques d’Étienne» concernant le Temple» (p. 92). Enfin, l’attribution de l’Apocalypse à l’apôtre Jean, présentée comme généralement admise (p. 99), demeure sujette à débats.

Même s’il date un peu et malgré les réserves exprimées ici, cet ouvrage permet de se familiariser avec l’histoire et la signification religieuse de ville de Jérusalem et de ses lieux saints pour les religions abrahamiques. Il continue d’être utile et apprécié particulièrment par des personnes engagées dans le dialogue entre juifs et chrétiens au seins d’associations comme Vie chrétienne et judaïsme qu’anime A. Tichit depuis de nombreuses années.

Remarques de l’éditeur

Jean DUHAIME est professeur émérite d’interprétation biblique de l’Université de Montréal et rédacteur de la section francophone de Relations judéo-chrétiennes. Il est engagé dans le dialogue interreligieux depuis plusieurs années; il a été président du Dialogue Judéo-Chrétien de Montréal (DJCM). Il est membre de la Communauté chrétienne St-Albert-le-Grand de Montréal.